AND SAMM JIKKO YI, LE GLISSEMENT POLITIQUE
Le collectif semble prêt à en découdre avec le régime de Macky Sall qui a rejeté son texte de loi pour la criminalisation des LGBT. Que cache cette bataille ? Pourquoi maintient-il le combat, malgré la position du chef de l’Etat ?
En faisant évoluer le discours sur le terrain politique, le collectif «And samm Jikko Yi’» est prêt à faire face contre le régime de Macky Sall qui a rejeté son texte de loi visant la criminalisation de l’homosexualité. Que cache cette bataille ? Pourquoi maintient-il le combat, malgré la position du chef de l’Etat ? Quels sont les risques sur le pouvoir en place ? Des esquisses de réponse sont données.
Le changement a été brusque. Le ton clair et la ligne bien tracée. Il n’y a eu ni allusion ni détours dans le message. Le constat a été presque unanime que le discours du collectif «And samm Jikko Yi» a connu une nette évolution depuis le rassemblement populaire et réussi du dimanche 20 février à la Place de la Nation. Du combat pour la criminalisation de l’homosexualité, l’argument a vite glissé sur un projet politique qui semble se dessiner. Les déclarations faites par des membres du collectif laissent apparaître les desseins jusque-là jamais révélés sur les motivations réelles ou supposées du combat pour la criminalisation de l’homosexualité. Oustaz Aliou Sall a lancé un appel solennel aux jeunes à «s’inscrire massivement sur les listes électorales». Parce que le combat va se jouer à l’hémicycle et aux prochaines élections législatives. De speechs purement religieux, la communication a migré sur le terrain politique. «Nous allons élire des députés qui vont criminaliser l’homosexualité», a dit Mame Makhtar Guèye, lors du sit-in. «Il est temps que les imams et chefs religieux mettent le pays sur de bons rails. Je pense que les prochaines Législatives vont tout élucider», renchérit Imam Alioune Badara Ndao, membre du collectif ‘’And Samm Jikko Yi’’.
Les ambitions sont affichées
Dans leur démarche les membres du collectif n’excluent aucune option pouvant les aider à obtenir gain de cause. Même pas la stratégie de Jamra adoptée en 2007 pour obtenir la criminalisation du trafic de drogue. Mame Makhtar Guèye rappelle le schéma : «Sur les flancs de Jamra, nous avons créé le Rassemblement démocratique sénégalais (Rds). En alliance avec le Parti démocratique sénégalais (Pds), nous avons battu campagne et gagné un siège à l’Assemblée. Latif Guèye, président fondateur de Jamra, élu député au mois de juillet 2007, a convaincu, en 4 mois seulement, beaucoup de députés dans les coulisses et les couloirs pour que sa proposition de Loi portant criminalisation du délit de trafic de drogue puisse passer comme lettre à la poste. C’est la Loi 2007-31 du 30 novembre 2007. Nous avons posé ce problème pendant 15 ans. Il a suffi d’avoir un siège de député à l’Assemblée pour qu’on obtienne gain de cause en seulement 5 mois.» Néanmoins, la tactique sera décidée, selon lui, de manière consensuelle. «Si l’entêtement se poursuit, le directoire des 145 organisations qui constituent ‘And Samm Jikko’ va, en toute souveraineté et collégialité, en tirer toutes les conséquences. On n’exclut rien», prévient Mame Makhtar Guèye.
«Risques à transposer le débat religieux dans la sphère politique»
«And Samm Jikko» compte, d’après ses responsables, jouer un rôle important aux Législatives du 31 juillet 2022. Expert en communication et chercheur en civilisation musulmane, Makhtar Kane pense qu’il n’y a aucun risque. «Sur le plan de la communication, «And Samm Jikko Yi» utilise le lobbying. C’est une pratique très bien connue dans les pays anglo-saxons et mal connue dans le milieu francophone. Cela consiste à user de moyens légaux, notamment juridiques, pour amener les décideurs à prendre des décisions en faveur de ceux qui mènent la pratique. Ils ont adopté une première stratégie, verticale, qui a consisté à poser le débat à l’Assemblée nationale, mais cela n’a pas prospéré. Aujourd’hui, ils adoptent une stratégie dite horizontale qui consiste à mobiliser les citoyens autour de la question. La démarche n’a rien d’illégal», soutient le consultant. «L’histoire est en train de bégayer. Ce n’est pas la première fois que pareils combats sont menés au Sénégal. En tant que chercheur en civilisation musulmane, au temps colonial, des marabouts avaient mené des combats pour lutter contre le concubinage. C’était à l’époque de Faidherbe. Ils avaient obtenu gain de cause. Ils avaient lancé une pétition et avaient réussi à ramener les autorités à de meilleurs sentiments. Il ne faut pas fuir ce débat. Il faut le poser. J’ai l’impression que nos élites politiques évitent ce débat», poursuit M. Kane.
Le journaliste et analyste politique, Cheikh Yérim Seck, ne voit rien de choquant à poser dans le débat politique des questions sociétales, comme la criminalisation de l’homosexualité. C’est parce qu’au-delà de l’aspect religieux, la bataille menée par «And Sam Jikko yi» et ses acolytes est, pour lui, une bataille sociétale. «Dans un pays comme la France par exemple, François Hollande dès son arrivée au pouvoir, a pris la décision de légaliser, d’instituer le mariage homosexuel. C’est une réforme sociétale. La question de la criminalisation de l’homosexualité est une question sociétale. Ce n’est pas une question purement religieuse. Il n’y a rien de choquant à ce qu’une question sociétale, une question de civilisation, soit portée dans le débat public. Maintenant, ce qui aurait été dangereux, c’est que ces organisations religieuses s’érigent en partis politiques pour défendre des réformes de ce type. Mais en l’occurrence, tel n’est pas le cas. Si je comprends bien, l’objectif de «And Sam Jikko yi», c’est d’influencer de façon à ce qu’on nomme des députés susceptibles de voter la criminalisation de l’homosexualité», soutient l’analyste.
«And Samm Jikko Yi a changé de stratégie, sa démarche risque de faire mal au pouvoir…»
De l’avis de Cheikh Yérim Seck, il y aura forcément une implication politique du collectif «And Sam Jikko yi». «Le pouvoir est en mauvaise posture sur la question de l’homosexualité. Les autorités semblent mal à l’aise par rapport à cette question. Mais ce débat qui a été occulté à l’Assemblée nationale va revenir sur la table. L’Assemblée a raté le coche en évitant le débat. Aujourd’hui, «And Sam Jikko yi» a changé de stratégie. Il va essayer de toucher tous les citoyens sénégalais. C’est une démarche remarquable à tous points de vue», ajoute-t-il. Pour le consultant, la démarche de ce collectif pourrait faire mouche. «Le risque de vote sanction est réel. Ce sont des questions qui touchent directement la sensibilité des Sénégalais du point de vue religieux. Tout le monde est informé, notamment les jeunes. Tout le monde connaît la position des religions révélées, notamment de l’Islam sur la question, la démarche de «And Sam Jikko yi» risque de faire mal à la coalition au pouvoir. Même s’il n’intervient pas directement aux Législatives, le collectif pourrait mobiliser les citoyens qui vont voter pour des listes de l’opposition. Je pense qu’il va jouer un rôle, peut-être pas primordial, mais important, en usant de son influence auprès des religieux, mais aussi en mobilisant les citoyens, notamment la jeunesse. Dans leur démarche de communication, ils ont bien posé le débat. Ils ont mis le doigt sur des questions qui n’ont pas encore trouvé de réponse de la part du pouvoir», analyse Makhtar Kane, expert en communication et chercheur en civilisation musulmane.
Abondant dans ce sens, Cheikh Yérim Seck estime que les leaders du collectif cherchent juste, dans leur stratégie, à inquiéter le pouvoir. «Leur calcul est simple. On va vers des élections législatives dans un contexte où l’opposition a fait des avancées significatives au cours des élections locales. Le reflexe premier, d’autant qu’on est dans une conjoncture politique qui n’est pas favorable au régime, c’est d’intimider l’Etat et de lui faire croire qu’ils vont faire voter contre lui. L’idée, c’est de faire peur à l’Etat pour l’amener à faire machine arrière dans le traitement de la loi criminelle dans l’homosexualité, en disant clairement à l’Etat, comme l’Exécutif avait refusé, le pouvoir Benno bokk yakaar a refusé, de voter la loi, nous allons voter pour d’autres députés susceptibles de porter ce projet de loi», argue le patron de Yerim Post. En s’impliquant dans le débat, ce collectif peut amener, selon Cheikh Yérim Seck, la partie la plus conservatrice de l’électorat à voter dans un certain sens. Mais leur effet sur le processus ne peut être, à son avis, que marginal.
«Les animateurs de ce collectif sont dans la politique…Ils m’ont dit qu’ils comptent faire tomber BBY aux prochaines Législatives»
La démarche de «And Sam Jikko yi» n’est pas unanimement saluée par tous les religieux. Serigne Lamine Sall Ibn Serigne Abass Sall y décèle une connotation politique. Dans une déclaration rendue publique hier, il dévoile l’agenda caché de ce collectif. «Je ne vois pas l’utilité du rassemblement du collectif ‘And Samm Jikko Yi’ sur la Place de l’Obélisque. Si a priori, tout ce qui interpelle l’Islam interpelle du coup ma propre conscience de musulman, cette rencontre à la Place de l’Obélisque n’a, pour ainsi dire, rien de religieux. Ce collectif et ses animateurs sont dans la politique et pour cause : Ils m’avaient approché au début de leurs initiatives. Mais j’ai découvert, par la suite, qu’il y avait derrière cette agitation, des intentions politiques. L’exemple que je retiens de ceci est simple : En m’expliquant le but de leurs démarches, ils m’ont expressément signalé qu’ils étaient à la base de la défaite du Président Macky Sall aux dernières élections locales dans certaines villes du pays grâce aux discours contre l’homosexualité qu’ils ont tenus tout au long de la campagne. Aussi, ont-ils avancé, ils comptent reprendre la même démarche pour faire tomber Benno bokk yakaar aux prochaines Législatives. A partir de ce moment, j’ai compris que je ne pouvais pas être dans ce complot. Moi, Serigne Lamine Sall, seul l’Islam m’intéresse», révèle le religieux. Il affirme que la législation sénégalaise est très claire dans sa disposition concernant l’homosexualité. «Si le Président Macky Sall avait favorisé l’homosexualité, en précisant que le Sénégal ne l’interdisait pas, je serais dans le combat au même titre que mes compatriotes du collectif. Mais la loi, dans son article 319 est claire : L’homosexualité est condamnée au Sénégal : Tout acte impudique ou contre-nature avec un individu du même sexe tombe sous le coup de la loi. Et cet article suffit à lui seul pour condamner les homosexuels et les lesbiennes. Un appel pour une autre loi qui condamne l’homosexualité n’a pas de sens dès lors qu’elle existe déjà dans notre architecture judiciaire», dit-il. Ayant pour seule l’Islam et la stabilité du pays, Serigne Lamine Sall Ibn Serigne Abass Sall déclare qu’il ne peut être complice d’un collectif qui veut utiliser l’Islam pour assouvir un objectif politique. «Notre pays est laïc. S’il était islamique, la charia serait appliquée. Ainsi le collectif ‘And Samm Jikko Yi’ ne serait même pas dans l’obligation de tenir de telles manifestations. Dès lors que la charia n’est pas appliquée, on ne peut pas argumenter sur une loi en voulant s’appuyer sur l’Islam. C’est ce que le collectif tente de nous imposer. Le Prophète (Psl) dit : Les homosexuels, il faut les tuer de la pire des manières. En les jetant du haut d’un immeuble avec des pierres ou en les brûlant jusqu’à ce que mort s’en suive. Si ce collectif s’appuie sur l’Islam, ses initiateurs doivent agir pour l’application stricte de la charia», argumente-t-il. Serigne Lamine Sall Ibn Serigne Abass Sall précise que la seule position qu’il partage avec le collectif «And Sam Jikko yi», c’est la condamnation de l’homosexualité.