PAPE SECK OU L’ENVOL BRISÉ D’UN GRAND MAÎTRE DE LA SALSA SÉNÉGALAISE
Le natif de Saint-Louis fait partie des artistes qui ont contribué à populariser la musique afro- cubaine au Sénégal et plus tard dans le monde
Le chanteur emblématique Pape Seck alias Serigne Dagana a réussi à marquer son époque grâce à son talent et à son style si particulier. Le natif de Saint-Louis fait partie des artistes qui ont contribué à populariser la musique afro- cubaine au Sénégal et plus tard dans le monde. Visionnaire, il fait partie des premiers à avoir eu le flair de chanter en langue wolof sur des airs de Salsa. Il a su naviguer à travers les âges en occupant le devant de la scène durant plus d’un quart de siècle malgré des éclipses. Comme le Sphinx, il a toujours réussi à renaitre de ses cendres. En effet, de ses débuts au Star Jazz de Saint- Louis en passant par son intégration au Star Band, son passage au Number One et enfin, son explosion au niveau d’Africando, Pape Seck n’a jamais eu de difficultés pour être sur le bon tempo afin de ne pas connaitre les affres d’un reniement populaire après des années de gloire.
L’influence des griots traditionnalistes
Pape Seck a vu le jour à Dagana au cœur du Walo, le 20 juillet 1946. Sans conteste, il fait partie des précurseurs de la musique moderne au Sénégal. Sa voix au timbre si particulier a longtemps bercé des générations de mélomanes. L’époux de la regrettée comédienne Isseu Niang a été, très tôt, attiré par la musique. C’est à Saint- Louis qu’il a fourbi ses armes. Le jeune Walo- Walo, très attaché à son terroir d’où son surnom de Serigne Dagana, est très tôt influencé par des grands griots du Walo que sont : Samba Seck et Adji Mbana Diop. Venu poursuivre ses études au lycée Charles De gaulle après un passage au Lycée Faidherbe de Saint Louis, il déserte les salles de classe à l’âge de dix -huit ans pour rejoindre les rangs du Star Jazz de Saint Louis. En effet, atteint par le virus de la musique, il quitte l’école en classe de seconde après avoir obtenu son Brevet de fin d’études moyennes. C’est au sein de cet orchestre, dirigé par son maitre à jouer et formateur Pape Samba Diop Mbah, qu’il apprend les rudiments du métier. Il était à bonne école en côtoyant des artistes à l’instar de la chanteuse Aminata Fall, Abou Sy, Ady Diop, Talla Diané, Dioury et Oumar Diop dit Barreaud. Au sein de cet orchestre qui faisait les beaux jours du club « le Cocotier » et aussi de toute la ville de Saint Louis, le jeune Pape Seck réussit son premier coup d’éclat. En ce moment, les formations musicales du pays aimaient fredonner les standards de la salsa, du blues et de la soul en reprenant les paroles originales chantées en espagnol et en anglais. Le jeune Pape Seck, qui apprenait aussi le maniement du saxophone et la flûte traversière aux côtés de Mba, eut une idée de génie. Il décide de chanter un titre en wolof à la suite de Kounta Mame Cheikh de Thiès
Succès phénoménal de « Laax –bi »
C’est son fameux morceau « Laax Bi » qui va vite le propulser au - devant de la scène. Le jeune garçon décide de « monter sur » Dakar en 1964. Il ne tarde pas à être recruté au sein de la grande formation du « Star Band » de feu Ibra Kassé. Au sein de cet orchestre, Pape Seck côtoie de grands musiciens comme : Laba Socé, Dexter Jonson, Sidate Ly, Amara Touré et tant d’autres. Au sein de cette formation musicale qui faisait danser la capitale, il réussit à creuser son trou et à faire sensation avec son fameux titre « MaThiaki » sorti en 1967. Aprèsle départ de Laba Socé et des autresténors du groupe, Pape Seck prend du galon. Aux côtés du guitariste José Ramos, du percussionniste Lynx Tall, du saxophoniste Saliou Diéye alias Pacheco, du bassiste Moustapha Ndiaye, du chanteur et « tumbiste » Malick Ann, des chanteurs: Magatte, Moustapha Ndiaye et Pape Djiby Ba, ilssortent un album considéré par certains comme la plus grande réussite du Star Band. Il s’agit du volume 1 de la longue liste des sept albums du Star Band. Cet album, sorti en 1971, est constitué uniquement de tubes qui continuent à résister à l’usure du temps. Pape Seck, le véritable leader de cette formation, éclabousse de son talent ce disque en interprétant deux hits que sont Caramelo (une reprise de Johnny Pachéco ndlr) et Thielly ( une réadaptation de melliendo café ndlr). Pape Djiby y a chanté le morceau « Chéri Coco » et Magate Ndiaye a complété le tableau avec ces titres d’exception que sont : « Sénégambia », « Malléguéna » et « Bamas pa al monte ». Cependant cette belle aventure ne dura pas longtemps. En pleine gloire, Pape Seck décide de quitter le Star band pour se consacrer à des recherches qui vont lui permettre d’effectuer des voyages en Afrique. Pape Seck qui s’était arcbouté à ses principes, décide de plaquer le groupe suite à un différend avec Ibra Kassé. Il faut savoir qu’il avait longtemps séjourné à Abidjan en 1968 après le fameux succès de « Ma thiaki ». Mais son départ a paradoxalement permis à Kassé de recruter de jeunes chanteurs comme Doudou Sow et Mar Seck sans oublier le talentueux guitariste Yakhya Fall. Aux côtés de Magate Ndiaye, cette nouvelle équipe sort le second volume de la saga avec destitres comme « Gozando », « Mbassa », « Malobé Samba », »Thioro Baye Samba » et « Yen xaley tey ».
Number One
Le sucés est fulgurant. Mais là encore, l’embellie ne dura que le temps d’une rose. En effet, en 1975, un an après la sortie de cet album qui avait fait fureur, les musiciens décident de mettre sur pied un autre groupe après avoir coupé les ponts avec Ibra Kassé. Ceci, suite à un profond malentendu. Les transfuges retrouvent un certain Pape Seck Serigne Dagana pour mettre sur pied le Number One. Un nom choisi pour signifier à leur ancien patron qu’ilssont les meilleurs comme aime à le rappeler le guitariste Yakhya Fall, l’un des rares survivants de cette glorieuse époque. Pape Seck est désigné chef d’orchestre avec comme membres: Magatte Ndiaye, Doudou Sow, Pape Djiby Ba, Lynx Tall, Badara Diallo, Mansour Diagne, Thierno Kouyaté, Aly Penda Ndoye et Mamané Fall. Le groupe sort coup sur coup deux albums à savoir : Mame Bamba et Jangaaké. Le succès est immédiat. Pape Seck, qui a toujours chanté sur des airs afro cubains, s’essaye avec brio au Mbalakh. Avec la complicité de Doudou Sow et surtout de Yakhya Fall et de Mamané Fall, ils s’illustrent avec le phénoménal morceau « Litti Litti » qui consacre la mode du « Obligé Wadada » que les nostalgiques connaissent parfaitement. Au cours de cette faste période, Pape Seck nous sert d’autres chefs d’œuvre comme « Medoune Khoulé », « Yooro Bouko lék » et le célébrissime « Yaye boye » qui sera repris des années plus tard par la mythique Orchesta Aragon. Sans doute grisé par ce succès foudroyant, Pape Seck ne peut s’empêcher de lancer une pique à son ancien patron du Star band, Ibra Kassé. Dans la reprise de « Mathiaki, il claironne que « Tal Bou yalla taal sani sa mate geune fayko et ensuite Rew mi tolou na founga khamni Kounou Dieulleul Yow perte Ngua ». Ce qui signifie en substance que le Number One est incontournable et au sommet de son art et rien ne peut les arrêter et qu’il vaut mieux les soutenir qu’essayer de les retenir. Une attaque frontale qui a eu du mal à être acceptée par le big boss du Miami. La réplique fut cinglante. Et elle sera l’œuvre du jeune Youssou Ndour sur une reprise du fameux Thielly où il ne se gêne pas pour affirmer « Kou Fi Lapi Lapi Fignua Diarr (Tous ceux qui font le malin sont passés par ici pour apprendre ndlr). Et comble de l’ironie, là ou Pape Seck disait Sama Thielly Demena (j’ai perdu mon oiseau ndlr) You rétorquait Sama Thielly fegnena( j’ai retrouvé mon corbeau ndlr) .
La forte concurrence du Mbalax
Le succès est plus que fulgurant et le groupe est très sollicité. Les tournées s’enchainent avec le recrutement de Mar Seck consécutif au départ de Pape Djiby Ba. Pourtant après près de cinq ans au sommet de la musique sénégalaise, le groupe se fissure car n’ayant pas su se renouveler. Après le départ de Pape Seck en 1982 pour prendre en mains l’Orchestre national du Sénégal, le Number One, qui a accueilli des jeunes comme : Nicolas Menheim, Mbaye Dièye Faye et Ismaëla Ndiaye, finit par sombrer définitivement un peu avant l’entame des années 90. La furie dévastatrice du Mbalakh d’un certain Youssou Ndour est aussi passée par là. C’est au cours de cette période que Pape Seck va réaliser enfin un de ses vieux rêves : celui de parcourir le monde pour porter haut le flambeau de la musique sénégalaise. C’est en effet le secret qu’il avait confié à nos confrères du « Soleil » au cours d’un entretien en 1978. Il disait : « je souhaite faire toute l’Europe, l’Afrique et les Etats Unis pour faire valoir notre musique. » Comme une prémonition, ce rêve va se réaliser au-delà de toutes ses espérances. Désireux de donner un coup de fouet à la musique afro cubaine tombée en désuétude en Afrique, le producteur Ibrahima Sylla décide de former un orchestre pour relever ce défi. Il prend l’attache du grand Maestro Boncana Maiga pour mener à bien le projet. Au départ, le patron de Syllart Production voulait produire séparément trois albums avec ces trois ténors de la musique afro -cubaine au Sénégal qu’étaient Pape Seck, Medoune Diallo et Nicolas Meinheim. Nous sommes en 1992 et le pari semble insensé. A la fin des enregistrements à New York (USA), il eut l’idée de réunir certains de leurs titres en un seul album plutôt que de les produire séparément. Reste à trouver le nom du groupe. Ce sera Africando (Afrique et andando) qui signifie les Africains ensemble ndlr) après accord des différentes parties. C’est donc avec l’empreinte de ce trio vocal sénégalais et du chanteur cubain Ronnie Baro (ex Orchestra Broadway) qu’Africando signe ses deux premiers albums, Trovador (1992), Tierra Tradicional ou Sabador (1994). L’aventure s’est poursuivie avec brio et le groupe sera enrichi d’autres chanteurs qui ont pu sillonner le monde pour livrer cette fameuse sauce matinée de wolof et de langues africaines.
Emporté par un cancer du foie
Pape Seck qui était réputé bon vivant était toujours tiré à quatre épingles. Malheureusement, il a fini par succomber après une longue lutte contre un pernicieux cancer du foie. Il disparait en pleine gloire, le 2 février 1995. Il laisse derrière lui un vide difficile à combler et un public orphelin de ses uniques envolées avec sa voix éraillée au timbre si particulier. A son décès, Youssou Ndour n’a pas manqué de lui rendre un vibrant hommage en affirmant que Pape Seck était une référence pour lui et qu’il avait été subjugué par sa technique de chant malgré le timbre assez particulier de sa voix rauque. Un hommage mérité pour un grand artiste qui a joué sa partition avant de se retirer sur la pointe des pieds en quittant ce bas monde comme il a vécu dans la discrétion et une grande humilité.