SLOW TRACK
EXCLUSIF SENEPLUS - L’appel du président à l’application du « fast track » s’est montré relever plus de la propagande que d’une volonté politique visant à révolutionner le management public - L'HUMEUR DU DOYEN
Tabaski dimanche. Puis Tabaski lundi. Et congé jusqu’au lundi suivant. Pour tout le monde, fonctionnaires, contractuels de l’Etat et travailleurs du secteur informel. Sans l’autorisation préalable de l’Etat et des employeurs.
Ceci quatre mois après que le président de la République ait lancé très officiellement le « Fast Track », c'est-à-dire le relèvement de la cadence dans la production et une plus grande célérité dans la livraison des services par l’administration.
"Dans bien des cas, trop de routine, trop de lenteur, de procédures et de formalités indues continuent d’enterrer l’efficacité du service public et la compétitivité de notre économie. Dans la nouvelle dynamique que je compte imprimer à la conduite des affaires publiques, j’ai la ferme intention d’inscrire toutes les actions de l’État en mode fast-track", déclarait le président Macky Sall dans le discours prononcé devant le Conseil Constitutionnel lors de son investiture comme président de la République, pour son second mandat, en avril dernier.
Or l’efficacité du service public et la compétitivité de l’économie prennent un sérieux coup avec cette augmentation imprévue de jours fériés. On aurait donc pensé que la gestion publique en mode « fast track » aurait cherché à réduire ou au moins à contenir le nombre de jours fériés.
Le Sénégal a observé 16 jours fériés de commémoration ou de célébration de fêtes civiles et religieuses en 2018. En 2019, on en sera à au moins 20 jours fériés. On n’a donc pas accélérer la cadence, on la ralenti. « Slow track » et non « Fast track ».
Une étude du Dr Sérigne Moustapha Séne de la Direction de la Prévision et des Etudes Economiques (DPEE)datant de 2012, sur « les effets des jours fériés sur la production industrielle et sur l’activité globale du Sénégal de 1980 à 2010 » indiquait que les jours fériés dont le cumul était de 14 seulement en 2012, causaient « à l’industrie une perte de production de 2.6% par an et à l’ensemble de l’économie une perte annuelle de 0, 01% du PIB réel ».
L’étude de la DPEE avait procédé à un benchmark de pays « émergents » et candidats à l’émergence et conclu que le Sénégal était pourtant dans la bonne moyenne des pays considérés en terme de nombre de jours fériés puisque le nombre de jours fériés par an était de 14 en Corée du Sud, tout comme en Afrique du Sud, 15 en Tunisie, 16 au Botswana, 15 en Côte d’Ivoire, 11 au Cap Vert et au Rwanda et 12 en Malaisie.
L’étude recommandait alors que l’autorité publique établisse à 13 le nombre de jours fériés par an au Sénégal, seuil au dessus duquel l’efficacité du service public et la compétitivité de l’économie seraient affectées négativement. Au lieu de cela, le pays s’est complètement arrêté pendant toute une semaine après la Tabaski.
Alors que, si les mots ont un sens, il s’agissait plutôt avec la méthode « fast track », « d’accélérer la cadence », comme disait l’autre. D’inciter ainsi à travailler encore plus avec en mire les objectifs d’émergence à l’horizon 2035 du Plan Sénégal Emergence.
Les Sénégalais n’auraient-ils donc pas capté le message de leur président ?
En réalité, l’appel du président à l’application du « fast track » s’est montré relever plus de la propagande à l’intention des crédules, technocrates frustrés d’ici et agents des bailleurs de fonds occidentaux, que d’une volonté politique visant à révolutionner le management public. Sinon, comment se fait il qu’on n’ait pas initié les réformes d’accompagnement indispensables ? Comme de lancer une vigoureuse campagne de communication en direction des diverses populations et communautés du pays !
Comme de sanctionner publiquement les managers de projets et programmes, comme ceux du TER et du PRODAC par exemple, coupables de dépassement de délais de livraison ou de graves fautes de gestion. Comme d’instaurer des procédures de suivi et de contrôle des projets et programmes transparentes, incluant les citoyens et les communautés.
Ce sont là des modalités de gestion que les entreprises et même de simples projets de développement soucieux d’efficacité appliquent. A fortiori un gouvernement d’un pays qui se dit démocratique. Qui en outre prétend à « l’émergence » en 2030 !
Il y a quelques années, le président Abdoulaye Wade lançait : « il faut travailler, beaucoup travailler, encore travailler, toujours travailler ». Le mot avait fait mouche. D’aucuns ont cru qu’il annonçait une nouvelle éthique qui allait fonder une nouvelle politique de développement. Il s’est révélé n’être qu’un leurre.
Cette fois-ci apparemment personne ne s’est laissé prendre. D’autant que les images du président de la République en mode farniente avec sa douce moitié dans la très chic station balnéaire de Biarritz en France ont enlevé rétrospectivement toute mauvaise conscience à ceux qui en avaient encore.
« Chacun fait comme il veut dans ce pays. Nous avons pris 5 ou 6 ou 7 jours auprès des nôtres à Njogolor, à Fogolembi ou à Tyabou ? Et le président qui lui va se reposer en France avec sa femme ? », devaient-ils se dire après coup.
C’est vrai que l’incivisme et l’irresponsabilité des Sénégalais sont entretenus par l’image que leurs dirigeants leur renvoient.
Retrouvez chaque semaine sur SenePlus, le billet de notre éditorialiste, Alymana Bathily