MAJORITÉ ET OPPOSITION À COUTEAUX TIRÉS
La proposition de loi interprétative de l'amnistie, introduite par le député Pastef Amadou Ba, a finalement été adoptée par l'Assemblée nationale après des débats particulièrement tendus

La proposition de loi interprétant la loi N°2024 du 13 mars 2024 portant amnistie des faits susceptibles de qualification criminelle ou correctionnelle commis en rapport avec les événements politiques qui ont traversé le Sénégal de mars 2021 à mars 2024 est adoptée hier, mercredi 2 avril par l’Assemblée nationale. Réunis en séance plénière, les députés ont voté ce texte introduit par le député de la majorité parlementaire Pastef, Amadou Ba et qui a cristallisé les débats ces derniers jours, par 126 députés ayant voté pour et 20 contre au terme d’une plénière qui a duré plus de dix heures.
L’Assemblée nationale tourne la page du débat sur l’interprétation ou non de la loi N°2024 du13 mars 2024 portant amnistie des faits susceptibles de qualification criminelle ou correctionnelle commis en rapport avec les événements politiques qui ont traversé le Sénégal de mars 2021 à mars 2024. Réunis en session plénière hier, mercredi 2 avril, les députés ont voté massivement la proposition de loi N°5-2025 portant interprétation de cette loi N°2024 du 13 mars 2024 introduit par le député de la majorité parlementaire Pastef, Amadou Ba. Sur 145 votants, l’article premier a recueilli 126 voix pour et 19 contre. Pour l’article 2, sur 143 participants, 125 ont voté pour et 17 contre. Enfin, sur l’ensemble de ce texte qui vise à « préciser le champ d’application de la loi d’amnistie afin d’en exclure certaines infractions criminelles ou correctionnelles, notamment celles qualifiées de tortures, d’actes de barbarie, de meurtre, d’assassinat, de disparition forcée et d’utilisation de nervis armés », 126 ont voté pour et 20 contre sur les 146 députés votant.
L’adoption de cette proposition de loi portant interprétation de la loi d'amnistie hier, mercredi 2 avril par l’Assemblée nationale a été précédée par un vif débat entre les 90 orateurs inscrits sur la liste de la discussion générale.
Opposés à l’adoption de cette proposition de la loi, les députés de l’opposition parlementaire et certains de leurs collègues du groupe des non-inscrits ont dénoncé vigoureusement le caractère « dangereux » de ce texte introduit par leur collègue de la majorité, Amadou Ba n°2. Premier à prendre la parole parmi les opposants de cette loi, la députée de la coalition Takku Wallu Sénégal, Fabinta Ndiaye a sévèrement mis en garde ses collègues de la majorité en affirmant que la loi d’amnistie visait la réconciliation nationale. « C’est cette loi qui a permis l’alternance, faisant de Bassirou Diomaye Faye le président actuel et d’Ousmane Sonko le Premier ministre », a-t-elle souligné.
Poursuivant son intervention, elle a provoqué la colère de ses collègues de la majorité en martelant que « ce n’est pas Macky Sall qui avait appelé à un « mortal kombat » ou encore dit aux jeunes « Kou dé sa yaye diourate » (celui qui meurt, sa mère donnera naissance à un autre enfant) mais aussi « qu’aucun nervi n’a tiré sur un jeune, vous vous entretuez vous-mêmes. »
Abondant dans ce même sens Maguette Sène déclare qu’avec cette proposition de loi, la 15e législature est tout simplement en train de rater le train de l’histoire. En effet, selon lui, l’Assemblée nationale devrait écouter la proposition de la société civile consistant à organiser des concertations pour connaitre les causes véritables des violences dans la scène politique sénégalaise et adoptées des solutions avant de se prononcer sur cette loi d’amnistie. « Cette loi devait être inclusive, issue de larges concertations de toutes les couches de la nation sénégalaise ».
Prenant la parole à son tour, Abdou Mbow souligne que cette proposition n’est pas une loi interprétative mais plutôt une loi qui modifie la loi portant amnistie. « Une loi interprétative a pour objet de reconnaitre, sans rien innover, un droit existant, qu’une définition imprécise a rendu complexe. Autrement dit, la loi interprétative précise juste l’intention du législateur sans remettre en cause les dispositions de la loi initiale ce qui n’est pas le cas avec cette proposition de loi qui change fondamentalement la loi portant amnistie » a-t-il fait remarquer.
Abondant dans le même sens, Thierno Alassane Sall, auteur de la première proposition de loi visant à abroger cette loi d’amnistie mais finalement rejeter par le bureau de l’Assemblée nationale pour non-respect estimant que ce texte est « unique et inacceptable » a indiqué que c’est la « première qu’une proposition de loi protège les auteurs de crimes au détriment des victimes ».
S’adressant à ses collègues de la majorité Thérèse Faye Diouf dira que cette loi va vous rendre déshonorables » en ajoutant que « tout le monde sait que votre cible ce sont les forces de défenses et de sécurité ».
Dernier orateur à prendre la parole parmi les députés de la majorité, le président du groupe parlementaire de la majorité a indiqué que « les opposants de cette loi n’ont posé aucun argument pour étayer leur position ».
Abondant dans le même sens, l’ancien procureur spécial prés la défunte Cour répression de l’enrichissement illicite (Crei), Alioune Ndao qui était l’un des premiers à prendre la parole lors de cette plénière a accusé l’ancien régime d’avoir imposé cette loi d’amnistie pour se protéger des crimes commis. Poursuivant son propos, il a précisé que la loi interprétative ne vise pas les Forces de défenses et de sécurité mais plutôt les commanditaires des crimes dont l’ancien président Macky Sall luimême et son entourage.
Pour sa part, Dr Ismaila Diallo, 1er vice-président de l’Assemblée nationale dans cette même veine, rappelle que lors des manifestations, les autorités policières affirmaient que les hommes armés qui tiraient sur les manifestants n’étaient pas des policiers.
Poursuivant son intervention, le député de la majorité se demandant qui étaient ces hommes armés de fusils de guerre qui ne devaient pas être la possession de civils, a indiqué que la loi interprétative permettra à la justice de mener les enquêtes impartiales pour identifier ces personnes. « Les martyres du fond de leur tombe nous regardent. Le monde entier nous regarde aussi. La meilleure façon de rendre hommage aux Forces de défenses et de sécurité, c’est d’apporter toute la lumière sur l’assassinat de deux vaillants soldats qui ont eu à rendre de bons et loyaux services à la nation » appuie Abdoulaye Tall, président de la commission des Lois avant de préciser dans la foulée. « L’amnistie, c’est le pardon mais ce pardon doit intervenir en dernier lieu. Avant de pardonner, il faut qu’on se livre à cet exercice de vérité. Qui a fait quoi ? Qui a demandé à faire quoi ? Et à cet exercice de justice qu’on appelle. Autrement dit, prononcé cette sanction idoine, appropriée aux auteurs de ces assassinats, de ces enlèvements et de ces tortures et peut être à l’occasion de cette œuvre judiciaire, si les Sénégalais ne se comprennent pas peut-être, c’est l’étape de la réconciliation avant de parler de pardon. Il n’est pas question de pardonner des faits qui ne sont pas amnistiables ».