UN LIMOGEAGE, ET APRÈS ?
Un an après le limogeage du docteur Abdou Sarr à l’hôpital de Linguère, suite à la tragédie des bébés morts brûlés, l’histoire se répète avec le limogeage d’Amadou Guèye Diouf, suite au décès atroce d’Astou Sokhna à l’hôpital de Louga
Un an après le limogeage du docteur Abdou Sarr à l’hôpital Magatte Lo de Linguère, suite à la tragédie des bébés morts brûlés, l’histoire se répète avec le limogeage d’Amadou Guèye Diouf, suite au décès atroce d’Astou Sokhna à l’hôpital Amadou Sakhir Mbaye de Louga. Mais dans le fond, rien ne bouge dans le système de santé toujours agonisant.
Le président Macky Sall n’avait peut-être pas besoin de ce nième scandale dans les hôpitaux. Lui qui semblait dans les nuages, depuis le triomphe des Lions à la dernière Coupe d’Afrique des nations de football, en début d’année. Descendu de son piédestal, le président Sall multiplie les actes pour tuer dans l’œuf l’affaire de l’hôpital Amadou Sakhir Mbaye de Louga. Hier, en Conseil des ministres, il a tout bonnement limogé le désormais ex-directeur Amadou Guèye Diouf. Remplacé par Mouhamed Abdallah Guèye, Administrateur hospitalier. Macky Sall a aussi réaffirmé, une nouvelle fois, sa volonté de moderniser le système hospitalier, avec une intensification du programme de dotation des structures de soins d’imagerie médicale de dernière génération.
Ainsi, l’histoire se répète. Le hasard a voulu que cela se passe dans la même région de Louga, où quatre nourrissons avaient été morts brûlés dans un incendie au niveau du Service néonatalogie de l’hôpital Magatte Lo de Linguère. Le hasard a aussi voulu que ça se passe un mois d’avril, à quelques jours seulement du premier anniversaire de ce drame que bon nombre de Sénégalais avaient déjà jeté aux oubliettes. C’était il y a à peine un an.
Dans le Conseil des ministres ayant suivi cette tragédie, le président de la République remplaçait l’alors directeur Dr Abdou Sarr par le Dr Abibou Cissé. Il avait aussi recommandé des mesures draconiennes pour une réforme profonde du système. ‘’Le chef de l’Etat demande au ministre de la Santé et de l’Action sociale de faire toute la lumière sur cette affaire, qui révèle des dysfonctionnements notables des services, mais également l’impératif de procéder à des réformes urgentes et en profondeur du système de santé dans toutes ses dimensions…’’. Demandant un audit sur les infrastructures et les installations, Macky Sall insistait également sur la nécessité de ‘’sanctionner rigoureusement les manquements constatés et de déployer toute l’assistance psychosociale requise aux parents endeuillés’’.
Un an après, rien ne semble avoir bougé dans les hôpitaux. Et la mort atroce d’Astou Sokhna dans la même région est là pour le faire constater de la plus cruelle des manières.
Les deux cas sont certes localisés dans la même aire géographique, Louga. Mais cela aurait pu se passer à Ziguinchor, à Sédhiou, à Kolda, à Kédougou, à Kaolack, à Thiès et même à Dakar. Cela aurait pu se passer dans n’importe quel hôpital du Sénégal.
Témoignages unanimes
D’ailleurs, les commentaires et les témoignages sont quasi unanimes. Les mésaventures dans les structures hospitalières sont le lot quotidien des Sénégalais. Qu’ils soient du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest ou du Centre. Souvent dans la plus grande omerta et le fameux refuge de la volonté divine.
L’adage en est venu à l’assertion suivante, difficilement contestable. ‘’Tomber malade dans ce pays sans sou, c’est synonyme d’un billet direct vers l’au-delà’’. D’autres ajouteront que même avec les sous, pour se soigner, c’est la croix et la bannière. Avec des plateaux techniques peu adaptés dans la plupart des structures de soins, des personnels qualifiés insuffisants un peu partout sur le territoire, des médecins parfois dépourvus de toute humanité, plus prompts à aller chercher de l’argent que de sauver des vies.
Le professeur Abdoul Kane, éminent cardiologue, avait pourtant averti dans son livre ‘’L’éthique, le soignant et la société’’. Il disait : ‘’L’absence de soins palliatifs dignes de ce nom mène à des drames où des patients, abandonnés à leur agonie, souffrent le martyre devant des soignants désarmés et désabusés. L’hôpital fait de la rentabilité son crédo. Il devient, par ricochet, une entreprise où les praticiens et administrateurs pèsent davantage au profit qu’à l’humanisme que requiert la pratique de la médecine.’’
Il regrettait, en même temps, le manque d’écoute des praticiens vis-à-vis de leurs patients.
Même les prescriptions de l’éminent cardiologue semblent plutôt être tombées dans les oreilles de gouvernants sourds. Comme en 2021, le directeur risque d’être l’agneau du sacrifice. Guy Marius Sagna n’a, lui, aucun doute là-dessus.
Dans un communiqué, le leader de Frapp/France dégage peste : ‘’Le système de santé est en état de putréfaction avancée depuis des années… Limoger le directeur ne vise qu’à calmer la fureur, l’indignation et la mobilisation populaires contre cette transformation des structures de santé publique en mouroirs. Le problème est plus grave, plus profond, plus structurel et dépasse la personne d’un directeur d’hôpital ou d’un hôpital. S’attaquer à un lampiste ne règlera rien et ne fait que montrer l’absence de volonté politique réelle de prendre en charge le grave cancer qui s’est emparé de tout le système de santé…’’
Paradoxalement, le Sénégal est réputé comme une terre de référence en matière de formation de médecins de grande qualité. Pas plus tard qu’hier, ‘’EnQuête’’ mettait en exergue cette renommée de la faculté de Médecine de l’université Cheikh Anta Diop, reconnue un peu partout dans le continent et au-delà.
En vérité, le mal est surtout dans le système, avec des rafistolages à n’en plus finir, des autorités sanitaires plus soucieuses de leur carrière politique que de la qualité des soins à garantir aux Sénégalais, quelles que soient leurs ressources.
Le chroniqueur de la TFM, Abdoulaye Cissé, a tout le mérite de rappeler ce cas dramatique d’Ousseynou Diagne, mort dans les bras de son jumeau Assane, après avoir été rejeté dans plusieurs structures hospitalières, publiques comme privées. Son cri du cœur est assez révélateur du niveau de dégradation du système.
En fait, rappelle-t-il, Ousseynou avait fait un accident sur l’autoroute avec une voiture appartenant à la gendarmerie. Il avait une fracture à la jambe et une hémorragie. ‘’Les sapeurs-pompiers, rappelle le chroniqueur, l’ont récupéré et l’ont emmené au CTO. Ils ont dit qu’ils n’avaient pas le plateau pour le prendre en charge. Ils l’ont emmené à Principal ; ils ont dit qu’ils n’ont pas de place. Ils leur ont demandé de l’emmener à Le Dantec. Là-bas, on les renvoie à la clinique Madeleines qui est une structure privée. Les responsables ont demandé une caution d’un million. Même les pompiers étaient indignés. Ils sont retournés à l’hôpital, puisque la famille n’avait pas le million. On leur a conseillé d’aller au commissariat central pour des documents. Là-bas, on leur dit d’aller à la gendarmerie Thionk, puisque c’est un accident avec un véhicule de la gendarmerie…’’.
Et ce n’est pas fini ; à Thionk, on leur dit d’aller au niveau de la brigade de gendarmerie du ressort duquel a eu lieu l’accident. Et c’est en cours de route que le bonhomme de 39 ans a rendu l’âme, sous le regard impuissant de son jumeau. Tout au plus, souligne le journaliste, il n’y a eu qu’une circulaire du ministre pour souligner que désormais, les transferts de malades ne se feront que par ambulance, donc de structure à structure. Un vœu resté pieux à ce jour. Sans aucune volonté de se donner les moyens de son application.
Ils sont nombreux, les Sénégalais, à craindre le même sort pour ce nième scandale dans les structures hospitalières.
Au-delà même de ce scandale qui mettait à nu nos carences, la pandémie à coronavirus est encore venue montrer combien le système est désarmé pour prendre en charge sérieusement la santé des Sénégalais. Tout le monde avait espéré que la mobilisation de mille milliards F CFA aurait pu être un excellent moyen pour renforcer l’offre technique en matière de santé publique.
Aujourd’hui encore, malgré toute cette manne financière, le système est resté plongé dans un gouffre profond.
CONSEQUENCES DRAME HOPITAL DE LOUGA : Les exigences du président de la République
Le directeur de l’hôpital Amadou Sakhir Mbaye de Louga a été limogé hier en Conseil des ministres. Le président de la République ne s’est pas limité à cette décision. Il a donné des instructions au ministre de la Santé dont l’amélioration de l’accueil.
BIGUE BOB
La mort d’une jeune femme, Astou Sokhna, en couches à l’hôpital de Louga, continue d’alimenter les débats. En attendant une marche de protestation vendredi pour exiger que toute la lumière soit faite sur cette affaire, le président de la République a pris les devants. Hier, en Conseil des ministres, il a mis fin aux fonctions du directeur de l’hôpital Amadou Sakhir Mbaye de Louga.
‘’Monsieur Mouhamed Abdallah Guèye, Administrateur hospitalier, est nommé directeur de l’hôpital Amadou Sakhir Mbaye de Louga, en remplacement de Monsieur Amadou Guèye Diouf’’, lit-on dans le communiqué du Conseil des ministres d’hier.
Une décision consécutive surement aux premiers résultats de l’enquête menée par une équipe envoyée d’urgence par le ministère de la Santé et de l’Action sociale. D’après des informations publiées hier par le quotidien ‘’Libération’’, les déclarations du personnel soignant et administratif sont fausses. La famille les accuse de négligence. La défunte, enceinte, est arrivée à l’hôpital en souffrant. Sous prétexte qu’elle n’était pas programmée pour une césarienne, elle n’a pas reçu de soins appropriés. Une plainte a été déposée par la famille.
En conférence de presse après des interviews de membres de la famille, le désormais ex-directeur de l’hôpital de Louga avait tout mis sur le compte de la volonté divine. Il persistait également sur la non-programmation d’Astou Sokhna pour une césarienne, ce jour-là. Trop gros pour les Sénégalais qui n’ont, depuis, eu de cesse à dénoncer les manquements dans les établissements de santé.
Les autorités semblent aujourd’hui en avoir pleine conscience avec ce drame de trop. En effet, en réunion hebdomadaire avec les membres du gouvernement hier, il a invité le ministre de la Santé et de l’Action sociale ‘’à veiller à l’amélioration qualitative de l’accueil et de l’accompagnement professionnel des patients dans les structures sanitaires’’. Mais cela seulement ne suffirait pas.
Ainsi, le chef de l’Etat a demandé également à Abdoulaye Diouf Sarr ‘’d’intensifier le programme de dotation des structures sanitaires départementales, régionales et nationales, d’équipements d’imagerie médicale de dernière génération, en veillant à la maintenance adéquate du matériel et à son exploitation optimale à la satisfaction des patients et des personnels de santé dédiés’’, indique-t-on dans le communiqué.
En attendant que ces instructions soient mises en œuvre, le président de la République exige que toute la lumière soit faite sur le décès d’Astou Sokhna. D’ailleurs, le ministre de la Santé avait pris les devants, en envoyant trois missions à Louga. Il avait même prévenu que les responsabilités vont être situées et les ‘’mesures appropriées prises’’. Celle annoncée hier en Conseil des ministres donne la tonalité. Le procureur également promet de faire toute la lumière sur ce dossier, comme le président de la République l’exige d’ailleurs.