DIOMAYE-BARTH, LE TEMPS DE L'OBSERVATION
Depuis 2009, Dakar échappe aux partis au pouvoir. Pionnière de la résistance municipale, la capitale s'est heurtée ou a su cohabiter avec les pouvoirs successifs. Mais où en sont aujourd'hui les relations entre l'opposant Dias et la présidence ?
La cohabitation entre la ville de Dakar, dirigée depuis 2009 par des maires issus de l’opposition, et l’État central a souvent été difficile. Si, avec Wade, Khalifa Sall avait théorisé la ‘’collaboration intelligente’’ pour dérouler ses projets en toute tranquillité, avec Macky Sall, les contentieux ont surtout débouché sur des poursuites judiciaires.
Un sujet embarrassant. Certains dans l’entourage du maire de Dakar n’ont pas du tout envie de l’aborder. Idem chez certaines voix de Pastef qui se refusent catégoriquement à tout commentaire. “Vraiment, vous les journalistes,
vous aimez les problèmes. En quoi cela vous regarde-t-il ? L’un est élu président de la République ; il déroule son programme. L’autre est maire ; il mène également ses activités. De quoi je me mêle ?”, peste cette collaboratrice du maire de Dakar. À la question de savoir où en est la demande d’audience adressée par le maire au président de la République, elle rétorque : “On y travaille. Mais pour le moment, si vous voulez écrire, dites : Alhamdoulilah ! Tout va très bien, Maacha’Allah. Vivement que la paix continue de régner au Sénégal”, commente-t-elle très taquine.
Nous avons fini par avoir le numéro du maire intérimaire qui s’est montré très disponible. À propos de l’audience qui a été introduite par l’édile de la capitale, Barthélemy Dias, le maire Pathé Ba déclare : “Pour l'instant, nous sommes toujours en attente des services du protocole de la présidence. Mais comme l'avait soulignait le maire, la ville est un déménagement de l'État. Par conséquent, nous sommes condamnés à travailler main dans la main pour la bonne marche de notre collectivité territoriale, au bénéfice exclusif de nos populations. C’est comme ça qu’il faut comprendre cette démarche.”
Contrairement aux appréhensions qui se fondent essentiellement sur le passé tumultueux entre les deux personnalités politiques, lui pense que chaque partie saura mettre en avant l’intérêt des citoyens. “Je pense que le président de la République va donner une suite favorable et que le moment venu, nous nous assiérons pour parler des problèmes de la ville de Dakar”, souligne le maire intérimaire.
Jusque-là, chacun reste dans son domaine, déroule tranquillement ses activités conformément aux principes qui régissent la décentralisation. De l’avis de ce représentant de l’État sous le couvert de l’anonymat, il n’y a pas de raison que cela aille autrement. “Le seul problème est que parfois, certains maires se comportent comme des opposants, alors qu’ils sont au pouvoir. Par exemple, pour la ville de Dakar, c’est Barth et Taxawu qui sont au pouvoir et les autres sont dans l’opposition. Quand celui qui est aux affaires veut se comporter comme s’il était dans l’opposition, ça pose problème”, met-il en garde.
À l’en croire, il est très tôt pour présager de ce qui va advenir des rapports entre la ville et l’État central. ‘Pour le moment, il n’y aucun dossier sur la table qui fait l'objet de contentieux. Là où l'État peut agir, c'est sur les finances. Si, par exemple, le maire ne respecte pas le Code des collectivités locales, l'État peut mettre son veto via le préfet”, informe la source, tout en se voulant optimiste sur la collaboration. “Nous sommes dans un État de droit. La mairie est un déménagement de l'État. Le maire est un agent de l'État. Si le maire joue le jeu, il peut ne pas avoir de problème. Maintenant, s'il va au bras de fer, cela peut être compliqué”, insiste-t-il.
Les attentes de Dakar
Au niveau de la ville de Dakar en tout cas, on reste focus sur l’essentiel. Pour le moment, on attend la suite de l’audience, mais on continue de dérouler un programme très ambitieux pour les Dakarois. Parmi les projets phares mis en oeuvre sans tambour ni trompette, il y a le Projet d’autonomisation des infrastructures et édifices publics en énergie photovoltaïque.
Selon le maire Pathé Mbengue, ce projet entre dans le cadre de la mise en oeuvre de la politique de transition écologique de la ville de Dakar. “Comme vous le savez, compte tenu de la fonction de la ville qui est une ville commerciale, une ville d'affaires, l'empreinte carbone est assez importante. Nous notons beaucoup d'émissions de gaz à effet de serre au niveau de la ville. C'est pour cela que le maire avait, avec son équipe, souhaité mettre en place une politique qui nous permettrait d'aller vers une énergie propre”, a-t-il expliqué.
Le projet vise essentiellement à équiper en énergie photovoltaïque les établissements recevant du public : lieux de culte, édifices publics de l'administration de la ville… Le projet est déjà en marche avec le démarrage des installations au niveau de la cathédrale, des grandes mosquées de Liberté 3, des Parcelles-Assainies. Prochainement, le projet va être déployé à Masalikul Jinane, puis à la mosquée de la Divinité... “Au-delà de la réduction de l'empreinte carbone, c'est aussi un moyen de contribuer à l'allègement de la facture énergétique de ces édifices”, ajoute M. Mbengue.
Parmi les autres projets phares que la mairie déroule jusque-là sans couacs, c’est le projet de voirie dans certains quartiers de la capitale : Scat Urbam, Hamo, HLM Grand- Yoff, Khar Yalla, un projet d’un montant de 15 milliards que la ville compte dérouler sur trois ans. Sans parler des Jeux olympiques de la jeunesse pour lesquels la ville joue un rôle important au niveau du comité d’organisation.
Le maire intérimaire salue “l’étroite collaboration” qui a jusque-là prévalu, tout en espérant une accélération des travaux. “Nous y travaillons, dit-il, en étroite collaboration avec l'État central à travers le comité d'organisation qui est en train de travailler. Des sites ont été identifiés devant faire l'objet soit de réhabilitation soit de reconstruction. Quoi qu'il en soit, la ville se tient prête pour jouer sa partition pour qu'au finish, on puisse offrir à la jeunesse sénégalaise et africaine de beaux jeux. Nous y sommes résolument engagés”.
Dans cette optique, il y a un besoin urgent d’accélérer la cadence, pour rattraper le temps perdu. Car, selon le constat de M. Mbengue, oui, il y a des travaux qui tardent à décoller. Il en est ainsi de la réfection du stade Iba Mar Diop, de la piscine olympique, etc. “Mais, rassure-t-il, je pense que l'État est en train de prendre toutes les dispositions pour que ces jeux n’échappent pas au Sénégal et qu'ils puissent mettre ces infrastructures à la disposition de notre pays et de toute l'Afrique”.
De l’avis du maire, il faut une franche collaboration entre la ville et l’État central pour un bon fonctionnement du service. “Ce que nous attendons, c'est une franche collaboration avec l'État central, à travers ses services déconcentrés, à travers aussi ses services techniques, pour aider la ville à assoir des projets innovants, à aller de l'avant, mais aussi à simplifier le parcours des projets de la ville de Dakar pour améliorer les conditions et le cadre de vie des Dakarois. Je pense qu’il ne devrait y avoir aucun problème à ce niveau”, indique le maire intérimaire de la ville.
C’est en 2009 que Dakar a basculé dans le giron de ce qui était à l’époque Taxawu Dakar, devenu plus tard Taxawu Sénégal et dirigé par Khalifa Ababacar Sall. Depuis lors, Dakar résiste aux pouvoirs successifs. D’abord à Abdoulaye Wade, ensuite à Macky Sall. Aujourd’hui encore, en attendant de nouvelles élections, Dakar continue d’être contrôlée par Taxawu qui est dans l’opposition.
Cohabitation heurtée avec les pouvoirs
La cohabitation avec les pouvoirs n’a pas été toujours simple. Elle a débouché par moments, sur des issues extrêmes allant jusqu’à la radiation de maires sous le régime de Macky Sall qui, au terme d’une procédure judiciaire, avait fini par déchoir Khalifa Ababacar Sall de son fauteuil. Les relations s’étaient tellement détériorées sous Macky Sall que Khalifa disait avant même son emprisonnement en 2017 que “l’objectif du régime en place est de faire croire à la population dakaroise, le moment venu, que la mairie sous Khalifa n’a rien réalisé. Dès qu’on m’a prêté des ambitions (l’ambition de briguer le suffrage des Sénégalais pour la Présidentielle de 2019, NDLR), les problèmes se sont accumulés. Je commence à regretter le président Wade. On savait à quoi s’en tenir. Si on lui donnait des arguments convaincants, il nous laissait travailler”, disait-il lors d’une émission de “Ça Me Dit Mag” avec Pape Alé Niang.
Sous Wade, malgré quelques difficultés au début de la collaboration, les deux personnalités avaient fini par arrondir les angles à telle enseigne que certains les soupçonnaient de connivence. L’ancien maire de Dakar se défendait en théorisant “la collaboration intelligente” pour l’intérêt des Dakarois. “Il n’y a rien de suspect, disait-il. Il n’y a ni deal ni entente. Il est du pouvoir et je suis de l’opposition. Nous avons juste décidé de travailler intelligemment dans l’intérêt des populations”, se défendait l’ancien maire de Dakar.
Avec l’avènement de Bassirou Diomaye Diakhar Faye, on peut valablement s’interroger sur la nature des relations entre les deux responsables politiques. Vont-ils trouver un moyen de collaborer “intelligemment” comme entre Wade et Khalifa ? Iront-ils au contraire au clash comme Macky et Khalifa ?
Pour le moment, l’heure est plus à l’observation. Déjà, prévient un représentant de l’État, Barth est un peu affaibli, coincé, parce qu’il pèse sur sa tête une condamnation. “Il est là juste parce que l’État n’a pas demandé sa radiation. Macky Sall ne l’a pas fait ; tout dépend de l'attitude du nouveau président”.
En effet, insiste-t-il, il suffirait que le ministre chargé des collectivités territoriales fasse une demande dans ce sens et que le président prenne un décret pour qu’il soit déchu de ses fonctions. Une véritable épée de Damoclès sur la tête de l’édile de Dakar.