CONFESSIONS INTIMES D'UN IMMORTEL
Samba Diabaré Samb

Samba Diabaré Samb, gardien sans concession de la tradition orale sénégalaise, s’est retiré de la vie, dans la nuit du vendredi 20 au samedi 21 septembre 2019 à l’âge de 95 ans. Les témoignages affluent de partout à travers le monde, pour saluer un virtuose du Xalam, un instrumentiste hors-pair dont la vie a été pourtant jalonnée par des drames.
Sur le sable frais de sa tombe à Tivaouane, les témoignages fleurissent comme un jardin d’Eden. Samba Diabaré Samb, baobab tombé sur le vaste champ de la culture, trésor immortel de l’humanité, parti sur la pointe des pieds à 95 ans, ne cesse d’aimanter du beau Xalam autour de lui. «Je voudrais m’incliner devant la mémoire d’un artiste que j’ai beaucoup aimé et dont la voix, les chants, la mélodie, la prestance dans mes voyages à l’étranger, me réveillent toujours le matin en me rappelant qui je suis et d’où je viens», s’est ému Amadou Lamine Sall, poète éclairé. En écho, la documentariste française, Laurence Gavron, qui a réalisé un documentaire intitulé «Samba Diabaré Samb, le gardien du Temple» en 2006, avoue n’être pas sortie indemne de son contact avec l’éminent généalogiste : «Samba Diabaré est sans doute le personnage que j’ai le plus apprécié de tous les griots sur lesquels j’ai fait des films. Il était intègre, honnête, fidèle à ses positions et à son unique épouse. C’était un très grand Monsieur.» Même le président de la République, quoique happé par un agenda démentiel, a pris le temps de se prosterner devant ce monument de la tradition orale africaine, le dernier des mohicans de l’oralité perdu par la grande faucheuse qui est au-dessus des susceptibilités. «Le Sénégal vient de perdre un de ses illustres fils, El Hadj Samba Diabaré Samb. Elevé à la dignité de Trésor humain vivant par l’Unesco, virtuose inimitable du Xalam, il était le symbole de la dignité et du lien social», a twitté le Président Macky Sall. A la suite du chef de l’Etat, le ministre de la Culture Abdoulaye Diop, l’emblématique griot El Hadj Mansour Mbaye, Youssou Ndour et des artistes de tous les genres ont, en chœur, pleuré «Mame Samba», comme l’appelait si affectueusement sa petite-fille et héritière Aïda Samb.
«Mouhamadou Mansour Sy, ma référence…»
Chez Samba Diabaré Samb, le bonheur s’est toujours tenu dans la foi en Dieu, dans la fidélité à soi-même. L’artiste célébré n’a jamais tué l’ascète à cheval sur des principes de vie et de valeurs. Samba Diabaré Samb a toujours allié vertu et charisme, souplesse et goût. Tant d’atouts qui font que l’on pouvait facilement le suspecter de fausse modestie, d’ascétisme poussé. Mais non. Ce griot généalogique réputé est lucide quant à son succès, conscient de sa foi vivifiée par ses valeurs Tidianes. Lui qui revendique une place de choix dans cette grande famille religieuse et une proximité partout clamée à l’endroit de Mouhamadou Mansour Sy, le père de Serigne Mbaye Sy Mansour de Tivaouane. «Ce marabout reste encore l’une de mes références, il m’a éduqué, avait-il avoué à ‘’L’Observateur’’ dans un portrait qui lui était consacré. C’est pourquoi, dans ma carrière musicale, j’ai toujours évité de me mêler des futilités. Je ne courais pas les filles, je n’ai jamais fumé, ni bu la moindre goutte d’alcool. J’ai toujours essayé d’avoir une vie saine et cela me sert beaucoup dans mes années de vieillesse.» Et il le disait en s’excusant presque de rogner sa carcasse. Il n’aimait pas trop parler. Ni de lui, ni des autres. Il a toujours préféré donner la parole à son Xalam. Et à son singulier doigté qui, très tôt, a charmé l’oreille de tous. Que l’on soit «tête couronnée» ou simple roturier.
On est en 1942. Marième Sidy, la fille du roi Sidy Alboury tombée sous le charme de sa belle voix et de sa musique savoureuse, décide de faire découvrir Dakar au jeune musicien de 17 ans. Le jeune Samba tâte de ses yeux surpris les premières lampes électriques, les commodités d’une ville. Ensuite, il fait des séjours réguliers à Tivaouane, Saint-Louis. Son étoile commence alors à briller et à éclairer son chemin à travers le Sénégal. Alassane Ndiaye dit Alou, célèbre journaliste de l’époque qui animait l’émission «Regard sur le Sénégal d’autrefois» sur Radio Sénégal, le prend sous son aile. Lui se charge de déclamer l’histoire et Samba Diabaré de le rendre en Xalam. L’émission fait un tabac. L’artiste n’a que 19 ans et un talent fou, inné. Et tout Dakar est à ses pieds. A l’aune de ses 20 piges, il prend l’avion et son inséparable Xalam pour aller faire découvrir le son traditionnel sénégalais à Lausanne (Suisse), aux Etats-Unis lors du congrès des Américains noirs, en Angleterre, à Helsinki (Finlande), dans les capitales européennes les plus improbables, au Congo Brazzaville, au Maroc. Un quasi-tour du monde dont il avait eu du mal à en revenir. «J’ai été stupéfié par cette merveille qu’est l’avion», avait-il admis plusieurs années plus tard.
Partout dans ces pays, ses titres fétiches Niani, Lagg Ya, Galayabé, Touti Diara… sont des hymnes à l’amour, à la grandeur et à la bravoure. Puis, une fois l’indépendance acquise, le Président Léopold Sédar Senghor, féru d’art, décide de monter l’Ensemble national lyrique du Sénégal. Porté par l’insubmersible Xalam de Samba Diabaré, l’ensemble instrumental enchante le continent africain, fait courir l’Europe. Mais au bout de 5 ans, le neveu du Président, Sonar Senghor, qui aimait les ballets plus que ses instrumentalistes traditionnels, sabote la douce symphonie. Samba Diabaré Samb, le jeune rebelle, démissionne avec fracas. Suivront Lalo Kéba Dramé, puis Soundjoulou Cissokho, ensuite tous les grands maîtres. Ensuite, ils mettent sur pied la Case. Et Samba Diabaré et son sourire stellaire continuent de briller au firmament de la musique locale, malgré les drames personnels qui ont jalonné son existence.
«Les décès de mes deux épouses sont les événements les plus tristes de ma vie»
A l’âge de 32 ans, il se marie avec une dame du nom de Saly Ndiaye. L’idylle dure le temps d’une rose. Puis, l’artiste Samba Diabaré trouve l’amour auprès de Aïda Mboup, une parente à Sokhna Mboup Ndour, maman de la méga-star Youssou Ndour et homonyme de sa petite-fille Aïda Samb. Après quelques années de vie en commun, la grande faucheuse emporte Aïda Mboup. Samba Diabaré Samb est inconsolable. «Son décès m’a marqué. Je l’ai même évacuée en France, mais elle est décédée là-bas», confiait-il. Le temps passe, un ange aussi. L’artiste convole à nouveau avec Tanta Mbaye, mais elle aussi meurt après quelques années de mariage. Ses drames donnent à sa musique un air de mélancolie, une tristesse émotive extrême, son Xalam laisse exprimer une sensibilité à fleur de peau. «Les décès de mes deux épouses sont les événements plus tristes de ma vie», disait-il, d’une voix gagnée par l’émotion. Mais ses trois filles, dont la mère de l’artiste Aïda Samb, lui renvoient tout l’amour porté à ses épouses disparues. «C’est un sage avec beaucoup d’éthique. Il est calme, posé, ne fait pas le malin comme certains griots de son époque. Ce qui m’a surtout frappée chez lui, c’est que c’est un homme du patrimoine», témoigne Laurence Gavron. Sans aucune once de fanfaronnade, Samba Diabaré faisait juste remarquer qu’«Abdou Diouf (l)’appelait Belle Voix».
Depuis le mois de décembre 1972, Samba Diabaré Samb partageait sa vie de couple avec Seynabou Mbaye, petite sœur de son épouse disparue Tanta Mbaye. Le couple n’a pas eu d’enfant, mais il savait trouver son bonheur ailleurs. Seynabou Mbaye : «Samba Diabaré m’a toujours témoigné respect et amour. C’est un homme d’une grande bonté, d’une grande piété. Nous vivons ensemble depuis une quarantaine d’années et nous ne nous sommes jamais chamaillés.» Parce que, comme l’ont témoigné plusieurs de ses connaissances après son rappel à Dieu, il était quasi-impossible de prendre à défaut cet homme d’une rare intégrité, dont la vie a été réglée comme du papier à musique. Une vie monacale qui poussait sa petite-fille Aïda Samb à comparer son grand-père à un soufi. «C’est parce qu’elle a vu comment je me comporte avec ma famille et pour cela, je rends grâce à Dieu», expliquait humblement l’intéressé. Qui n’a pas de fils, donc d’héritier pour reprendre son Xalam et perpétuer son œuvre colossale. «Entendre la voix de ma petite-fille Aïda Samb suffit à mon bonheur», nous avait-il lâché dans un sourire figé. Statufié comme un legs du lourd patrimoine Gawlo qui, porté par Aïda et d’autres artistes plus ou moins illustres, continuera à fleurir comme dans un jardin d’Eden.