UN CRIME D’ÉTAT
L’hôpital Mame Abdou Aziz Sy Dabakh de Tivaouane n’est un EPS de niveau 2 que de nom. Le plateau technique, au plus bas niveau, fait penser à un centre de santé. Ce drame n'est que la continuation de celui de Linguère
Ce mercredi 26 mai 2022, au moment où les derniers rayons du soleil disparaissaient et que le crépuscule s’installait doucement, des nouveau-nés prématurés allaient connaitre une nuit éternelle dans leurs incubateurs censés pourtant leur permettre de posséder toutes les capacités pour grandir en autonomie.
Par une négligence anthropique, les couveuses allaient, hélas, être les tombeaux des pauvres onze bébés qui n’ont évidemment même pas pu réaliser ce qui leur arrivait. Ils voulaient vivre, finalement la bêtise humaine les a envoyés ad patres. C’est douloureux, voire insupportable, d’imaginer ces flammes criminelles qui dévorent de petits êtres emprisonnés dans des bulles en plastique sans que personne ne puisse leur venir en aide.
Certainement que les premiers résultats de l’enquête annoncée par le ministère de la Santé vont encore faire porter le chapeau de la responsabilité au personnel médical chargé de veiller sur ces malheureux nourrissons, mais cette fois ci, personne ne fera avaler la pilule de l’accusation mensongère aux populations sénégalaises endolories par cette énième défaillance de nos services de santé. Dans un pays où l’on appréhende le sens des responsabilités, le ministre et la directrice de l’hôpital devaient rendre leur tablier dès la survenue du drame.
En mars 2019, en Tunisie, le ministre de la Santé, Abderraouf Chérif, avait démissionné après la mort de onze bébés due à une infection nosocomiale. Heureusement que le président de la République, qui semble avoir entendu nos plaintes et complaintes, a limogé Diouf Sarr dont le séjour au ministère de la Santé n’a été ponctué que d’échecs et de politisation des directions. Avec la médiocrité promue au grand dam de la compétence. Diouf Sarr, tel Ponce-Pilate, cherchait déjà à se laver les mains de ce crime commis sur des nourrissons. C’est du moins ce qui transparaissait de ses premières déclarations après un bref séjour de farniente sur les bords du lac Léman. Dans cette affaire, la responsabilité de l’Etat est entière.
L’hôpital Mame Abdou Aziz Sy Dabakh de Tivaouane n’est un EPS (Etablissement de santé public) de niveau 2 que de nom. Le plateau technique, au plus bas niveau, fait penser à un centre de santé. Cet hôpital, compte tenu de son niveau annoncé et non encore effectif, doit polariser 560 mille habitants. Mais les sollicitations dépassent de loin ce chiffre. Il est fréquent de voir des habitants d’autres localités non prises en compte médicalement se rendre fréquemment à Tivaouane pour y chercher les soins que nécessite leur état de santé.
Vu l’importance de cette ville capitale de la Tidiania qui accueille annuellement des millions de Sénégalais pour la célébration du Maouloud, « Mame Abdou » devrait même être érigé en EPS3 c’est-à-dire un hôpital à vocation nationale. Au moment où l’Etat a investi à Tivaouane 7 milliards dans le cadre du Programme de modernisation des cités religieuses, l’hôpital Mame Abdou, à quelques centaines de mètres, souffre d’un manque d’équipement criard.
En 2019, le khalife Serigne Babacar Sy Mansour avait dénoncé, en présence de Ali Ngouille Ndiaye, l’alors ministre de l’Intérieur, le manque de matériel de ce lieu de soins qu’on appelle hôpital mais qui ne l’est pas médicalement parlant. Il y a deux ans, la « Jeunesse consciente de Tivaouane » avait décidé d’organiser un téléthon pour collecter des fonds aux fins de sauver cette structure de santé plus malade que les patients qu’elle accueille quotidiennement. Mais Diouf Sarr avait enjoint ces jeunes dévoués pour la cause de Tivaouane de stopper les spots publicitaires qui commençaient déjà à passer dans les médias audiovisuels.
Faire un téléthon pour l’hôpital de la capitale de la Tidiania, c’était en effet mettre en exergue l’échec politique de l’Etat pour la ville de Tivaouane et, par voie de conséquence, priver le président de la République de précieuses voix lors d’échéances électorales.
L’initiative de la « Jeunesse consciente de Tivaouane » bloquée, le ministère ne fit rien pour l’hôpital Mame Abdou. L’Etat a préféré investir plutôt pour le confort d’une ploutocratie à travers l’érection de résidences accueillant les hôtes de classe lors d’événement religieux comme le Maouloud que de s’occuper de la santé de ces centaines de milliers de pauvres qui se rendent régulièrement à l’hôpital de Tivaouane pour espérer y trouver les soins dont ils ont besoin.
A quoi servent ces résidences d’hôtes nababs fermées presque pendant toute l’année (et dont la maintenance est onéreuse) au moment où l’hôpital qui doit recevoir des hôtes pauvres manque de tout ? La politique de l’Etat, c’est du tape-à-l’œil, du m’as-tu-vu. Il ne sert à rien pour le procureur de la République de Thiès de proférer hâtivement des menaces voilées en direction des agents de santé au moment où le premier responsable du drame survenu ce mercredi, Abdoulaye Diouf Sarr, plastronne.
Abdoulaye Diouf Sarr dont la ficelle était trop grosse qui voulait se servir de la Senelec comme fusible commode pour ne pas assumer sa responsabilité dans ce désastre sanitaire. Il cherchait à sauver sa peau en voulant se défausser sur la Senelec. Sa manœuvre cousue de fil blanc n’a pas abouti.
Dans la même logique, le président Macky Sall n’est pas exempt de reproches dans le délabrement du système de santé du Sénégal. C’est lui définit la politique sanitaire et l’on s’est rendu compte que la santé va de mal en pis dans ce pays depuis 2012. Ce qui est arrivé à Tivaouane n’est que la continuation du drame de Linguère où, en avril 2021, quatre nouveau-nés avaient été calcinés cruellement dans l’unité de néonatologie. Si des mesures hardies ne sont pas prises, attendons-nous bientôt à un autre drame de ce genre dans un autre mouroir du Sénégal administrativement appelé hôpital.