LES BRIMADES ET LES ARRESTATIONS M’ONT CONTRAINT À M’EXILER AUX ETATS-UNIS
Bassirou Diakhaté fait partie des victimes collatérales du régime du président Macky Sall. Il a eu certes la vie sauve contrairement à près d’une soixantaine de personnes tuées mais il garde les séquelles des atrocités du défunt régime
Bassirou Diakhaté fait partie des victimes collatérales du régime du président Macky Sall. Ce natif de Touba a eu certes la vie sauve contrairement à près d’une soixantaine de personnes tuées mais il garde les séquelles des atrocités du défunt régime particulièrement de la période répressive allant de 2021 à 2023. Sympathisant de l’opposition, l’homme a été victime d’arrestations et de brimades. La seule voie de salut de ce cadre d’une société de la place au moment de la traque généralisée des militants et sympathisants de l’opposition, et plus particulièrement du parti Pastef, c’était de fuir le Sénégal pour aller se réfugier aux Etats-Unis en juillet 2023 en abandonnant et sa famille et son travail. Récit et retour sur un parcours.
Sur la longue liste des victimes du régime du président Macky Sall, le nom de Bassirou Diakhaté pourrait valablement figurer en bonne place parmi les martyrs de la liberté et de la démocratie sénégalaises. Ce titulaire d’une Licence 3 en gestion des entreprises et organisations, obtenue en 2013, puis d’un master en sciences de gestion, option finance et comptabilité décroché en 2015 à l’Université Cheikh Anta Diop déroulait une vie professionnelle tranquille dans une société civile immobilière dénommée (SCI FIRDAW’S) en tant que comptable. Il y restera jusqu’en 2020 avant d’être recruté par une société dénommée C3S SAU en tant que gestionnaire principal des stocks jusqu’en juillet 2023, date à laquelle il a fuir notre pays pour se réfugier aux USA. Bassirou Diakhaté est un homme qui hait profondément l’injustice. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il s’est engagé politiquement à partir de 2010 dans le mouvement estudiantin à l’université de Dakar. A l’époque, il ne militait dans aucun parti politique. « Je dénonçais à travers des posts sur les réseaux sociaux et dans nos réunions entre étudiants les dures conditions d’études et les problèmes sociaux que rencontraient nos camarades. Pour moi, il était clair que les problèmes rencontrés dans nos universités avaient un lien étroit avec la mal gouvernance dans laquelle notre pays était plongé depuis des décennies. C’est ainsi que je me suis dit que je devais commencer à orienter mes actions et mes dénonciations vers les véritables problèmes qui sont les causes réelles de nos difficultés à l’Université. A l’époque, le régime du président Abdoulaye Wade était au pouvoir. J’écrivais beaucoup d’articles dans les réseaux sociaux et participais à beaucoup de manifestations politiques et syndicales pour dénoncer la corruption, le népotisme, les violations de la Constitution tentées par l’ancien président de la République pour se maintenir au pouvoir contre la volonté du peuple » confie Bassirou Diakhaté.
L’enjeu de l’indépendance de la justice sénégalaise le préoccupait beaucoup. Il n’a cessé de manifester pour appeler au respect de l’indépendance des juges. Le 23 juin 2011, en compagnie de milliers d’étudiants, il a quitté le campus de l’université de Dakar pour rejoindre la place SOWETO devant l’Assemblée nationale pour demander le retrait d’un projet de loi jugé anti-démocratique qui allait modifier le mode d’élection du président de la République en un seul tour et avec seulement avec 25% des voix contrairement à la Constitution qui fixe cette élection à deux tours en l’absence de majorité absolue. « Nous avons ainsi exigé et obtenu le retrait de ce projet de loi en dépit d’une forte répression des manifestations par les forces de sécurité » ajoute notre interlocuteur. Au sortir de cette lutte, son engagement politique s’est accentué. Bassirou Diakhaté a activement participé à l’élection du président Macky Sall en 2012. Un soutien éphémère puisqu’il n’a duré que deux ans, le temps pour le futur exilé aux Etats-Unis de se rendre compte que rien n’avait changé dans la gouvernance de nos ressources. « J’ai repris mes activités de dénonciations et de critiques contre le régime du président Macky Sall qui avait reproduit le même système de prédation de nos ressources publiques du régime qui l’a précédé » se souvient-il. Il reprend sa lutte comme un militant de la liberté, de la démocratie et contre l’injustice subie par le peuple. Il préfère agir en apolitique même s’il s’est joint aux forces de l’opposition pour lutter contre les dérives du président Macky Sall.
« Bassirou Diakhaté battu et arrêté plusieurs fois par des milices pro gouvernementales ».
« Contrairement à ces jeunes assassinés et emprisonnés, je peux dire que j’ai eu de la chance pour ne pas y avoir laissé la vie. Toutefois, j’ai été arrêté à plusieurs reprises, battu et blessé par des miliciens armés progouvernementaux appelés qui sont en réalité des civils armés et financés par le pouvoir pour gonfler les effectifs des forces de sécurité et brutaliser les manifestants de l’opposition. Ils m’ont battu et blessé. J’ai reçu des coups partout sur le corps, sur les yeux de telle sorte que j’avais du mal à voir correctement pendant des heures. Ils ont commis des brutalités inimaginables sur moi. Il m’a fallu, au sortir de cette épreuve, requérir les services d’un médecin pour soigner mes blessures » témoigne Bassirou Diakhaté. Il rappelle la manifestation de grande envergure organisée le 14 mars 2023 par l’opposition pour demander au président de la République de respecter la Constitution en renonçant à faire un troisième mandat interdit par l’article 27 de cette même Constitution qui limite les mandats présidentiels à deux mais aussi pour dénoncer la corruption, les détournements de deniers publics, l’instrumentalisation de la justice pour empêcher aux potentiels candidats de concourir pour la présidentielle de 2024. La manif avait aussi pour but de dénoncer la mauvaise gestion de nos ressources minérales et naturelles et pour demander la libération des détenus politiques. « Ayant pris part à cette manifestation, j’ai été également arrêté et détenu par des nervis. J’ai reçu des coups de pieds au niveau du bas-ventre, ai été frappé avec des bâtons au niveau des épaules et des coudes pour me faire aussi mal que possible. J’ai souffert le martyre. Ils ont fini par menacer de me tuer et ils m’ont dit que s’ils me tuaient, personne ne les arrêterait parce qu’ils agissaient pour le compte du régime et en toute complicité avec les forces de sécurité. J’ai pris peur que je n’allais pas m’en sortir cette fois-ci. Ils m’ont ensuite mis dans un véhicule et livré à la police qui m’a libéré dans la soirée » relate notre interlocuteur. Cependant, malgré les énormes risques encourus, les convictions politiques et citoyennes de Bassirou Diakhaté étaient plus fortes que son intégrité physique. « C’est ainsi que le 1er juin 2023, j’ai pris part à un rassemblement politique pour dénoncer, au-delà des problèmes de gouvernance, l’utilisation de la justice pour écarter de l’élection présidentielle à venir en 2024, Ousmane Sonko qu’un tribunal venait de condamner à deux ans de prison ferme pour . Du 01 au 04 juin 2023, plus de 23 personnes sont mortes assassinées par les forces de sécurité dans des manifestations partout à travers le pays. Ce jour-là, j’ai également fait l’objet de maltraitance de la part des forces de sécurité et des milices travaillant côte à côte. J’ai été complètement déshabillé et jeté dans un endroit sombre et très insalubre, obligé de m’agenouiller pendant longtemps, les poignées menottées au dos. J’ai reçu des coups de matraques sur la poitrine, le ventre et frappé à coups de gifles et de poings sur la bouche. Ces brutalités subies m’ont rendu malade durant deux semaines pendant lesquelles je n’ai pas pu travailler ». Des amis de lutte politique comme Mouhamadou Fadal Guèye, Serigne Modou Sow et Serigne Mbaye Lô témoignent des diverses arrestations et atrocités subies par Bassirou Diakhaté.
Exil risqué vers les Etats-Unis via le Nicaragua
« Ne pouvant plus supporter ces actes de maltraitance commis sur ma personne par des hommes, soit, sous couverts de leur fonction, soit du fait de leur proximité avec le régime politique au pouvoir, j’ai fini par choisir de vivre libre et en sécurité dans un pays garantissant à tous et à toutes les droits de l’homme que d’être tué dans mon propre pays pour avoir exercé mes droits pourtant reconnus par la constitution de mon pays. Ainsi, le 26 juillet 2023, j’ai pris un vol de la Royal Air-Maroc pour Casablanca, puis transité par Madrid, Bogota, El Salvador et enfin atterri au Nicaragua. De là-bas, j’ai pris des bus et différents moyens de transport pour traverser le Honduras, le Guatemala et le Mexique dans des conditions d’insécurité indescriptibles où certaines forces armées campant sur les routes m’ont fouillé et exigé sous la menace de couteaux que je leur remette mon argent » déroule Bassirou Diakhaté. Au bout de ce long et périlleux périple, enfin, le bout du tunnel. « Le 07 Août 2023, je suis arrivé à la frontière des USA et des agents américains m’ont mis dans un véhicule et emmené dans un endroit où j’ai été fouillé et débarrassé de tout objet. J’ai ensuite été, dans la journée, conduit dans un autre endroit où, après quelques heures, j’ai été transféré dans un autre où j’ai passé 5 ou 6 jours avant d’être transféré au centre correctionnel Win de Winfield, Louisiana où je suis resté en détention du 12 Août 2023 au 21 Septembre 2023. J’ai ensuite été transféré au centre de détention à Denver d’où je suis sorti libre le 17 octobre 2023 » conclut-il.