WALY, REFLET ET REFOULÉ
EXCLUSIF SENEPLUS - Si beaucoup de Sénégalais aiment détester Waly Seck, c’est qu’il leur rappelle ce qu’ils cachent, leur part d’eux-mêmes qu’ils tentent maladroitement de dissimuler - Waly est de son temps : un écrin pour le vide - INVENTAIRE DES IDOLES
Chez Waly Seck, le chanteur et ses talents n’ont intéressé que sur le tard. Il fallait d’abord éclore de l’ombre du père, s’ouvrir un chemin, esquiver les reproches sur les privilèges de la naissance. Echapper ensuite aux procès vestimentaires, aux commentaires violents sur son look androgyne, à cette suspicion d’homosexualité que l’on attribue à chaque mâle à la féminité un poil marquée. Enfin chanter, peut-être.
Tout cela avait presque condamné aux enfers la carrière du chanteur. Alors que ses mélodies commençaient à remuer les bassins dakarois, que dans les milieux huppés on se trémoussait tout en se bouchant le nez, série de commentaires pas très gentils naissaient çà et là, pour griffer la vedette en gestation. Passées à la loupe, sa mise et son allure furent les principaux points de discorde dans l’opinion. D’un côté, des milliers d’avocats défendirent le chanteur. De l’autre, des milliers d'accusateurs vilipendèrent l’idole naissante. Équité presque complice.
Ce qui était amusant dans ce tribunal national, c’est que la défense et l’accusation pouvaient s’échanger des membres. Les mêmes pouvaient, tour à tour, vanter et accabler Waly. Danser et vomir. Celui à qui on prêtait une homosexualité, suscitait ainsi un mélange d’admiration et de dégoût. L’épisode du sac, tragicomédie en plusieurs actes, avait vu le bonhomme vaciller. Car ce sac donnait forme et contenu aux soupçons de goorjigeen. La meute unie fondit sur lui et comme toujours, l’affaire retombée, il s’excusa. Et confessa, pour se laver définitivement des souillures, « qu’il s’occupait très bien des filles sénégalaises, et qu’il ne fallait que leur demander et elles confirmeraient le mâle ultime qui sommeillait dans le sac et les tenues échancrées. » La polémique se termina ainsi. On revit le chanteur, comme une seconde chance dans l’opinion, la bénédiction nationale le toucha. L’accalmie arrangeait tout le monde en vérité.
De Bercy au Théâtre national, Waly est devenu un phénomène. Si l’on mesure un succès et une gloire, aux titres reçus, aux albums vendus, à la notoriété acquise, aux populations qu’on inspire, aux conquêtes d’autres scènes, le fils Ballago, s’installe confortablement dans le paysage musical. Ceux qui veulent voir en lui la forge du rythme dans le sens Omar Pène sont priés de passer leur chemin. Non plus ne verront-ils, l’authentique A capella de Baba Maal, la voix de Youssou Ndour, le grand Mbalax du texte des pionniers, ni même les écoles du Mbappat.
Waly est de son temps et de l’école Gelongal : un écrin pour le vide. De beaux emballages pour du vent. De Nix à Dip, cette esthétique du « clip », peu crédible, singée des ailleurs, montre que le local a perdu dans l’influence. Des sonorités pour des joies rapides, des clips pour vendre du rêve. De la mousse qui fond avec le temps. Les jeunes citadins, les minettes nourries aux Novelas et à la flopée des séries nationales ayant pris la relève, trouvent en Waly un ambassadeur à leur pied. Parents et enfants, nantis et classes populaires, se déchirent. Lignes de fracture d’un héritage inassumé. Waly reste un phénomène purement sénégalais, au mieux, des diasporas sénégalaises. Preuve d’un drame national sans déflagration.
En réalité, si beaucoup de Sénégalais aiment détester Waly Seck, c’est qu’il leur rappelle ce qu’ils cachent, leur part d’eux-mêmes qu’ils tentent maladroitement de dissimuler. Waly s’habille comme eux, il aime le saillant, le visible, le « à la mode », comme du reste tous les autres du plateau que l’on rencontre à ses concerts. Il est fait de l’étoffe du Gezner. La liturgie du soin national « defar bamu baax » est un bien commun et même le marqueur de l’appartenance sociale. À ce jeu des apparences, le chanteur est comme un symbole national du parvenu.
Loin du charme oriental du père, Waly sera ce qu’il est. Sa caravane passera en faisant monter dans la diligence les chiens qui aboient. Il fera ses affaires et jouera, un boubou aidant, un chapelet pas loin, les yeux embués, le soir d’une accusation venue, une comédie de contrition. Tout sera sauf pour tout le monde. Il sera bourreau, victime et restaurateur des valeurs nationales. Il sera le Narcisse national devant son miroir. Qui fustige son reflet et son refoulé.