LES SEINS SANS L’OMBRE DU CANCER
Pour Bes bi, c’est l’occasion de mettre la lumière sur cet organe pair dont l’importance va au-delà de la biologie. Les seins de la femme sont au cœur de l’enracinement culturel, de l’amour filial, de la religion et de la sexualité.
Le cancer du sein ne fait pas que ronger le sein, il lui vole aussi la vedette en cette période d’Octobre Rose. Impossible de faire des recherches sur le sein sans tomber sur le mot cancer. Pour Bes bi, c’est l’occasion de mettre la lumière sur cet organe pair dont l’importance va au-delà de la biologie. Les seins de la femme sont au cœur de l’enracinement culturel, de l’amour filial, de la religion et de la sexualité.
Culture : Un abreuvoir de valeurs et d’amour filial
«Nourrices-mercenaires». Cette expression ne vous est peut-être pas familière. C’est normal parce que l’Afrique est le continent où cette pratique a le moins prospéré. Pendant longtemps en Europe, les enfants nés dans l’aristocratie étaient confiés à des femmes de conditions sociales inférieures. Celles-ci allaitaient et s’occupaient de l’enfant jusqu’au sevrage. Les femmes aristocrates pouvaient ainsi préserver leur corps et leur autonomie. Aussi, en Arabie pré-islamique, les enfants nés à la Mecque étaient confiés à des bédouines du désert. Cela permettait aux enfants de s’adapter à des conditions vie austère, de respirer l’air pur du désert et de parler un arabe authentique non dilué par le caractère cosmopolite de la Mecque. En Afrique, cette pratique était peu répandue. Et pour cause, donner le sein à son enfant est une tradition profondément ancrée. A travers ce geste, la mère ne fait pas que nourrir son enfant. Elle l’abreuve aussi de valeurs. La chercheuse Oumou Ly Kane l’explique ainsi : «Le nourrisson qui tète le sein de sa mère ne boit pas seulement du lait ; il absorbe aussi tout un système parental et social, une appartenance et un ensemble de valeurs, d’obligations et d’interdits». Aussi, ils prolongent et renforcent l’amour filial. Dans l’utérus, la mère nourrit son enfant au moyen du cordon ombilical. Une fois celui-ci sectionné, il y a la peur que le monde extérieur bien moins bienveillant éloigne l’enfant de sa mère. A ce moment-là, les seins prennent le relais et procurent nourriture, amour et réconfort à l’enfant. Donner le sein à un enfant va donc bien au-delà du fait de le sustenter. Ce geste influe sur son enracinement et sa psychologie. C’est l’une des raisons pour lesquelles en Afrique, l’allaitement est rarement délégué à une personne étrangère. Quand la mère tombe malade ou meurt, c’est à l’entourage proche que sera confié l’enfant. La nourrice choisie peut être assistée mais pas rémunérée.
Sexualité : Une érotisation lucrative
Au Cameroun, il existe une tradition appelée «le repassage des seins». Des objets chauffés sont utilisés pour masser la poitrine et empêcher son développement. Cette mutilation moins connue que l’excision vise aussi à entraver la sexualité des femmes. Cette pratique dangereuse reconnait et rejette le caractère sexuel des seins. Bien que largement répandue dans le monde, la sexualisation des seins restait, jusqu’à un passé récent, une réalité taboue confinée à la sphère privée. L’émergence des médias et du divertissement (magazines, films, publicités, pornographie) va s’accompagner d’un recours au corps de la femme comme argument marketing à partir des années 1960. Tout d’un coup, les seins de la femme ont commencé à se retrouver dans l’espace public et dans les foyers par la magie des affiches et de la télévision. Les seins sont affichés de façon suggestive dans des décolletés de plus en plus plongeants. A partir de là, la fonction nourricière du sein est ouvertement concurrencée par sa fonction sexuelle.
Place à la chirurgie d’augmentation mammaire
L’industrie de la lingerie fine en profite pour créer des produits qui embellissent et érotisent la poitrine et réalisent au passage des chiffres d’affaires aussi vertigineux que leurs décolletés. Rien qu’aux États-Unis, le marché des sous-vêtements a rapporté près de 18 milliards de dollars en 2022, rapporte Statista, un organisme spécialisé dans la compilation de données. Peu de données sont disponibles concernant l’Afrique mais on sait que la sexualisation mammaire est aussi répandue sur le continent. De même, la chirurgie d’augmentation mammaire devient de plus en plus populaire. Elle est aujourd’hui la chirurgie esthétique la plus répandue au monde devant la liposuccion, la rhinoplastie, le lifting et l’augmentation du fessier. Toutefois, il persiste en Afrique des peuples pour qui les seins ne sont pas un organe sexuel. Au sein de ces peuples, il n’est pas inhabituel que la poitrine de la femme ne soit pas voilée. C’est le cas chez les Bushmen et les Zoulous en Afrique australe et chez les Massai au Kenya.
Politique : Protester par la nudité
Le 15 février 1961, une femme a commencé à apparaitre torse-nu dans les rues de Léopoldville (Kinshasa). Son nom : Pauline Lumumba. Elle est la veuve de Patrice Lumumba assassiné un mois plus tôt. Elle espère, à travers ce geste, obtenir le droit d’enterrer le corps de son époux. Elle n’obtiendra jamais gain de cause car le corps en question a été délibérément dissout dans de l’acide pour mieux tuer le mythe Lumumba. Cette manifestation est un exemple du recours aux seins de la femme comme moyen de protestation. Cette stratégie mise sur la provocation pour attirer l’attention des médias et du public sur un sujet particulier. Ce phénomène est à la fois rare et redouté en Afrique à cause des croyances à la malédiction de la nudité des femmes. Dans certaines cultures, on pense que voir la nudité d’une femme, surtout si elle est âgée, est source de malédictions. Ainsi, en 2002 au Nigeria, des femmes Igbo ont menacé de se dénuder pour protester contre la pollution pétrolière. Cela a suffi à paralyser le secteur car les travailleurs locaux redoutaient de tomber sur des femmes dénudées. Enfin, deux femmes Prix Nobel de la paix ont eu recours à cette forme de protestation : La Kenyane Wangari Maathai pour s’insurger contre la brutalité policière et la Libérienne Leymah Gbowee pour lutter contre la guerre civile qui déchirait son pays.
Religion : Un trésor à dissimuler
«Est-il acceptable de peindre la Vierge Marie donnant le sein à Jésus ?» Cette question est au centre d’un clash entre la religion et l’art. La première invoque la pudeur tandis que le second prône la liberté d’expression. Le temps semble pencher pour la religion. Alors que la représentation en peinture de la Vierge Allaitant était très populaire au Moyen-âge et au début de la Renaissance, elle est aujourd’hui assez rare. Tout en célébrant les seins des femmes, les religions monothéistes appellent à les couvrir comme on dissimule un trésor. Pour ces religions la fonction nourricière des seins l’emporte sur les autres (sexuelle, politique, sensuelle, etc.). L’Islam comme le Christianisme considèrent l’allaitement comme une obligation morale aux bénéfices innombrables aussi bien pour l’enfant que pour la mère. La Science a donné raison à ces recommandations formulées des siècles plus tôt. L’Oms reconnait que le lait maternel participe à la nutrition, à l’immunité et au bien-être psychologique de l’enfant. Chez la femme, l’allaitement peut protéger contre les cancers du sein et de l’ovaire, le diabète, etc. Au-delà de son rôle nourricier, les seins peuvent aussi créer une relation de fraternité là où il n’existe aucun lien de parenté. C’est ce qu’on appelle la filiation par l’allaitement. En islam, téter d’un même sein suffit à faire de deux enfants étrangers des frères ou sœurs. De même, par l’allaitement, une femme peut devenir mère d’un enfant qu’elle n’a pas mis au monde.