CE QUE DIT LE RAPPORT QUI ACCABLE L'AMNISTIE
Un recours effectif impossible, la vérité enterrée, l'impunité garantie. Tel est le triple constat dressé par le document publié ce mercredi 15 janvier par le Rule of Law Impact Lab de Stanford et l'Afrikajom Center
(SenePlus) - Dans un rapport publié ce mercredi 15 janvier 2025, le Rule of Law Impact Lab de la Stanford Law School et le think-tank Afrikajom Center livrent une analyse juridique approfondie de la loi d'amnistie adoptée en mars 2024. Leur conclusion est sans appel : cette législation contrevient aux obligations internationales du pays.
Le document revient d'abord sur le contexte troublé ayant conduit à cette loi. Entre février 2021 et février 2024, le Sénégal a traversé une période de fortes tensions politiques. Selon Amnesty International, cité dans le rdocument, plus de 60 personnes ont été tuées lors de manifestations durant cette période. Human Rights Watch, également cité, fait état d'environ un millier d'arrestations, dont beaucoup auraient été accompagnées de détentions arbitraires et de mauvais traitements.
Le rapport documente plusieurs cas précis. Ainsi, lors des manifestations des 9 et 10 février 2024 contre le report des élections, "les forces de sécurité sénégalaises ont tué trois personnes, dont un garçon de 16 ans", selon Amnesty International. Les 1er et 2 juin 2023, "au moins 23 personnes dont trois enfants auraient été tuées et 390 autres auraient été blessées à Dakar et à Ziguinchor", rapporte le texte.
C'est dans ce contexte que le parlement sénégalais a adopté, le 6 mars 2024, une loi d'amnistie couvrant l'ensemble des faits liés aux manifestations politiques survenus entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024. Le texte, promulgué le 13 mars, s'applique tant aux manifestants qu'aux forces de l'ordre.
Les auteurs du rapport identifient quatre violations majeures du droit international :
Premièrement, la loi ne garantit pas aux victimes un recours effectif. Si l'article 3 précise que "l'amnistie ne préjudicie pas aux droits des tiers", les juristes soulignent qu'en interdisant les enquêtes pénales, le texte prive en pratique les victimes des moyens d'établir les responsabilités, même dans le cadre de procédures civiles.
"En procédure civile, la charge de la preuve incombe au plaignant", explique le rapport. "En l'absence d'une enquête pénale visant à recueillir des preuves [...] une victime de violations des droits de l'homme perpétrées par des agents de l'État sénégalais aurait du mal à fournir des preuves suffisantes."
Deuxièmement, selon l'analyse, la loi viole le droit à la vérité, tant pour les victimes que pour la société sénégalaise dans son ensemble. Le rapport s'appuie notamment sur la jurisprudence de la Cour de justice de la CEDEAO, qui a établi que "les lois d'amnistie ne sauraient constituer un voilage forcené du passé".
Troisièmement, le texte contrevient à l'obligation du Sénégal d'enquêter et de poursuivre les auteurs de violations flagrantes des droits humains. Les analystes citent l'Observation générale n°36 du Comité des droits de l'homme de l'ONU, selon laquelle "les immunités et amnisties accordées aux auteurs d'homicides intentionnels [...] sont, en règle générale, incompatibles avec l'obligation de respecter et de garantir le droit à la vie".
Enfin, les juristes critiquent le caractère général et inconditionnel de l'amnistie, qui n'exige aucune contrepartie des bénéficiaires, notamment en termes de divulgation de la vérité.
Le rapport conclut par trois recommandations principales à l'État sénégalais : garantir un recours effectif aux victimes, assurer le droit à la vérité, et permettre des poursuites pénales contre les auteurs de violations graves.
Une évolution pourrait être en vue : le 27 décembre 2024, comme le relève le document, le Premier ministre Ousmane Sonko a annoncé qu'un projet de loi visant à rapporter cette amnistie serait soumis à l'Assemblée nationale. Il a également évoqué l'inscription au budget de crédits destinés à l'indemnisation des victimes.