PROTÉGER LE CITOYEN FACE À LA VIOLENCE DE L'ÉTAT
EXCLUSIF SENEPLUS #Enjeux2019 - Arrivera-t-on à construire une société apaisée sur le lit d’inégalités, de surcroit dans une situation d’usage illégitime de la violence de la part d’un Etat face à ses citoyens ?
#Enjeux2019 - Février 2017 : Elimane Touré est mort dans les locaux de la police du Port.
Avril 2018 : Abdoulaye Timéra est tué sur les allées du Centenaire.
Mai 2018 : Fallou Sène est tué à l’UGB.
Juin 2018 : Seck Ndiaye est assassiné dans sa chambre.
Juillet 2018 : Pape Sarr est tué suite à des actes de torture qu’il a subis.
Cette liste macabre nous interpelle sur le rapport police-citoyens.
- Le manque d’équité dans le traitement entre citoyens est inacceptable -
Les forces de l’ordre sont une composante essentielle d’une démocratie comme la nôtre dans leur rôle de protection des citoyens, et de leurs biens, et de préservation de l’intégrité territoriale de notre pays. Il s’y ajoute le haut sens républicain, dont ont toujours fait preuve sans distinction, les corps de la police, de la gendarmerie et de l’armée. C’est avec ce sens du devoir vis-à-vis de l’Etat et de ceux qui l’incarnent que notre pays a traversé des crises politiques ou sociales difficiles sans qu’une issue militaire ne soit imaginée. Enfin, le Sénégal est parmi les premiers pays contributeurs de force pour les missions de maintien de la paix des Nations Unies. Ce qui prouve encore une fois, la formation de qualité, le sens du devoir et l’esprit républicain qui caractérise ses forces de sécurité et de défense.
Mais il faut reconnaître qu’un problème devient récurrent en interne tant les morts issues de bavures policières se multiplient. Plus grave, il s’agit de l’impunité qui sévit en pareille situation créant ainsi une zone de non droit et un manque d’équité dans le traitement entre citoyens, selon l’appartenance ou non à un corps d’élite de l’Etat.
Dans un pays démocratique, où le droit de marche est consacré par la constitution de 2001, il est normal, voire naturel que les citoyens envahissent la rue pour l’une ou l’autre question inhérente à la vie en société. Mais dorénavant, toute manifestation, notamment politique ou estudiantine, suscite des d’inquiétudes de nombreux observateurs eu égard aux nombreuses bavures qui se soldent par des pertes en vies humaines.
Arrivera-t-on à construire une société apaisée sur le lit d’inégalités, de surcroit dans une situation d’usage illégitime de la violence de la part d’un Etat face à ses citoyens ? Quelle place accorde au citoyen un Etat qui autorise l’usage de balles réelles face à une manifestation de lycéens qui ont manifesté en Casamance pour demander davantage de professeurs ? Notre armée a usé de tirs à balles réelles à l’université Gaston Berger lors d’un mouvement d’humeur des étudiants contre les retards des bourses.
Une organisation comme Amnesty International ne cesse de dénoncer dans ses rapports l’utilisation abusive de la force dans les missions de maintien de l’ordre.
- Un sentiment d’impunité partagé -
Dans la quasi-totalité des pays du monde, il arrive que les forces anti-émeute fassent l’objet d’un usage disproportionné de la force. Récemment en France, la répression violente des CRS face aux manifestants en gilets jaunes, a fait le tour du monde, provoquant une vive émotion.
Mais dans notre pays, les bavures policières s’enchainent sans qu’une prise de parole publique ne soit entendue de la part de ceux qui sont censés gouverner et donc protéger le citoyen de la violence de l’Etat. Ce silence irrigue ainsi une impunité car on n’enregistre quasiment jamais de sanction à l’égard des coupables de violences sur des civils.
En 2018, outre, la condamnation de Mouhamed Boughaleb à 20 ans de prison pour le meurtre de Bassirou Faye, aucune autre sanction n’a été notée pour ce qui relève tout de même d’un crime.
Le ministre de l’Intérieur, à la remise de diplômes de la 44e promotion des officiers de police, annonçait que « la police sanctionnera à chaque fois qu’il y a un cas de bavure. Il y a différentes manières de sanctionner. Elle peut aller de la sanction la plus élémentaire jusqu’à la radiation voire l’emprisonnement ». Le contribuable est en devoir d’attendre protection de la part de ceux qui sont payés par ses impôts. Faillir sur ce sujet est une allégorie d’une faillite plus globale relative à la confiance qui doit exister entre le citoyen et ceux qui sont les délégataires de sa souveraineté.
Il y a un problème réel entre les Sénégalais et leur police ; un lien est rompu depuis très longtemps, et les faits graves relatés plus haut ne permettent pas d’envisager une sérénité dans le rapport. Un débat de grande ampleur est nécessaire sur le sujet du rapport citoyen/forces de sécurité afin de rétablir ce lien de respect et de confiance.
C’est en ayant une police et une gendarmerie républicaines soucieuses d’accomplir leur nécessaire mission dans les limites de la loi, qu’on aura un espace public apaisé et une société qui redonne toute sa confiance à ses hommes en arme. En perspective d’une échéance électorale qui s’annonce tendue, les forces de l’ordre seront encore sollicitées. Seront-elles à la hauteur pour protéger le citoyen et ne plus exercer sur lui une violence illégitime ?
Ibrahima Diagne est consultant freelance en communication, diplômé de l’Université Gaston Berger.