BAKARY SAMBE ÉVOQUE LES MENACES SUR L’ARCHITECTURE RÉGIONALE DE SÉCURITÉ
Selon le directeur du Timbuktu Institute, un isolement accru des pays de l’Alliance des États du Sahel risque de compromettre la coopération sécuritaire et d’ouvrir la porte à d’autres influences diplomatiques et stratégiques dans la région.

L’enseignant-chercheur Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute, met en garde contre les conséquences du retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO, estimant qu’un isolement davantage prononcé des pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) pourrait entrainer une destruction de l’architecture régionale de sécurité et une accentuation de la crise socio-économique dans la région.
Le 29 janvier 2025, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont officiellement cessé à leur demande d’être des membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest, actant ainsi une décision qui avait été précédemment prise par les dirigeants de l’organisation lors d’un sommet qui s’était tenu à Abuja, la capitale fédérale du Nigeria.
‘’Les départs du Mali, du Burkina et du Niger de la CEDEAO peuvent entrainer la déstructuration de l’architecture régionale de sécurité”, a dit Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute et professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis (UGB).
‘’La première conséquence de ces retraits, c’est que nous allons vers une déstructuration de l’architecture régionale de sécurité, mais aussi vers une menace socio-économique si ces pays décidaient d’aller vers un isolement beaucoup plus prononcé’’, a-t-il déclaré à l’APS lors d’un entretien téléphonique.
Eprouvés par de dures sanctions économiques imposées par la CEDEAO au lendemain de coups d’Etat militaires, le Burkina Faso, le Mali et le Niger font également face à des problèmes sécuritaires d’ampleur liés à la prégnance des groupes armés se réclamant de la mouvance djihadiste.
L’enseignant-chercheur souligne que l’éloignement de l’espace de la CEDEAO de ces trois pays regroupés autour de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) pourrait inciter d’autres forces diplomatiques à intervenir dans la sous-région de sorte à perturber la manière dont ces membres coopèrent ensemble sur le plan sécuritaire.
Il évoque, à cet effet, l’arrivée de la Russie et d’autres acteurs comme la Turquie dans cette partie du continent africain.
Le directeur de Timbuktu Institute, redoute par-dessus tout les conséquences dans le domaine de la coopération sécuritaire.
‘’Une coopération transfrontalière est devenue impossible au regard de la crise diplomatique entre le Bénin et le Niger. A cause de l’absence de coopération transfrontalière, on assiste aujourd’hui à la recrudescence des attentats dans le nord du Bénin, notamment dans le département de l’Alibori. On le voit aussi avec la difficulté de collaboration au niveau frontalier avec le Burkina Faso qui est devenu un des épicentres importants du terrorisme’’, a-t-il fait valoir.
Eviter une rupture totale avec l’AES
Selon l’enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, ces éléments, combinés à l’impossibilité d’échanges de renseignements et de coopération sur les patrouilles mixtes pourraient affecter fortement la sécurité régionale et aggraver la situation sur le plan de la lutte contre le terrorisme.
Il n’a pas ainsi manqué d’inviter les dirigeants de la CEDEAO à ne pas ‘’opérer une rupture totale avec les trois pays dissidents, quelle qu’en soit la situation, c’est-à-dire même si l’AES devrait continuer à exister.
‘’Il faudrait mettre en place des mécanismes et créer des ponts de coopération, à l’image de ce que fait l’Union européenne avec la confédération helvétique. Celle-ci est au cœur de l’Europe, mais ne fait pas partie de l’Union européenne. N’empêche, elle a développé, avec l’Union européenne, une coopération sur la gestion des frontières, sur des questions économiques et sur d’autres accords’’, a-t-il expliqué.
Ce modèle, s’il venait à être appliquée, pourrait sauver l’intégration sous régionale et garantir la continuité des échanges économiques entre la CEDEAO et les pays de l’AES, a-t-il martelé en citant l’exemple de la démarche du Sénégal et du Mali qui coopèrent dans le cadre de patrouilles mixtes permettant d’assurer la sécurité dans la zone frontalière commune.
Il a ainsi souligné la nécessité pour les autres pays de la sous-région de s’inspirer de ce modèle de coopération, partant de la forte volonté d’intégration des peuples de la région.
Cela a sans doute déterminé le choix des pays de l’AES de ne pas enfreindre la liberté de circulation des ressortissants de la CEDEAO, tout comme celui de l’organisation communautaire de ne pas imposer de restrictions de mouvements ou de mobilité aux Burkinabé, Maliens et Nigériens.
‘’Les pays sont assez conscients de leurs intérêts’’
‘’Je pense que la volonté de rester dans le cadre de l’intégration sous régionale même en dehors du cadre de la CEDEAO est une volonté partagée entre les deux entités’’, croit savoir l’universitaire.
Tout dépendra, a-t-il relevé, de l’intelligence d’esprit des responsables des différents Etats appelés à ériger des ponts et développer des alternatives pouvant permettre de maintenir la possibilité d’échanges économiques.
Bakary Sambe a par ailleurs salué la décision des pays de l’AES de se maintenir pour le moment dans l’espace de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), dont les cadres de coopération ont jusque-là permis de ne pas trop souffrir de ces départs.
Il n’a, cependant, pas manqué de prévenir contre d’éventuelles difficultés économiques si les Etats de l’AES décidaient de sortir du Franc CFA à l’image de ce qu’ils ont récemment déjà fait avec l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
‘’Mais je ne crois pas qu’ils iront jusque-là, car les pays sont assez conscients de leurs intérêts pour le moment. Ils ont quitté l’organisation sous régionale, mais sont conscients du rôle important de l’UEMOA”, a souligné Bakary Sambe.