«IL NE FAUT SURTOUT PAS PROCEDER AU RAPATRIEMENT DES ŒUVRES…»
Palabres avec … Zulu MBAYE, artiste- peintre

Le célèbre artiste –peintre Zulu Mbaye est un homme de conviction qui n’a pas l’habitude de mâcher ses mots. Nous l’avons rencontré pour échanger sur la vie culturelle de notre pays. Avec une bonne dose de lucidité et beaucoup de discernement, il a répondu avec une rare franchise à nos questions. Entretien avec un « rebelle » qui s’assume
En 2017, l’année a été déclarée culturelle l’avez-vous ressentie en tant que créateur?
Du tout ! Pas du tout ! Nous nous attendions plutôt à un sursaut. A un coup de pouce qui serait donné aux artistes. Mais là, il faut mettre un peu la pédale douce.... On peut dire qu’il y a certaines avancées pour ce qui est du cinéma. Ce sont des avancées un peu timides, mais quand même, il faut y penser pour le développer. Il y a d’autres disciplines artistiques telles que la musique, parce que n’oublions pas que le Prix du Président de la République pour les Arts est allé à un musicien. On peut en parler parce que je déplore que l’on donne à certains artistes sénégalais des primes ou qu’on leur fasse faire des concours. Parce qu’ils ont un autre mérite. Un Baba Maal, Youssou Ndour, Ismaël Lo, Souleymane Faye ou Cheikh Lo, on les honore ! Donc cela m’a étonné que quelqu’un comme Baba Maal puisse présenter un dossier pour prendre part à ce genre de compétition. Qu’on nous dise exactement ce qui s’est passée (gros éclats de rire !). Cependant, on voit quelques balbutiements au niveau du cinéma que je viens de citer, mais aussi au niveau du théâtre qui bouge beaucoup. C’est également valable pour d’autres disciplines. Mais les arts plastiques ont été royalement ignorés. Quand on sait que le Sénégal est un pays de culture reconnu à travers le monde entier et que nous avons la Biennale des Arts « Contemporains » entre guillemets africains, car c’est toujours discutable. Cet intitulé, je l’ai toujours soulevé. Nous avons organisé le premier Festival des Arts Nègres. Je ne le dis pas pour l’Afrique, mais j’ai fait beaucoup de pays à travers le monde. Nous sommes un pays où il y a un village des Arts. Donc il s’agit d’un espace, un outil, un instrument qui pouvait booster et donner beaucoup plus de visibilité à cet art africain. Parce que ce village étant à Dakar où s’organise aussi la Biennale. Mais je dois aussi le dire, depuis que nous avons un ministre de la Culture en la personne de quelqu’un que j’ai connu au Village des Arts. Je l’avais connu par les médias, mais surtout au Village des Arts où il venait manger, discuter, échanger avec les artistes. Mais depuis qu’il a été nommé ministre de la Culture, on a perdu notre ami. On sait d’où ça vient et je ne suis pas quelqu’un qui mâche ses mots. Parce qu’entre nous et le ministre de la Culture, il y a la Direction des Arts. C’est une direction qui est contre le Village des Arts. Celui qui est là-bas a combattu le Village des Arts. Et je pèse bien mes mots. Parce que dans ce pays il y a des choses tellement gênantes. Quand on nomme quelqu‘un à un poste au lieu de se mettre dans la posture de quelqu’un pour servir, il en fait une arme de bataille. Il brise ou plutôt il essaye de briser des gens que l’on ne pourra jamais, jamais, jamais briser (il se répète trois fois). Le village des Arts, cet instrument que le monde entier nous envie, je demande solennellement à l’Etat sénégalais de voir son importance et d’apprécier ce que ce Village des Arts peut apporter de culturel à travers le monde et de bénéfices pour le Sénégal. Malheureusement, nous n’avons jamais vu l’ombre du ministre de la Culture. Et c’est très regrettable. Voilà, je crois que même s’il y a des contraintes de temps et d’espace pour cet entretien il faut bien dire les choses importantes à mes yeux.
Vous avez un peu anticipé sur la question de la Biennale. Le budget a été relevé mais les problèmes subsistent encore. Qu’est ce qui l’explique ?
Je pense que le problème de la Biennale, ce n’est pas un problème de budget. Mais c’est un problème de vision. Où veut-on mener l’art africain ? Que devons- nous présenter au monde et qui serait appelé art africain et que nous proposerons au monde ? C’est cela la vraie question au lieu de nous mettre à songer à copier, à plagier comme si nous n’avion pas de génie chez nous. Le génie africain est bien réel. Prenons le cas de Pablo Picasso. Avant sa rencontre avec l’art negro africain, il était dans un autre monde pictural et cela a fait un bouleversement mondial. Aujourd’hui, le monde est malade, inanimé, déchiré et l’Afrique a quelque chose à lui proposer. Nous sommes malades et le monde culturel est pauvre, mort inanimé. Il faut que les hommes de culture, les artistes se lèvent et proposent des choses. Nous sommes des êtres créatifs et ce monde nous l’avons bâti jusqu’à aujourd’hui. Mais pourquoi vouloir standardiser une seule pensée, une pensée unique et que tous les autres te suivent ? Nous, nous avons des choses à proposer au monde. Il faut que la Biennale invite les artistes et les intellectuels africains à s’approprier de cet outil de développement. Une plateforme qu’on envie partout à travers le monde. Mais nous nous arrêtons à faire des événements de prestige. On a eu un budget de cinq cent millions qu’on a amené à un milliard. Après combien de billets d’avions a-ton achetés ? Combien de bouteilles de champagne ? Combien de chambres d’hôtel ? Non il faut arrêter quoi !
Donc c’est pour cela que vous êtes contre sa composition avec son comité de sélection ?
Mais oui ! Depuis l’édition de 2016, je ne me retrouve pas dans le comité. Parce que moi, je ne suis pas là pour occuper de la place.
Surtout pas ! La gérance de la culture revient à des administratifs. Nous, nous sommes des acteurs. Leur rôle, c’est de nous accompagner, de nous demander où est-ce que nous voulons aller ? Le problème n’est pas de faire le festin des peintres. Nous leur demandons de nous ouvrir cette voie pour que nous passions cette passerelle. On ne leur demande pas de venir au Village des Arts qui est un espace de dé- confiscation, un espace de liberté. Mais dire que vous allez voir que je suis né dans un camp militaire alors que l’on est Directeur des Arts, je trouve cela vraiment inquiétant.
Quel devrait être à votre avis le profil du prochain Ministre de la Culture ?
Un homme qui aime la Culture. Mais il faut aussi une volonté politique. Ce pays possède un peu de pétrole, un peu de gaz, mais il n’a jamais autant brillé que par sa culture. S’il est connu de par le monde, c’est bien à travers sa culture. Car, comme le disait l’autre, la culture est au début et à la fin de tout développement. Il faut cesser d’ignorer notre identité négro africaine car c’est très beau. Nous avons ça de beau à proposer au monde. Arrêtons de fouler au pied notre identité. Il y a Tahhar Ben Jelloum qui disait dans un de ses livres « Autrefois, c’était les étrangers qui nous déshabillaient. Aujourd’hui, c’est nous qui nous déshabillons et jetons nos haillons dans les fosses de la honte ». Et c’est que nous sommes en train de vivre aujourd’hui. Il faut quelqu’un qui aime la culture avec des moyens conséquents pour pousser le secteur. Parce que nous en avons assez des fonctionnaires froids. Il faut avoir de la souplesse pour diriger la Culture. Encore une fois, nous ne sommes pas dans l’Armée.
Pensez-vous que les préoccupations culturelles ont été prises en compte par les différents candidats à l’élection présidentielle de dimanche dernier ?
Mais cela n’a jamais été la préoccupation d’un candidat ici. Vous savez, il faut reconnaitre que nous sommes en train de vivre au moyen âge à ce niveau. Les autres sont passés par là avant d’être la France, l’Allemagne ou les Etats Unis. Je suis un intellectuel. Je suis un citoyen. Je suis quelqu’un qui vit dans cette société sénégalaise. Je sais qu’il y a beaucoup de freins. Soit, c’est notre culture, soit notre pauvreté ou notre pauvreté matérielle. Vivons et essayons de sortir peu à peu de ce moyen, sinon des hommes comme moi vont « péter » les plombs. Ils vont se cogner la tête contre les murs alors que les choses ne vont pas bouger comme ça. Les choses ont leur trajectoire. Les choses se feront. Moi, je suis optimiste pour cela. Mais il y a le temps. Car tout ce que nous vivons là, ce n’est pas glorieux. Nous pouvons dépasser ça et pour de bon.
Vous avez tantôt parlé de pauvreté. Selon vous, qu’est ce qui explique l’attachement des zones les plus pauvres du pays au président sortant à la lueur des résultats sortis des urnes?
Je ne suis pas quelqu’un qui parle de politique politicienne et j’ai oublié de vous le dire au début de notre entretien. Pour moi, la politique telle qu’on la pratique ici, c’est trop peu pour moi. C’est pour cela que je n’ai jamais voté de ma vie. Je ne suis pas conquis par la politique politicienne. Je le dis parce que je ne cautionne pas et je ne participe pas à du théâtre. Je veux que les gens soient conscients de ce qu’ils font. Je considère le métier que je fais comme une religion et c’est comme si je commettais un péché en Islam. Il faut des hommes de foi qui font partie d’une société qu’ils veulent construire et développer. Moi, je n’ai pas vu un homme qui me tient ce discours, qui me parle de cette rupture qu’il faut. C’est comme un train avec la locomotive et les wagons. Si on ne fait pas l’effort de ce prix, de pousser, le wagon n’ira nulle part.
Il est question de retour des œuvres. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Il ne faut surtout pas procéder de cette façon par rapport aux œuvres. Nous ne sommes pas prêts pour ça. Nous ne sommes pas préparés pour ça ! (il se répète). Il faut remercier ces missionnaires occidentaux qui nous ont préservé ces objets pour qu’on puisse les admirer aujourd’hui. Sinon, avec la bénédiction des religions que ce soit l’Islam ou le christianisme, ces objets auraient été des bois de chauffe. Maintenant, arrêtons la fausse fierté en clamant que nous allons ramener les œuvres etc. Non ! Nous n’avons pas besoin de gens en costume cravate avec ce genre de discours. Nous voulons voir clair. Je ne sais pas si on peut en parler… Mais voilà ! En 1981, j’ai accompagné un ministre de la Culture aux Etats Unis à New Orléans. Lui, il a fait trois jours et il m’a laissé là-bas avec l’expo sénégalaise. J’ai fait un mois et dix -sept jours. A notre retour, je parlais de mon voyage aux Etats Unis à un douanier sénégalais quelque part. Il me dit que le mois passé, à la même époque, le ministre de la Culture a fait passer deux malles avec beaucoup d’objets d’arts africains. Moi, j’ai vécu des choses. Quand on parle de musées, il faut savoir que ce sont des pièces qui coutent chers qui y sont exposés. Si nous n’avons pas des muséologues et des conservateurs conscients de la richesse de ce patrimoine que nous devons récupérer, cela ne va pas prospérer. On n’a pas de techniciens.
Si je vous comprends bien nous n’avons pas les moyens de sauvegarder ces œuvres ?
Tout à fait ! Mais j’essaye de positiver. Ils ont pris ces objets. Pour nous les rendre, ils nous rendent des miettes. Quelques pièces par ci, par là. Vraiment, il faut arrêter !
A vous suivre, le Musée ne répond pas aux préoccupations des artistes ?
Je dois dire que je n’ai jamais mis les pieds là-bas. Je veux bien qu’on me parle de Musée des Civilisations Noires, mais il y a d’autres préoccupations auxquelles moi je n’adhère pas du tout. Donc voilà.
Ce statut de rebelle qui vous colle à la peau, ne vous a-t-il pas desservi ?
Vous savez ce qui se passe aujourd’hui. Je peux le dire sas aucune fausse modestie. Je suis l’artiste sénégalais qui vend le plus cher. Je ne leur demande rien. Ils ne me demandent rien et je ne leur dois rien. Voilà ! Ceux qui veulent entretenir des relations de civilités avec moi, c’est bien. Mais pour les autres….Moi je sais que ce que j’ai fait pour ce pays -là et je l’ai fait pendant des années et des années. Ce qui n’est pas une mince affaire. J’ai été président de l’Association nationale des artistes sénégalais et j’ai amené beaucoup de jeunes artistes qui vivent en Europe aujourd’hui. Depuis deux ans, je suis le président du village des Arts. Le roi du Maroc est venu et durant deux jours, j’ai été son guide. Il a acheté quarante-quatre pièces pour des millions de francs. Après, les Marocains m’ont demandé d’être leur commissaire à une exposition à Rabat. Et j’ai amené pendant un mois cinq plasticiens sénégalais et deux écrivains dont Thierno Seydou Sall et Elimane Kane. Des actes comme ça, je sais que c’est ce que devrait faire le ministère de la culture. J’ai toujours fonctionné comme cela. Que je sois président de ceci ou cela, je suis un rassembleur. Je suis quelqu’un en qui les artistes ont confiance et c’est cela l’essentiel. Chaque fois que je suis dans une action, je vois l’adhésion de tous mes collègues.
Vous êtes donc contre les honneurs et les hommages posthumes ?
Écoutez ! Il faut aussi que les artistes arrêtent de penser que quand ils sont malades, c’est l’Etat qui doit les soigner. L’estime et la reconnaissance qu’on te doit, on te le doit de ton vivant. Mais au lieu de rester là et attendre la mort pour être célébré : non ! Moi je veux qu’à ma mort, les hommes de culture disent : « qu’il était des nôtres, il était de la famille ». Cela me suffit comme hommage. Je reçois des décorations de l’Etat sénégalais aussi. Parce que je suis chevalier de l’Ordre national du Mérite et je dis merci. Parce que sûrement aussi, je le mérite.
Votre rêve pour le Sénégal ?
Seulement d’un Sénégal de paix ! Parce que sans la paix, il ne peut rien avoir de bon et de constructif. Un Sénégal de paix d’abord et après pour le reste on va voir….