SONKO, CHEF D’ACCUSATIONS
De meeting en meeting, la tête de liste de Pastef porte les habits d’un procureur devant un tribunal populaire. Une rhétorique savamment construite, entre promesses de changement et accusations de malversations
Moteur d’un nouveau rêve pour le pays, Ousmane Sonko traverse tout le territoire pour vendre son Projet, nouveau logiciel des politiques publiques. Depuis le début de sa campagne, il enchaîne surtout les révélations, multiplie les accusations et les menaces. Comme un procureur, la tête de liste de Pastef dont les meetings sont paradoxalement un cérémonial d’allégeance des transhumants, fait ses réquisitions devant un jury populaire qui savoure toujours une victoire électorale construite dans la violence, la répression et la résistance de ses militants et de son leader. En attendant le 17 novembre ? De Thiès à Ziguinchor, en passant par Matam et Agnam, Ousmane Sonko a mis le même carburant dans son moteur.
Dopée par les mobilisations populaires pendant son périple électoral, la tête de liste de Pastef porte les habits d’un procureur devant un tribunal populaire. Entre révélations, accusations et menaces, Ousmane Sonko enfièvre son public dont la plupart d’entre eux attendent que les dignitaires de l’ancien régime ou leurs proches soient jetés au bûcher comme au Moyen-âge. Les déclarations balancées lors des meetings sont ensuite relayées et boostées sur les réseaux sociaux et les médias pour donner un coup de grâce aux adversaires politiques. C’est une rhétorique totalement assumée pour pouvoir bénéficier d’un vote massif afin d’avoir un pouvoir législatif à sa botte. Donc, un contre-pouvoir institutionnel pour matérialiser plus tard les actes d’accusation ?
Après le grabuge à Agnam, Ousmane Sonko a prononcé le verdict contre Farba Ngom, considéré comme le maître des lieux : «Je vous garantis que c’est la dernière élection à laquelle il prend part.» Dans le Nord où le leader de Pastef tente de récupérer le fief de Macky dont Farba Ngom est encore l’une des poutres, en dépit des ralliements de nombreux responsables locaux vers Pastef, il poursuit son réquisitoire : «J’ai entendu qu’une personne sillonne le département, mallette à la main, distribue entre 50 et 80 millions. Mais je vous garantis que c’est la dernière élection à laquelle il prend part en tant que candidat et a fortiori en tant que distributeur automatique d’argent.» En style imagé pour peindre la figure du maire des Agnam, il souligne que le personnage en question «a réussi, par la magie de la politique, à se retrouver au cœur de l’Etat grâce notamment aux largesses d’un président de la République». «Agnam mérite autre chose que cette image d’un homme qui n’a pas le niveau intellectuel requis, qui n’a pas fait les études pour et qui a trempé dans toutes les mafias foncières et financières ayant incliné ce pays. Agnam ne mérite pas cet homme, car c’est une localité habitée de personnes dignes et intègres.» «Je ne me fais aucun doute que vous vous faites ce défi de remporter les élections ici de manière spectaculaire. Ne touchez pas à l’argent que des gens vous apporteront. Agnam ne doit pas être à la traîne, car le 17 novembre sera le dernier épisode pour anéantir les voleurs, détourneurs de la République. (…)»
Disque rayé ?
Dans le Fouta, Ousmane Sonko a mis sur la platine le même disque : le déballage avec ses révélations sur le projet de construction de l’hôpital d’Ourossogui, placé sous le statut de «marché Secret défense». «Depuis quand la construction d’un hôpital relève-telle du Secret défense ?», s’interroge-t-il. Il répond lui-même à sa question : «A chaque fois qu’il y a une volonté de malversation, [ils] parlent de Secret défense pour éviter les appels d’offres et contourner les règles des marchés publics. Le comble est que le budget de construction de cet hôpital a été alloué au ministère de la Justice. Nous menons donc des audits pour y voir plus clair.» Pour lui, c’est le même procédé qui a été utilisé pour l’université de Matam, où «de graves irrégularités ont été enregistrées». «Dès mon arrivée, j’ai demandé un audit, et il s’avère que le budget aurait permis de construire deux à trois universités. Des logements de professeurs, construits sur moins de 150 m² en R+1, ont été facturés à 1, 6 milliard de francs Cfa chacun. En poussant plus loin les investigations, l’entrepreneur a luimême reconnu la surfacturation et a proposé de construire une digue pour protéger l’université des inondations. Je lui ai dit que nous le recontacterions après l’audit pour établir les responsabilités», promet la tête de liste nationale du parti Pastef.
A Ziguinchor, Ousmane Sonko, revigoré par une mobilisation exceptionnelle sur ses terres, a promis la prison aux leaders de l’opposition en évoquant l’affectation du Général Kandé à l’ambassade du Sénégal en Inde comme Attaché militaire. «On a pris toutes les dispositions, les questions qui relèvent de la sécurité nationale, on ne badine pas là-dessus. S’ils sont courageux, ils n’ont qu’à sortir et reparler de ça. On verra s’ils ne vont pas aller en prison. Personne n’a sanctionné un Général ou bien un militaire parce qu’il combattait la rébellion. La raison pour laquelle on a fait ce qu’on a fait, c’est un rapport que nous avons trouvé ici, qui vient de l’Armée, fustigenat ceux qui manœuvraient pour qu’on ne termine pas l’élection ou bien que le Président Diomaye Faye ne soit pas élu. C’est pourquoi nous avons pris les dispositions que nous avons prises. Mais cela n’a rien à voir avec le conflit casamançais. Il faut que les gens reviennent à la raison. Celui qui veut jeter de l’huile et espérer en faire de la politique, nous prendrons toutes nos responsabilités pour que ce dernier aille pourrir en prison à Rebeuss. Parce que cela ne fait pas partie de la politique.»
Il a ouvert sa campagne par des révélations matinées à des menaces de poursuites judiciaires. C’était à Thiès le 27 octobre : «Il y a des gens qui ont tellement volé. Ils ont également tout dilapidé. Je vais vous donner juste quelques exemples. Savez-vous qu’ils ont vendu la prison de Rebeuss, soit plus d’un hectare, à 8 milliards F Cfa ? Cela aurait pu coûter au minimum 40 milliards. C’est grâce à nous que la vente a été annulée. Ils ont également vendu la prison du Cap Manuel. On ne badine pas avec l’argent du contribuable. Les gens vont restituer ce qu’ils ont volé. Ce que je vous dis n’est rien par rapport à ce qui s’est passé. Il y a des gens chez qui, dans un seul compte, on a retrouvé plus de mille milliards. Pensez-vous que c’est normal dans un pays comme le nôtre ? Ce n’est pas de la méchanceté quand on parle de reddition des comptes, mais on ne peut laisser cela passer.» Cette sortie a suscité à la fois des moqueries et aussi des interrogations sur les pratiques malsaines de l’ancien régime.
Dans un autre contexte, Sonko, vêtu d’habits de Premier ministre, a annoncé la falsification des comptes publics par l’ancien régime dont le dessein était de flouer les partenaires techniques et financiers du Sénégal. C’est la préface d’un livre toujours en rédaction