REGARD SUR LES EVENEMENTS DE DECEMBRE 1962
La date anniversaire du 17 décembre 1962 nous offre l’occasion de jeter un bref regard sur les événements alors survenus. Il s’agit là d’une des crises politiques majeures de notre pays. Aussi ne serait-il pas superflu de revenir sur les causes probables du différend entre Senghor et Mamadou Dia, ensuite sur ses chaudes manifestations avant d’aborder certaines de ses irréductibles conséquences à l’échelle nationale. Il parait que des rumeurs assourdissantes avaient répandu la nouvelle selon laquelle les relations s’étaient détériorées entre les deux amis Senghor et Dia. Très précisément, pour nombre d’observateurs de profondes divergences étaient nées entre ces derniers en ce qui touche l’orientation à donner à l’économie sénégalaise.
En effet si aux yeux de Mamadou Dia la réalisation d’une telle politique ne pouvait trouver son salut qu’au travers d’un effort collectif national ; en revanche Senghor lui ne trouvait d’issue efficace que dans l’appel aux capitaux étrangers. La puissance colonisatrice d’alors n’était- elle pas préoccupée par l’implantation en Afrique de régimes francophiles d’une docilité certaine ? C’est à l’aune de cette position senghorienne qu’il faudrait certainement apprécier les critiques qui jaillissaient alors selon lesquelles le poète président accordait trop de facilités aux entreprises étrangères sans parler de celles –là mêmes qui faisaient état de privilèges consentis au profit des catholiques somme toute minoritaires.
Tout au moins, la propagation de ces rumeurs provenait pour l’essentiel de l’entourage des ministres amis de Mamadou Dia notamment Valvadio Ndiaye, Obéye Diop, Habib Mbaye. Ne disait- on pas dans le milieu susdit que le Sénégal ne connaîtra jamais l’indépendance tant que Senghor serait à la tête de ce pays ? De telles attaques n’ont-elles pas revêtu les oripeaux d’un défi lorsqu’une fois à travers une déclaration Valdiodio Ndiaye soutint que notre hymne national se ramenait à une musique foraine ?
Cette atmosphère hostile va s’intensifier sous la forme d’une lutte épique au sein de l’UPS. C’est que les diaistes ambitionnaient de contrôler le parti à tous les échelons. Sous ce rapport l’ancien directeur de cabinet du président de la république, Christian Valentin considère que Senghor et Mamadou DIA n’avaient pas la même perception sur le statut de ce dernier.
Mamadou dia estimait tenir son mandat de président du conseil de l’UPS alors que pour Senghor, il s’agissait plutôt de la constitution.
Comment des lors ne pas rappeler qu’a toujours prévalu au niveau étatique le principe de la primauté des institutions partisanes sur les institutions constitutionnelles. Tout au moins il s’agissait d’une idée tendancielle, d’une orientation fortement incrustée dans les consciences à savoir que les décisions du parti UPS devaient être automatiquement entérinées par les institutions de la république. Au demeurant, il se trouvait des militants pour croire que le choix du parti s’imposait aux institutions, contre la loi suprême ; que le gouvernement et l’assemblée nationale étaient tenus de se soumettre à l’arbitrage du parti pour toutes les décisions politiques. Ces divergences conduisirent à un profond malaise entre les deux plus hauts personnages de l’Etat dans le cadre d’un régime parlementaire.
Mamadou Dia l’exprime en déclarant que Senghor avait à son endroit une attitude difficile à réprimer. C’est suite à d’aussi profondes divergences que sur proposition de Me Doudou Thiam conseil national fut convoqué à Rufisque le 20 décembre 1962 aux fins de règlement du dit différend. Aiguillonnés par Senghor conscient de sa minorité dans le parti, certains membres sous la houlette du député Magatte LO décidèrent de ne pas y aller et partant de déposer une notion de censure pour destituer le président avant la date précitée. Ce qui fut fait le 14 Décembre sur le bureau de l’assemblée nationale non pas par ce dernier alors désigné pour ce faire mais par Théophile James. Après ce dépôt, lecture du projet de motion, rappel des dispositions relatives aux débats et au vote d’une motion de censure, il y eut une suspension de séance jusqu’au 17 décembre.
En effet, conformément à l’article 52 de la constitution la séance devait être reprise à cette date, c’est-à-dire deux jours après le dépôt de la motion de censure. A cette date fatidique, le président Mamadou Dia aux fins d’empêcher le dit vote procéda à l’arrestation de quatre députés et ordonna aux forces de police et de la gendarmerie d’occuper l’assemblée nationale. Et cet agissement fut perçu comme un moyen d’empêcher le fonctionnement régulier des institutions. Nous passerons sous silence les péripéties de cette rude journée au sein de l’hémicycle notamment le peloton de gendarmes qui fit irruption dans la salle des délibérations de l’assemblée pour signifier à son président qu’il avait reçu mission de faire évacuer la salle par les députés, bénéficiant d’une réquisition du chef du gouvernement .Et le président Lamine Gueye de lui demander de ne point user de ses grenades en lui donnant la possibilité d’en référer au président Senghor, gardien de la constitution. Le président Gueye après consultation précisa à l’intention des députés que Senghor les invitait à évacuer l’assemblée nationale.
Le vote de la notion de censure interviendra par la suite dans le domicile du Président de l’Assemblée nationale par 47 députés présents.
Le 18 décembre vers 18 heures verra l’arrestation de Mamadou Dia, Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, joseph Mbaye. À ce propos, le juge africain Ousmane Camara par ailleurs procureur général de l’époque affirme dans ses mémoires que ce jour a montré aux susnommés combien la roche tarpéienne pouvait être proche du capitole. Que n’a t- on pas dit et écrit sur cette affaire ?
Les interprétations afférentes à cette crise divergent. Certains ont analysé l’attitude de Mamadou Dia comme un coup de force, d’autres l’ont qualifié de tentative de coup d’état. Senghor lui-même est allé jusqu’à dire qu’entre un coup d’état et un coup de force, il y’a une différence mais une différence légère. En revanche Mamadou Dia a estimé qu’on fomente un coup d’état pour obtenir le pouvoir ; or lui avait tous les pouvoirs.
Quoi qu’il en soit cette crise a engendré de multiples conséquences. Mamadou Dia et ses compagnons furent arrêtés, traduits, devant la haute cour de justice, jugés et condamnés le 13 mai 1963 à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée à Kédougou.
Dans son discours de présentation du premier gouvernement Senghor, le président déclarait que depuis 6 mois le Sénégal vit une triple crise : politique, morale et économique ; de ce fait la réalisation du plan quadriennal de développement économique et social a subi un retard considérable et la conclusion logique que l’assemblée nationale en a tirée, c’est qu’il faut une révision constitutionnelle qui établisse un exécutif monocéphale, qui fait du chef de l’état le chef unique de l’exécutif et qui l’invite à soumettre au peuple une constitution nouvelle. Ce qui déboucha sur la constitution du 7 mars 1963. Force est aussi de relever que ces journées ont été dramatiques pour Senghor en ce qu’elles traduisent le déchirement d’une vielle amitié. Et au sortir de cette crise. il s’agissait pour le président, outre l’unification de l’exécutif par son renforcement, de raffermir aussi le législatif en assurant son indépendance. Une réforme qui devait passer par une séparation plus nette des pouvoirs. Ce qui s’est révélé quelque peu chimérique puisqu’ aussi bien à l’irrésistible ascension du pouvoir exécutif a correspondu un cuisant affaiblissement des pouvoirs de l’assemblée nationale ; qui depuis est devenue par le fait majoritaire ni plus ni moins qu’une vaste chambre d’enregistrement et d’entérinement, s’agissant d’un régime que l’on a dit présidentiel à partir du 19 Décembre 1962, lendemain de la crise mais qui de facto fonctionne véritablement comme un régime présidentialiste.
Le président Senghor avait-il raison d’affirmer qu’il ne suffit de réformer les institutions, li faut réformer les esprits et les mœurs ?
En tout cas les journées précitées furent trés préjudiciables aussi bien pour les principaux acteurs que pour le Sénégal.
Me Serigne Amadou MBengue
Avocat à la Cour