QUELS DEFIS POUR L’ECONOMIE MONDIALE EN 2025 ?
Isabelle Bensidoun et Jézabel Couppey-Soubeyran, décryptent pour The Conversation les principaux défis que devra relever l’économie mondiale en 2025.
Comme tous les ans, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) livre son analyse annuelle de l’économie mondiale dans l’ouvrage éponyme publié aux Éditions La Découverte (collection Repères), les deux coordinatrices de l’ouvrage, Isabelle Bensidoun et Jézabel Couppey-Soubeyran, décryptent pour The Conversation les principaux défis que devra relever l’économie mondiale en 2025.
The Conversation France : Malgré la guerre en Ukraine, des conditions financières durcies, la montée des tensions géopolitiques et le ralentissement de la croissance chinoise, l’économie mondiale semble avoir plutôt bien résisté au cours de l’année qui vient de s’écouler ?
Effectivement, en dépit de ce contexte peu favorable, la croissance mondiale en 2024 devrait, comme en 2023, atteindre 3,1 % selon l’OCDE, grâce à la bonne performance des économies émergentes asiatiques, mais aussi des États-Unis où la politique budgétaire a été particulièrement expansionniste et où les ménages ont puisé dans les économies qu’ils avaient accumulées pendant la pandémie jusqu’à faire disparaître en 2023 l’excès d’épargne de 10 % du PIB observé en 2021. Selon Isabelle Bensidoun et Thomas Grjebine, c’est la page du Covid-19 qui se referme, économiquement au moins, comme celle de l’inflation, grâce, pour beaucoup, à l’inversion des chocs d’offre, ceux des prix de l’énergie et des prix alimentaires, qui avaient poussé les prix à la hausse. Mais c’est à de nouveaux défis que l’économie mondiale est confrontée car ces chocs d’offre sont appelés à se multiplier, avec la crise écologique et les tensions géopolitiques. En conséquence, les politiques économiques vont devoir trouver comment se régler au diapason de ces chocs. Car le rôle de stabilisateur dévolu à la politique monétaire pour stabiliser l’activité économique était bien adapté aux chocs de demande mais dans un monde de chocs d’offre la politique budgétaire est plus à même de les amortir, avec un délai de transmission plus court. Un exercice qui risque d’être particulièrement délicat alors que les marges de manœuvre budgétaires sont des plus serrées et que des besoins considérables de financement doivent être mobilisés pour la transition écologique. À cet égard, la perspective est diamétralement opposée de part et d’autre de l’Atlantique, avec des politiques budgétaires particulièrement expansionnistes aux États-Unis, et qui devraient se poursuivre, alors qu’en Europe l’expansion a été bien moins forte et que la parenthèse ouverte par la crise sanitaire (la suspension des règles budgétaires en 2020) s’est refermée avec l’adoption en avril 2024 d’un Pacte de stabilité révisé, guère moins bridant qu’auparavant.
Les Américains semblent plus déterminés que les Européens en matière budgétaire, ce qui leur donne peut-être également un avantage dans la course aux industries de demain ?
Absolument. D’ailleurs, ils sont à l’initiative de ce que la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, a qualifié de politique moderne de l’offre qui redonne un rôle majeur à la puissance publique pour stimuler l’offre par des investissements publics dans les infrastructures, les technologies et les industries d’avenir ou des soutiens aux investissements privés. Et si les Européens se sont également engagés dans cette voie, ils le font en y mettant beaucoup moins de moyens et avec une détermination moins marquée, liée aux dissensions qui existent entre eux, qui se reflète notamment dans leur réaction face aux déversements sur les marchés extérieurs des surcapacités chinoises dans les industries vertes ou dans les mesures de sécurité économique prises pour limiter les dépendances étrangères et promouvoir les capacités nationales. Quoi qu’il en soit, pour la Chine, cette volonté des économies avancées de développer sur leur sol les industries stratégiques change la donne. En conséquence, la stratégie de croissance chinoise d’exporter ses produits en mal de débouchés du fait de l’atonie de sa demande interne ne reçoit plus le même accueil sur les marchés étrangers que par le passé. Car lorsque les ÉtatsUnis et l’Europe convoitent les industries stratégiques où la Chine dispose d’avantages comparatifs développés à coût de subventions massives, continuer d’accueillir ses produits sans réagir risque fort de nuire à cette ambition. Résultat, le protectionnisme s’affirme et les tensions avec la Chine se multiplient.
Quelles sont les conséquences de ce changement de perspective pour la Chine ?
Pour faire aboutir ses ambitions de prospérité intérieure et d’affirmation internationale, Pékin va devoir composer avec ce nouveau paradigme. Comme Michel Aglietta et Camille Macaire le rappellent, la stratégie chinoise, dans son volet intérieur, consiste à assurer l’autosuffisance technologique et à dominer les industries de demain, par un renforcement des efforts de R&D. Mais le vieillissement démographique, les impacts du changement climatique, les fragilités du système financier et la dépendance aux intrants étrangers dans les secteurs technologiques sont des vulnérabilités importantes. Les fragilités financières ont d’ores et déjà commencé à se traduire par des dizaines de faillites de petites banques, qui conduisent les autorités monétaires et financières chinoises à organiser leur absorption par les grands groupes du secteur bien que ces derniers aient déjà énormément grossi au cours des dernières décennies, au risque aujourd’hui, en cas de difficulté, d’entraîner tous les autres dans leur chute. Les chiffres de l’autorité chinoise de régulation financière concernant la capacité du secteur à absorber des pertes et à faire face à des problèmes de liquidité se veulent rassurants pour le moment. Dans le volet extérieur de sa stratégie, qui consiste à se repositionner sur la scène internationale, la Chine pourrait également être mise en difficulté. Alors qu’elle se voit en chef de file des pays du Sud, qu’elle invite à adhérer à son projet des nouvelles routes de la soie, les fractures sont grandes même à l’intérieur des BRICS. Sans compter les fractures de plus en plus irrémédiables avec les États-Unis.
En Europe, l’Allemagne semble à la peine. Qu’en est-il exactement ? Sa « vertu » budgétaire compromet-elle son avenir ?
Le modèle allemand est en effet en souffrance et ce n’est peut-être pas qu’une fatigue passagère, selon Céline Antonin. Les deux crises du Covid-19 et de l’énergie ont mis en lumière des difficultés structurelles. Le modèle allemand reste fondé sur sa puissance industrielle exportatrice, qui a puisé sa compétitivité dans une politique de modération salariale et de positionnement haut de gamme. Mais, depuis quelques années, la perte de parts de marché, la faiblesse de la demande extérieure et le recul marqué de l’investissement en construction confrontent l’Allemagne à de piètres performances. Le modèle allemand souffre de sa dépendance extérieure sur le plan énergétique, que la guerre en Ukraine et la crise énergétique ont largement révélée, mais aussi sur le plan commercial vis-à-vis notamment de la Chine. L’Allemagne entend axer sa politique industrielle sur la transition écologique. Mais la contrainte budgétaire qu’elle s’impose et qu’elle dicte à ses partenaires de la zone euro compromet la réalisation des futurs investissements. Les difficultés allemandes pèsent évidemment sur la zone euro et sur les politiques économiques européennes. Le modèle allemand conserve toutefois des atouts indéniables qui devraient lui permettre de surmonter ses problèmes. Cela étant, la réponse ne pourra pas être uniquement nationale. L’Allemagne va avoir besoin de l’Europe.
S’il est un domaine dans lequel la Chine dispose d’un avantage crucial, c’est bien celui des matières premières critiques, le carburant des industries de demain. Soucieuse de limiter ses dépendances, comment l’Europe peut-elle s’extraire de celle-là ?
La domination de la Chine dans ce secteur, qui s’est établie grâce à la richesse de son sous-sol, son activité de raffinage et sa stratégie internationale, qui a consisté à investir massivement dans plusieurs pays pour sécuriser ses approvisionnements et accroître la dépendance des autres à son égard, met en effet l’Europe au défi. Pour s’extraire de cette dépendance, plusieurs pistes sont envisagées : de la réouverture des mines au recyclage en passant par la diversification des sources d’approvisionnement. Mais toutes n’ont pas la même chance d’aboutir. L’Europe devra, par exemple, se saisir du concept de « mine responsable » – ce label international défini par des industriels et des organisations non gouvernementales – et lui donner corps si elle compte réduire sa dépendance en exploitant son sous-sol. Dans ce contexte, la « sobriété métaux » pourrait bien être une pièce du puzzle à davantage promouvoir. C’est en tout cas ce que préconisent Romain Capliez, Carl Grekou, Emmanuel Hache et Valérie Mignon. Cette sobriété pourrait consister à proposer des véhicules électriques plus légers, à légiférer sur le délit d’obsolescence programmée ou à réduire fortement l’usage du jetable.
Dans un environnement international où le protectionnisme s’affirme, quel avenir pour le système commercial multilatéral ?
Selon Antoine Bouët, Leysa Maty Sall et Jeanne Métivier, le système commercial multilatéral est aujourd’hui sur le fil du rasoir : le programme de Doha pour le développement est en « coma artificiel » ; l’Organe de règlement des différends, qui faisait la fierté de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ne fonctionne plus que très partiellement, et, surtout, beaucoup de mesures prises récemment contreviennent aux règles fondamentales du multilatéralisme. L’augmentation des droits de douane appliqués par les États-Unis aux produits chinois contrevient à la règle de non-discrimination. Les nombreuses aides et subventions chinoises dans le secteur industriel, mises en place sans être systématiquement notifiées à l’OMC, ne respectent pas la règle de transparence. Quant à l’Inflation Reduction Act américain, il fait peu de cas de la clause de traitement national. Le coup fatal pourrait venir des prochaines élections américaines. Si Donald Trump se réinstalle à la Maison Blanche et lance la guerre commerciale qu’il a prévue, c’est 10 % du commerce mondial qui passerait d’un seul coup hors du régime multilatéral, entraînant très vraisemblablement un cycle de décisions protectionnistes. Ces dernières semaines de campagne de la Présidentielle américaine, marquées par la montée en puissance de Kamala Harris, désignée candidate du parti démocrate à la suite du retrait de Joe Biden, éloignent peut-être un peu cette perspective. Mais rien n’est écrit et l’OMC devra de toute façon se réformer pour assurer la survie du multilatéralisme.
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