CNRI, UNE NOUVELLE CONSTITUTION
Un avant-projet de Constitution renforçant les droits et libertés des Sénégalais, garantissant un meilleur équilibre des pouvoirs et consacrant de nouvelles institutions au service du citoyen comme le juge des libertés ou le conseil consultatif (4/4)
SenePlus publie tout au long de cette semaine, en quatre parties, l'intégralité du rapport général de la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI) afin de mettre à l'ordre du jour du calendrier électoral l'ensemble des mesures préconiées par ce creuset citoyen de rénovation de l'armature institutionnelle du Sénégal. Ci-dessous, la dernière partie (4/4).
C’est compte tenu des avis exprimés lors des consultations citoyennes et des conclusions ci-dessus que la CNRI a élaboré le texte ci-joint d’une nouvelle Constitution dont elle propose au président de la République l’adoption par voie référendaire.
Brève présentation du texte de constitution proposé par la CNRI
Le texte de Constitution comporte 148 articles non comprises les dispositions transitoires et finales au nombre de 5. Il est structuré en douze titres précédés d’un préambule.
Le premier titre, intitulé « Principes généraux » traite en trois sections, respectivement, des attributs et symboles de l’État, des principes d’organisation et de fonctionnement de l’État et de la souveraineté.
Le titre 2 porte sur les libertés fondamentales, droits et devoirs du citoyen.
Les titres 3, 4 et 5 ont trait aux trois Pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Le titre consacré au Pouvoir exécutif comporte deux sections se rapportant respectivement au Président de la République et au Gouvernement. Dans le titre 4 sont traités en trois (3) sections de l’organisation et du fonctionnement de l’Assemblée nationale, du domaine de la loi et de la procédure législative. Le titre 5 consacré au Pouvoir judiciaire est structuré en cinq (5) sections traitant des dispositions générales, de la Cour Constitutionnelle, du Conseil d’État, de la Cour de Cassation et de la Cour des Comptes.
Le titre 6 est consacré aux rapports entre les Pouvoirs, plus précisément aux rapports entre l’Exécutif et le Législatif (section 1), aux rapports entre l’Exécutif et le Judiciaire (section 2) et entre le Législatif et le Judiciaire (section 3).
Le titre 7 concerne la Haute Cour de Justice et le titre 8, les organes consultatifs (Conseil économique, social et environnemental -section 1-, Conseil National des collectivités locales -section 2-, et Conseil Consultatif des Sénégalais de l’Extérieur -section 3-)
Le titre 9 traite, en quatre (4) sections, des Autorités administratives indépendantes. Dans la première il y a des dispositions générales suivies des trois (3) autres relatives respectivement au Médiateur de la République, à l’Autorité de Régulation de la Démocratie et au Conseil National de Régulation de la Communication.
Dans les titres 10, 11 et 12 sont traités les collectivités locales, les traités internationaux et la révision constitutionnelle.
Tout au long de ses travaux, la CNRI a tenu à s’écarter du débat quelque peu simpliste sur la nature parlementaire ou semi-parlementaire, présidentielle ou semi-présidentielle du régime à instaurer. La conviction largement partagée de ses membres a été d’adopter une démarche pragmatique fondée sur la prise en compte des préoccupations largement partagées par les citoyens à savoir : garantir la séparation et l’équilibre des Pouvoirs, l’exercice démocratique du pouvoir, l'inviolabilité de la dignité humaine et la promotion du bien-être de tous mais aussi le renforcement de la justice sociale et de la solidarité.
Partant du diagnostic qu’elle a établi au démarrage de ses travaux (confirmé par les citoyens et porteurs d’enjeux) et qui a révélé que les Pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, théoriquement indépendants les uns des autres, ne sont en fait ni séparés ni équilibrés, la CNRI a cherché, à travers les dispositions suivantes, un aménagement du Pouvoir d’État qui garantisse un meilleur équilibre et une séparation plus nette des Pouvoirs :
1- Le Président de la République détermine la politique de la Nation mais ne peut exercer certains pouvoirs que sur proposition soit du Premier ministre soit d’autres instances. Parce qu’il incarne l’unité nationale, il ne doit plus être chef de parti dès sa prise de fonction.
2- En ce qui concerne le Parlement, il a été remédié aux risques d’abus de majorité avec la création des conditions de participation effective de l’opposition parlementaire au travail législatif.
En outre, il y a une meilleure maitrise par le Parlement de son ordre du jour. Les députés, bénéficiant de l’apport d’assistants parlementaires sont mieux armés pour faire face aux exigences que leur impose la complexité du travail parlementaire.
3- Sur le plan Judiciaire, les compétences du juge constitutionnel ont été renforcées pour garantir le respect des droits fondamentaux de la personne humaine et régler les conflits de compétence entre l'Exécutif et le Législatif entre autres missions. Il n’y a plus d’autorité directe du Garde des Sceaux sur les magistrats du parquet. Les pouvoirs du Conseil Supérieur de la Magistrature, organe de gestion de la carrière des magistrats sont renforcés.
La CNRI tout en renforçant la panoplie des droits et libertés reconnus aux citoyens a entendu leur accorder une meilleure protection en les plaçant sous la surveillance d’un Juge des libertés. Pour rendre plus effectifs ces droits et libertés, elle estime qu’il y a lieu d’ouvrir au citoyen, un droit de recours auprès du juge constitutionnel lorsqu’il estime qu’une mesure d’ordre législatif porte atteinte à ses droits fondamentaux, de reconnaitre aux organisations de défense des droits humains et environnementaux un intérêt à agir devant les juridictions compétentes dans les affaires qui touchent aux droits, libertés et biens publics. En matière de garde à vue, la CNRI recommande la présence de l’avocat (ou d’une personne de son choix, le cas échéant) à la fin des premières vingt-quatre heures de la garde à vue, et le renforcement des droits de la personne.
Estimant que si les citoyens ont des droits et libertés qu’il convient de garantir et de protéger, ils ont également des devoirs à accomplir, la CNRI réaffirme l’obligation pour tout citoyen sénégalais de respecter scrupuleusement la Constitution et les lois et règlements. Le citoyen a le devoir de défendre la patrie contre toute agression et de contribuer à la lutte contre la corruption et la concussion, de respecter, de faire respecter le bien public et de s’abstenir de tous actes de nature à compromettre l’ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publics mais aussi de préserver les ressources naturelles et l’environnement du pays, d’œuvrer pour le développement durable au profit des générations présentes et futures et enfin, d’inscrire à l’état-civil, les actes le concernant et ceux qui sont relatifs à sa famille dans les conditions déterminées par la loi.
Le souci de donner plus de crédibilité et de renforcer le système de représentation justifie la constitutionnalisation de l’organe qui a pour mission le contrôle et la supervision de l’ensemble du processus électoral ou référendaire mais aussi la proposition de création d’un Conseil National des Collectivités locales et d’un Conseil consultatif des sénégalais de l’extérieur pour, respectivement, une meilleure prise en compte des affaires locales et de celles des sénégalais de la diaspora dans les politiques et programmes publics.
D’autres innovations et modifications importantes ont été introduites par rapport aux dispositions constitutionnelles actuellement en vigueur. Certaines d’entre elles constituent de véritables innovations en ce sens qu’elles n’ont jamais figuré dans un texte constitutionnel au Sénégal. Il s’agit notamment des dispositions suivantes :
Pour une meilleure protection des droits et libertés et une consécration des devoirs du citoyen :
- L’obligation du référendum pour toute modification d’une disposition relative aux libertés fondamentales de la personne humaine : Art.150 al.3.
- L’institution d’un juge des libertés : Art.51 al 2.
- La reconnaissance de l’intérêt à agir devant les juridictions compétentes des organisations de défense des droits humains et environnementaux, dans les affaires qui touchent aux droits, libertés et biens publics : Art 51 al 3.
- La réglementation de la garde à vue : Art.22.
- L’élargissement des candidatures indépendantes à tous les types d’élection : Art.14 al 2.
- La reconnaissance du droit de pétition aux citoyens : Art 26.
- L’introduction du référendum d’initiative populaire : Art.13 al 2.
- L’introduction en faveur du citoyen du droit initiative législative : Art.94 al 2.
- La reconnaissance au citoyen d’un droit de recours auprès du juge constitutionnel : Art.109.
- Le principe d’une consultation des citoyens pour les attributions liées au patrimoine foncier et ou aux ressources naturelles : Art 15 et suiv.
- La constitutionnalisation du droit d’accès à l’information administrative et de protection des données personnelles : Art.6 et 34.
- Le droit à l’information et à la protection des données personnelles qui font l’objet d’un suivi par le médiateur : Art.142.
- La constitutionnalisation des devoirs du citoyen : Art.52.
- Explicitation du principe de la laïcité : Préambule, Art.30 al2.
- Le principe d’une assistance de l’État aux communautés religieuses, de manière transparente et sans discrimination : Art.30 al 3.
- L’interdiction des milices privées et groupes paramilitaires et encadrement juridique strict des sociétés privées de sécurité : Art. 28.
- La traduction et la large diffusion de la Constitution en langues nationales : Art. 154.
- La notion de progrès expressément mentionnée dans le texte du serment du Président élu : Art. 61
- L’introduction à l’école publique de l’éducation religieuse à la demande des parents : Art. 43.
Pour un meilleur équilibre et un strict respect de la séparation des Pouvoirs :
- La redéfinition des rapports entre l’Exécutif et le Judiciaire : Art.105- 106.
- L’interdiction faite au Pouvoir exécutif d’entraver le cours de la justice ou de s’opposer à l’exécution d’une décision de justice : Art.129.
- L’institution d’une Cour constitutionnelle Art. 1O7-108
- L’interdiction faite au Pouvoir législatif de statuer sur des contentieux juridictionnels, de modifier une décision de justice ou de s’opposer à son exécution : Art. 130.
- L’encadrement du droit de dissolution de l’Assemblée nationale : Art.120.
- Appréciation par l’Assemblée nationale de la durée de l’exercice des pouvoirs exceptionnels et possibilité d’y mettre fin en cas d’abus dûment constaté par la Cour Constitutionnelle : Art. 123 al 3.
- Le renforcement du Parlement (droit d’amendement parlementaire aménagé pour une meilleure effectivité et prérogatives de fixation de son ordre du jour par le Parlement renforcées)
- L’autorisation parlementaire avant tout envoi, engagement ou retrait de troupes dans des conflits armés à l’extérieur : Art.92.
- La définition de la Haute trahison : Art.131 al 2.
- L’élargissement des autorités susceptibles d’être traduites devant la Haute Cour de Justice : Art.132.
Pour le renforcement du système consultatif :
- L’institution d’un Conseil national des Collectivités locales : Art.135.
- L’institution d’un Conseil Consultatif des Sénégalais de l’Extérieur : Art.137.
Pour le renforcement des instances de régulation au service du citoyen :
- La détermination constitutionnelle du régime juridique des Autorités administratives indépendantes : Art 138.
- L’institution d’une Autorité de Régulation de la Démocratie : Art.143.
- La Constitutionnalisation de l’Organe de Régulation de la communication. Art.141.
- La Constitutionnalisation du Médiateur de la République : Art. 139 et 141.
Pour la normalisation de la vie publique et des pratiques administratives :
- Les limitations et le non cumul des mandats : Art. 76 al 4.
- La fixation du nombre de députés : Art :80.
- Les limitations du nombre de ministres : Art.76 al 5.
- La Constitution prévoit et réglemente l’hypothèse d’une non-concordance entre les majorités présidentielle et parlementaire : Art.75.
- Le certificat attestant l’aptitude physique et mentale du candidat à la présidence intègre le dossier de candidature : Art.59.
- Limite supérieure de l’âge d’un candidat à la Présidence de la République : Art 58.
- La réglementation constitutionnelle des conditions de recrutements d’agents publics et de nomination aux fonctions de direction de services nationaux, d’organismes du secteur parapublic et de nomination des autorités administratives indépendantes : Art.11.
- La normalisation des cadeaux, dons et libéralités dans l’Administration publique Art.9 à 11.
- La normalisation des titres et fonctions de ministre : Art.76.
- La réaffirmation des principes de fonctionnement de l’Administration publique : Art.9.
- La déclaration de patrimoine : Art.6 al 2 ; 62 ; 80 al 4 ; 107 al 8.
Pour le renforcement de la rationalité et de l’équité dans les budgets national et locaux.
- Le dispositif de renforcement des finances locales (dotation collectivités locales) : Art.135.
- L’évaluation par la Cour des Comptes du respect effectif des priorités sectorielles et le degré de réalisation des équilibres géographiques et en fait mention dans son Rapport annuel : Art. 104.
Pour la préservation des ressources naturelles et de l’environnement.
- La fixation d’un contenu précis des obligations de l’État en matière environnementale : Art.41.
- Les dispositions sur le foncier et les autres ressources naturelles : Art.15 à 18
I-1.RECOMMANDATIONS FINALES
La CNRI ayant fait le constat de l’ampleur des modifications qu’elle propose, recommande l’adoption d’une nouvelle Constitution au lieu d’une simple révision de celle en vigueur. Elle suggère la traduction de l’avant-projet de Constitution dans les langues nationales avant toute soumission au peuple.
Une partie des recommandations qu’elle a faites a trouvé traduction dans l’avant-projet de constitution qui a été élaboré.L’adoption des textes infra constitutionnels s’avère nécessaire pour rendre la loi fondamentale applicable dans son ensemble. La CNRI recommande en particulier et en priorité l’adoption des lois organiques sur le Conseil Supérieur de la Magistrature, la Cour constitutionnelle et l’Autorité de Régulation de la Démocratie. Cette dernière, mise en place, devra organiser des concertations avec la classe politique et les autres acteurs autour du mode de scrutin aux élections législatives pour qu’on ait, comme par le passé, des règles électorales consensuelles. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, la CNRI propose de donner suite à la volonté largement exprimée par les populations de suppression de la liste nationale, et de consacrer la mise en œuvre du scrutin majoritaire à deux tours à l’échelle des circonscriptions électorales (l’échelle du département ayant la préférence des citoyens).
Une deuxième partie des recommandations n’ayant pas vocation à figurer dans une Constitution nécessitera l’institution d’une Commission restreinte de suivi de leur mise en œuvre. Celle-ci sera chargée d’identifier les textes en vigueur qu’il convient de modifier à cette fin.
La CNRI a enfin noté que bon nombre de préoccupations récurrentes exprimées par les citoyens ne découlent pas toujours d’une absence de réglementation mais parfois d’un défaut d’application du cadre juridique qui existe. Elle en veut pour preuve la dilapidation décriée du patrimoine foncier ou les atteintes à la tranquillité publique. Elles découlent parfois d’un défaut de mise en place des mesures d’accompagnement nécessaires en termes de textes d’application ou de structure sans lesquels aucune effectivité n’est garantie.
En effet, la CNRI est partie du constat qu’en dépit du fait que le système foncier sénégalais est légalement dominé par le principe d’inaliénabilité des terres qui caractérise celles du domaine national et du domaine public de l’État, il y a dans la réalité une aliénation souvent illégale d’une partie non négligeable du patrimoine foncier au profit d’intérêts divers, parfois extérieurs au pays au risque de priver à long terme les paysans de terres et le Sénégal, des leviers essentiels de sa liberté et de son développement. L’inaliénabilité constitue une précaution contre les dilapidations éventuelles des patrimoines publics. Le simple respect de la loi qui aménage des techniques (ECUP ou immatriculation) et des garanties (utilité publique, indemnisations ou remboursement des impenses) et soumet à autorisation législative la vente des biens du domaine privé de l’État est de nature à préserver le patrimoine foncier. Il reste évident que les citoyens et collectivités concernés doivent être informés de tout acte ou opérations juridiques envisagées sur ces terres. La CNRI déplore le retard dans l’adoption des décrets d’application de la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale en vigueur depuis 2004. Dans le même ordre d’idées la préoccupation liée à l’accès aux documents administratifs ne découle pas d’un vide juridique mais du fait que la Commission d’accès sur l’information administrative et la protection des données personnelles tarde à être fonctionnelle. En effet, aux termes de la loi n° 2006-19 du 30 juin et du décret n°2006-596 du 10 juillet 2006, les documents administratifs sont l’ensemble des documents reçus par les autorités administratives dans l’exercice de leur fonction, qu’ils soient nominatifs ou non nominatif. L’accès aux documents non nominatifs est libre et gratuit sauf quelques restrictions (sécurité de l’État, honneur des familles et des individus, etc.). L’accès aux documents nominatifs est libre et gratuit pour les ayants droits ; il est partiel pour les non ayants droits. Tout citoyen a droit d’accès aux documents nominatifs le concernant. La demande est faite auprès de l’autorité qui détient le document et qui est tenue de répondre dans les deux mois, soit par une réponse positive, soit par une réponse négative écrite et motivée. Si au bout de deux mois, aucune réponse implicite ou explicite n’est parvenue au demandeur, ou si la réponse ne lui paraît pas satisfaisante, il saisit la Commission d’accès sur l’information administrative et la protection des données personnelles tarde à être fonctionnelle.
S’agissant des atteintes à la tranquillité publique, la CNRI a noté que l’apathie des autorités étatiques n’est pas le résultat d’un défaut de base légale pour agir. Aux termes de l’article 129 du code des collectivités locales, les représentants de l'État exercent les pouvoirs de réprimer les atteintes à la tranquillité, telles que le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits et rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique.
À suivre, l'intégralité du rapport ce samedi 16 décembre 2023.
LA CNRI, SON MANDAT, SA MÉTHODOLOGIE (1/4)