SENEGAL LIBÈRE-TOI
La vérité est que la démocratie seule et la voie des urnes montrent le vrai chemin du salut ! Les coups d’Etat ne sont pas des écoles de liberté
Voilà ce que semble être le message des occupants du pouvoir au Burkina, au Niger et au Mali. Comme eux, ils semblent vouloir dire au Sénégal de dégager de la tutelle française et vite ! Sans oublier de dégager également de la Cedeao ! Comme eux ! En somme, la vraie Afrique en devenir, ce sont eux ! Totalement faux et utopique !
Il serait temps de leur rappeler le nom d’un certain lieutenant Jerry Rawlings, surnommé «Jésus Junior», qui, après deux coups d’Etat militaires, céda le pouvoir à un gouvernement civil. Puis, il démissionna de l’armée et instaura le multipartisme en engageant son pays, le Ghana, dans un solide processus de démocratisation. Auparavant, il avait été élu président de la Cedeao -sourire de l’histoire- ! Le pouvoir passa entre les mains de l’opposition conduite par John Kufuor, élu au suffrage universel. Depuis 2000, le Ghana vit dans une alternance démocratique admirable que l’on doit au Lieutenant Jerry Rawlings ! A méditer !
Au Sénégal, les éphémères «prairies» du pouvoir n’ont jamais été conquises par des tirs de mitraillettes, et ne le seront pas. Il s’y ajoute que la paix avec les autres peuples du monde y est un outil d’élévation, de civilisation, de maturité, de sécurité, de défense nationale et de coopération gagnante ! Il faut se mobiliser non pour la guerre, mais pour la paix, en ne cédant rien de sa souveraineté. Les coups d’Etat militaires en Afrique ont tellement fait l’amour avec la dictature et l’absolue précarité, qu’ils ont enfanté le chaos ! Sous les régimes militaires, il n’existe ni avocat, ni juge, ni journaliste, ni peuple. Le chef est le tout et décide de tout ! Il a décidé d’être à lui tout seul le peuple, sans l’avis du peuple. Et puis, comble du malheur : souvent, le chef a lu à peine «Mamadou et Bineta».
La vérité est que la démocratie seule et la voie des urnes montrent le vrai chemin du salut ! Les coups d’Etat ne sont pas des écoles de liberté ! Méfions-nous de «l’infinie patience des pauvres ! Jamais une politique n’a été jugée sur ses intentions. Elle n’est jugée que sur ses résultats». Les peuples ne sont pas des «veaux » ! Ceux qui le croient, sont toujours punis !
Ecoutez encore Senghor quand on lui posa la question de savoir pourquoi le Sénégal n’avait jamais connu de coup d’Etat militaire : «Dans un pays où les officiers et les sous-officiers lisent le latin et le grec, il ne peut y avoir de coup d’Etat. Ce sont les petits caporaux qui font des coups d’Etat.» Quand je pense à ce que Senghor, poète, penseur, professeur, soldat, homme d’Etat, a laissé à l’Afrique, je me souviens de cette cruelle vérité : «La punition des grands hommes, c’est ce que l’on fait de leur héritage.»
Il n’existe pas et ne s’appliquera pas, ce que les putschistes africains modernes -qu’ils se souviennent des vœux populistes et de la gloire éphémère de leurs anciens prédécesseurs- et les civils révolutionnaires modernes -sincères mais utopistes- appellent la nouvelle ligne de mire ou le nouveau système ! Ce qui existera et adviendra ne peut et ne pourra que s’appeler d’un mot : «recentrage» ! Tout le reste ne sera que «démarche ondoyante, ambiguïté élevée à la hauteur d’un projet politique» ! En revanche, nous sommes tous d’accord qu’il faut changer la donne dans nos pays ! Elle est dans la nature excessive des pouvoirs du président de la République ; de la politisation de l’Administration centrale qu’il faut vite réformer, comme celle de l’Administration des Finances et du système judicaire ; réformer la pléthore de ministres au gouvernement ; réformer l’extrême prolifération de structures et de présidents directeurs généraux dont ni les compétences, ni les charges, ni les missions ne sont évaluées annuellement pour en mesurer l’efficience et la qualité des résultats ; stopper le remplissage à haut débit d’une Fonction publique laissée à elle-même et qui court vers l’implosion budgétaire non maitrisable -Abdoulaye Wade nous dit, vrai ou faux, : «On n’a jamais vu des fonctionnaires développer un pays !» ; se pencher sur le chômage naturel des jeunes sans niveau scolaire et sans formation professionnelle adaptée ; corriger le cruel manque de pont entre l’Etat et le secteur privé national et étranger, pour sceller un pacte de coopération gagnant-gagnant ; refonder vite notre système d’enseignement et éducatif ; mettre en œuvre une «hostilité irréductible» à la violence et au crime sous toutes ses formes ; respecter et honorer la presse, surtout celle qui se respecte et qui respecte et honore son métier, ses missions. Dans son essai «Carthage ne sera pas détruit», Dziri écrit ceci : «Le journalisme mineur ou inférieur : un cancer pour la démocratie. Il y a la dérive totalitaire du journalisme à sensation par opposition au journalisme à réflexion plutôt que de passion, d’interrogation plutôt que d’acquiescement, de lucidité plutôt que d’émotion.» La presse sénégalaise est parmi les premiers gendarmes de notre démocratie ! Voyez comment les urgences comme les périls sont nombreux ! Il nous faut vite une cohérence de développement nationale tenable et performante ! Il nous faut des consensus, mais sans faiblesse. Il nous faut vite des lois d’exception !
Diomaye et son Premier ministre ont un drôle de pain sur leur planche face aux lignes dures des «caporaux» du Mali, du Burkina et du Niger ! La révolution de là-bas, chez leurs frères en treillis et celle d’ici au Sénégal, n’est pas du même fuseau horaire, pour en dire le moins. Mais comment sauver les meubles avec ses voisins ? Oser leur montrer le «Jubanti !», c’est-à-dire conseiller les frères soldats au pouvoir à retourner chez le Peuple, dans les urnes et une égalité pour tous. Tout le reste ne constituerait que le raffinement d’un échec programmé !
Notre cher pays, le Sénégal, n’échappe pas à une tragique complexité politique et sociale. Il nous faut rebâtir. On peut aisément reconnaitre, alors que l’on se trompe, que Senghor et tous ses successeurs au pouvoir avaient une expérience coloniale opposée à celle de leur successeur d’aujourd’hui. Que non ! En vérité, Senghor a toujours clamé et dénoncé le poison et le mal colonial de ceux qui vous «donnent de la main droite et de la main gauche enlève la moitié». -Les mots sont de lui ! Diouf comme Wade, comme Macky ont résisté, mollement, ouvertement ou malicieusement, mais toujours avec la discrétion diplomatique qui sied et sans faiblesse, pour trouver politiquement le consensus qui ne conduit pas à la rupture brutale, bruyante et totale avec la France. Qui connait Abdoulaye Wade connait son orgueil, ses colères, son ton libre et cassant face aux «Toubabs» ! En vérité, aucun Sénégalais, par son sang et son héritage, son orgueil, sa fierté et sa dignité, n’est enclin à accepter la tutelle, la soumission, la honte, l’agenouillement, la domination !
L’histoire l’a démontré !
Senghor le premier, qui nous a menés à l’indépendance dans la paix, qui nous a écrit un hymne national patriotique et fédérateur et qui a donné à notre Armée nationale sa légendaire devise : «On nous tue, mais on ne nous déshonore pas.» En effet, l’honneur libère de toute captivité dégradante ! Remettons les montres à l’heure ! D’ici cinq ans, quoiqu’il advienne, Diomaye ne rompra pas ses relations diplomatiques et économiques avec la France. En un mot, la France ne dégagera pas dans la confrontation et le duel, mais elle sera appelée à être plus discrète, plus intelligente, plus respectueuse, moins gourmande et morveuse, et moins léonine ! Le Sénégal ne s’est jamais aplati devant la France, et la France le sait ! La vérité, qu’on le veuille ou non, qu’on le reconnaisse ou non, est que nous avons fait ensemble des enfants avec la France, du fait de notre longue histoire commune. En famille, on se parle. Sans émotion. Avec respect ! L’exploitation honteuse ne peut pas toujours primer sur la justice et l’équité dans les échanges.
Si la France nous donne des fleurs et que de ces fleurs nous faisons germer des fruits sur nos terres, elle doit comprendre qu’à table, on ne se nourrit pas de fleurs. Elle doit comprendre qu’elle ne peut pas nous laisser un panier de fruits et partir avec la récolte achalander ses propres marchés. Jusqu’ici, la puissance coloniale a eu le mérite et l’honnêteté de nous mettre en face de sa force, de sa voracité, de son diktat. L’Afrique ne veut plus être ni colonisée, ni recolonisée, ni soumise, ni dominée, ni abaissée, ni courtisée, ni séduite, ni aimée, ni convaincue. Elle veut être libre et décider d’elle-même de son développement et de son destin ! Rien ne peut plus être comme avant ! Charles de Gaulle vient sans doute véritablement de mourir et définitivement ! Son empire a vécu. Finies les emplettes à un cauris de la France, en Afrique !
Puisse-t-elle cependant garder sa prodigieuse puissance culturelle, artistique et littéraire comme un trésor de l’humanité ! Elle a honoré la création ! Elle a grandi l’esprit ! Elle a fasciné la terre ! Dire que c’est un Cardinal qui créa l’Académie française, célébrant ainsi les arts et les lettres ! Dire que c’est un Général qui, le premier, créa un ministère de la Culture en terre de France ! Oui, «le meilleur endroit pour aimer le monde» est au cœur des bibliothèques, des bouquinistes des quais de Seine, des musées, des théâtres, des opéras, des vides greniers, des cafés littéraires, des bistros, de Paris ! La France est une jouissance de la culture, une fête de l’esprit ! Sous Senghor, le Sénégal avait de la même manière taillé son «manteau royal» à la culture.
D’autre part, il nous faut au-delà d’une République et d’une Nation déjà édifiées par Senghor, revivifier une patrie - le pays se fissure-, c’est-à-dire un puissant sentiment d’appartenance qui «nourrit un esprit public, c’est-à-dire la subordination volontaire de chacun à l’intérêt général, condition sine qua non de l’autorité des gouvernements, de la vraie Justice dans les prétoires, de l’ordre dans les rues, de la conscience des fonctionnaires».
La politique est un terrifiant lieu de mémoire ! Evitons alors toute surdité «spirituelle» ! Un pays comme le nôtre a besoin de cette soif du divin qui est le meilleur gilet pare-balles contre toute vanité et contre tous ceux qui «n’ont pas le courage d’être heureux». Le Sénégal a muté. Notre beau pays est devenu bruyant et sombre, cruel et épineux, conflictuel et haineux, sectaire et gluant, sec et intolérant. Ce n’est pas nous. Ce pays-là n’est pas le nôtre, et il ne le sera pas. Tout y semble si faux et si mensonger, que nous sommes arrivés à nous demander si le Sénégal porte toujours son nom de Sénégal ! Tout ou presque y est inavoué, maquillé, travesti, à scruter, à vérifier, à corriger pour se protéger d’une complicité coupable qui vous met en mal avec votre éthique. Une armée d’hyènes vêtue de peau d’antilope a pris d’assaut notre pays.
Veillons !
Toujours ne pas s’éloigner du divin. C’est le Pape François qui nous rappelle ces mots du poète Paul Celan : «Celui qui apprend vraiment à voir, s’approche de l’invisible.»