«SI MACKY SE PRESENTE POUR UN 3E MANDAT, RIEN NE PEUT L’EMPECHER DE L’AVOIR»
Dans cet entretien accordé à «L’As», Pape Samba Mboup, s’est exprimé sans langue de bois sur différentes questions liées à la gestion du pays, la pandémie de Covid-19, ses relations avec Karim Wade, entre autres

Dans cet entretien téléphonique accordé à «L’As», l’ex-chef de cabinet du Président Abdoulaye Wade, Pape Samba Mboup, s’est exprimé sans langue de bois sur différentes questions liées à la gestion du pays, la pandémie de Covid-19, ses relations avec Karim Wade, entre autres. Le membre fondateur de «Mbolom Askanwi» estime que si le Président Macky Sall se présente pour un troisième mandat, rien ne peut l’empêcher de l’avoir. Par ailleurs, il révèle que pour se protéger de la maladie du coronavirus, Me Abdoulaye Wade ne reçoit plus personne et s’est enfermé.
«L’AS» : Vous vous faites rares sur la scène politique. Qu’est-ce qui explique ce long silence ?
Pape Samba MBOUP : Je parle seulement, quand il y a quelque chose à dire. Quand il n’y a rien à dire, on n’a pas besoin de s’épancher dans la presse surtout que depuis le début de l’année, nous avons presque tous rangé la politique pour nous occuper de la pandémie de Covid-19. Actuellement, nous sommes tous préoccupés par le combat pour l’éradication de la Covid-19. C’est pourquoi, je ne parle pas de politique.
En tant qu’acteur politique, quelle est votre participation dans ce combat ?
J’ai acheté des masques que j’ai distribués. Je ne fais pas de bruit, parce que la quantité n’est pas énorme, faute de moyens. Mais avec le peu que j’ai, j’aide les gens qui sont autour de moi à avoir des masques, à avoir aussi de l’eau savonneuse pour se laver les mains et je donne des conseils aux gens que je rencontre. Je trouve d’ailleurs que l’utilisation des masques constitue un problème au Sénégal. Vous voyez quelqu’un qui porte un masque depuis un mois voire deux. Parfois dans la rue, je vois des gens porter des masques très sales. Ce qui veut dire qu’ils le portent depuis plusieurs jours. Je crois que ces masques contribuent un peu à la propagation de la pandémie. On doit les changer d’autant plus que les masques sont les dépotoirs du virus. Au Sénégal, les gens ne peuvent pas chaque jour acheter un masque. Alors, le gars qui fait le tour de la ville et revient avec son masque à la maison peut faire entrer le virus chez lui. Ce qui est grave. Même les habits que l’on porte normalement, quand on rentre à la maison, on doit les enlever. Mais nous sommes un pays sous développé et nous n’avons pas les moyens de nous payer chaque jour un masque. Il faut qu’on trouve une solution. C’est bon de donner des masques, mais je les crains un peu. Les gens les portent pendant des jours ; ils rentrent chez eux avec ces masques, alors qu’on doit les enlever avant d’entrer dans la maison.
Globalement, comment appréciez-vous la manière dont Macky Sall et son régime gèrent cette pandémie sur le plan sanitaire et ses effets socioéconomiques ?
Le Président Macky Sall a fait ce qu’il devait faire. J’ai remarqué que, depuis l’assouplissement des mesures, la maladie se propage davantage. Les morts augmentent, les contaminations aussi. C’est la faute à qui ? Le Président avait pris des mesures drastiques, mais les Sénégalais se sont mis à manifester. S’il était resté sourd, le pays allait être ingouvernable. Alors, puisqu’il est à l’écoute de la population, le Président a allégé en disant aux Sénégalais de respecter les mesures barrières. Que chacun prenne ses responsabilités ! Il leur a dit d’apprendre à vivre avec le virus. Nous vivons avec les moustiques, mais nous mettons des moustiquaires et désinfectons nos chambres ; ce qui a fait reculer paludisme. C’est la même chose avec le coronavirus.
Cette démarche ne s’apparente-t-elle pas à une fuite en avant de la part du président de la République?
Ce n’est pas une fuite en avant. Un chef d’Etat doit être à l’écoute de son peuple parce que c’est le peuple qui l’a mis là où il est. Il a fait cette concession à condition que nous soyons disciplinés, que nous respections les mesures barrières. Mais malgré cet assouplissement, nous sommes indisciplinés. Maintenant, le chef de l’Etat n’a qu’à prendre ses responsabilités. Il a essayé, les gens ne veulent pas. La preuve en est que j’ai été dans un quartier populeux, mais tout le monde était dans la rue avec cette canicule. Les gens ne portent pas de masques, les enfants jouent au football. Les mères et pères de familles sont assis devant leurs maisons en train de regarder les enfants. Nous Sénégalais, nous ne sommes pas disciplinés. Le Président a procédé à l’assouplissement de l’état d’urgence parce qu’il ne voulait pas de l’anarchie dans ce pays. Partout on brûlait des pneus. Il est obligé d’écouter le peuple et d’aller dans le sens de ses désirs. Maintenant à sa place, je prendrais mes responsabilités.
Et vous préconisez quoi ?
Qu’il durcisse l’état d’urgence parce qu’en allégeant, les gens font ce qu’ils veulent. Il n’a qu’à prendre ses responsabilités. Durant la gestion de la crise, a assisté à une polémique autour des marchés d’attribution des denrées et leur transport.
Comment avez-vous vécu cela ?
Il n’y a rien, parce que je ne suis pas là où on donne les marchés. Je ne sais pas à qui on a donné les marchés. J’ai vu des gens se plaindre, mais je n’en sais rien. N’a-t-il pas choisi le chemin compliqué. D’aucuns pensent qu’il aurait dû envoyer l’argent ou des bons aux familles Il aurait pu faire comme les bourses familiales mais n’empêche, il y aurait des queues. Et puis, c’est un travail colossal. Je crois que la méthode employée est bonne.
Vous êtes enseignant, la reprise des cours a été programmée, puis cela échoué. Aujourd’hui, on a encore annoncé une nouvelle date, le 25 juin 2020.Qu’enpensez-vous ?
Je suis un enseignant et tout ce qui touche les enseignants me touche. Si les conditions sont réunies, je ne vois pas pourquoi les élèves ne retourneraient pas en classe. Parce qu’une année blanche est très coûteuse. Maintenant, sur le plan pédagogique, on dit que les classesdeCM2vont être scindées en plusieurs classes, et dans le public, ces classes font jusqu’à 100 élèves. Je prends la moyenne de 60 élèves dans une classe de CM2, on fait trois classes de 20. La première classe va hériter du maître qu’il avait depuis le début de l’année, qui connaît déjà ses 20 élèves, leurs lacunes, leurs faiblesses. Les deux autres groupes vont connaître de nouveaux maîtres à deux mois de l’examen. Alors qu’il faut à ce maître un temps pour connaître les élèves car, on ne peut pas inculquer à quelqu’un le savoir sans le connaître, sans connaître sa psychologie. Alors ces deux maîtres-là perdraient du temps là-bas parce qu’il faut qu’ils apprennent à connaître les élèves pour voir dans quel angle ils vont mener leur enseignement. Donc, le premier groupe sera à l’aise mais les deux autres groupes seront en face de maîtres qu’ils ne connaissent pas. C’est cet aspect pédagogique qui me pose problème.
Ces derniers temps, il y a un vent contestations populaires. Si d’aucuns ne décrient pas les coupures d’eau, ce sont des déclarations de manifestation. Les Sénégalais sont en train de se lasser de la gouvernance de Macky Sall ?
Il y a des gens qui critiquent la gouvernance de Macky Sall. Mais il y en a d’autres qui applaudissent. C’est dans l’ordre normal des choses. Ceux qui sont avec le gouvernement vont dire qu’il fait du bon travail. Et ceux qui lui en veulent vont toujours dépeindre un tableau sombre. C’est toujours comme cela que cela se passe dans le pays.
A la veille des Législatives de 2017, vous aviez créé une coalition dénommée «Mbolom Wade». Qu’est-ce qu’elle est devenue ?
On avait choisi le nom «Mbolom Wade» parce qu’au début, il n’y avait que des anciens militants de Me Abdoulaye Wade. Par la suite, nous avons reçu d’autres militants qui ne sont pas des Wadistes. Et aussi, Abdoulaye Wade, il faut le dire, n’était pas content du fait que nous employions son nom. Qu’à cela ne tienne ! C’est pourquoi, maintenant notre mouvement s’appelle «Mbolom Askanwi/Les libéraux-démocrates» et il est dirigé par Farba Senghor.
Vous êtes actifs politiquement ?
Pour le moment, non. Parce qu’avant de faire la politique, il faut d’abord combattre cette maladie de la Covid-19. J’ai tout laissé en berne, le temps que ce virus disparaisse. Vous savez, la Covid-19 recherche des personnes âgées comme moi. C’est pourquoi, toutes les personnes âgées se sont barricadées. Je m’enferme chez moi du matin au soir. J’écoute de la musique et je regarde des films. Je ne vais nulle part. Donc, je ne pense pas faire de la politique. Il faut se débarrasser de ce virus d’abord et après, on va reprendre le terrain et faire de la politique!
Vous étiez en froid avec Karim Wade qui était à l’origine de votre départ du PDS. Vos relations ont-elles évolué entretemps?
Il n’y a pas longtemps, il y avait une tentative de rapprochement, mais cela a foiré, c‘est vrai. Je n’ai rien contre Karim Wade. Je ne lui en veux pas. Je ne peux pas être contre lui, car son père est un ami. On a travaillé ensemble. On a fait beaucoup de choses ensemble. On a partagé des choses magnifiques, pleuré ensemble, souri ensemble pendant des années. Et son père a beaucoup fait pour moi. Et moi aussi, j’ai beaucoup travaillé pour lui. Donc, je ne peux pas être contre Karim Wade. Je voulais tout simplement à l’époque attirer l’attention des libéraux sur le fait que Karim Wade n’allait pas revenir etla nécessité de trouver un autre candidat. C’est ce qui avait provoqué le froid. Ils ont compris maintenant que j’avais raison. S’ils m’avaient écouté, le Pds aurait présenté un candidat. Et qui sait ce qui allait se passer ? L’histoire m’a donné raison. J’avais dit qu’il n’allait pas se présenter et on me dit : «tu mens !» et on me renvoie du parti. Farba Senghor dit la même chose et on le renvoie du parti. Et maintenant, nous sommes à l’aise, parce que nous avions raison. Nous ne pouvons pas ne pas aimer le Pds qui est aussi notre bébé. Nous avons grandi avec le Pds et tout fait avec le Pds.
Pourquoi la tentative de rapprochement avec Karim Wade a échoué ?
Cela a foiré tout simplement, parce que je ne pouvais pas y aller sans Farba Senghor. Voilà le problème. J’étais d’accord même d’aller à Doha et de le rencontrer et qu’on discute tout en gardant mon indépendance politique. Me réconcilier avec lui ou me réconcilier avec Wade, cela ne veut pas dire que je reviens au Pds d’où j’ai été renvoyé. Entre-temps, j’ai choisi un autre chemin. Mais il était bon que nous se réconcilions vu ce qui nous lie. Donc, j’étais prêt, mais comme j’étais avec Farba Senghor, nous avons été exclus le même jour par le même Comité directeur, pour les mêmes motifs et moi, je viens et je me réconcilie avec lui sans Farba, je ne peux pas le faire. Qu’est-ce que les gens vont penser de moi ? Je ne peux pas ! Il y a des choses que je ne peux pas faire.(…)
Actuellement, quelles sont vos relations avec Abdoulaye Wade ?
Je suis toujours dans les dispositions de me réconcilier avec la famille Wade. Je ne le vois plus. Et j’ai mal actuellement d’être resté des années sans voir Abdoulaye Wade. Cela me fait mal. J’aurais bien voulu être à côté de lui dans ces moments difficiles. (…) Il n’y a pas longtemps, j’ai encore fait des démarches pour le voir et on m’a répondu qu’avec cette pandémie, il ne reçoit plus personne. Il s’est enfermé, il a même libéré ses secrétaires et tous ceux qui étaient chez lui, pour se protéger de la pandémie. Et que ce n’est pas possible. Et si vraiment nous parvenons à vaincre ce virus et que les choses reviennent à la normale, il pourrait me recevoir.
La question du 3e mandat de Macky Sall est souvent au cœur du débat politique. Pensez-vous que ce soit possible qu’il se présente à nouveau?
Je pense que si Macky Sall veut se présenter pour un troisième mandat, rien ne peut l’empêcher de l’avoir. Ce que le Conseil constitutionnel a accepté pour Abdoulaye Wade, il ne peut pas le refuser à Macky Sall. C’est une question de jurisprudence. Le Conseil constitutionnel est impersonnel. Ses décisions sont là. En 2012, le même problème s’était posé et le Conseil constitutionnel a tranché en faveur de Wade pour qu’il se présente. Il ne peut pas, en ce qui concerne Macky Sall, se dédire. C’est une question d’interprétation des textes. Les textes sont faits de sorte que s’il le veut, il l’aura. Mais je ne sais pas s’il le veut ou pas. Mais s’il veut un troisième mandat, je ne sais pas comment le Conseil constitutionnel va le lui refuser après l’avoir accepté pour Abdoulaye Wade.