AYIB DAFFÉ, DE L’OMBRE À LA LUMIÈRE
Fils d'un commis de l'État devenu ministre. Parcours atypique de Mohamed Ayib Daffé, étudiant brillant évoluant désormais dans l'entourage du député Ousmane Sonko dont il est aujourd'hui l'un des plus proches collaborateurs
Député et mandataire de Sonko, Mohamed Ayib Daffé est devenu, par la force de l'enjeu politique, l'acteur principal du feuilleton électoral qui se joue entre son parti et le pouvoir. À 46 ans, l'homme, sorti de l'ombre par les débats parlementaires, puis ses va-et-vient entre son domicile, la DGE et la CENA par la question des fiches de parrainage, est en prise avec son destin. Bés bi lève le voile sur le fils de Balla Moussa Daffé.
À la Médina, sur l'avenue Malick Sy, l'imposant immeuble jouxte une impasse. À sa devanture, en cette matinée de mardi, journalistes et badauds poireautent. Aux allures d'un site hautement névralgique, l'ambiance aux alentours est rendue troublante par un impressionnant déploiement de forces de l'ordre. Cà et là dans les parages, des fourgonnettes de la police renforcent le dispositif. Au-dessus du portail, le panneau indicatif des lieux renseigne sur la présence de cette armada CENA (Commission électorale nationale autonome).
Comme annoncé la veille, le mandataire de Sonko s'est introduit dans le siège de l'organe à l'heure indiquée (10 heures). Dehors, son nom est sur toutes les lèvres. «Ayib Daffé est toujours à l'intérieur. Et depuis un bon moment, nous attendons sa sortie pour voir s'il a pu obtenir cette fois ci...», rapporte par «live» Facebook un individu, avant d'être interrompu et sommé de reculer par trois limiers.
Plus tard, Ayib Daffé, fourré dans une veste bleue marine assortie d'une chemise grise, s'extrait des locaux de la Commission, une pile de documents entre les mains. Entouré du trio Abass Fall, Cheikh Tidiane Dieye et le notaire, il avance, l'air abattu, puis s'arrête. «Suite à la décision du Tribunal d'instance de Ziguinchor, nous avions saisi la CENA qui avait fait injonction à la DGE de nous remettre des fiches de parrainage. Elle a persisté dans son refus. Nous avons demandé à la CENA de se substituer pour nous remettre nos fiches. Nous avons été reçus par Ndari Touré, le secrétaire général de la Cena, qui nous a fait savoir que le Président Doudou Ndir était absent. Et que lui ne pouvait pas, en tant que secrétaire général, qui est chargé de l'administration, répondre à notre question, qui est de savoir où est-ce que la CENA en était sur le traitement de notre requête», a-t-il dit face à une forêt de caméras.
Une éminence grise de Sonko
Né en 1977 à Sédhiou, Ayib Daffé, lunettes claires sur un visage neutre, allure pondérée, charismatique par le gabarit, est à lui seul une machine politique à la disposition de Sonko. Bien plus qu'un simple mandataire, il jouit d'une confiance insoupçonnée auprès du principal opposant au pouvoir. Lequel d'ailleurs n'a pas hésité à lui confier l'intérim du Secrétariat général de l'ex-Pastef pour combler le vide laissé par la détention de Bassirou Diomaye Faye.
Si l'acte peut se révéler symbolique aux yeux des militants et observateurs de la scène politique, il faut aussi dire qu'il est plus qu'administratif dans l'entendement des proches des deux responsables. «Avant d'être un bras droit de Sonko, Ayib est avant tout un homme de confiance de Diomaye Faye. Les deux sont très liés. D'ailleurs, c'est ce dernier même qui est à l'origine de l'intégration de Ayib dans le parti. En termes politiques, outre son intégrité, il est tellement pourvu de propositions et d'idées fertiles que Sonko avait préféré ne pas l'exposer. C'était une façon de le protéger. C'est pourquoi, sachant ce que cela implique, le fait que Sonko le choisisse comme son mandataire en dit long», raconte un de ses proches.
Le goût du savoir comme le père, Balla Moussa Daffé
Mais comme tête pensante, le député n'a pas commencé à faire parler de lui une fois dans l'entourage du leader de Pastef. Très jeune, au lycée Ibou Diallo de Sédhiou où il décrocha le Bac en 1998, Mohamed Ayib Daffé s'était déjà révélé brillant devant ses camarades. Un fils de Balla Moussa Daffé, professeur agrégé de Pharmacie, ne saurait faire autrement. C'est sans doute l'ordonnance que le père lui a remise. Mieux, en classe de Terminale, c'est au niveau national qu'il confirma ses prouesses intellectuelles.
Il n'y a pas mieux placé qu'un père pour parler de son fils. «C'était un élève studieux, toujours fourré dans les livres, assoiffé de connaissances. Et aujourd'hui, grâce à cette curiosité intellectuelle, il a même su se démarquer à l'Assemblée nationale par la pertinence de ses interventions. Même si je ne partage pas tous ses points de vue sur le plan politique», témoigne Balla Moussa Daffé au sujet du juriste et specialiste du droit de l'environement.
Habitué des intrigues politiques
Ayib Daffé n'est pas, comme nombre de pastéfiens, novice dans la matière politique. Il dégage un semblant de fougue qui caractérise la plupart des proches de Sonko. Mais c'est un initié. Il a appris les intrigues politiques dans les partis et auprès des hommes politiques. Et, peut-être même il a été inspiré par un père connu du milieu. Balla Moussa Daffé a quand même été maire de Sédhiou et ancien ministre de la Recherche scientifique !
Un responsable de Benno bokk yaakaar, qui l'a pratiqué, lui voue un «immense» respect : «Lorsque nous devons partager un plateau, je sais qu'il va brandir comme d'habitude des textes qu'il maitrise parfaitement. Et qu'il manipule aussi. Mais la politique ce n'est pas que le texte. On s'adresse à des gens qui n'écoutent pas souvent. Mais, Ayib reste un homme bon.» Bref, c'est un «politicien professionnel» au sens de la définition de Sonko qui ne pouvait faire autrement que de s'adapter au «système»).
Car Ayib a, selon les indiscrétions, fréquenté le PDS, puis des proches de Macky Sall aussi comme l'ancien DAGE de la Présidence, Abdoulaye Ndour, limogé en 2018. Et il était courtisé, dans le cadre dans la bataille de Yoff par Abdoulaye Diouf Sarr. C'est que cet homme de confiance de Sonko n'a jamais voulu s'aventurer à militer à Sédhiou, lui qui est devenu un «Boy Dakan».
C'est seulement aux dernières Législatives, que le leader des Patriotes a souhaité qu'il profite de la décadence du Pos dans le Pakao et d'une méforme de l'Apr, pour mettre Sédhiou dans l'escarcelle de Yewwi askan wi. Ce qui l'a conduit à l'Assemblée nationale puisqu'il était la tête de liste départementale.