BAYE NIASSE, LE PRÉCURSEUR DE LA ROUTE DE LA SOIE
La visite du président Bassirou Diomaye Faye en Chine s'inscrit dans une continuité historique insoupçonnée. Elle fait écho au voyage visionnaire de Cheikh Ibrahima Niasse en 1963, qui a jeté les bases des futures relations sino-sénégalaises
Le président de la République Bassirou Diomaye Faye est en Chine pour une visite officielle, soixante années après la visite de Cheikh Ibrahima Niasse dans ce pays. Figure emblématique de l'Islam, Baye Niasse répondait ainsi à l'invitation de China Muslim Association, une des plus grandes organisations islamiques de cette époque de la République Populaire de Chine
Qu'est ce qui lie Cheikh Ibrahima Baye Niasse et l'ancien président du Conseil Français Edgar Faure ? La Chine. On est en 1963 et comme le rapporte une archive du site de la fondation Charles De Gaulle, dans sa volonté de réconciliation avec la Chine, le général de Gaulle estime qu’une discussion diplomatique, même minime, constitue une ouverture. Il souhaite s’appuyer pour cela sur un homme de confiance et le trouve en l’ancien président du Conseil, Edgar Faure. Ce dernier s’est déjà rendu en Chine, à titre privé, en 1957. Il en tire un livre, Le serpent et la tortue, où il explique au public français le fonctionnement politique de la République Populaire de Chine, ses différences et ses points communs avec l’URSS. Il y soutient surtout qu’il est absurde de refuser la RPC, un régime fort et stable qui représente la réalité du pays. De Gaulle, qui a lu l’ouvrage d’Edgar Faure, s’adresse donc à lui en 1963 pour effectuer de nouveau un voyage en Chine. Il rédige à son intention une lettre afin d’accréditer les époux Faure auprès de Mao. En effet, si de Gaulle souhaite établir des relations diplomatiques avec la Chine, il n’entend pas mettre la France en position de demandeur. Le voyage des époux Faure est donc destiné à s’assurer des dispositions d’esprit du gouvernement de Pékin. Et dans le train qu'il le mène de ville en ville, l'académicien français a rencontré à deux reprises Cheikh Ibrahima Niasse qui était venu en Chine pour d'autres raisons. En effet, le chef religieux sénégalais, connu pour ses nombreux voyages à travers le monde, ses rencontres avec les géants de cette époque, sa diplomatie religieuse, était dans le même train que l'homme politique français pour aller répondre à l'invitation de China Muslim, la plus grande association islamique de la Chine, dirigée par Bourhanou Din, qui était aussi le vice-président du CENA en Chine. On est en octobre 1963. ''Un voyage que le gouvernement de la Chine a entériné. Car Baye Niasse ne voulait pas créer un malentendu entre cette association islamique et le gouvernement chinois de l'époque'', renseigne l'écrivain et chercheur Ahmed BoucarNiang. Biographe avéré de Baye Niasse, M.Niang rappelle aussi que durant ce voyage, le célèbre guide religieux a été accueilli à l'aéroport par les membres du Congrès Islamique mondial de cette région. Alors que les relations entre la République du Sénégal et la République Populaire de Chine ont été établies pour la première fois le 7 décembre 1971, Baye Niasse lui a fait son premier voyage en Chine 8 ans plutôt, et a manifestement tracé les premiers sillons de la relation entre ces deux pays. Ainsi lors de ce périple, le guide religieux, accompagné de son disciple et secrétaire particulier Barham Diop, a visité plusieurs institutions publiques dont les bâtiments publics de l'Assemblée nationale, du musée de la Révolution et du musée de l'armée. Oustaz Barham Diop raconte une anecdote lors de la visite au musée de la Révolution. En effet, il y avait quelqu'un qui récitait un poème à la gloire de Mao. ''Ce dernier déclarait que Mao avait libéré l'être humain et qu'il était le sauveur des pauvres. Baye rétorqua sans complexe que ces qualités ne peuvent être attribuées qu'au Prophète Mouhamad (PSL)'', note le chercheur Ahmed Boucar Niang non sans indiquer qu'une telle réplique, fait dans un pays où le communiste Mao était le maître absolu et le symbole de l'athéisme, est plus qu'audacieuse.
Sévère réquisitoire de Baye Niasse contre les idéologies occidentales
Dans le même ordre d'idées, il rappelle que c'est dans ce pays que Cheikh Ibrahima Niasse a fait un réquisitoire sévère contre les idéologies capitalistes et communistes. Rapportant les écrits très osés de Baye Niasse sur les idéologies occidentales, le chercheur affirme : ‘’J'exhorte la jeunesse à prendre comme guide le Prophète Mouhamad (PSL). Évitez de chercher un modèle autre que celui du dernier Messager. John Foster Dulles (secrétaire d'état américain), Napoléon, Marx et Lénine ne sont pas des modèles à suivre.’’ Par ailleurs, durant cette visite en Chine, Cheikh Ibrahima Niasse a donné une conférence à l'Association de l'Amitié des peuples de Chine et d'Afrique. Après, certains membres qui étaient dans l'assistance, souligne Ahmed Boucar, ont posé des questions à Cheikh Ibrahim Niasse, notamment sur la crise de 1962 qui opposait le Président Senghor et Mamadou Dia.
Reçu par le Premier ministre chinois Zhou Enlai
Cheikh Ibrahima Niasse a en outre a été reçu en audience, à l'occasion de cette visite en Chine, par le Premier ministre Zhou Enlai, le 1er novembre 1963. Baye Niasse a fait un exposé sur le modèle islamique sénégalais basé sur le soufisme et les tariqa. D'après Ahmed Boucar Niang, le chef religieux n'a pas rencontré Mao car ce dernier était en déplacement en Chine. Le professeur Barham Diop qui est un des témoins de ce voyage historique de Baye Niasse en Chine, signale dans une de ses conférences que le président Léopold Sédar Sengor les a reçus en audience à leur arrivée à Dakar.
S'appuyer sur la diplomatie religieuse
Le président Bassirou Diomaye Faye qui est arrivé hier à Beijing, en Chine, pour une visite d’État et pour participer à la neuvième édition du Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC), prévue du 4 au 6, doit être manifestement au courant de ce pan de l'histoire diplomatique religieuse sénégalaise en Chine. Mais au-delà, ce nouveau régime qui prône un changement de paradigme dans sa manière de gouverner gagnerait visiblement plus de place grâce à la religion dans sa diplomatie, eu égard au rôle joué par les figues religieuses du Sénégal dans la propagation de la paix dans la sous-région et dans le monde. Le fait religieux est devenu une donnée importante dans les relations internationales et dans le processus de règlement des conflits. Et dans ce domaine, le Sénégal dont le modèle est basé sur le soufisme a quelque chose à apporter au monde.