MACKY SALL JUSTIFIE LE REPORT DE LA PRÉSIDENTIELLE
Alors que la rue gronde, le président campe sur ses positions, invitant à un dialogue inclusif avant le scrutin : "Je ne cherche rien d'autre qu'à laisser le pays en paix. Je suis prêt à passer le relais"
Alors que des manifestations violentes ont éclaté dans tout le pays vendredi, le président sénégalais Macky Sall s'est défendu, dans une interview exclusive accordée à l'Associated Press, d'avoir reporté les élections présidentielles prévues initialement le 25 février.
Depuis l'annonce de ce report par décret, de vives critiques accusent le chef de l'État de créer une crise constitutionnelle et de vouloir se maintenir au pouvoir au-delà des deux mandats autorisés qui s'achèvent le 2 avril prochain. Interrogé dans le palais présidentiel de Dakar, Macky Sall a balayé ces allégations. "Je ne cherche absolument rien d'autre qu'à laisser un pays en paix et en stabilité. Je suis totalement prêt à passer le relais", a-t-il déclaré.
À l'extérieur, la tension était montée d'un cran alors que des centaines de manifestants sillonnaient les rues de la capitale, brûlant des pneus et affrontant les forces de l'ordre qui faisaient usage de gaz lacrymogène. Au moins un étudiant a perdu la vie à Saint-Louis, dans le nord du pays, selon le procureur de la République. "Notre avenir est en jeu, il faut se battre", a lancé Mohamed Sène, un protestataire rencontré par l'Associated Press.
Selon le président, le report du scrutin jusqu'au 15 décembre est nécessaire pour apaiser les tensions nées de la disqualification de candidats par le Conseil constitutionnel et du conflit entre l'exécutif et le judiciaire au sujet des listes électorales. "Je ne veux pas laisser un pays qui va immédiatement sombrer dans de grandes difficultés", a-t-il martelé, appelant à un "dialogue inclusif" avant toute élection.
Cependant, cette décision viole certains articles de la Constitution, d'après le Centre africain pour les études stratégiques. Plus d'une douzaine de candidats ont d'ailleurs saisi la Cour suprême pour contester le décret. Le Conseil constitutionnel devrait se prononcer dans la semaine, mais Macky Sall est resté évasif sur la conduite à tenir en cas de rejet. "C'est trop tôt pour envisager cette éventualité... Lorsque la décision sera prise, je pourrai dire ce que je ferai", a-t-il esquivé.
Ce report fait planer un risque de "déclin démocratique" en Afrique de l'Ouest, préviennent des experts, alors que les libertés se sont réduites au Sénégal ces dernières années, avec plus de 1 000 arrestations d'opposants. La principale figure d'opposition, Ousmane Sonko, se trouve même derrière les barreaux.
Interrogé sur ce point, Macky Sall a appelé la communauté internationale à faire preuve de "retenue et de compréhension" pendant cette période difficile. Il mise à présent sur le lancement d'un "dialogue national" pour apaiser les tensions et rétablir un climat propice aux élections. Mais pour Alioune Tine, fondateur du think tank Afrikajom Center, "le Sénégal risque de sombrer dans la violence si le gouvernement ne libère pas les opposants immédiatement et ne respecte pas le calendrier électoral".