SENGHOR, CHRONIQUE D’UNE GOUVERNANCE FORCÉE
Retour sur certains événements politiques ayant marqué le parcours de cet homme multidimensionnel dont la carrière politique a débuté en 1945 pour prendre fin en 1981
En prélude à la commémoration des vingt ans après la disparition du poète président Léopold Sédar Senghor, Sud quotidien revient sur certains événements sur le plan politique qui ont marqué le parcours de cet homme multidimensionnel dont la carrière politique a débuté en 1945 pour prendre fin en 1981.
L’entrée de Léopold Sédar Senghor dans l’arène politique s’est fait progressivement entre les années 1930 et 1940. Brillant intellectuel noir très influent dans le milieu universitaire Parisien, ce professeur de lettres classiques semblait au départ destiner à une carrière exclusivement universitaire. Mais, l’avènement des deux guerres mondiales (1914-1918 et 1939- 1945) est venu basculer cette trajectoire du fils de Basile Diogoye Senghor et de Gnilane Ndiémé Bakhoum.
Coopté au sein de la Commission Monnerville, mise sur pied en 1945 par le ministère des Colonies pour réfléchir sur les modalités de représentation des colonies dans les futures Assemblées de la France d’après seconde guerre mondiale, Léopold Sédar Senghor qui n’était pas auparavant connu des milieux politiques et administratifs, entama le début d’un long et riche parcours politique qui s’est terminé par sa démission en décembre 1980 de la présidence de la République du Sénégal au profit de son Premier ministre d’alors, Abdou Diouf en vertu de l’article 35 de la Constitution du Sénégal. En effet, de député à l’Assemblée nationale constituante en 1945, Senghor va par la suite être élu à l’Assemblée Nationale et conserver son siège jusqu’a la fin de la quatrième République (4 octobre 1958). Parallèlement à cette présence à l’Assemblée nationale française, l’ancien professeur de lettres classiques au Lycée Descartes à Tours, en fin stratège, va également se construire une forte image et une grande personnalité politique au plan local grâce à une stratégie politique orientée non seulement vers l’électorat rural avec comme partenaire les autorités religieuses et coutumières. Mais aussi en s’appuyant sur son propre appareil politique, le Bloc démocratique sénégalais (Bds) fondé en 1948 avec Mamadou Dia et Ibrahima Seydou Ndao. C’est cette formation politique devenue par la suite au gré des jeux d’alliances et autres fusions, l’Union progressiste sénégalais (Ups) puis le Parti socialiste (Ps) en décembre 1976 qui va d’ailleurs propulser le couple Senghor et Dia au sommet du nouvel Etat du Sénégal indépendant après l’éclatement de la fédération du Mali.
SENGHOR ET DIA, DE LA COLLABORATION À L’ANTAGONISTE DE 1962
Propulsés au sommet du jeune Etat du Sénégal à la suite de la crise du 18 août 1960 qui a scellé définitivement le sort de la fédération du Mali, Léopold Sédar Senghor qui occupait jusqu’ici le poste de Président de cette fédération et Mamadou Dia, celui de vice-président du gouvernement fédéral opte pour un régime parlementaire bicéphale de type quatrième République française. En sa qualité de nouveau président de la République du Sénégal, Senghor avait pour mission de représenter la République et d’incarner l’unité nationale et garantir la continuité de l’Etat mais aussi jouer à l’arbitre en cas de crise. Pour sa part, Mamadou Dia en tant que nouveau président du Conseil des ministres et Secrétaire général du parti au pouvoir avait la charge de définir la politique de la Nation, rendre compte a l’Assemblée nationale, dont il tenait son investiture. Seulement, après deux ans de mise en œuvre, ce système politique va à son tour connaitre une grave crise institutionnelle le 14 décembre 1962 suite à une motion de censure contre le gouvernement dirige par Mamadou Dia introduite par le députe Théophile James au nom de ses 41 collègues. La suite des événements sera marquée par la dissolution du gouvernement et l’arrestation de Mamadou Dia accusé par Senghor de tentative de « coup d’Etat ». Au centre de ce divorce entre les deux hommes dont la collaboration a commencé avec la création du Bloc démocratique sénégalais, se trouvait une profonde divergence au sujet de la place de la France dans la nouvelle politique de développement du Sénégal. En effet, spécialiste des questions économiques, Mamadou Dia militait pour une rupture plus nette avec la France et une sortie progressive planifiée de l’économie arachidière. Position que ne partageait par le président Senghor. La conséquence directe de cette crise est l’adoption d’une Constitution qui prône un régime politique hyper présidentialiste avec la concentration de tous les pouvoirs entre les mains du président de la République que nous connaissons aujourd’hui. Prévu dans le nouveau texte fondamental, les fonctions de Premier ministre ont été cependant drastiquement encadrées. En effet, désormais le Premier ministre ne tient plus son investiture de l’Assemblée nationale mais plutôt du décret de nomination du président de la République qui peut à tout moment mettre fin à ses fonctions.
SENGHOR OÙ UNE VISION SINGULIÈRE DE LA DÉMOCRATIE AVEC LE RÈGNE DU PARTI UNIQUE
S’il avait farouchement dénoncé la centralisation de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) au point de quitter cette formation pour fonder le Bloc démocratique sénégalais, l’ancien député à l’Assemblée nationale française, Léopold Sédar Senghor, optera tout de même pour une démarche similaire après son élection à la présidence de la République du Sénégal. En effet, après la crise de 1962, le nouveau président va instaurer un système de règne sans partage du pouvoir et de l’espace politique Sénégalais. Toutes les formations politiques d’opposition créées par ses anciens camarades avec qui il était en désaccord idéologique sont interdites obligeant ainsi leurs leaders à prendre le chemin de la clandestinité au nom de l’unité nationale. De 1966 jusqu’en 1974, cette gestion autocratique du pouvoir et de l’espace politique sénégalais sera ainsi érigée en règle de gouvernance au Sénégal. Mais à partir de 1974, l’adoption de la Loi n° 76-01 du 19 mars 1976 portant révision de la Constitution instaurant un pluralisme politique limité à trois courants politiques va progressivement évoluer d’abord en 1978 vers la création d’un quatrième parti politique (la loi n° 78-60 du 28 décembre 1978) puis vers un multipartisme intégral avec la loi 81-17 du 6 mai 1981 après son départ et l’arrivée au pouvoir du président Abdou Diouf.
SENGHOR OU L’ART DELA CONSTRUCTION D’UN ETAT NATION
Père de l’indépendance du Sénégal, le président Léopold Sédar Senghor a grandement contribué à la construction et la consolidation de l’Etat nation du Sénégal. Si le Sénégal a pu traverser les graves crises de 1962 et de 1968, c’est grâce à son esprit d’ingéniosité. D’ailleurs, parlant de la capacité managériale de l’homme, feu Assane Seck, son ancien ministre d’Etat témoignera à ces termes. « Il savait, en expert, tout en déjouant les pièges têtus des intérêts personnels ou de groupes, distinguer dans l’écheveau emmêle des faits quotidiens d’importance nationale ou internationale, l’essentiel a réaliser coûte que coûte » . Sur le plan de la rigueur dans le travail administratif, le président Senghor a également beaucoup fait avec son ancien dauphin, Mamadou Dia, père de l’administration sénégalaise. Adepte d’un travail raffiné et bien fait, l’ancien chef de l’Etat ne laissait rien passer. « Mes fonctions de secrétaire général nous mettaient, plusieurs fois par semaine, en présence des représentants de l’industrie et du commerce, des syndicats et des milieux professionnels. Nous entrions en mouvement pour changer l’Etat de choses dont nous héritions de la colonisation. « Le mouvement réel qui doit supprimer l’Etat de choses actuel» disait Senghor, reprenant Marx », ajoutait encore feu Assane Seck. Il faut souligner également que le président Senghor ne s’est pas seulement contenté à veiller personnellement à la construction et à la consolidation de notre appareil administratif. En effet, prenant très au sérieux les crises identitaires que les indépendances ont réveillé dans certains pays africains, le président Senghor s’est fortement impliqué à la consolidation de la cohésion nationale. Et ce, allant même jusqu’à instituer le cousinage à plaisanterie entre certains groupes ethniques au Sénégal. Il s’agit entre autres, des Sérères, des Diolas et des Al Pulaar pour raffermir les liens entre les membres de ces différentes communautés
LE RETRAIT DELA SCÈNE POLITIQUE PAR LA GRANDE PORTE EN 1981.
Le retrait de Léopold Sédar Senghor de ses fonctions de président de la République du Sénégal est sans doute l’un des évènements politiques phares de l’actualité politique africaine des années 1980. En effet, après avoir réussi, contre tout attente à se maintenir au pouvoir dans un environnement politique africain marqué par un vent de coups d’état militaire qui a balayé plusieurs chefs d’Etat, le président Senghor dont le règne n’avait pourtant rien d’un long fleuve tranquille a réussi tout de même à quitter le pouvoir par la grande porte après vingt ans de règne. Mieux, le poète président a même eu le temps de choisir et préparer son successeur en la personne du président Abdou Diouf pendant environ dix ans avant de lui transmettre pacifiquement le pouvoir. Ce retrait volontaire du pouvoir à l’âge de 74 ans, intervenant à un moment où sa cote de popularité est à un niveau pourtant très élevé puisqu’il venait d’être réélu avec 82 % des suffrages, lors de la présidentielle du 26 février 1978, marquée pour la première fois dans l’histoire du pays, par une participation de plusieurs candidats, a surpris plus d’un.