EL HADJ NGOM, LE LÉPREUX QUI REFUSE LA FATALITÉ
Son histoire avec la lèpre a commencé en 1962 à Kaolack - Frappé par le mal, il n’y avait pas d’autres solutions à l’époque - Je me suis retrouvé ici à Koutal, à l’âge de 16 ans
«Frappé par le mal, il n’y avait pas d’autres solutions à l’époque. Je me suis retrouvé ici à Koutal, à l’âge de 16 ans …», quand le vieux El Hadj Ngom parle, sa belle diction s’accompagne de son index droit qui fixe des pointillés dans l’air comme pour mieux préciser les contours de son impérissable souvenir.
Son histoire avec la lèpre a commencé en 1962 à Kaolack. A cette époque-là, El Hadj était au collège. «J’étais un bon élève et en me voyant partir, un des professeurs a fondu en larmes», se souvient-il, accroupi sur sa natte de prière.
Il faut bien scruter l’homme pour déceler les stigmates du mal. Son majeur et son auriculaire gauches courbés témoignent de son passé de lépreux. Les amputations étaient courantes à l’époque mais El Hadj y a échappé contrairement à beaucoup d’autres malades.
Au milieu de sa chambre trône un lit en bois en bon état. Pendant que nous discutons un ventilateur adoucit l’air.
Un luxe dans le village de Koutal où seule une dizaine de maisons dispose de l’électricité.
Enseignant dans l’âme
Le sort n’a pas gâté le vieux El Hadj. Il a subi une amputation de la jambe droite en 1995. Un «autre coup du destin» qui n’est pas lié à la lèpre cependant. «Je donnais un coup de main à un bûcheron à décharger des troncs et le contenu de la charrette a subitement glissé», relate-t-il avec une pointe de sourire. Mais cet homme qui rêvait d’être enseignant, ne connait pas la fatalité encore moins la résignation. «Nous étions là et les jours se suivaient et se ressemblaient. A un moment donné il fallait briser la routine », se rappelle-t-il.
Arrivent les années 1970. El Hadj, qui s’approche de la trentaine, décide de créer une école, une première à Koutal. «Ce fut une école en plein air, je rassemblais tous les enfants de lépreux et je leur apprenais à lire», se souvient-il, non sans fierté. L’initiative fortement soutenue par des organisations caritatives étrangères notamment la fondation Raoul Follereau a duré jusqu’en 1994. «A un moment donné, ma santé périclitait et l’inspection d’académie a pris la relève en confiant les apprenants à une maternelle », poursuit-il, avant d’essuyer à deux reprises des larmes qui s’échappent de ses yeux gagnés par la myopie. Cette école fut celle du «refus de l’ignorance», selon El Hadj Ngom qui trouve dans l’éducation « un avenir et moyen de contrebalancer la stigmatisation qui pèse sur les lépreux et leur progéniture ».
Situé à la périphérie de Kaolack, le village Koutal (créé en 1952) est un des neuf villages de reclassement social (VRS) du Sénégal, destinés aux lépreux. La vie de Ngom fut celle d’un combat acharné contre la lèpre et ses conséquences. En dépit de la maladie handicapante, il a pris la ferme décision de vivre. «La lèpre n’a pas touché mon âme », souligne-t-il. « Si c’était le cas, je serai à l’heure actuelle un vieux mendiant, mais non je me suis marié et j’ai fondé une famille ». Son épouse qui lui a donné six enfants, il l’a rencontrée à Koutal. «Elle avait amené des provisions pour son oncle qui était lépreux, elle m’a aimé comme je suis», narre-t-il. Sa femme et ses six enfants qui sont «tous devenus fonctionnaires» n’ont jamais contracté la lèpre.
Aujourd’hui âgé de 72 ans, El Hadj Ngom, plus qu’un doyen, est une sorte de mémoire de ce village aujourd’hui peuplé de près de mille âmes. En dépit de son âge avancé et son handicap, il ne lâche pas pour autant son credo. Sur le sommier de son lit, sont rangés quelques ouvrages dont des encyclopédies. Un petit lot de livres destinés à une bibliothèque qu’il est en train de mettre en place « gratuitement » au profit des jeunes. Le détour vers la littérature rend subitement notre hôte plus enjoué, moment choisi pour écrire : «La lèpre n’a pas touché mon âme».
Un témoignage de 296 pages sur son combat contre la lèpre publié par un éditeur français en 2009. Le manuscrit, résultat de deux ans de travail, a été emporté en France par une humanitaire française et ensuite publié, sans « aucun sou» en contrepartie pour le vieux El hadj. Encore un coup du destin !