L'OPACITÉ AU SOMMET DE L'ÉTAT
En s’abstenant de mettre à la disposition des Sénégalais la décision du Conseil constitutionnel sur la possible dissolution de l'Assemblée, Diomaye s’inscrit dans une posture partisane. Cela rappelle les sombres calculs politiques d'un temps récent
La République des Valeurs/Réewum Ngor s'insurge contre la non-publication d'une décision clé du Conseil constitutionnel. La note du parti analyse ci-dessous, les implications juridiques et politiques de ce silence, soulevant des questions sur la dissolution de l'Assemblée et le calendrier électoral.
"Dans le Journal de 20 heures de la RTS 1 en date du 29 août dernier, Monsieur Ousseynou Ly, porte-parole et chef de la cellule digitale de la présidence de la République a déclaré que le président de la République a saisi le Conseil constitutionnel pour avis et a obtenu une réponse notamment sur la date à compter de laquelle l’Assemblée nationale pourra être dissoute. Cette déclaration officielle n’a pas laissé indifférente notre parti politique, République des Valeurs « Réewum Ngor », pour deux raisons au moins.
D’une part, nous avons été surpris que le Conseil constitutionnel ait rendu une décision sans que celle-ci soit accessible au public. Certains commentateurs ont laissé entendre qu’il s’agit d’un avis adressé au président de la République à la suite de sa demande. Le chef de l’État serait alors le seul destinataire de l’avis donné par le Conseil constitutionnel. Il est vrai que la saisine du président de la République s’inscrit dans le cadre de l’article 92, alinéa 2 de la Constitution qui dispose que « le Conseil constitutionnel peut être saisi par le président de la République pour avis ». À la lecture de cette disposition, on peut comprendre que les Sages ont rendu un avis qui doit être adressé à celui qui l’a sollicité, le chef de l’État. Par conséquent, il ne serait pas choquant que l’avis rendu par le Conseil constitutionnel ne soit pas accessible au public. Cette interprétation relève d’un bon sens qui ne prend pas en compte l’évolution du droit.
À la suite de la polémique de 2016 sur la question de savoir si l’acte qui fut livré à Macky Sall par le Conseil constitutionnel était un avis ou une décision, la Haute juridiction a donné une réponse définitive dans sa décision n° 60/E/2024 du 5 mars 2024. En l’espèce, le président Macky Sall avait sollicité l’avis du Conseil constitutionnel sur les modalités d’organisation de la dernière élection présidentielle. Après avoir répondu dans le fond aux questions relatives à la demande d’avis, les Sages ont précisé dans le dernier considérant (considérant 19) de leur décision que « le Conseil constitutionnel rend, en toutes matières, des décisions motivées ». En d’autres termes, même lorsqu’il est saisi pour avis par le chef de l’État, l’acte rendu par le Conseil n’est pas juridiquement un avis, mais une décision. Or, les décisions du Conseil s’imposent erga omnes (à l’égard de tous), comme le prescrit l’article 92, alinéa 4 de la Constitution. Les exigences de l’État de droit, notamment celle de la prévisibilité de la règle de droit et le principe de la sécurité juridique ne peuvent pas tolérer qu’un acte juridique qui s’impose aux citoyens ne puisse pas être accessible à ces derniers. Il s’agit d’une règle élémentaire en droit.
D’autre part, M. Ousseynou Ly, porte-parole et chef de la cellule digitale de la présidence de la République a laissé entendre que la saisine portait au moins sur la dissolution. Il n’est pas exclu que d’autres points aussi importants aient été évoqués. On pense, par exemple, au délai constitutionnel pour la tenue des élections législatives à la suite d’une dissolution. Selon l’article 87, alinéa 3, après la dissolution de l’Assemblée nationale, « le scrutin a lieu soixante (60) jours au moins et quatre-vingt-dix (90) jours au plus après la publication du décret ». Les élections législatives devront donc être organisées au plus tard dans les trois mois après la dissolution. Ce délai semble très court pour tenir le scrutin étant donné qu’il faut dérouler le lourd dispositif du parrainage. On pense aussi au fait que le projet de la loi de Finances ne serait pas déposé et examiné à temps par la nouvelle Assemblée nationale. Aux termes de l’article 68 de la Constitution, le projet de loi de Finances doit être déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale au plus le jour de l’ouverture de la session ordinaire unique, c’est-à-dire dans la première quinzaine du mois d’octobre. La dissolution ne pouvant intervenir qu’à partir du 12 septembre, il serait impossible de respecter ce délai si le décret de dissolution est pris en septembre. Le risque de ne pas pouvoir faire adopter définitivement la loi de Finances (le budget) avant la fin de l’année est alors réel. Dans ce cas de figure, la Constitution permet au président de la République deux choses : la mise en œuvre du projet de loi de finances par décret ou la reconduction des services votés, selon la situation.
En revanche, il convient de préciser que ces deux voies ne sont utilisables que lorsque le retard n’est pas le fait du président de la République. Ce dernier a le droit de prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale ; cependant, il sera le seul responsable des conséquences qui en découleraient : le retard du vote du budget, par exemple. Toutes questions qui laissent penser que la demande d’avis du président de la République concernerait plusieurs questions. Or, puisque cela concerne entre autres les élections, le vote à venir du budget et surtout l’interprétation des dispositions de la Constitution, la décision rendue par le Conseil constitutionnel intéresse non seulement tout citoyen, mais aussi les partis et mouvements politiques.
En s’abstenant de mettre à la disposition des Sénégalais la décision à lui notifiée par le Conseil constitutionnel, le chef de l’État s’inscrit dans une posture partisane. L’objectif mal dissimulé est de retenir la décision et de l’exploiter au profit d’un parti politique, le Pastef dont il dit avoir démissionné pour être au-dessus de la mêlée en tant que chef de l’État. Il s’agit d’une attitude qui rappelle les petites stratégies et les sombres calculs politiques dans un temps récent qui a favorisé la victoire des nouvelles autorités lors de l’élection présidentielle. La rupture annoncée ne se manifeste finalement nulle part ; les gestes démocratiques ordinaires sont mêmes absents.
Afin de lutter contre ce comportement, et fidèle à notre ligne politique de défense de la République et de l’État de droit, notre parti politique République des Valeurs « Réewum Ngor » a pris l’initiative d’écrire au Conseil constitutionnel afin qu’il mette sa décision à la disposition des Sénégalais. Puisque le Conseil ne s’attendait sûrement pas à une telle démarche, on nous a indiqué dans un premier temps qu’il s’agissait d’une saisine confidentielle et que la réponse est destinée au seul président de la République. Nous n’étions pas convenus par cette réponse au regard des arguments présentés plus haut. Après un moment d’attente, notre demande a été réceptionnée et une décharge nous a été remise. Nous avons compris au sortir du Conseil constitutionnel que le processus sera imminemment enclenché pour rendre public la décision.
Nous considérons que le Conseil constitutionnel est l’autorité habilitée pour interpréter en dernier ressort la Constitution. Il devrait alors systématiquement rendre accessible ses décisions, le cas échéant après notification au président de la République. Il l’a fait récemment dans sa décision n°60/E/2024 précitée. Nous espérons qu’il ne se fera pas prier cette fois."