L’un des précurseurs du mouvement Hip Hop sénégalais s’en est allé sur la pointe des pieds. Le rappeur Moussa, membre du groupe «Jant Bi», est décédé hier, des suites d’une maladie. Moussa, qui n’a pas été vu sur la scène musicale depuis très longtemps, s’était reconverti en producteur, informe le journal L’As.
LE CENTRE ’’YENNENGA’’, UN HUB DU PÔLE CINÉMA DE DAKAR
Le centre ‘’Yennenga’’, logé au centre socio-culturel de Grand Dakar, est appelé à jouer un rôle de hub du pôle cinéma de la ville de Dakar, à la faveur d’une convention signée entre son directeur, le réalisateur Alain Gomis, et le maire de la capitale
Dakar, 27 oct (APS) – Le centre ‘’Yennenga’’, logé au centre socio-culturel de Grand Dakar, est appelé à jouer un rôle de hub du pôle cinéma de la ville de Dakar, à la faveur d’une convention signée entre son directeur, le réalisateur Alain Gomis, et le maire de la capitale, Soham El Wardini, a constaté l’APS.
La structure va ainsi devenir un cadre d’accompagnement des jeunes dans la formation aux métiers du cinéma et de la post-production de films en partant d’un financement de 45 millions de francs acquis de la Délégation générale à l’entrepreneuriat (DER), a-t-on appris lors de la cérémonie de signature organisée mardi.
Cette convention donne ainsi corps à un projet de la ville de Dakar qui fait du centre Yennenga, logé au sein du centre socio culturelle du quartier de Grand-Dakar, ‘’le hub’’ du pôle cinéma de la ville de Dakar, a ainsi souligné Alain Gomis.
Le réalisateur a dans la foulée rappelé que la ville avait déjà un programme dénommé ‘’Le Dacar’’ de son défunt directeur de la culture et du tourisme, le professeur Oumar Ndao, non sans insister sur le fait que le nouveau projet allait s’inscrire dans cette dynamique.
Il est dans ce cadre demandé au centre Yennenga de faire de la formation autour des métiers de la post-production, et d’accompagner un certain nombre de jeunes dans leur désir de formation, tout en faisant des activités associatives autour du cinéma et de l’audiovisuel avec Grand-Dakar et d’autres quartiers de la ville de Dakar, a expliqué Gomis.
Lier la professionnalisation et la mission socioculturelle dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel, ‘’à l’image de ce que fait la Maison des cultures urbaines pour les cultures urbaines constitue une des missions du centre, a fait savoir son directeur.
Il a précisé que le centre Yennenga a bénéficié d’un financement de 45 millions de francs CFA de la Délégation à l’entreprenariat rapide (DER) en partenariat avec l’Agence française de développement (AFD) pour ‘’l’aménagement de l’espace pour les activités de post-production, fabrication de cabines d’isolation phonique’’.
‘’La DER est là pour encourager l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes. Yennenga est un projet qui va dans les industries culturelles, c’est un secteur à encourager dans ce pays parce que il crée de l’emploi, malheureusement, c’est un secteur qui est un peu laisser en rade. Alain Gomis a prouvé dans le monde culturel, son projet est à encourager’’, a de son côté dit Khoudia Ndiaye experte chargée du tourisme, des industries culturelles et de l’artisanat à la DER.
Le maire Wardini, dans sa volonté de faire de Dakar, un hub culturel à travers ses centres culturels a estimé que le centre Yennenga allait contribuer à favoriser l’employabilité des jeunes.
‘’Nous sommes fiers d’installer le pôle cinéma qui sera réalisé ici à Grand-Dakar, car la localité est riche culturellement, beaucoup d’acteurs culturels habitent dans la zone. La ville de Dakar sera aux côtés des porteurs du projet afin de continuer ‘’cette œuvre qui fera tâche d’huile’’, a réaffirmé Soham El Wardini.
Elle souhaite que les populations se retrouvent dans ces centres pour s’épanouir et créer de l’emploi.
par Abdoulaye Bathily
JOB BEN SALOMON, MARABOUT NÉGRIER ET ESCLAVE AFFRANCHI (1/6)
EXCLUSIF SENEPLUS - Le destin de cet obscur citoyen de la Sénégambie ancienne évoque une des périodes les plus décisives de l’évolution des peuples de cette région et du continent noir dans son ensemble
A côté de la plupart des grands personnages de l’histoire africaine dont la vie et les exploits sont étudiés dans la présente collection, Job ben Salomon fait pâle figure.
Pourtant le destin de cet obscur citoyen de la Sénégambie ancienne évoque une des périodes les plus décisives de l’évolution non seulement des peuples de cette région mais du continent noir dans son ensemble.
Vie et aventures de Job
Yuba Suleyman Ibrahima Jallo (Diallo), plus connu dans la littérature exotique européenne du XVIIIe siècle sous le nom de Job ben Salomon1, naquit vers 1700 à Jamweli, village du Bundu. Situé dans la région comprise entre les vallées supérieures du Sénégal et de la Gambie, le Bundu était un Etat théocratique musulman fondé vers la fin du XVIIe siècle. Il était dirigé par des Peuls originaires du Fuuta Tooro (moyenne vallée du Sénégal) à la suite de troubles politiques et religieux2.
Issu d’une famille maraboutique, Yuba passa son enfance et sa jeunesse comme tous les jeunes musulmans de son temps3. Il fréquenta d’abord l’école coranique dirigée par son père Suleyman Ibrahima dont il devint l’assistant vers l’âge de quinze ans. Vers la même période Yuba épousa 4 une fille elle aussi issue d’une famille maraboutique du Bambuk et de qui il eut trois garçons : Abdoulaye, Ibrahim et Samba. Quelques années plus tard il épousait une seconde femme musulmane originaire de la province du Damga (Fuuta Tooro), dont il eut une fille nommée Fatima.
Un jour de février 1730, le père de Yuba ayant appris l’arrivée au comptoir de Joar (Gambie) d’un navire de commerce anglais, l’envoya accompagné d’une suite d’esclaves domestiques pour échanger des captifs contre du papier et autres articles de traite. A son arrivée au comptoir, Yuba ne put se mettre d’accord avec les marchands du navire ; il dépêcha un messager au Bundu pour prévenir son père de la décision qu’il avait prise d’aller au bas du fleuve pour échanger sa cargaison à meilleur compte. Il partit en compagnie d’un certain Lamine Ndiaye qui devait lui servir d’interprète en langue mandingue. Yuba et sa suite se rendirent dans la province du Jaara où ils échangèrent leurs esclaves contre des bœufs.
Sur le chemin du retour, ils firent halte dans un campement de pasteurs nomades pour se reposer. Un groupe de brigands les y surprit et, avant même qu’ils n’eussent le temps de prendre leurs armes, ils étaient pris et liés et leur bétail saisi. Les brigands rasèrent la tête de leurs captifs comme il était de coutume de traiter les prisonniers de guerre. Le 27 février 1730, Yuba et Lamine Ndiaye furent transportés à Joar et vendus comme esclaves sur le navire même qu’ils avaient quitté quelques jours plus tôt.
Yuba offrit au capitaine du navire qui l’avait reconnu de payer une rançon d’esclaves pour se racheter. Un marchand qui se rendait au Bundu était chargé par Yuba d’avertir son père pour qu’il envoyât les esclaves nécessaires à sa rançon. Mais le navire ayant fait son plein de cargaison humaine dès le 1er mars leva l’ancre avec à son bord Yuba et Lamine.
Deux mois après, Yuba arrivait à Annapolis dans le district du Maryland (sud des Etats-Unis actuels). Il était compté au nombre des « marchandises » de M. Vachell Denton, négrier opérant pour le compte de Williams Hunt, grand armateur et négociant anglais de Londres.
Quelques temps après, Yuba était acheté par M. Tolsey, propriétaire d’une plantation de tabac située sur l’île de Kent (Maryland). Mais Yuba se révéla incapable de s’adapter au dur travail des plantations. Très vite, il tomba malade d’épuisement. Son maître fit preuve d’indulgence à son égard en lui confiant la garde du bétail. Yuba, au lieu de s’occuper des troupeaux, passait son temps en prières. De plus, le désir de s’évader s’emparait de lui. Au début de juin 1731, il se trouvait dans une prison du comté de Kent pour délit de vagabondage. En effet, à cette époque, une loi était en vigueur dans les colonies du Sud qui stipulait que tout esclave, fugitif ou non muni de passe, fût mis en prison jusqu’à ce que l’on retrouvât son maître.
Yuba, qui ne parlait pas anglais, était incapable de donner des indications sur l’identité ou la résidence de son maître et aurait passé le reste de ses jours en détention, si un vieil esclave wolof qui servait sur une plantation voisine ne lui eût servi d’interprète auprès du juge. A la fin de l’interrogatoire, le juge Thomas Bluett5 ordonna la restitution de Yuba à son maître M. Tolsey.
La détermination de Yuba à se libérer ne faiblit pas malgré l’échec de cette tentative d’évasion. Son malheur ne fit que renforcer sa foi. Il faisait montre d’une dévotion profonde pour la religion musulmane. Il ne manquait pas une seule de ses prières quotidiennes. Il refusait toute boisson fermentée et ne mangeait d’aucune viande qui ne provînt d’un animal qu’il aurait lui-même égorgé suivant le rite musulman. Sa dévotion religieuse et sa pratique de la langue arabe d’une part, d’autre part son caractère doux et affable joint à la fierté de son allure faisaient impression même sur ses maîtres blancs. Ceux-ci, influencés par la conduite exceptionnelle de cet esclave commencèrent à croire à ses déclarations, selon lesquelles il était d’origine aristocratique et que son père était le « Grand Prêtre » musulman du Bundu, etc.
A sa demande, Yuba fut autorisé à écrire une lettre à son père pour l’informer de ses aventures. La lettre écrite en arabe devait être envoyée aux bons soins du négrier Vachell Denton cité plus haut. Celui-ci la remit au capitaine du navire qui avait transporté Yuba de la Gambie au Maryland. Lors de son esclave (sic) [= escale] à Londres le capitaine montra la lettre de Yuba à la direction de la Royal Africain Company, James Oglethorpe, gentilhomme directeur de cette compagnie de commerce et gros propriétaire de plantations dans la colonie de Georgie dont il était le fondateur, fit traduire la lettre de Yuba par des arabisants de l’Université d’Oxford. Ceux-ci auraient été impressionnés par la qualité littéraire de la lettre et la teneur morale de son contenu : James Oglethorpe ordonna à son représentant au Maryland de racheter Yuba et de le faire transporter à Londres.
Yuba obtint ainsi sa libération. Il fut confié au juge Thomas Bluett qui devait lui tenir compagnie au cours de la traversée de l’Atlantique et lui apprendre des rudiments de la langue anglaise. Vers la fin avril 1733, Yuba débarquait à Londres. Il fut accueilli par les représentants de la Royal African Company qui le logèrent à African House, le siège social de la Compagnie.
Yuba devint vite une célébrité des salons londoniens. Les gentlemen les plus en vue du monde du commerce, des sciences et des lettres se disputaient sa compagnie. Il animait les conversations par le récit détaillé de ses aventures, la description des coutumes de son pays et les commentaires sur les livres Saints, comme le Coran qu’il savait réciter par cœur et l’Ancien Testament dont les enseignements faisaient partie de sa culture islamique. Bref, Yuba ne résista pas à la tentation de séduire ce public qui voyait en lui la consécration du mythe du bon sauvage si honoré en ce Siècle des Lumières.
Au nombre des hôtes les plus prestigieux de Yuba, il faut citer Sir Hans Sloane (1660-1753), médecin et botaniste célèbre, fondateur du British Museum et médecin personnel du roi George II. Par le biais de ses fréquentations, Yuba reçut l’honneur d’être introduit à la Cour et présenté au roi et à la famille royale. A la fin l’audience Sa Majesté lui offrit une montre en or. D’autres dignitaires imitèrent le geste royal en offrant toutes sortes de cadeaux. Les gentilshommes donnèrent généreusement à une souscription destinée à couvrir la rançon de Yuba, et ses frais de transport jusqu’au Bundu. Son altesse le Duc de Montague, gros propriétaire de plantations dans les îles antillaises de Saint-Vincent et Sainte-Lucie, offrit à l’issue d’un dîner des outils agricoles de la dernière invention. Il lui fit montrer la façon de s’en servir et lui recommanda de les utiliser dès son retour dans son pays natal. Le séjour londonien de Yuba fut couronné par une réception solennelle de la Gentlemen Society of London qui, en sa séance d’avril 1734, l’avait élu en qualité de membre.
A la fin juillet 1734, Yuba embarqua sur un navire de la Royal African Company qui mettait voile sur la Gambie. Le 8 août 1734, il débarquait à James Fort, principal comptoir anglais en Sénégambie où résidait le gouverneur de la concession. Selon Francis Moore6 qui le rencontra à James Fort, dès son arrivée, Yuba dépêcha un messager au Bundu pour annoncer son retour à sa famille. En attendant, il résidait à James Fort aux frais de la compagnie, conformément aux instructions de la direction de Londres.
Yuba mit cette attente à profit en se livrant à la traite. Il échangeait les articles qu’il avait rapportés d’Angleterre contre des esclaves et des produits du cru qu’il rééchangeait ensuite contre des articles européens. Ainsi l’esclave libéré était-il devenu trafiquant d’esclaves.
Le 14 février 1735 le messager revint du Bundu avec des lettres pour Yuba. Ce dernier apprit alors que son père venait de mourir mais que le vieil homme avant sa mort avait eu le bonheur d’apprendre la libération de son fils. D’autre part, le messager rendit compte à Yuba que l’une de ses femmes s’était remariée mais qu’à l’annonce de son retour elle avait décidé de rompre avec son second mari. Mais la nouvelle qui attrista le plus Yuba fut celle annonçant que depuis son départ le Bundu était en proie à la guerre et à la sécheresse qui avaient décimé les troupeaux. Ces nouvelles décidèrent Yuba à hâter ses préparatifs de départ. Le 9 avril 1735 il embarquait sur une chaloupe de la compagnie qui faisait la liaison entre James Fort et les comptoirs les plus hauts situés sur le fleuve. De là il regagna le Bundu par la route...
A suivre tous les mardis sur SenePlus. La partie 2/6 sera publiée le 3 novembre 2020.
Texte préalablement paru en 1978 dans la collection "Les Africains" de Jeune Afrique qui a autorisé SenePlus à le republier.
1. Les prénoms Job et Salomon des religions chrétienne et juive correspondent respectivement à Yuba (Ayub) et Suleyman chez les musulmans.
2. Sur les origines du Bundu voir : A Rançon. Le Bondou : Etudes de Géographie et d’Histoire soudaniennes de 1681 à nos jours, Bordeaux, XVIII94.
3. La biographie de Yuba telle que nous la relatons ici est fondée sur le récit qu’il en a fait lui-même à Thomas Bluett : Some Memoirs of the life of Job, the high priest of Boonda in Africa, Londres. 1734.
4. A cette époque, chez les Peuls, les jeunes se mariaient tôt, seize ans au plus pour les garçons et treize pour les jeunes filles.
5. il s’agit du même Thomas Bluett qui allait devenir le biographe de Yuba, voir p. 10.
(6) Francis Moore, Travels into the inland parts of Africa, Londres, 1738, pp, 202-203 ; 205-209 ; 223-224 ;230-231
LAT DIOR ATTEND LES HONNEURS DE LA NATION
Dans l’exotique quartier de Dekheulé Peulh, rien ne permet pas de percer le mystère du mausolée de ce personnage historique. L’oubli et l’usure ont eu raison du héros qu’il incarne. Ses héritiers réclament une célébration nationale du 27 octobre
En 2017, Le Quotidien s’était rendu sur les lieux ou Lat Dior Ngoné Latyr Diop, Damel du Cayor avait poussé son dernier soupir. A la place d’un majestueux sanctuaire, c’est dans un champ que repose ce résistant tombé sous les balles des colons. Mal entretenu et dévalorisé, le mausolée de l’ancien Damel du Cayor se morfondait au bout d’une piste latéritique dans une contrée logée au fin fond du département de Kébémer, dans l’indifférence de la République. Trois ans plus tard, le Mausolée a fait peau neuve et a été inauguré en grande pompe. Mais les revendications de ses héritiers restent toujours les mêmes : une célébration nationale du 27 Octobre.
L’oubli et l’usure ont eu raison du héros qu’il incarne. Dans l’exotique quartier de Dekheulé Peulh, une vue lointaine ne permet pas de percer le mystère du mausolée de Lat Dior. La savane ligneuse à même fini de cacher l’ancien ennemi du colon, encercle la tombe de l’ancien Damel du Cayor. Un site oublié, piétiné et véritable symbole du déshonneur que la Nation a réservé à son héros national. Le site souffre d’un manque d’entretien qui heurte la conscience des historiens et férus d’un sort glorieux aux figures historiques. Au-delà des cours d’eau sauvages, une couche poussiéreuse enveloppe l’atmosphère. Les plantes qui poussent aidant, c’est un décor qui est chahuté. Comme en témoigne le vestibule en fer qui ploie sous les assauts quotidiens de la rouille. Rats, moustiques et insectes s’y prélassent. L’insalubrité est omniprésente. Chevaux et ânes s’y pavanent. C’est le fief de Lat Dior Ngoné Latyr Diop qui, comme les fruits de l’infortune, voit sa mémoire se morfondre dans les antipodes de la postérité reluisante. Sans doute, l’ancien Damel du Cayor aurait mérité un hommage posthume auréolé de gloire et de respect. C’est loin d’être le cas. Dans ce mausolée, aucune enseigne ne montre que le héros national du Sénégal y repose. Quelques tas d’herbes sont amoncelés au moment où 5 arbres d’une somptueuse verdure entourent la tombe.
Mausolée à la merci de l’insalubrité
Impressionnant de loin en hauteur, le mausolée offre une sortie en forme de trapèze qui permet d’accéder à la tombe. Il est entouré d’un petit mur de clôture à la peinture rouge bordeaux et résiste difficilement à l’usure. Y accéder relève d’un exercice délicat. La peur de se faire piquer par les insectes rappelle la vétusté de l’édifice. Dans une stèle en marbre est gravé : «Ce monument a été inauguré le 27 octobre 1986 par son Excellence Monsieur Abdou Diouf, président de la République du Sénégal, Monsieur Makhily Gassama étant ministre de la Culture.» L’édifice souffre d’un manque d’entretien. Le temps impitoyable en longévité a percé les murs et fait voler en éclats les traces de peinture. «Sur ce champ de bataille est tombé le 27 octobre 1886 Lat Dior Ngoné Latyr Diop ; hommage rendu à tous les résistants sénégalais», lit-on en haut de la pointe du mausolée. Ici les pans des murs, s’ils ne portent pas les stigmates de la bataille avec le colon, accusent des fissures. Il est 14 heures. Le soleil darde ses rayons corrosifs sur Dekheulé Peulh. Les troupeaux, après de longues périodes d’errance, se déshydratent. La météo n’est pas loin des 40 degrés. Le mausolée de Lat Dior, haut perché de visu, est inaccessible. Il faut demander les clefs de la bâtisse fermée au public. «C’est le vieux Djiby Ba qui a les clefs de la tombe», nous indique un vieil éleveur accompagné de son troupeau. Dans la modeste demeure du conservateur du mausolée, les poules se promènent avec leurs poussins. Le vieux, lui, est occupé par les informations. La radio scotchée à l’oreille droite, Djiba Ba, nonagénaire, s’affranchit du poids de son âge pour aborder avec passion les questions liées à l’histoire de l’ancien Damel du Cayor. La téranga sénégalaise ne faiblit pas dans cette zone. Après la calebasse de lait servie à ses hôtes, Djiby Ba déroule dans un accent pulaar assez marqué. D’après lui, c’est Modou Coumba Diop, un témoin de l’enterrement de Lat Dior, qui lui a montré la tombe en question. Si ce témoin a rendu l’âme, le vieux, lui, la main sur le cœur, rapporte ses propos. «On a transporté Modou Coumba Laobé Diop jusqu’ici. Témoin de l’enterrement, il a dit que son père avait mis des tuiles autour de la tombe creusée sous l’arbre. Je lui ai fait visiter le secteur. Subitement, il a dit que c’est sous cet arbre que Lat Dior a été enterré par son père. Effectivement, en sondant le sol, je suis tombé sur des morceaux de tuiles. Je lui ai montré et il a confirmé. J’ai entouré la tombe de ‘’salannes’’ verts. Quand le nguiguisse est mort, j’ai planté un piquet en bois. Depuis lors, c’est le lieu que j’indique à tous les visiteurs qui cherchent là où l’ancien roi du Cayor a été enterré. Quand les autorités sont venues ici dans le cadre du centenaire de Lat Dior, je leur avais montré la tombe. C’est là où le mausolée a été érigé.».
Célébration nationale du 27 octobre réclamée par la famille de Lat Dior
Dekheulé Peulh est un quartier du village de Dekheulé où l’agriculture et l’élevage rythment l’activité des autochtones. Situé dans la commune de Darou Marnane, département de Kébémer (région de Louga), ce quartier espère désespérément profiter de la popularité de Lat Dior. Pourtant, les villages qui l’entourent accueillent des pèlerins, des Gamou et Magal. C’est le cas avec le mausolée de Mame Anta Saly, père de Serigne Touba, qui repose à Dekheulé Wolof, un quartier frontalier. D’ailleurs, Djiby Ba raconte que Me Abdoulaye Wade, alors opposant, avait visité en 1991 le mausolée en promettant de le réfectionner une fois au pouvoir. «Il est venu lorsqu’il était Président. C’était au début de mai, un passage express. L’objet de sa visite était d’aller voir Mame Mor Anta Saly», se souvient M. Ba. Lat Dior Ngoné Latyr Diop, né en 1842 à Keur Amadou Yala, est un résistant sénégalais qui a longtemps fait face au colon français. Conscient des enjeux pour le royaume du Cayor, il s’est farouchement opposé à la mise en place d’une liaison ferroviaire entre Dakar et Saint-Louis et à l’implantation de l’arachide. Après une série d’affrontements sanglants avec les troupes de Faidherbe et de Pinet-Laprade, Lat Dior et son armée se rendent à Dekheulé pour combattre les colons français et son ancien fidèle compagnon le Farba Kaba, chef des ceddos, Demba War Sall. Dans cette matinée du 27 octobre 1886, la Damel du Cayor, lors d’une bataille brève et sanglante, tombe à 11h avec deux de ses fils et 70 de ses compagnons, d’après les récits des colons. «C’est ici où Lat Dior est tombé», montre Abou Ba, fils de Djiba Ba. Une pierre qui comporte son histoire. En tourée de plantes, elle est mystérieusement épargnée par la verdure de la savane. A côté se trouve l’ancien puit de Lat Dior qu’il avait luimême creusé, nous dit-on. A sec avec le temps, ce réservoir d’eau conserve une étrange obscurité lorsqu’on dirige le regard en profondeur. C’est ici que Lat Dior s’abreuvait avec son cheval Malaw. Pour un des petits-fils de l’ancien Damel du Cayor, le sort réservé à son grand père n’est sans doute pas à la mesure de son combat. «Ce serait un honneur d’un faire une fête nationale, surtout dans les écoles. Depuis ma naissance, à part le centenaire de Lat Dior, je me pose à chaque fois la question de savoir pourquoi faire de Lat Dior un héros national et qu’on n’arrive pas à fêter sa mort», s’interroge Saër Diop, petit-fils de Lat Dior. Le rôle de la famille de Lat Dior dans tout cela ? Juste un mur de clôture érigé il y a quelques mois. «Au niveau de la famille, nous avons un peu failli, avoue M. Diop. Après la célébration du centenaire, il n’y a pas eu de suivi.»
Bijou touristique non exploité
Après avoir passé presque toute sa jeunesse à rendre propre le mausolée, le vieux Ba est à bout de souffle. Aujourd’hui, ce sont les jeunes du village qui ont pris le relais. Cependant, ces moments de désherbage sont sporadiques. Alors ministre de la Culture, Mbagnick Ndiaye avait envoyé une mission à Dekheulé pour s’enquérir de l’état du mausolée. Un appel d’offres a été lancé pour réfectionner le site. L’entre - prise en charge des travaux a effectué une visite de terrain il y a quelques mois. Depuis, le mausolée n’a pas changé de visage. «Je n’ai pas vu ce que Senghor a fait ici. C’est valable pour Abdoulaye Wade et Macky Sall. Abdou Diouf a organisé la fête du centenaire de la mort de Lat Dior. Wade est venu ici, mais n’a pas passé une minute pour ensuite rallier Darou Marnane et Mbacké Kadior. Pour Macky, on attend encore», dit Djiby Ba. En valorisant ce site, l’Etat pouvait également s’attendre à un bijou touristique dans la perspective de vendre la destination Sénégal. «Tous les gens qui passent ici nous disent que Lat Dior mérite plus que ça. Dekheulé restera toujours un lieu symbolique dans l’histoire du Sénégal. Je crois que l’Etat doit faire des efforts pour donner à Lat Dior la place qu’il mérite», invite Saër Diop. Une doléance pour un héros national qui dure depuis 134 ans.
ABDOULAYE MAMADOU GUISSE DENONCE LA GESTION EN COURS À LA SODAV
Il dénonce une «gestion parrainée par Youssou Ndour» et un conflit entre les intérêts de Ngoné Ndour et de la structure
Le président de l’Observatoire de la musique et des arts du Sénégal (Omart) tire sur la gestion de la Sodav. Il dénonce une «gestion parrainée par Youssou Ndour» et un conflit entre les intérêts de Ngoné Ndour et de la Sodav. Selon Abdoulaye Mamadou Guissé, «la plupart des festivals et activités culturelles soutenus financièrement par la Sodav sont organisés par des membres du Conseil d’administration».
Il y a, à la Société sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (Sodav), une gestion nébuleuse sur fond de conflit d’intérêts avec la présidente du Conseil d’administration Ngoné Ndour qui favoriserait Prince art, le label de la famille Ndour. C’est ce qu’il faut retenir de la déclaration du président de l’Observatoire de la musique et des arts du Sénégal (Omart). «Depuis 2016, existence légale de la Sodav, aucun ayant droit, aucun sociétaire n’a sa carte de membre. Quelle catastrophe ! Comment peut-on savoir le nombre de membres de la Sodav ? Combien reçoivent leur droit d’auteur ou droits voisins, leurs redevances ? Personne ne sait. C’est ça la gestion nébuleuse. La plupart des festivals et activités culturelles soutenus financièrement par la Sodav sont organisés par des membres du Conseil d’administration. Et la plupart des ayants droit qui organisent leurs activités sont ignorés.
Un Conseiller spécial du président de la République est subventionné par la Sodav. Je me mettrai à la disposition de la commission permanente de contrôle», a dit Abdoulaye Mamadou Guissé dans une tribune qui se veut une réponse à la sortie du Conseil d’administration de la Sodav il y a quelques jours. Une tribune qui ne s’est pas privée d’attaquer la présidente du Conseil d’administration ainsi que le directeur gérant. «Ngoné Ndour est au four et au moulin, éclipsant Aly Bathily, un directeur gérant mou, un faire-valoir indigne d’un juriste, parachuté au détriment d’un appel d’offres qui avait retenu comme directeur gérant Bouna Manel Fall», lit-on dans le document.
Etayant ses accusations, le président de l’Omart explique que «Youssou Ndour parraine la gestion orientée et nébuleuse de la Sodav (…) A qui appartient l’immeuble à la Cité Keur Gorgui qui abrite l’annexe de la Sodav loué à un montant exagéré sans l’avis des artistes ayant droit ?» L’ancien directeur de la Sodav, Bouna Manel Fall, a également réagi à la conférence de presse du Conseil d’administration de la structure. Il dénonce ainsi une «velléité de privatisation de la gestion des droits d’auteur par la mise en avant du statut privé de la société». Lors de la réunion du Conseil des ministres du 14 octobre dernier, le Président Macky Sall avait ordonné la mise sur pied de la Commission de contrôle des sociétés de gestion collective.
La Sodav a répondu favorablement. «La Sodav se réjouit ainsi de la mise en place de cette Com - mission de contrôle qu’elle n’a cessé de réclamer et qui est une exigence de l’article 124 de la loi 2008-09 sur le droit d’auteur et les droits voisins. Sa mise en place n’incombait point à la Sodav et son fonctionnement et organisation sont fixés par décret. Les membres de cette commission sont indiqués et désignés par la loi 2008-09 et seront nommés par un acte réglementaire. Cette commission va produire des rapports qui vont permettre de vulgariser tous les efforts fournis par la Sodav depuis son avènement pour le bien-être de la communauté artistique.
La Sodav assure sa disponibilité à prêter une franche et loyale collaboration à la Commission permanente de contrôle pour lui permettre d’exécuter sa mission dans les meilleures conditions», avait répondu la société. Resté jusque-là en retrait de la polémique, le ministre de la Culture et de la communication Abdoulaye Diop a convoqué une rencontre avec les organisations professionnelles ce mercredi 28 octobre à la Maison de la presse. L’objectif de cette rencontre étant de procéder à la mise en place fonctionnelle de la Commission permanente de contrôle
ON N'A PAS DONNÉ LA PAROLE AUX FEMMES AFRCAINES, ELLES L'ONT PRISE"
Quelle place pour les auteures africaines dans la littérature d'aujourd'hui ? Les auteures Véronique Tadjo et Bessora évoquent leurs parcours et les défis qui subsistent
Le Temps Afrique |
Isabelle Rüf |
Publication 25/10/2020
Quelle place pour les auteures africaines dans la littérature d'aujourd'hui? Les auteures Véronique Tadjo et Bessora, invitées dans le cadre de l'exposition «Africana» à la Bibliothèque Cantonale Universitaire de Lausanne, évoquent leurs parcours et les défis qui subsistent.
C'est un fonds inestimable: quelque 3500 titres d’auteures africaines francophones, réunis tout au long de sa vie par Jean-Marie Volet, chercheur suisse expatrié à l'Université de Western Australia et grand passionné de l'Afrique. La Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCUL), à qui il a légué ces trésors, leur consacre une exposition jusqu'au 22 novembre.
«À l’heure où les questions de parité et de représentation féminines occupent le devant de la scène sociale et politique, à l’heure où les stéréotypes de genre sont dénoncés au niveau planétaire, il semble nécessaire de mettre en évidence des figures de femmes, et des formes de pouvoir à l’œuvre dans la littérature mettant en scène l’Afrique et ses diasporas féminines», disent les professeures Christine Le Quellec Cottier et Valérie Cossy, organisatrices de l'exposition.
A cette occasion, les auteures Véronique Tadjo et Bessora étaient invitées à rencontrer le public et des élèves des gymnases. Toutes deux ont grandi dans une double culture. Véronique Tadjo est née à Paris en 1955, d’une mère française et d’un père ivoirien, mais a passé son enfance en Côte d’Ivoire. Si elle réside aujourd’hui en Angleterre, elle a enseigné pendant quatorze ans à l’Université Witwatersrand de Johannesburg et voyagé dans le monde entier. Peintre, poète, romancière, elle retourne régulièrement dans le pays de son enfance. L’Ombre d’Imana, qu'elle publie en 2000, évoque la tragédie du Rwanda, et Reine Pokou, issu d’un mythe baoulé, a été adapté en opéra à Genève. Son dernier livre, En compagnie des hommes, traite de l’épidémie d’Ebola.
Bessora, quant à elle, est née à Bruxelles en 1968 d’un père gabonais et d’une mère suisse. Elle a grandi au Gabon et dans plusieurs pays d’Europe, suivant la carrière de son père, économiste et homme politique. Bessora s’est fait connaître en 1999 avec 53 cm., un roman qui décrit dans une perspective anthropologique et comique, le racisme institutionnel que rencontre une jeune femme métisse dans sa quête d’une pièce d’identité. Roman graphique, Alpha retrace le parcours d’un homme qui tente de rejoindre sa famille, entre Abidjan et Paris.
Ensemble, elles évoquent, dans un hôtel lausannois, la place des femmes dans la littérature africaine, les barrières qui subsistent et l'espoir qui naît.
Le Temps: Le fonds Jean-Marie Volet montre l’émergence de nombreuses auteures africaines dans les années 1980. Que se passe-t-il alors?
Véronique Tadjo: 1980, c’est une génération après la décolonisation. Ça signifie que de plus en plus de filles fréquentent l’école et accèdent à l’écriture. En 1979 paraît Une si longue lettre de la Sénégalaise Mariama Bâ, qui remet en question la société patriarcale. Un livre qui exerce une influence énorme en Afrique et donne l’élan à celles qui n’osaient pas prendre la parole.
EXCLUSIF SENEPLUS - Héritages reçoit l'ancien entraineur de l'équipe nationale de football et militant politique reconnu pour son engagement envers les masses. Entretien réalisé par notre éditorialiste, Paap Seen
Ancien entraîneur de football et militant de gauche, du Pai puis de de And/Jëf, Jo Diop est une personnalité marquante de l’histoire sportive et politique du Sénégal. Il était l’invité du quatrième numéro de « Héritages ».
Dans cet entretien, il revient sur son compagnonnage avec feu Mawade Wade, son ami de toujours. Il fait un récit de la Coupe d'Afrique 1968, à Asmara. Il raconte sa conception du football, tournée vers le jeu collectif et la recherche du déséquilibre et de la possession avec l’utilisation de la loi du hors-jeu. Jo Diop nous dit pourquoi il a refusé de saluer Abdou Diouf lors de la finale de la Coupe du Sénégal, entre la JA et le Casa-Sports en 1979. Il explique aussi sa vision du sport, comme « moyen de socialisation et d’éducation ».
Jo Diop parle de sa vie dédiée à la lutte pour les peuples d'Afrique. Il évoque sa détention, en 1975, pendant plus d’un an à la prison de Rebeuss, avec d'autres militants. Jo Diop revient, aussi, sur ses rencontres avec de grandes figures révolutionnaires, Mao Zedong et Ernesto Che Guevara, de ses voyages en ex-URSS, à Cuba, en Chine, au Vietnam, en Corée du Nord.
MYTHE AUTOUR DU DËMM SÉNÉGALAIS
Ce n’est ni un anthropophage boulimique, ni un cannibale itinérant en quête de la bonne chair. Il est une omniprésente créature entrée dans le récit des aventures d’une société toujours attachée à sa mythologie malgré les ravages du temps
Le « dëmm » sénégalais n’est ni un anthropophage boulimique ni un cannibale itinérant à la quête de la bonne chère. Il est une omniprésente créature entrée dans le récit des aventures merveilleuses d’une société toujours attachée à sa mythologie malgré les ravages du temps. Cet « être » fabuleux est également un moyen pour certaines communautés de se défaire d’un individu ou d’un groupe encombrant en portant l’accusation sur lui, en le frappant d’anathème. Des familles se sont disloquées par le simple fait d’un réquisitoire public articulé autour d’une anthropophagie ritualisée.
« Jeunes, nous prenions la poudre d’escampette chaque fois que nous apercevions une vieille femme atteinte d’éléphantiasis. Elle ne semblait point agressive, mais son handicap physique l’avait mise en marge de la communauté. On disait de cette mamie impotente qu’elle se nourrissait de la chair fraîche des enfants ». Ce récit d’Abdoulaye Sow est très répandu dans les terroirs. La figure du « dëmm » traverse les âges et est entrée dans les imaginaires, au grand dam d’hommes et de femmes souvent pris de soupçons à cause de leurs conditions sociales, de leurs traits physiques, de leur âge avancé ou d’un projet d’exclusion sociale. « Dans notre village, vivait tranquillement une famille jusqu’au jour où elle a été accusée d’ »anthropophagie » après qu’un fils d’un notable a été amputé de sa jambe par des médecins pour apaiser son mal. On dirigea très vite les regards vers cette famille qui a, par la suite, disparu de la bourgade depuis les années 1960. Aucun des membres de ce lignage n’y a remis les pieds. Le village a même perdu leurs traces. Personne ne semble savoir ce qu’ils sont devenus. La légende qui s’est répandue au fil des âges raconte que le père, désespéré de voir son unique fils devenir une personne handicapée, a jeté un mauvais sort à cette famille frappée d’anathème », confie Salimata Dia, originaire d’un village du Fouta Toro.
Crime de la pauvreté
Au Sénégal, le « dëmm », dans l’imagerie populaire, ne porte pas les habits d’un cannibale boulimique comme les Fang d’Afrique centrale du 19ème siècle qui agrémentaient leur menu de chair humaine juste pour faire bonne chère. Il est une figure omniprésente dans les récits fabuleux et charpente les relations sociales dans certaines sphères où le référent imaginaire fait place au merveilleux et dresse des cloisons. C’est le cas dans une contrée sénégalaise où « il n’est pas recommandé de se trouver dans la demeure des cordonniers ou des tanneurs au déclin du jour. Pourtant, au petit matin, on n’éprouvait aucune crainte à les fréquenter. La vie suivait son cours normal jusqu’au crépuscule ; eux-mêmes sentant sans doute cet ostracisme, rechignaient à sortir la nuit au cours de laquelle les autres communautés villageoises les soupçonnaient de s’en prendre aux autres par leurs pratiques anthropophages », narre Lamine Niang, qui n’a pas toujours percé ce mystère de son royaume d’insouciance gouverné par cette créature entrée dans les imaginaires. Inexistante pour les uns, réalité du monde et de l’esprit pour les autres, elle demeure omniprésente dans le rapport à l’autre dans plusieurs communautés africaines et sénégalaises.
À Yoff Ndeungagne, une famille a aussi vécu dans l’infortune du réquisitoire public. « Ay dëmmlañu » (ce sont des « anthropophages ») ! Cette accusation a, pendant de longues années, plongé cette famille dans un abîme profond. Son indigence en a fait une proie facile, un bouc émissaire. La pauvreté est souvent associée au « dëmm ». On y raconte, sous le couvert de l’anonymat, que c’est grâce à l’ascension sociale d’un membre de cette famille que la malveillance à son égard s’est estompée. « Depuis notre tendre enfance, on nous interdisait d’aller dans certaines maisons avec un discours hermétique pour les mômes que nous étions », se rappelle Djibril, traumatisé, malgré l’œuvre du temps.
La vieille femme, le bouc émissaire idéal
« Une vieille femme, qui n’était pas des plus gracieuses certes, avec des grains de beauté sur tout le visage, avait quitté son patelin pour venir s’installer à Yarakh parce qu’elle était considérée comme une « dëmm ». Elle a préféré quitter son terroir pour ne pas compromettre l’avenir de ses enfants qui ne pouvaient y contracter mariage. Elle a mal vécu cette situation », fait savoir le quadragénaire Bassirou Diop qui se souvient de cette anecdote : « Un de mes cousins l’a vue en rêve avec sa fille et au réveil, il est tombé malade. L’information s’est répandue comme une traînée de poudre dans le quartier et cela a empiré la situation ». À en croire un professeur d’histoire et de géographie servant à Ziguinchor, la figure du « dëmm » relève d’une légende populaire. « Je suis en conflit avec ma mère depuis mon enfance car elle m’interdisait de fréquenter une mamie du quartier que je me plaisais à assister dans ses tâches quotidiennes. Chaque fois qu’il me gratifiait d’un repas, je mangeais sans arrière-pensée, au grand dam de ma mère convaincue de sa théorie », se souvient cet enseignant d’ethnie balante. Tout le monde n’est pas de cet avis malgré la modernité. C’est le cas du Saltigué Diène Ndiaye du centre Malango de Fatick. D’après lui, le « dëmm » est bien une réalité au Sénégal. « Nous reconnaissons les symptômes et la différence qu’il y a avec quelqu’un qui est possédé par un djinn », déclare-t-il, non sans ajouter que le malade suit trois mois de traitement (bain, encens, sacrifice, aumône…). La figure du « dëmm » défie le temps.
L’HISTOIRE DU PAKAO RETRACÉE DANS UN LIVRE
L’ouvrage ’’Pakao d’autrefois, son histoire et sa culture’’ du guide religieux et acteur de développement, Mouhammadou Kanamoui Souane dit N’Mama, est un témoignage objectif sur une culture qui défie le temps selon Abdoulaye Diop
Dakar, 22 oct (APS) – L’ouvrage ’’Pakao d’autrefois, son histoire et sa culture’’ du guide religieux et acteur de développement, Mouhammadou Kanamoui Souane dit N’Mama, est un témoignage objectif sur une culture qui défie le temps, remontant très loin dans la mémoire des initiés, a salué, jeudi, le ministre de la Culture et de la Communication.
’’L’ouvrage que nous présentons aujourd’hui a été écrit en mandingue, puis traduit en français et il m’a plu, en effet, de voir que son auteur, témoigne avec objectivité sur une culture qui défie le temps, remontant dans la mémoire des initiés’’, a dit Abdoulaye Diop lors de la cérémonie de dédicace du livre.
Selon lui, cette publication retrace ’’l’histoire et la culture sans aucun esprit partisan, avec la démarche du chercheur attentif aux récits qui lui sont faits, dans l’objectivité et la mesure, pour dispenser au lecteur un savoir utile’’.
’’Enseigné au monde, surtout à la jeunesse sénégalaise et africaine, il constituera sans nul doute une ressource à forger des femmes et des hommes nouveaux, aptes à assumer l’héritage, le patrimoine et le devenir’’, a-t-il soutenu.
Le Pakao, qui correspond à la région de Sédhiou (Casamance), a-t-il dit, est ’’un terreau où murissent des femmes et des hommes au tempérament trempé dans une histoire et une culture qui bouscule les défis et se fraie des itinéraires bordés de palmes’’.
A l’en croire, c’est son ancrage dans son territoire en tant qu’homme de terrain, acteur de développement qui a œuvré dans divers secteurs d’activités et son parcours remarquable d’érudit , comme les siens, qui ont permis à l’auteur de ’’parler avec autorité ainsi du Pakao dont la diversité ethnique (Mandingue, Baynouks, Balante, Diolas, peuls, Mancagnes et Mandjacks), en constitue le socle solide qui nécessairement une lumière bienfaisante’’.
’’Pendant trente ans, l’auteur a sillonné cette belle région pour nous faire cet ouvrage si dense comme la forêt du Pakao et nourricier à profusion’’, a pour sa part déclaré le directeur du Monument de la Renaissance africaine, Pr Racine Senghor qui faisait la présentation du livre.
Il a expliqué que cet essai qui se lit ’’comme un compte sur une épopée noble, vaillante, glorieuse et constitutive, est un patrimoine et une histoire qu’il faut s’approprier’’.
’Pour son auteur Mouhammadou Kanamoui Souane, le livre ’’retrace la genèse du Pakao’’.
’’Il parle successivement des djihadistes, des résistants, des vandales, des trois créatures (Feng-Koto, Faating et Kondoron), des noms de ses sept provinces, des vingt-cinq premières mosquées, des reines coutumières, des coutumes et traditions, des proverbes mandingues (…), ainsi que l’histoire du mystérieux caïman, Saamiron Bamba’’, a t-il fait savoir.
Mouhammadou Kanamoui Souane dit voulir à travers cet ouvrage, ’’rendre au Pakao, sa place sur le plan historique, culturel et religieux à l’échelle nationale’’ pour permettre de ’’découvrir le passé de grandissimes érudits, guerriers et résistants que nous ont témoigné les griots-poètes’’.
KAAW CHEIKH
Le réalisateur sénégalais, Moe Sow, retrace le parcours de l’écrivain et homme d’Etat Cheikh Hamidou Kane, 92 ans, à travers un film documentaire
Dakar, 22 oct (APS) - Le réalisateur sénégalais, Moe Sow, retrace le parcours de l’écrivain et homme d’Etat Cheikh Hamidou Kane, 92 ans, à travers un film documentaire consacré aux convictions de l’auteur de "L’Aventure ambiguë", son regard sur le monde actuel et sur le devenir du Sénégal et de l’Afrique.
D’une durée de 52 minutes, ce film intitulé "Kaaw Cheikh’’ (oncle Cheikh) a été projeté à Dakar, à l’Institut supérieur des arts et de la culture (ISAC).
Il propose des va-et-vient sur la vie de ce descendant de Alpha Ciré Kane de Matam, "un homme qui a marqué son temps et la vie sociale, politique et économique de son pays, le Sénégal, et de son continent, l’Afrique", dit de lui le journaliste Mamadou Ibra Kane, un des producteurs exécutifs du film.
Le cinéaste s’attarde, dès l’entame du film, sur une époque matérialisée par un vieux poste radio et une télévision d’époque diffusant tour à tour un entretien accordé par l’écrivain au journaliste, dans lequel le premier revient sur la genèse et le contenu de ses deux livres ayant marqué son parcours littéraire à savoir "L’Aventure ambiguë", un classique publié en 1961 et traduit en plusieurs langues, et "Les gardiens du temple" (1995).
Le documentaire "Kaaw Cheikh" est un film biographique qui incite, dans le même temps, à la découverte du terroir de Cheikh Hamidou Kane, la région de Matam et la zone du fleuve Sénégal, symbole de l’enracinement de tous les "Foutankés".
Cette incursion dans cet univers culturel déterminé justifie le rappel constant de la filiation de Cheikh Hamidou Kane par son griot de naissance, le musicien et chanteur Samba Ciré Guissé, dont le récit est ponctué de la voix permanente du chanteur pulaar Baaba Maal, un choix qui contribue à faire de la musique un personnage central dans le film.
Le film se veut aussi une fenêtre sur des évènements marquants de la vie politique du Sénégal postindépendance, notamment la crise de 1962 dont Cheikh Hamidou Kane fut un témoin important.
Il donne sa version des faits sur cette crise politique, comme l’ont fait d’autres avant lui, dans par exemple "Président Dia" (2012) du réalisateur Ousmane William Mbaye, un document historique qui a contribué à une meilleure compréhension des enjeux de l’époque et même d’aujourd’hui, à travers la confrontation entre le premier président du Sénégal indépendant, Léopold Sédar Senghor, et le président du Conseil Mamadou Dia.
Ce dernier, accusé d’avoir voulu perpétré un coup d’Etat, fut arrêté, jugé et mis en prison avant d’être élargi quelques années plus tard.
Cheikh Hamidou Kane ayant pris parti pour ce dernier, démissionne de la Fonction publique depuis Monrovia où il était affecté à l’ambassade du Sénégal au Libéria.
Le film est aussi agrémenté de témoignages recueillis lors de la célébration des 90 ans de l’auteur et du colloque organisé en son honneur en 2018 sur le thème "Cheikh Hamidou Kane. Questions d’avenir".
L’intérêt du film tient aussi au fait que des personnalités de renom y sont revenues sur leurs liens avec l’écrivain, comme l’historien guinéen Djibril Tamsir Niane, compagnon de longue date de Cheikh Hamidou Kane.
Il compte aussi sur la valeur des témoignages de proches de l’écrivain - le ministre Abdoulaye Elimane Kane, philosophe et écrivain lui aussi, ses enfants -, et surtout de ses lecteurs situés dans des pays d’outre-Atlantique et qui s’identifient à Samba Diallo, personnage principal de son célèbre roman ’’L’Aventure ambigüe’’.
Le documentaire "Kaaw Cheikh", qui s’appuie sur une démarche pédagogique, tente de lever un coin du voile sur les convictions politiques de Cheikh Hamidou Kane, qui a toujours cherché à savoir "comment lier le bois au bois ?". Il essaie également de traduire son regard sur le monde d’aujourd’hui et le devenir du Sénégal et de l’Afrique.
Moe Sow a déjà produit un film sur le mythique groupe de musique sénégalais "Xalam" et compte sortir un autre sur le batteur Doudou Ndiaye Coumba Rose, autant de projets comptant pour son entreprise d’archivage de la mémoire culturelle du Sénégal.
"Je favorise en tant que cinéaste d’archiver notre histoire. Les autres viennent nous les prendre, nous sommes assis dessus et restons là à faire des séries et autres. Il faut que l’on documente notre propre histoire, il faut que les jeunes puissent voir ces histoires, puisqu’ils ne lisent pas beaucoup", indique le cinéaste.