Y EN A MARRE, VUES D'UN VIEUX MILITANT
EXCLUSIF SENEPLUS - De quoi donc l’UPEC 2018 est-il l’indicateur ? La révolution panafricaine ne sera financée ni par la Banque Mondiale, ni par l’Union Européenne ni par aucune fondation et pourtant elle est inéluctable
L’Université Populaire de l’Engagement Citoyen (UPEC) qui s’est tenue à Dakar du 23 au 26 juillet dernier, sous l’égide de Y en a marre marque, à n’en pas douter, un tournant dans l’évolution de ce mouvement.
L’événement se présentait comme un « espace de débats et de réflexions entre différents réseaux : activistes indépendants, membres engagés de mouvements citoyens, intellectuels, artistes et autres acteurs citoyens à travers l’Afrique et le monde ».
Le défi selon Fadel Barro l’un des porte-parole de Y en a marre était à la fois de « faire avancer la cause panafricaine (…), de mettre la jeunesse africaine ensemble, d'interroger notre action, d'apprendre des autres expériences… et de donner la parole à la jeunesse africaine, parce que c'est par la parole qu’on façonne le monde et non pas la guerre pour résoudre un problème. »
Le format fait de discussions en « panels », à coup de vidéos, de présentations PowerPoint, et de mini-concerts, le tout relayé à travers les médias sociaux, évoque un team building de ces ONG de la dernière génération façon start-up. Le « fun » et le « buzz » ont été créés grâce à la participation des Tiken Jah Fakoly, Didier Awadi, Kadidja Nin, Claudy Siar et autres célébrités. Etonnant quand on a encore à l’esprit le «possee », de rappeurs hardcore et de journalistes en rupture de salles de rédaction, qui a surgi des ghettos de la banlieue dakaroise et investi la scène musicale en même temps que l’arène politique, se dénommant Y en a marre !
C’était autour de 2011. La société civile et les partis d’opposition à bout de souffle tentaient vaille que vaille de relayer le ras-le-bol des populations dakaroises face aux coupures intempestives d’électricité, la canaillerie du régime libéral et l’obsession du vieux président de faire de son fils son dauphin. L’avènement de Y en a marre a alors chamboulé toute la praxis et le logos des « mouvements de la société civile », comme des partis politiques. En rompant avec les dénonciations oiseuses, les marches et manifestations de rue finissant en queue de poisson et en privilégiant l’engagement physique auprès de citoyens. En investissant le rap, la musique et la culture populaire. « L’heure n’est plus aux lamentations de salon et aux complaintes fatalistes », disait Fadel Barro, je crois, en 2011. « Fini les réunions dans des salles, fini les réunions entre quatre murs, il faut passer à l’acte », expliquait Thiat autre porte-parole.
Ce qu’on a appelé plus tard « le Mouvement du 23 juin », c’est-à-dire le soulèvement des mouvements de la société civile et des partis de l’opposition contre le projet de révision constitutionnelle du Président Abdoulaye Wade doit sa victoire en grande partie à Y en a marre. Dès lors, le mouvement a mis en œuvre des initiatives inédites et successives d’agit-prop ancrées dans la culture populaire pour sensibiliser et mobiliser les Sénégalais. Ainsi le plan « Fanaané Daas » d’Octobre 2011 pour inciter les citoyens à s’inscrire, à retirer leurs cartes d’électeurs et à voter effectivement. Puis « Faux ! pas Forcé », lancé en janvier 2012 pour sensibiliser contre un troisième mandat pour le président Wade.
Aussi les opérations « Doggali » « jaay sa carte jaay sa gor-la » initiées dans l’entre deux tours de l’élection présidentielle de 2012 pour appeler au boycott du président Wade, candidat à un troisième mandat. Ce Y en a marre des « opérations », des « plans » et de l’agit-prop qui sentait la poudre est-il désormais « old school » ? Revirement ? Nouvelle stratégie ? De quoi donc l’UPEC 2018 est-il l’indicateur ?
L’ONGisation tendance Forum Social Mondial diront certains. En fait Y en a marre membre du Forum Social Africain depuis 2012 fonctionne au moins depuis cette date comme une ONG, œuvrant pour « le changement social à travers des changements de comportements », favorisant « l’engagement citoyen », en vue d’une démocratie participative et pour « bâtir une société de justice, d’équité, de droit, de paix et de progrès pour tous ».
En tant qu’ONG, Y en a marre fonctionne depuis lors comme une ONG, déclinant sa « vision » sous forme de « projets » pour « le renforcement de la citoyenneté et la solidarité », pour la promotion de la salubrité (Sunu Gox), pour « la participation des citoyens au débat public (Dox Ak Gox), « l’engagement citoyen » ou encore le dialogue entre citoyens et élus (Wakh Ak Sa Député).
En fait l’objectif de Y en a marre n’a jamais été de prendre le pouvoir ou d’œuvrer à l’avènement d’un quelconque régime politique. L’objectif a toujours été d’œuvrer à l’émergence d’un Nouveau Type de Sénégalais (NTS) « responsable, intègre et engagé pour porter le projet de transformation sociale en vue de bâtir une société de justice, d’équité, de droit, de paix et de progrès pour tous. Une société qui travaille, produit et distribue les richesses et les opportunités à tous ses fils et filles sans discrimination ». Ou pour parler comme Simon un membre éminent de l’organisation, NTS est «Un type qui n’arrive pas en retard à ses rendez-vous, qui n’urine pas dans la rue, qui se prend en main et est acteur de sa propre vie ».
Fadel Barro, autre membre non moins éminent, explique qu’il s’agit « de lutter contre l’injustice, la mal-gouvernance, la corruption (…), encourager nos concitoyens à prendre conscience de leurs droits et demander à nos dirigeants de les respecter ». Le mouvement soumet désormais ses projets au financement des « bailleurs » du haut du panier tels l’Union Européenne ou l’USAID et les exécute avec la collaboration de bureaux d’étude internationaux « professionnels du développement solidaire » comme le Gret et Initiatives Pour un Autre Monde.
S’est-il seulement agit de valider ce format d’organisation et de fonctionnement et de le partager sous forme de « meilleures pratiques » avec les mouvements sociaux du réseau africain ? Quid donc du vœu déclaré de « faire avancer la cause panafricaine » ? A la trappe ? Ce serait bien dommage. Car l’UPEC a confirmé la vitalité d’Afrikki Mwindi, ce réseau de mouvements sociaux africains dont Y en a marre a inspiré l’éclosion du Burkina Faso au Burundi, de la République Démocratique du Congo à la Côte d’Ivoire, du Congo à Madagascar, au Cameroun et dans les diasporas.
On pourrait à partir de ce réseau jeter les bases d’un parti panafricain d’un nouveau type ! A l’image de Podemos en Espagne transformer les mouvements sociaux en un parti politique panafricain. Élucubrations et vœux pieux d’un ancien combattant ? L’ancien combattant, le soixante-huitard sur le retour que je suis a, en effet, repris espoir dans la cause panafricaine grâce à la mobilisation de la jeunesse africaine que Y en a marre a su susciter en Afrique francophone.
Un dernier mot pourtant. Sur l’air de « the revolution will not be televised » : la révolution panafricaine ne sera financée ni par la Banque Mondiale, ni par l’Union Européenne ni par aucune fondation et pourtant elle est inéluctable. Foi d’ancien combattant !