TRAJECTOIRE D’UN SURDOUE
Grandes figures : Abdoulaye Mboup
Abdoulaye Mboup a marqué de son empreinte la musique sénégalaise. Parolier hors pair et fin observateur de la société sénégalaise, il a su laisser une empreinte indélébile malgré son court séjour terrestre. Le chanteur qui était polyvalent était aussi bien à l’aise dans le registre moderne que celui traditionnel. Cependant, les puristes pensent que fondamentalement Laye Mboup était un chanteur traditionnaliste généalogiste hors pair et très inspiré. Auteur compositeur interprète, il a fait les beaux jours du Baobab Orchestra et de l’Ensemble Lyrique traditionnel. Il a tragiquement disparu dans un accident de voiture une funeste nuit du 23 juin 1975 comme un certain Aboubacar Demba Camara du Bembeya Jazz, cet autre chanteur de génie.
En véritable homme de devoir, Laye Mboup a quitté ce bas monde de retour d’une mission de l’Ensemble Lyrique traditionnel dans la région du Fleuve de l’époque.
Disparition tragique
Après avoir joué à Richard Toll, l’Ensemble qui comptait parmi ses membres d’illustres figures comme : Khar Mbaye Madiaga, Ma Hawa Kouyaté, Fanta Sakho, feue Madiodio Gning, feue Fatou Talla Ndiaye son épouse de l’époque et Laye Mboup, devait se produire à Dagana. Laye Mboup qui avait fait un crochet à Saint Louis devait rejoindre par la suite le reste de la bande à Dagana. Malheureusement, c’est en cours de route qu’il a perdu la vie. D’ailleurs, après son décès, les supputations les plus folles ont résonné pour essayer d’expliquer cette escapade. Il n’est pas question de remuer le couteau dans la plaie ou de relayer des rumeurs plus ou moins malsaines et fantaisistes, mais juste de replacer les choses dans leur véritable contexte. Cette brutale et tragique disparition avait suscité une forte émotion et dans son oraison, le ministre de la Culture de l’époque, M. Alioune Sène, n’a pas manqué de saluer la perte d’un ténor à la voix chaude. Dans un beau texte, il avait rendu un vibrant et émouvant hommage à ce grand parolier. « La veille de sa mort, dans le cadre d’une tournée de l’Ensemble lyrique à laquelle il participaitsi pleinement, Abdoulaye Mboup chantait encore la vie et la mort, chantait l’espoir. En disparaissant ainsi dans la plénitude de ses possibilités, le ténor à la voix chaude et prenante nous laisse sur notre faim. Abdoulaye Mboup laissera planer, longtemps encore après sa disparition, l’image poignante d’un arbre en pleine sève qui s’élançait vers la lumière et vers les hautes cimes mais que la mort aura tout à coup foudroyé. Au-delà de la tombe, Abdoulaye Mboup pourrait continuer encore à servir l’art et la chanson sénégalaise si sa vie brève mais bien remplie servait d’exemple à ses camarades des différentes disciplines artistiques. Notre vœu le plus cher est, en effet, qu’ils se pénètrent de la nécessité d’un renouvellement et d’un enrichissement constants,sanslesquelstout art serait voué à la sclérose, au dépérissement »écrivait M. Sène dans son hommage posthume. Ce bref rappel s’explique car il permet de mieux cerner la place prépondérante que Laye Mboup avait fini par occuper dans le cœur des Sénégalais grâce à la seule force de sa voix, maissurtout à la puissance de ses textes.
La puissance de son discours
Abdoulaye Mboup surnommé affectueusement « Laye » a vu le jour le 27 juin 1937 à Dakar. Issu d’une grande lignée de griots de chanteurs et d’historiens, il a très tôt arpenté le chemin tracé par ses ancêtres. Après avoir fréquenté l’école coranique, il sera initié à son art par d’éminents maitres comme les regrettés Ndiaye Lo et Alioune badara Mbaye Kaba. Il a très vite laissé tomber le métier de mécanicien pour se consacrer définitivement à la chanson. Plus tard, il intègre l’Ensemble Lyrique traditionnel du Théâtre National Daniel Sorano. Après avoir officié au Rio Orchestra de Dakar, il fera un passage obligé au Star band d’Ibra Kassé. A la création de l’orchestre du baobab devenu plus tard Gouye Gui, Laye Mboup montre une autre facette de sa très grande personnalité artistique en rejoignant cette formation. C’est donc au côté du premier chef d’orchestre, le saxophoniste Oumar barro Ndiaye, Cheikh Sidath Ly, le premier bassiste du groupe, les guitaristes Mohamed Latfi benjelloun et barthélémy Atisso, les chanteurs balla Sidibé, Ndiouga Dieng , Médoune Diallo que Laye Mboup va émerveiller le Sénégal. Au sein de cet orchestre mis sur pied par feu Adrien Senghor, Laye Mboup explose au grand jour et ses chansons continuent de faire vibrer les mélomanes près de cinq décennies après sa disparition. Pour le journaliste Djib Diédhiou, Laye Mboup fut un moraliste qui était vraiment plus qu’un simple chanteur. Des chansons comme « Lamine Guèye », « Sénégal Sunu Gaal », « Jaraaf », « Lat Dior », « Jirim », « Nijaay » et tant d’autres chefs d’œuvres continuent de bercer les mélomanes. Au sein de l’Ensemble lyrique traditionnel aussi il avait créé des hits qui résistent aux affres de l’usure du temps. Des chansons comme « Demb Metina », »Ndongo Dara » », Meunou Ma wali » sont encore d’une brûlante actualité.
En avance sur son époque
Pour les puristes, Laye Mboup était un génie un peu en avance sur son époque. Il avait une nette vision du rôle et de la place de l’artiste dans la société. Doté d’une véritable force morale, Laye Mboup était trèsrigoureux. Il était très strict. Son protégé Thione Seck nous apprend qu’il ne plaisantait pas avec la discipline. A ce sujet, il nous raconte une anecdote qui renseigne sur la farouche volonté de son ancien mentor de ne tolérer aucun écart de conduite. Selon le père de Waly, un jour qu’il l’a vu en train de fumer une cigarette, il l’a poursuivi en courant dans les rues de la Médina pour le corriger. Thione n’a réussi à échapper à sa furie qu’en se réfugiant derrière le comptoir d’un boutiquer. Très furieux et remonté contre son jeune protégé, Laye Mboup lui a servi une interdiction de chanter d’une durée de deux semaines. Aussi bizarre et paradoxal que cela puisse paraitre, tous ses proches renseignent que Laye Mboup était convaincu qu’il n’allait pas vivre longtemps. Il le serinait à chaque fois et Thione témoigne que quinze jours avant sa mort, il avait rendu visite à sa mère feue Yaye Nogaye pour le lui confier à nouveau et lui assurer qu’il était conscient qu’il allait bientôt mourir et qu’il était revenu pour lui demander de bien prendre soin du leader du Raam Daan qui allait connaitre une belle carrière dans la chanson. C’est d’ailleurs fort de ce constat que feu Ndiaga Mbaye, qui était aussi son ami, lui a rendu un vibrant hommage en évoquant avec force la brève durée de vie de son homologue à qui il avait d’ailleurs écrit un texte pour lui. Laye Mboup était doté d’une voix unique en son genre. Il voyageait allégrement entre les gammes et surprenait et émerveillait par la justesse de son timbre si particulier. Concrètement, sa voix n’était pas très puissante, elle était plutôt fluette mais grâce à son talent et à la force de ses messages, il captivait toujours son auditoire. Voyageant allégrement entre les genres, il a été le premier à slalomer aussi admirablement entre les styles modernes et traditionnels. Laye Mboup a réussi la prouesse de plaire à ces deux publics aussi différents qu’éloignés. Cela par la seule force de sa voix. Cet artiste de génie a laissé des enfants qui se déploient dans la musique mais force est de constater que ni Seydina encore moins Habib, le percussionniste ou feu Petit Mboup, n’ont vraiment réussi à atteindre son niveau. Cela peut se comprendre et s’expliquer car Laye était tout simplement un génie et les génies ne se remplacent pas et ils ne courent pas les rues. Comme une météorite, il a rapidement traversé le ciel de la musique sénégalaise en laissant un éclat jamais égalé.