UNE VISITE EN CLAIR-OBSCUR
EXCLUSIF SENEPLUS - Visite de Macky à Paris - Les liens de dépendance économique, politique et diplomatique du Sénégal vis-à-vis de la France, sont hélas, une constante
La visite d’état de quatre jours que le Président Macky Sall vient d’effectuer en France devait clôturer en apothéose une année politique en pointillés, au cours de laquelle, le Président a alterné le bon et le pire ! L’impression généralement ressentie est en quelque que le fond a pâti de la forme. Tous ces accords et conventions signés avec le gouvernement français, pour doper le Plan Sénégal Emergent à travers des infrastructures structurantes vont dans le bon sens. Ils reflètent le cheminement linéaire des relations politiques et économiques entre une puissance tutélaire et son ex-colonie. Mais l’habillage folklorique et les dérapages festifs de la visite en ont sûrement atténué les retombées potentiellement positives.
Tous les gouvernements précédents des deux côtés de l’Atlantique ont sacrifié à la tradition séculaire des visites d’état. Et le fait d’avoir voulu donner une si grande sacralité et une si forte résonance au séjour français du Président Sall en a quasiment altéré l’esprit. Au-delà des accords et conventions préparés depuis longtemps comme dans les vieilles traditions diplomatiques, le Président Sall avait toutes les raisons de rencontrer pour la dernière, en tant que tel, son homologue français dont le mandat expire, sans espoir de renouvellement, en avril prochain. La France de Sarkozy avait manifestement soutenu le Président Sall, pour déraciner l’atypique chef d’Etat Wade, coupable yeux de Paris d’avoir fait la part belle, dans la coopération internationale, aux monarchies arabes du Golfe et à la Chine à son détriment. Peu après son élection en mars 2012, le Président Sall avait rendu visite à un Nicolas Sarkozy, malmené dans les sondages par l’actuel locataire de l’Elysée, Hollande. Ironie de l’histoire, le Président Sall a été quatre jours durant l’hôte d’un président en partance pour la retraite politique, exactement dans la même ambiance qu’à un Sarkozy sur les marches de la porte de sortie.
La visite d’état du Président Sall en France a pris les allures de reconnaissants remerciements et d’adieux à Hollande partant, quasiment dans le même ton qu’à Nicolas Sarkozy donné perdant. Entretemps, le Président Sall a réorienté sa diplomatie économique dans le sens souhaité par Paris. Et la reprise en main de notre économie par le patronat français, nargué par naguère par Wade n’en est qu’effective. Les gages donnés à Sarkozy ont été confirmés sous Hollande. Les Boloré, Alsthom, Eiffage, Thales, Total, entre autres, ont repris du poil de la bête et se paient sur la bête, avec à la clé des contrats juteux, sur fond d’alignement inconditionnel du Sénégal sur les thèses sécuritaires de la France dans son obstiné combat contre le terrorisme.
Toute la symbolique de la visite d’état du Président Sall à Paris, Strasbourg et Toulouse peut ainsi se résumer. Il ne s’agit ni plus ni moins que de renvoyer l’ascenseur au « bienfaiteur » français, pour son coup de main « salutaire», qui aura contribué à la faveur de l’exaspérant ras-le-bol des électeurs sénégalais, de bouter Wade hors du pouvoir. Qu’à cela ne tienne ! La mémoire dit-on est la reconnaissance du cœur. Il eût été assez inconvenant de la part du Président Sall de ne pas chercher à consoler Hollande, contraint après sa mémorable déroute politique et ses échecs économiques, de renoncer à briguer un second mandat. Mais ce lot de consolation suffira-t-il à justifier et crédibiliser les énormes et historiques contrats octroyés à la France sur un plateau d’argent ?
Autrement dit, le retour en force des entreprises françaises au Sénégal, sera-t-il aussi profitable au Sénégal en termes de coût et de profitabilité sociale ? Il est pour l’heure, encore trop tôt pour savoir si la gestion de Necotrans, les promesses de construction de terminal pétrolier, l’exploitation des mines, du pétrole et du gaz, les infrastructures routières, les services sociaux de base (comme l’eau, l’assainissement et la santé), la réalisation du TER, les politiques touristiques, éducatives et de formation, revenus aux mains des Français, suffiront à donner corps au Plan Sénégal Emergent, notre référentiel de décollage économique et de croissance inclusive.
Au bout du compte, c’est le résultat qui comptera plus que les récriminations et autres accusations de recolonisation économique et de perte de souveraineté. Rien de nouveau sous les cieux dans la diplomatie du Président Sall comparativement à ses prédécesseurs. Les liens de dépendance économique, politique et diplomatique du Sénégal vis-à-vis de la France, sont hélas, une constante, une diagonale continue inscrite dans le temps et de laquelle, il nous sera difficile de nous défausser. A moins d’une révolution copernicienne, on voit mal, comment la puissance césarienne de la France prendra fin alors même que tout contribue à la renforcer et à la prolonger. Ce n’est pas du défaitisme, mais bien un constat d’impuissance, au moment où, même à l’intérieur des espaces communautaires, le repli identitaire, la préférence nationale, le protectionnisme ont pignon sur rue.
Le Brexit (sortie de la Grande Bretagne de l’Europe), l’élection aux USA de l’Américain Donald Trump farouche théoricien et futur propagateur de l’isolationnisme, la montée des partis nationalistes, racistes et exclusivistes en France, Italie, Autriche, Allemagne et dans les anciens pays de « l’ex empire » soviétique, amplifient la psychose des petits pays de se voir de plus en plus isolés politiquement et économiquement précarisés. La mondialisation tant claironnée au début du 21 ème siécle perd du terrain, alors même que dans les pays en développement, on craignait que les APE pulvérisassent nos économies nationales. Le renforcement de la zone franc en Afrique, face à un euro aux mouvements hiératiques, mais encore fort, confirme le besoin de protection des pays du pré-carré français, toujours d’actualité, malgré tout.
Dans un tel contexte, le sentiment d’impuissance ne peut céder la place qu’au besoin de protection par un puissant sponsor. Et ce, en dépit de l’effet désastreux (sur notre égo et notre économie) d’une poursuite de l’odieux système de domination post coloniale. La visite du Président Sall s’inscrit dans cette ligne et traduit l’absence ou la faiblesse de la marge de manœuvre des pays enserrés dans ce cercle vicieux, de la dépendance, relique ou continuation d’un système colonial. C’est cela constante du fond. Peu importe que le Président ait été reçu par Annick Girardin, anonyme ministre de la fonction publique, par le Premier ministre ou le Président Hollande lui-même. Ce gouvernement français, après le renoncement de Hollande ne laissera pas beaucoup de trace dans l’histoire de la France. Il n’a que cinq mois pour assurer la transition et inaugurer les chrysanthèmes, avant de céder la place. Parader ou fanfaronner après quatre jours de visite d’état chez des hôtes aussi fugaces et éphémères relève, de l’incongruité. Et ne méritait certainement ce déploiement d’énergie et de moyens. Même dans un onctueux contexte de solennité, la mesure aurait dû être la règle d’or.
En revanche, on peut faire constat que les ruptures promises par le régime, dans ce domaine, ont fait long feu. Le folklore kaléidoscopique qui a ponctué cette visite peut vraiment prêter à sourire. Toute l’armada de directeurs de publication, de militants en surchauffe, accompagnateurs zélés, dames de compagnie ont carrément déparé le décor et la solennité attendus. Les « reportages » en boucle, sans distance et sans discernement avant pendant et après la visite donnent dans la démesure et transforme une séquence officielle en une sorte de « Bercy politique», en totale opposition avec les ruptures promises. Plutôt que de désacraliser cet évènement normal dans le calendrier diplomatique international, on l’a transformé en fiesta avec tous les dérapages d’une communication évènementielle ratée. Sans nier le caractère impactant des investissements annoncés, on n’en retiendra qu’une impression désastreusement négative, le France butine notre économie.
La contre-manifestation de l’opposition, quant à elle, relève de pratiques passéistes, puériles. Utiliser l’espace d’une visite d’état, pour dénoncer des dérives, paraît totalement improductif et inutilement «conflictogène.» Cette démarche surannée a sans doute obligé l’APR à battre le ban et l’arrière ban de ses troupes pour donner une réplique tout aussi puérile à l’opposition. La démocratie sénégalaise ne s’accommode mal de ces artifices dignes d’un autre âge, et qui la ravale au rang d’un pays immature, incapable de circonscrire ses contradictions dans les limites de son territoire. Et l’opposition de donner cette amère sensation de recourir à un tuteur pour recadrer la majorité qu’elle accuse paradoxalement d’être sous la coupe réglée de la France.