LE CAMP ANTISYSTÈME RENFORCÉ
Libérés à quelques jours du scrutin, Sonko et Diomaye Faye sortent renforcés de leur long bras de fer avec le pouvoir selon les analystes. Portrait de deux opposants que trois ans de turbulences judiciaires ont finalement grandis
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Les opposants antisystème Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye sortent renforcés de leur bras de fer de trois ans avec le président sénégalais Macky Sall, à l'issue de leur libération dans la nuit de jeudi à vendredi, selon les analystes et observateurs politiques interrogés par TV5MONDE et l'AFP.
"On est en train de vivre un tournant décisif", estime le politologue Maurice Dione, pour qui la libération des deux opposants, à seulement 10 jours du premier tour de l'élection présidentielle, ne peut que renforcer leur image et leur camp antisystème. "Les Sénégalais ont une culture démocratique forte et les institutions ont prouvé leur résilience", ajoute-t-il, pointant "une erreur politique grave" du chef de l'État dans sa volonté de "réduire l'opposition à la plus simple expression".
Alassane Beye, enseignant-chercheur en sciences politiques à l'université de Saint-Louis, relève quant à lui "l'ingéniosité" et la "capacité de résilience politique" de la galaxie Sonko, qui a su "diversifier les options" en présentant finalement Bassirou Diomaye Faye comme candidat après le rejet de la candidature de Sonko. "Au Sénégal, les hommes politiques qui ont subi beaucoup d'injustices se trouvent plébiscités", estime Maurice Dione, évoquant le fait que Sonko et Faye pourraient bénéficier d'"une rente victimaire" capable de changer l'issue du scrutin.
Depuis 2021, Ousmane Sonko a fait l'objet de plusieurs poursuites judiciaires qu'il a toujours dénoncées comme des complots du pouvoir. Ses procès ont donné lieu à des troubles ayant fait des dizaines de morts et conduit à des arrestations massives de ses partisans. Placé en détention en juillet 2023 pour "appel à l'insurrection" alors qu'il comptait parmi les favoris de la présidentielle, son numéro deux Bassirou Diomaye Faye a été à son tour détenu depuis avril 2023 pour "outrage à magistrat".
Les deux opposants ont finalement été libérés dans la nuit de jeudi à vendredi en vertu d'une loi d'amnistie controversée adoptée par l'Assemblée nationale sur proposition de Macky Sall. Pour Gilles Yabi, fondateur du groupe de réflexion Wathi, "ils sortent au milieu de la campagne électorale et ça les renforce", d'autant que Bassirou Diomaye Faye est libéré "sans condamnation". Ousmane Sonko, dont les procès ont valu condamnation, voit quant à lui "ses affaires relever d'un acharnement politique", selon l'analyse de Gilles Yabi.
Capable de mobiliser de larges foules, en particulier parmi la jeunesse citadine, Ousmane Sonko pourra désormais "peser sur la campagne", juge Gilles Yabi. Autre atout pour le camp antisystème, la fin de l'"inégalité de traitement" dont a fait l'objet Bassirou Diomaye Faye pourra lui permettre de retrouver le temps d'antenne qui lui avait été retiré à la télévision nationale. Bénéficiant de "l'effet Sonko", le candidat Faye est même cité parmi les favoris du scrutin.
Pour Seydi Gassama, directeur d'Amnistie internationale Sénégal, "ces libérations vont permettre une campagne plus apaisée" après les tensions des derniers mois liées aux poursuites judiciaires. Elimane Kane, membre du collectif Aar Sunu Election, déplore pour sa part "un très grand gâchis" et "les traumatismes" causés par "les dizaines de morts, le développement de la haine" dans ce bras de fer avec le pouvoir.