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24 avril 2025
Développement
PAR L'ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, EMMANUEL DESFOURNEAUX
L'OPPOSITION POURRAIT-ELLE MIEUX FAIRE QUE MACKY SALL ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Le principal défaut du président depuis 2012, c’est de n’envisager le consensus que comme un ultime recours, voire un calcul politicien, et souvent après avoir déjà tout décidé solitairement
Emmanuel Desfourneaux de SenePlus |
Publication 18/05/2020
Presque partout dans le monde, les chefs d’Etat et de gouvernement sont vivement critiqués par leurs populations pour leur gestion de la Covid-19. Les mêmes causes produisent les mêmes effets au Sénégal. Depuis sa décision de déconfinement de fait en date du 11 mai, Macky Sall essuie une pluie de critiques.
Après ce constat préliminaire, je ne me déroberai pas à la question de mon édito. La gestion de la crise de la Covid-19 dépend largement des personnalités politiques aux commandes des Etats. C’est une lapalissade ! C’est ainsi que les populistes et fantasques Donald Trump, Boris Johnson et Jair Bolsonaro, en minimisant la pandémie, ont une lourde responsabilité sur la réponse tardive et désorganisée de leurs Etats. Et in fine sur le nombre de morts dans leurs pays respectifs. Il serait immérité de placer Macky Sall parmi ces fantasques présidents. Allons donc chercher ailleurs !
Dès le début de la pandémie, le Sénégal a pris mesure du danger de la Covid-19. Comme dans les autres pays, Macky Sall est soumis à la même équation : trouver un équilibre entre le droit à la santé, voire le droit à la vie de sa population, et la considération des libertés publiques et la relance économique. C’est un choix politique difficile et inédit. Fermer les frontières, cela équivaut à perdre l’une de ses principales ressources à hauteur de 10 % du PIB, le tourisme. Restreindre les marchés et déplacements, c’est mettre dans la difficulté le secteur informel qui représente plus de 80 % de l’activité économique sénégalaise. L’opposition, qui est dans son droit, peut toujours discuter du moment opportun de la fermeture des frontières, et celui de la date du déconfinement, mais finalement rien ne permet d’affirmer qu’elle aurait fait mieux dans le jeu des équilibres. C’est la première fois que tous les Etats sont sujets à de tels dilemmes politiques. Dans cet exercice, chaque choix présente ses avantages et ses inconvénients. A l’exemple du refus de rapatrier les étudiants sénégalais à Wuhan début février et de la réouverture des mosquées mi-mai.
Continuons alors notre investigation ! Au Sénégal, si la mayonnaise de l’unité nationale a bien pris les premiers jours de la pandémie, la gestion de la crise par Macky Sall n’en reste pas moins « unipersonnelle ». C’est le principal défaut de Macky Sall depuis 2012, c’est de n’envisager le consensus que comme un ultime recours, voire un calcul politicien, et souvent après avoir déjà tout décidé solitairement. Le dialogue national s’inscrivait dans ce contexte-là. Le Comité de suivi de Force Covid-19 ne serait-il au demeurant qu’un trompe-l’œil de cogestion ? Je suis convaincu qu’un opposant aurait pu faire mieux dans le processus d’associer davantage les forces vives de la nation, et avec sincérité. Une nuance de taille tout de même relative à l’exercice du pouvoir : les présidents sénégalais, depuis Senghor et sa décision de tuer dans l’œuf le bicéphalisme exécutif, ont privilégié une forme de césarisme républicain.
La gestion de la crise de mai 68 éclaire sur les méthodes expéditives avec l’internement des étudiants dans un camp militaire et l’absence d’accord final avec eux. L’histoire politique de gestion des crises au Sénégal ne nous renvoie-t-elle pas à un exercice solitaire du pouvoir et de ce fait faillible ? Les opposants à la place de Macky Sall auraient-ils renoncé aux pleins pouvoirs et à ses excès ? Difficile à dire ! Peut-être y aurait-il eu quelques variantes selon les personnalités des uns et des autres : un dialogue plus franc comme déjà souligné et une gouvernance plus coopérative. Néanmoins, le seul élément de réponse qui ne fait aucun doute, c’est la Constitution sénégalaise : elle a consacré un régime quasi-présidentiel, peu importe la présence d’un premier ministre ou pas, ce dernier n’avait aucun pouvoir. Aucun candidat à la présidentielle de 2019 n’a évoqué un retour au parlementarisme !
Là-encore, la réponse au titre de mon édito risque d’être nuancée. Le Sénégal, en dehors de toutes considérations de l’identité du président de la République, se heurte à des obstacles structurels. Souvenez-vous du discours de l’ancien président Me Abdoulaye Wade au lendemain du naufrage de Joola : « Nous devons faire notre introspection et admettre que les vices qui sont à la base de cette catastrophe trouvent le fondement dans nos habitudes de légèreté, de manque de sérieux, d’irresponsabilité, parfois de cupidité lorsqu’on tolère des situations qu’on sait parfaitement dangereuses simplement parce qu’on tire un profit ».
Si le peuple sénégalais a très vite relevé le défi de la Covid-19 tant en termes d’initiatives créatives que de discipline progressive, l’Etat patauge à contre-courant des intérêts de son peuple. Tout semble encore tourner autour de cette cupidité que Me Abdoulaye Wade avait dépeinte. L’exécution de l’enveloppe conséquente de 1.000 milliards de FCFA scandalise la clameur publique, en particulier sur les combines politicofinancières. Le Comité de suivi de Force Covid-19, bouée de sauvetage de Macky Sall, s’englue dans des discussions surréalistes de Per diem tandis que plus de dix millions de sénégalais attendent leur kit d’aide alimentaire. L’opposition fait mine de s’indigner mais cette même question avait été soulevée lors du Dialogue national. Bis repetita ! Le Répertoire national unique (RNU) et la bourse de sécurité familiale font l’objet de polémiques d’ordre clientéliste, un peu comme le fichier électoral ! Le président de l’AMS, Aliou Sall, suggère de les réviser. En pleine crise, c’est bien le moment !
Comme si cela ne suffisait pas, surgit de nulle part le décret fantôme sur l’honorariat des anciens présidents du CESE, faisant la part belle à des privilèges républicains en pleine crise sociale et économique. Le moment était assurément mal choisi ! Cependant, un opposant, aujourd’hui à la tête de l’Etat sénégalais, aurait-il été plus habile pour contrer ces écueils si consubstantiels à la société politique sénégalaise ? Pas si sûr ! Surtout, l’introspection n’a jamais été la tasse de thé des hommes politiques sénégalais. Le passage du statut d’opposant à celui de gouvernant n’annonce pas un changement ipso facto en faveur d’attitudes vertueuses.
En dépit de ce contexte néfaste et condamnable, n’est-il pas possible de positiver au Sénégal ? Pour ne prendre que cet exemple, la France a moins bien fait que le Sénégal dans la gestion des masques. Sans doute le secteur informel, si souvent vilipendé, a-t-il été à la hauteur de la crise. Il faudrait s’en réjouir et être fier. La 7ème puissance mondiale a été incapable d’être réactive et de mobiliser en vue d’une production locale exceptionnelle. Le professeur Souleymane Bachir Diagne avait révélé cette insuffisance française à ne vouloir que se concentrer sur la théorie et à ne pas mettre l’initiative au cœur de l’apprentissage. Preuve flagrante ! Face à l’imprévu, la France est désarmée ! Face à l’imprévu, le Sénégal joue dans la cour des grands et ce dans de nombreux secteurs !
Pour terminer avec cette démonstration sur ma thèse de la « relativité » politique de la Covid-19, je souhaiterais souligner le contexte exceptionnel de la prise de décision politique dans le cadre de la lutte contre ce virus. Jamais l’incertitude n’a été aussi grande : chaque jour, des symptômes différents du coronavirus apparaissent. Les scientifiques n’en savent pas plus parfois que le quidam. Les mêmes modélisateurs sont capables de vous prévenir du danger d’une deuxième vague terrifiante pour vous avertir deux jours après qu’ils n’en sont plus aussi certains ! Que penser des polémiques des scientifiques autour des traitements ? Allez donc arrêter une stratégie politique après tout ça ! Un opposant, aussi brillant soit-il, à la tête du Sénégal, aurait dû faire face à cette même situation d’insécurité nationale et internationale.
Je terminerai avec une lueur d’espoir. L’aptitude providentielle de certains opposants sénégalais n’est pas à exclure. Il est certain que, face à la crise, des talents, semblables à celui de la chancelière allemande, se seraient révélés comme le rappelle Emile de Girardin : « L’art de gouverner, c’est l’art de vaincre les difficultés ; l’art de vaincre les difficultés, c’est l’art de choisir les hommes selon leur aptitude : et cet art, c’est le secret de toute grandeur, c’est l’explication que donne l’histoire de l’éclat des plus illustres règnes. ».
Une publication attribuée au président malgache, Andry Rajoelina, rapporte que l’Ile rouge a quitté les organisations internationales. Il s’agit d’une fausse information
Madagascar n’a pas quitté l’Organisation mondiale de la santé (OMS), contrairement à ce qu’affirme une publication, devenue virale, sur Facebook. En toile de fond, les débats sur le Covid-Organics, le remède national au Covid-19, préparation contenant de l’artémisinine,que l’OMS refuse de reconnaître comme traitement.
« J’ai un regret amer envers les européens, les européens ont créé des organisations pour que les africains soient éternellement dépendant de l’Europe j’affirme, l’Afrique a trouvée un médicament contre coronavirus mais les européens pensent qu’ils ont le monopole de l’intelligence ils essaient de refuser nôtre médicament. »
La suite du message, qui dit citer le chef de l’Etat malgache, invite les pays africains à « quitter passifiquement [sic] toutes les organisations mondiale des européens ». La publication se conclut notamment par : « mon pays Madagascar quitte ce soir toutes organisations ».
POURQUOI C’EST FAUX
Aucune déclaration de ce type n’apparaît sur le site officiel de la présidence de Magagascar. Une rapide recherche sur Google concernant cette dernière phrase montre que ces propos n’ont jamais été tenus. Les fautes d’orthographe trahissent un faux très artisanal.
Ce plan ‘’sera bâti sur les acquis positifs’’ du Programme de résilience économique et sociale lancé début avril par le président de la République pour atténuer les effets de la pandémie, selon le ministre de l’Economie, Amadou Hott
Depuis le début de la crise de la Covid-19, les Sénégalais ont découvert un Amadou Hott réactif et combatif. Le ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération est en première ligne pour expliquer l’impact de la pandémie sur l’économie sénégalaise et pour coordonner le Programme de résilience économique et social (Pres) concocté par le gouvernement dans le but d’amoindrir les conséquences de la pandémie. Dans cet entretien, il fait le point sur la réponse gouvernementale et dessine les grandes lignes du plan de relance économique sur lequel travaille actuellement son département.
Est-ce que les mesures annoncées dans le Programme de résilience économique et sociale (Pres) ne sont pas trop conjoncturelles pour contenir les effets de la Covid-19 et assurer une relance de l’activité ?
La pandémie de la Covid-19 a donné lieu à une crise économique, financière et sociale sans précédent à l’échelle mondiale. Tous les pays se sont mobilisés pour atténuer dans un premier temps ce tsunami. Cette situation a justifié tous ces plans d’urgence constatés à travers le monde selon les moyens de chaque État. Notre pays n’a pas été en reste. En effet, face à l’impérieuse nécessité de prendre en urgence des mesures d’atténuation des effets de la crise de Covid-19, le gouvernement a mis en place un Programme de résilience économique et sociale (Pres) pour apporter la riposte à la pandémie. Le Pres est décliné en quatre piliers : renforcement du secteur de la santé ; renforcement de la résilience sociale des populations incluant la diaspora ; préservation de la stabilité macroéconomique et financière par le soutien au secteur privé et le maintien des emplois ; et un approvisionnement régulier du pays en hydrocarbures, produits médicaux, pharmaceutiques et denrées de première nécessité.
Comme vous l’avez constaté, le Pres vise à aider les entreprises à faire face à la crise et à préparer l’après-crise. C’est pour cette raison que le gouvernement travaille sur un plan plus global de relance qui sera bâti notamment sur les acquis positifs du Pres et de la première phase de mise en œuvre du Pse ainsi que des enseignements tirés de la crise et de la situation réelle des secteurs.
Nous sommes également conscients que pour que la relance attendue soit au rendez-vous, il est important de s’assurer que les branches à fort potentiel de création de richesses et d’emplois sont bien prises en compte. C’est la raison pour laquelle, mes services travaillent actuellement sur les évaluations des secteurs d’activité et l’ajustement du Plan d’actions prioritaires de la phase II du Pse. En un mot, un Pse post-Covid-19 est en gestation. Il s’agit, en effet, de revisiter les objectifs stratégiques et les résultats attendus de la phase II du Pse afin de renforcer la souveraineté sanitaire et alimentaire ainsi que l’industrialisation. Ces initiatives démontrent, au-delà du contexte actuel assez particulier, une volonté et un engagement sans faille du Président Macky Sall et de l’ensemble du gouvernement à relancer notre économie.
Sur quels leviers précis l’Etat compte-t-il s’appuyer pour assurer une reprise de l’économie ?
Il est évident que s’il y a une leçon à retenir de cette crise, c’est qu’il faut d’abord compter sur soi-même. Il faut qu’on accélère la correction de certaines tendances de notre économie, notamment notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur en produisant davantage et en consommant nos produits et construire des bases solides pour exporter. Il s’agit d’encourager les mesures et les initiatives qui mettront en œuvre de nouvelles façons de produire et de consommer à petite et à grande échelles. Au-delà de la promotion du consommer local, il urge de travailler à l’avènement d’une véritable souveraineté alimentaire et sanitaire du pays. Dans les mois à venir, le Pse post-Covid-19, comme je viens de l’indiquer, posera les jalons d’un modèle économique qui privilégiera la souveraineté alimentaire, la redynamisation de l’industrialisation dans des domaines stratégiques tels que la pharmacie, le renforcement du capital humain (protection sociale, éducation et santé) ainsi que le développement du numérique et des infrastructures logistiques.
La transformation structurelle enclenchée durant la première phase de mise en œuvre du Pse sera accélérée. Il est devenu plus que nécessaire de poursuivre les réformes dans la conduite des politiques publiques. Il s’agira de remettre notre économie sur la trajectoire de la phase I du Pse et d’atteindre rapidement l’émergence socioéconomique. Cette démarche nous permettra de garantir la cohésion sociale de notre pays. En plus de ses investissements propres, l’Etat nouera plus de partenariats avec le secteur privé et mettra en place des mécanismes pour un meilleur accès des entreprises au financement.
Certains économistes reprochent à l’Etat de n’avoir pas donné les vraies projections sur le taux de croissance attendu en 2020 ; ils évoquent plutôt une récession. Qu’en est-il exactement ?
Je pense que le temps n’est pas à des polémiques ou à une contestation de chiffres. L’heure est grave. Et beaucoup de nos compatriotes souffrent. Le calcul des agrégats macroéconomiques est fait par des techniciens qui ont du métier. Ils sont des agents assermentés et soucieux de respecter la loi et la déontologie. Par ailleurs, je dois rappeler que notre pays a adhéré à la Norme spéciale de diffusion des données (Nsdd) du Fmi, devenant ainsi le 4ème pays de l’Afrique subsaharienne. Cette adhésion est la preuve d’une amélioration de la qualité des données, de l’élargissement des champs couverts et de la réduction des délais de diffusion ; tout ceci incombe de notre part une obligation de transparence. Et c’est sur la base du Pres qui est bâti à partir de ce cadrage macroéconomique que nous discutons avec les partenaires pour mobiliser les ressources. L’exercice de prévision économique nécessite de la rigueur et de la pondération. Se projeter demande une collecte et un suivi périodique d’informations, aux niveaux interne et international, pour mieux apprécier l’avenir. A titre illustratif, il convient de noter que chaque mois, un document dénommé « point de conjoncture » est produit pour apprécier la situation économique et financière du pays. Je dois dire que nos prévisions de croissance du fait de la crise ne sont pas éloignées de celles du Fmi qui a prévu un taux de croissance de 3 % pour 2020 pour le Sénégal. Evidemment, si les hypothèses et les informations pour les mois à venir changent, les prévisions seront modifiées.
Quel devrait être l’apport de la Bceao dans la lutte contre les effets de la Covid-19 sur l’économie nationale ?
La Banque Centrale a bien appréhendé à sa juste valeur les enjeux socioéconomiques liés à la pandémie de la Covid-19. Elle est en train de jouer parfaitement son rôle en assurant la liquidité du marché bancaire. Elle a pris à ce titre un ensemble de mesures d’accompagnement du système bancaire et aménagé les conditions d’accès au refinancement en intégrant de nouvelles entreprises. Les entreprises sont également concernées par les mesures avec des possibilités de report d’échéances. D’ailleurs, la Banque centrale a publié un communiqué qui précise les modalités de report d’échéances. Ces reports d’échéances s’adressent également aux clients des Systèmes financiers décentralisés (Sfd). La Bceao a également créé pour les Trésors publics un guichet Covid-19 qui permet aux Etats membres de l’Union d’émettre des titres Covid-19 pour lever rapidement des ressources afin de pouvoir faire face aux dépenses urgentes liées à la pandémie. Le plus important, c’est la disponibilité affichée par la Bceao à examiner toutes les difficultés auxquelles les banques seraient confrontées durant cette crise dans l’exercice de leur rôle de soutien de l’activité économique.
LE COVID-19 FAIT UN NOUVEAU MORT
Le ministère de la Santé a signalé ce lundi un nouveau cas de décès lié coronavirus, portant à 27 le nombre de personnes ayant succombé à la maladie depuis son apparition au Sénégal, le 2 mars
Le ministère de la Santé a signalé ce lundi un nouveau cas de décès lié au Covid-19, portant à 27 le nombre de personnes ayant succombé à la maladie depuis son apparition au Sénégal, le 2 mars.
‘’Le Sénégal vient d’enregistrer son 27e cas de décès lié au Covid-19. Il s’agit d’une femme de 65 ans. Elle est décédée ce lundi à 10h 30 à l’hôpital Principal de Dakar’’, indique le ministère dans un communiqué.
Le Sénégal a enregistré son premier décès lié au nouveau coronavirus le 31 mars, en la personne de Pape Diouf, ancien président de l’Olympique de Marseille.
A la date du 18 mai 2020, le pays a officiellement dénombré 2544 cas de coronavirus dont 1076 guérisons, 27 décès et une évacuation d’un patient à son pays d’origine, selon les autorités sanitaires.
par Mohamed M. Ould Mohamed Salah
CE QUE LA CRISE NOUS DIT DES PARADOXES DU MONDE GLOBALISÉ
Comment en est-on venu à la situation où il va falloir injecter des milliers de milliards de dollars pour espérer juguler une crise que l’on aurait pu mieux traiter, si l’on avait pas coupé dans les crédits affectés à la santé ?
Apanews |
Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Salah |
Publication 18/05/2020
Des prescriptions sur les « gestes barrières » (lavage régulier des mains, distanciation sociale…) au confinement partiel assorti d’un couvre-feu, nous vivons au rythme des contraintes de la « guerre » imposée par un ennemi invisible, sournois, envahissant, qui tue, massivement, tout en s’insinuant dans la vie de ceux que le jeu de la roulette russe dans lequel il excelle, aura épargnés.
Plus de trois mois après sa première apparition dans la ville de Wuhan, en République Populaire de Chine, ce capricieux virus n’a pas encore livré tous ses mystères. Et personne ne peut dire quand et dans quel état le monde sortira de la crise multidimensionnelle qu’il a provoquée.
Pour nous autres Africains, l’incertitude est d’autant plus grande que l’OMS vient d’avertir que le pire est devant nous, ajoutant à l’angoisse délétère que nourrit un climat de fin imminente du monde.
Dans ce contexte propice à la résurgence de prédictions eschatologiques, que peut-on faire de mieux que prier et respecter les consignes commandant de ne pas s’exposer et de ne pas exposer autrui au danger ? Observer les prescriptions des autorités sanitaires devient pour chacun l'unique moyen de compenser son impuissance individuelle et de participer à la lutte contre la propagation du virus dans un pays où la guerre contre le Mal ne peut être gagnée que par la prévention, le système sanitaire étant dans l’incapacité de faire face à une explosion du nombre de cas nécessitant une prise en charge hospitalière. Civisme minimal et réalisme vont ici de pair.
‘’Risque mondialisé’’ avéré
Comme partout, ailleurs, nous sommes en guerre et, comme partout, on ne peut d’abord compter que sur nous-mêmes car l’une des leçons paradoxales de cette crise est qu’en dépit du caractère global du Mal, les réponses apportées ont été et sont restées, en particulier sur le terrain sanitaire, des réponses nationales, dépendantes par conséquent de l’état du système sanitaire de chaque pays, de la qualité et de l’engagement de son personnel soignant, du sens des responsabilités et du civisme de ses concitoyens, de la résilience individuelle et collective de ses populations et de l’organisation et de l’efficacité de son système de gouvernement.
Bref, c’est toujours, en premier lieu, l’Etat-Nation qui est sommé de trouver la riposte appropriée à une crise, quelles qu’en soient l’origine et l’ampleur, dès lors qu’elle frappe les personnes se trouvant sur son territoire.
Mais où sont donc passés la mondialisation et la myriade d’organisations, d’institutions, d’acteurs et de règles qui en ont assuré la promotion et la diffusion ? Pourquoi, face à un « Risque mondialisé », avéré, ne peut-on encore concevoir une réponse globalisée, immédiate ? D’autres interrogations surgissent dans le sillage de ce premier questionnement. Pourquoi les enjeux sanitaires, si essentiels dans la mesure où ils touchent directement à la vie des personnes, n’ont-ils pas été suffisamment pris en compte en temps de paix, y compris dans les pays surdéveloppés ? Comment en est-on venu à la situation où il va falloir injecter des milliers de milliards de dollars – le G20 s’est engagé à injecter 5000 milliards de dollars. Les USA viennent d’adopter un plan de relance économique de 2000 milliards de dollars – pour espérer juguler ou tout simplement atténuer une crise que l’on aurait pu prévenir et que l’on aurait pu mieux traiter, si l’on avait pas coupé dans les crédits affectés à la santé (recherche scientifique, industrie de la santé, personnel hospitalier…) ? Pourquoi dans de grands pays, on peut encore avoir des pénuries de masques, de respirateurs et même de matériels pour effectuer des tests ? Est-ce parce qu’on a suivi de manière rigide et donc bête les préceptes de la doctrine économique dominante proscrivant les déficits budgétaires et imposant à l’Etat de s’en tenir à un rôle de garant des grands équilibres ?
N’a-t-on pas délégué au Marché plus qu’il ne faut, en le laissant envahir des secteurs de l’activité sociale qui ne doivent pas être soumis aux seuls critères de la rationalité marchande, notamment l’éducation, la santé et l’environnement ? Mais surtout, comment repartir sur de nouvelles bases, en tirant de cette pandémie les bonnes leçons ?
Comment en finir avec la schizophrénie qui consiste à proclamer, un peu partout, l’adhésion aux objectifs du développement durable – lequel suppose que la dimension économique soit articulée à la dimension sociale et à la dimension environnementale, et que la satisfaction des besoins des générations actuelles soit compatible avec les droits des générations futures – tout en adoptant, en fait, un modèle de développement dans lequel l’économie marchande et la finance surdéterminent le reste des activités sociales ?
Il n’est pas sûr que ces questions s’imposent en filigrane des débats qui vont dominer la sortie de crise, tant la pression du court terme est forte. Un élément peut cependant jouer favorablement en ce sens, c’est le caractère global de la pandémie.
L’enfant de la mondialisation
Le Covid-19 est à l’origine de la première crise sanitaire globale, dans tous les sens du terme. C’est un enfant de la mondialisation. Il est apparu pour la première fois dans le pays qui a engagé, dans un délai record à l’échelle de l’histoire, la transformation la plus profonde et la plus compréhensive qu’un pays puisse faire pour assurer son décollage économique et devenir, en moins de trois décennies, un pôle majeur de la mondialisation. Au confluent de ce qu’on appelle, aujourd’hui, les chaînes de valeur – expression qui désigne la fragmentation à l’échelle mondiale du processus de fabrication d’un produit, les divers composants de ce produit étant fabriqués par des entités différentes d’un groupe transnational, disséminées dans des pays distincts – la Chine est un acteur central de la globalisation qui, par le jeu des interdépendances entretenues par la nouvelle organisation des firmes transnationales, devient, en même temps, un élément de l’économie de la quasi-totalité des Etats qui comptent.
Frapper l’économie chinoise, c’est frapper l’économie de la plupart des Etats, ce qui explique que les premières inquiétudes des pays non encore touchés par le virus étaient essentiellement d’ordre économique et non sanitaire.
Mais pour assouvir son ambition globale, le Covid-19 se devait d’aller à l’assaut du reste du monde. Il l’a fait en utilisant l’un des vecteurs les plus communs de la mondialisation : voyageant à la vitesse supersonique des avions, il s’est propagé au reste du monde, en commençant par les grands centres de la globalisation.
En début mars, l’OMS annonçait que l’Europe est devenue le nouvel épicentre de la pandémie. Elle l’est toujours en nombre de décès enregistrés. Mais en termes de nombre de personnes infectées, ce sont désormais les Etats-Unis qui ravissent la première place. De fait, aucun continent n’est épargné. L’infection touche aujourd’hui 180 pays. Le Covid-19 remporte ainsi la première manche de son combat pour l'universalité, à savoir, la planétarisation de la crise sanitaire.
Mais cette crise est vite devenue globale, à un autre point de vue. Elle touche désormais à tous les aspects de la vie sociale et, d’abord, au moteur de celle-ci dans les sociétés modernes, à savoir, l’économie. Cela tient moins à l’accroissement des dépenses sanitaires qu’aux conséquences des mesures restrictives qui ralentissent, voire paralysent, l’activité économique, appelant potentiellement des failles en cascade dans la quasi-totalité des secteurs économiques.
La force du « choc » est telle que les principaux acteurs de la mondialisation poussent les Etats à intervenir massivement pour aider les secteurs, les entreprises et les salariés fragilisés et éviter le chaos économique et social qui se profile. L’Union Européenne autorise un allègement des contraintes budgétaires et un assouplissement des règles sur les aides d’Etat, déclenchant le recours à la clause de « circonstances exceptionnelles », se disant même prête à activer la « clause de crise générale » qui permet la suspension du Pacte de stabilité. Les Etats se mettent, chacun, en ordre de marche, pour protéger leur économie et leur population et organiser à leur échelon, la gestion de l’urgence sanitaire devenue économique et sociale. En France, le gouvernement obtient une loi d’habilitation qui lui permet d’adopter 25 ordonnances dans un seul Conseil des ministres. C’est moins le retour à Colbert qu’au droit économique de l’après-guerre et notamment aux fameuses ordonnances de 1945 qui ont servi de base juridique au dirigisme économique jusqu'à leur abrogation, en 1986. Les Etats-Unis adoptent à leur tour un gigantesque Plan de relance économique dont certains éléments renouent avec l’esprit du New Deal de Roosevelt. Le Président Trump va même jusqu’à exhumer le « Defense Production Act », promulgué lors de la guerre de Corée, pour obliger General Motors à fabriquer d’ici un mois cent mille respirateurs.
Cela ne suffit pas à cependant à revigorer durablement les marchés financiers qui donnent la température de l’économie, parce qu’ils savent que tant que la réponse n’est pas globale, la crise ne pourra pas être jugulée.
Traitement médiatique quasi uniformisé
Certes, l’intervention du G20 a été bien accueillie par les diverses places boursières. Mais soufflant le chaud et le froid, celles-ci ont de nouveau été échaudées par l’absence d’accord entre les pays de l’Union Européenne lors du mini-sommet du 27 mars. A vrai dire, compte-tenu de l’interdépendance entre la crise sanitaire et la crise économique, l’issue de la récession économique va également dépendre de la capacité du monde à juguler la pandémie.
Enfin, la crise du Covid-19 est aussi une crise globale, du point de vue de la communication qui s'y rapporte. Elle est l’objet d’un traitement médiatique quasi uniformisé qui en fait le sujet exclusif d’une actualité qui pénètre dans l’intimité de chaque foyer. On y suit tous l’irrésistible extension géographique du confinement, la progression géométrique de l’infection, pays par pays, l’accroissement vertigineux du nombre de personnes décédées, mais aussi les controverses sur la chloroquine et l’arrière-plan, pas toujours rassurant, des polémiques entre savants qu’elle dévoile, ou encore le déficit criant de solidarité entre Etats, y compris au sein d'ensembles régionaux bien intégrés, comme l’Union Européenne, l’Italie ne trouvant aide et assistance que du côté de la Chine ou de Cuba !
Nous sommes informés de manière instantanée et simultanée de l’évolution de cette crise. Et cette globalisation de l’information contrastant avec la fermeture des frontières étatiques et le confinement des populations favorise l’émergence d’une prise de conscience planétaire des périls communs et des enjeux globaux.
On peut raisonnablement espérer que cela ne sera pas sans conséquence sur la redéfinition des règles du jeu au sortir de la crise. Pour certains, celles-ci seraient d’ailleurs déjà écrites. L’ordre mondial qui sortirait de la crise actuelle n’aurait rien à voir avec son prédécesseur. Il scellerait la fin de la mondialisation dont la pandémie du Covid-19 aurait révélé toutes les tares. C’est, me semble-t-il, aller vite en besogne.
Pour savoir quelles règles émergeront de l’après-crise, il faut, d’abord, déterminer quels sont les acteurs qui vont écrire ces règles. On a, à cet égard, comparé la pandémie du Covid-19 à une guerre, en raison de la violence de ses conséquences humaines, économiques et sociales. Et lorsqu’une guerre s’achève, ce sont les vainqueurs qui écrivent les règles transcrivant le nouveau rapport de force. Pour nous en tenir à l’exemple de la seconde guerre mondiale, l’ordre économique international qui en est sorti avait été conçu par les Etats-Unis et leurs alliés anglais, quelques années avant la fin du conflit. Ils avaient alors projeté de mettre en place, une fois le conflit terminé, une organisation des relations économiques internationales avec une triple composante, financière, monétaire et commerciale, inspirée de leurs conceptions libérales.
Les deux premières composantes de cette organisation ont vu le jour, un certain 22 juillet 1944, dans une bourgade du New Hampshire, lorsque, après trois semaines de négociations, les délégations d’une quarantaine de pays signèrent les fameux accords instituant le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD). Quant à la troisième, si elle n’a pas été immédiatement au rendez-vous, un ersatz permettant de jeter les bases d’une libéralisation progressive des échanges commerciaux fut trouvé à travers le GATT de 1948 avant que l’OMC, organisation dont l’universalité a été renforcée par l’adhésion de la Chine et de la Russie, ne prenne le relais, en 1995.
Ce sont ces trois organisations, FMI, BIRD, OMC (successeur du GATT), inspirées des idées des vainqueurs de la seconde guerre mondiale et ensuite de la guerre froide (pour l'OMC), qui ont favorisé l’essor et l’extension de la mondialisation économique et la montée des interdépendances. Mais si, au terme d’une guerre interétatique, les vainqueurs comme les vaincus sont facilement identifiables, dans la « guerre contre le coronavirus », les choses sont plus compliquées d’où les limites de la métaphore martiale appliquée à cette pandémie. Tous les Etats risquent d’en sortir affaiblis, ne serait-ce qu’en raison de l’endettement public massif qui en résultera. Certains pensent que la Chine sera mieux lotie car elle serait d’ores et déjà arrivée à stopper la propagation du virus sur son territoire et à reprendre progressivement ses activités et ajoutent que cela favoriserait une remise en cause de la mondialisation. Cette analyse procède cependant d’une erreur d’appréciation sur le positionnement de la Chine par rapport à la mondialisation.
Le ‘’modèle’’ chinois
Lors du Sommet de Davos de 2018, c’est la Chine qui s’est faite le chantre de la mondialisation car c’est elle qui en tire le plus avantage. Elle est pour l’OMC dont elle soutient à fond le Mécanisme de Règlement des différends.
Après s’être illustrée, pendant une certaine période, « dans la contrefaçon », elle a aujourd’hui un intérêt objectif à défendre bec et ongles l’Accord sur la propriété intellectuelle puisqu’elle est devenue le pays dont les entreprises déposent le plus de demandes de brevets. Elle a par ailleurs renforcé sa présence dans les principales instances de gouvernance de la mondialisation (FMI, G20…) et créé, elle-même, ou favorisé la création de nouvelles instances (les « BRICS », regroupant les principaux pays émergents ; la Banque Asiatique pour les infrastructures, créée en 2014, dont la Chine est le premier actionnaire ; la Nouvelle Banque de développement ou Banque des BRICS...) dans le but d’influencer le cours de la mondialisation afin d’y peser plus mais non pour bouleverser le système mondial.
Le chemin emprunté par la République Populaire de Chine depuis la politique d’ouverture initiée par Deng Xiaoping, à partir de 1978, a deux balises : le libéralisme économique et le centralisme démocratique, Adam Smith et Karl Marx, réunis dans un attelage baroque d’une redoutable efficacité que résume bien le slogan : « l’économie socialiste de marché ». Il s’agit d’une voie originale, produit de la rencontre entre l’extraordinaire capacité d’adaptation du système capitaliste et l’instinct de survie d’un Parti Communiste qui, assurément, sait négocier les compromis nécessaires à sa pérennité.
Mais la sagesse de la Chine a été jusqu'ici de ne pas ériger cette expérience inédite qui l’a propulsée dans la cour des pays leaders de la mondialisation en modèle à exporter ou a fortiori à « imposer ».
La Chine s’en tient à la conception classique du droit international qui fonde ce droit uniquement sur le principe de souveraineté de l'Etat et ses corollaires, la liberté pour chaque Etat de choisir son système politique, économique et social et la non-ingérence dans les affaires internes d’un Etat, insistant sur les valeurs de respect mutuel, de coexistence pacifique et repoussant les notions nouvelles promues par le droit international post-guerre froide, comme celle de droit à la démocratie, de devoir d’ingérence ou encore de la responsabilité de protéger.
En somme, oui à la mondialisation économique, non à la mondialisation juridico-politique qu’elle considère, à l’instar de la Fédération de Russie, qui est une alliée mobilisable sur ce terrain-là, un instrument au service de l’hégémonie occidentale. On voit mal en quoi la pandémie du coronavirus pourra affecter cette position stratégique de la Chine.
L’autre acteur, toujours puissant et – pour une décennie au moins, encore- dominant ce sont les Etats-Unis. Contrairement à ce que certaines déclarations du Président Trump ont pu laisser entendre, ce pays ne conteste pas la mondialisation dont il a été la principale locomotive au triple plan économique, juridique et politique. Il entend seulement renégocier les accords conclus avec certains partenaires commerciaux - Chine, Union Européenne, Mexique et Canada ainsi que l’Accord sur l’OMC, en particulier ses dispositions relatives au fonctionnement du Mécanisme de Règlement des différends accusé d'outrepasser ses attributions. On ne sait pas encore quels seront les effets à terme de la pandémie sur l’opinion publique américaine. Il est possible que si la crise se prolonge et que le nombre de décès grimpe de manière significative, la demande politique en faveur d’une protection sociale plus grande finisse par entraîner des modifications durables dans le système juridique et économique.
Le troisième acteur important, c’est l’Union Européenne. Jusqu’à présent, elle a été l’un des soutiens majeurs de la mondialisation.
Elle défend l’OMC même si elle considère que la Chine n’en respecte pas toutes les règles. Elle s’inquiète des fusions et acquisitions réalisées par les entreprises chinoises en Europe mais ne ferme pas son territoire à l’investissement étranger chinois. Elle vient de conclure un Accord commercial global avec le Canada qui permet l’ouverture des frontières économiques et l’intensification des échanges entre les Parties.
Une mondialisation plus humaine
Sa position sur la mondialisation pourrait cependant s’infléchir au sortir de la crise sanitaire inédite qui la frappe, aujourd’hui et dont l’une des conséquences prévisibles est l’accentuation du rejet des politiques libérales par les populations européennes. Cela devrait notamment se traduire par une importance plus grande accordée aux considérations sanitaires et environnementales, non seulement au plan national mais également au plan international où le libre-échange pliera chaque fois que cela s’impose, devant la protection de la santé ou celle de la biosphère.
Pour que cette évolution puisse se concrétiser de manière durable, il faudra probablement renégocier de nombreux accords internationaux, y compris ceux de l’OMC. On pourra alors donner aux mots leur véritable signification et parler de biens publics mondiaux et de mondialisation plus humaine, c’est-à-dire, aussi, plus… équitable. On rappellera à ce propos que le cycle des négociations de l’OMC, lancé, à Doha, deux mois après les attentats qui ont fait basculer les tours jumelles de Manhattan, portait précisément sur un programme de travail désignant « un agenda ambitieux pour une mondialisation équitable ». Parler d’équité, c’est évoquer les déséquilibres criants qui fracturent la société internationale, dont celui lié à la disparité des niveaux de développement.
Sur ce terrain, aussi, la pandémie du coronavirus risque d'entraîner des effets catastrophiques. Dans un continent, comme le nôtre qui, en dépit de la persistance de facteurs inquiétants, a pu renouer avec l’espoir, avec un taux de croissance régulier de l’ordre de 5% et des progrès relatifs mais réels en matière de démocratie, le Covid-19 s’apparente à une malédiction.
Pour conjurer le mauvais sort et éviter que l’Afrique ne sombre dans la régression économique, sociale et politique, il faudra des gestes forts de la Communauté internationale, à son endroit, dont le moindre devra être, comme le propose l’ancien Directeur Général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, une initiative comparable au programme « Pays pauvres très endettés de 2005 », conduisant à une annulation massive de la dette des pays les plus pauvres.
S’il y a une bonne leçon à tirer de cette crise qui n’aura épargné personne, c’est que, pour paraphraser Edgar Morin, l’interdépendance sans la solidarité n’a pas de sens.
Contrairement aux nombreuses réflexions qui circulent sur le net, rédigées sous le coup de la colère, par ailleurs parfaitement légitime, suscitée par les dysfonctionnements de la mondialisation, nous ne pensons pas cependant que celle-ci prendra fin avec l'actuelle pandémie. Le Covid-19 n'est pas un militant antimondialiste et la mondialisation ne se réduit pas à la trajectoire libérale qu'elle a empruntée jusqu'ici.
Le monde globalisé dans lequel nous vivons est né de la conjonction de facteurs économiques (la libre circulation des capitaux, des biens, des services et l’interdépendance qui en résulte entre firmes et Etats ou groupes d’Etats), technologiques (aux moyens de transport réduisant les distances se sont ajoutées les nouvelles technologies de l’information qui contractent à la fois l’espace et le temps) et géopolitiques (effondrement du bloc soviétique) qui interagissent, créant un système d’interdépendance généralisée qui survivra au Tsunami provoqué par le coronavirus.
Mais ce monde globalisé n’est pas, tant s’en faut, un monde homogène. Il a peu de boussoles communes et il est travaillé par des contradictions multiples et évolutives. Une victoire générale des partis populistes - de droite ou de gauche- dans l'un des grands centres de la globalisation, comme l'Inion Européenne, aurait des conséquences certaines sur la trajectoire de la mondialisation mais ne la supprimerait pas pour autant.
On terminera cette brève réflexion par une interrogation sur l’impact possible du Covid-19 sur l’une de ces contradictions du monde globalisé, popularisée, ces dernières décennies, par la formule du « conflit des civilisations ». Quoiqu’il soit difficile de faire, à ce propos, la part entre ce qui relève de l’idéologie pure voire de la manipulation politicienne et ce qui relève de la réalité et, quoique l’observation élémentaire montre que beaucoup de conflits récents, présentés comme une illustration du « clash of civilization » sont plus banalement des conflits territoriaux classiques ou des conflits économiques, on ne peut nier que la fin de l’affrontement Est-Ouest a favorisé l’essor et la multiplication des conflits identitaires dans lesquels les facteurs religieux, culturels et civilisationnels au sens large jouent un rôle important. En dépit de la trêve à laquelle elle incite (mais cette incitation vaut pour tous les types de conflits), la pandémie du coronavirus ne devrait pas changer grand-chose à cette situation sauf dans deux cas extrêmes. Le premier est celui d'une victoire des populismes de droite qui exacerberait alors le conflit. Le second - il n'est pas interdit de rêver - concerne le scénario optimiste d'une conversion des esprits au terme de cette redoutable épreuve aux idées d'égalité, de justice et de respect mutuel entre les peuples ouvrant la voie à un nouvel ordre international surmontant au moins provisoirement la contradiction. Le Covid-19 aurait ainsi et malgré lui une vertu pacificatrice. Mais ne serait-il pas irrationnel de placer les espoirs de changement dans les conséquences induites par l'irruption d'un virus serial killer ?
Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Salah est Agrégé en droit privé et sciences criminelles (concours d’agrégation français, Paris, février 1989), Professeur à l’Université de Nouakchott (depuis 1989).
BAISSE DE LA FRÉQUENTATION DES CENTRES DE VACCINATION
C’est une conséquence du Covid-19 : au Sénégal certains parents ne veulent plus faire vacciner leurs enfants contre la rougeole, la tuberculose, etc. Elles expliquent vouloir refuser le test sur leurs enfants d’un supposé vaccin par des médecins européens
C’est une conséquence de la pandémie de Covid-19 : certains parents ne veulent plus faire vacciner leurs enfants contre la rougeole, la poliomyélite ou encore la tuberculose. Elles expliquent vouloir refuser le test sur leurs enfants d’un supposé vaccin contre le Covid-19 par des médecins européens. Un refus qui part d’une fausse information largement relayée sur les réseaux sociaux.
Chaque semaine, dans les environs de San Samba en Casamance dans le sud du pays, l’infirmier d’État Rémi Diedhiou part en tournée de vaccination. Ce jour-là, dans le village de Sonkocounda, deux familles refusent de faire vacciner leurs jeunes enfants : « Il y a eu des rumeurs au niveau des réseaux sociaux, où les gens ont dit : non, non, il ne faut pas vacciner les enfants. Parce que si on vaccine les enfants, le vaccin-là, n’est pas un bon vaccin. »
Le soignant doit à présent s’armer d’arguments pour convaincre les familles : « Je leur dis : vous me connaissez, chaque mois, je viens vacciner les enfants. Aujourd’hui, avec la pandémie, vous avez eu ces informations, mais vous devez me croire, parce que si ce n’était pas un bon vaccin, je ne peux pas être là. Dans les familles qui étaient réticentes, il y en a qui ont accepté, mais il y en a d’autres qui n’ont pas accepté, jusqu’à présent, de vacciner les enfants. »
Risque de nouvelles épidémies
Ne pas vacciner les plus jeunes, c’est créer de potentielles nouvelles épidémies, explique le docteur Mamadou Ndiaye, directeur de la prévention au ministère de la Santé : « Je parle de la rougeole, je parle de la fièvre jaune, de la coqueluche et ainsi de suite… Il y a eu des épidémies de ce genre et qui malheureusement ont entraîné des taux de mortalités plus élevés par rapport au Covid-19, en tout cas dans notre contexte actuel. »
Au Sénégal, la vaccination n’est pas obligatoire, mais elle est gratuite et reste très vivement recommandée.
par Madiambal Diagne
AKILEE-SENELEC, QUI DOIT CRIER AU VOLEUR ?
On se demande si les parties qui négociaient pour la société nationale d’électricité avaient vraiment mis en avant les intérêts de l’entreprise. L’Agent judiciaire de l’Etat devrait pouvoir faire annuler un contrat aussi léonin
Le 16 décembre 2019, nous avions publié une chronique intitulée «La nécessité d’auditer Senelec». C’était au lendemain des dernières mesures d’augmentation du prix de l’électricité, justifiées par un besoin de combler un déficit d’exploitation de la compagnie nationale d’électricité. Il semblait curieux que Senelec, qui était présentée comme un modèle de bonne gestion d’une entreprise publique, distribuait des dividendes et qui avait réalisé des investissements vantés comme lui permettant de couvrir ses besoins en approvisionnement en électricité, que cette même Senelec connût subitement des problèmes de production au point de recourir à la location d’une barge flottante venant de la Turquie pour acheter l’électricité à un prix plus onéreux. Il était aussi curieux que cette même société, qui avait équilibré son exploitation en 2015, jusqu’à renoncer à la subvention de l’Etat du Sénégal, arrive à augmenter ses prix au consommateur pour «résorber ses déficits d’exploitation». Pour le seul exercice de l’année 2019, Senelec a encaissé auprès de l’Etat du Sénégal plus de 200 milliards de francs Cfa de compensation et autres subventions. Du temps de la gestion de gabegie du Plan Takkal de Karim Wade, Senelec n’avait pas reçu plus de 100 milliards de l’Etat du Sénégal. Pourtant, Senelec a vu le prix de ses intrants de production, notamment les hydrocarbures, baisser de plus de la moitié avec la chute des cours mondiaux du pétrole. Mieux, à la faveur du Programme «Scaling solar» de la Banque mondiale, Senelec était arrivée à acheter le kw/h auprès des nouvelles centrales solaires à un prix le plus bas que partout ailleurs dans la région. Il y avait donc anguille sous roche. Il y avait quelque chose qui clochait et qui méritait d’être examiné. La demande de réaliser un audit de Senelec était aussi un écho aux protestations des consommateurs et des citoyens qui criaient dans des cortèges de marcheurs qu’il n’était pas question pour le consommateur de payer des pots qu’il n’a pas cassés. Ainsi, le consommateur ne devait pas avoir à supporter les présumés errements et turpitudes dans la gestion de Senelec.
Nous avions essuyé une volée de bois vert, des insultes même, car d’aucuns ne voulaient pas envisager la nécessité de contrôler une gestion, fusse-t-elle conforme aux bonnes règles. On voyait toujours un complot, une volonté d’affaiblir un potentiel candidat politique en la personne de Mouhamadou Makhtar Cissé, directeur général de Senelec, devenu ministre de l’Energie et du pétrole. Je me demande bien si l’intéressé ne devait pas rire de ces grossièretés qu’on nous prêtait. Mais qu’à cela ne tienne !
L’affaire du contrat controversé passé entre Senelec et Akilee donne du grain à moudre et encore plus de sens à toute demande d’examiner la gestion de Senelec de ces dernières années. Le contrat avec Akilee semble être la goutte d’eau de trop. Les syndicats et les cadres de Senelec ont unanimement demandé des missions d’inspection et de contrôle, par les grands corps de contrôle de l’Etat, pour situer les responsabilités quant à la gestion aux relents prévaricateurs de la compagnie nationale d’électricité.
Akilee, le scandale de trop
Senelec avait confié au cabinet Performance management consulting (Pmc) une mission en vue d’élaborer un plan stratégique pour la période 2016-2020. Cette mission a produit un plan stratégique intitulé «Yeesal». On lit à la page 18 de ce plan, établi en novembre 2016, la préconisation pour la Senelec d’engager la perspective du «développement de compteurs communicants/intelligents, rendant les réseaux plus intelligents avec le développement des outils de e-learning pour faciliter le développement et le renforcement des capacités (commerciales, mais aussi techniques)». Pour mettre en œuvre leurs recommandations, les consultants, notamment Victor Ndiaye et Amadou Ly du cabinet Performance, vont sortir de leurs manches la société I-Nes, créée avec leur partenaire Samba Laobé Ndiaye, résidant en France. La société I-Nes va créer avec la Senelec la société Akilee, avec un tour de table de 66% de parts pour I-nes et 34% pour la Senelec. Le directeur général de la Senelec, Mouhamadou Makhtar Cissé, dévoila ce partenariat en août 2017, en présentant Akilee comme une filiale de Senelec. Les actes uniformes de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (Ohada) stipulent qu’une filiale doit être détenue au moins à hauteur de 51% par la société mère. C’était donc une supercherie de présenter Akilee comme une filiale de Senelec, un moyen commode pour contourner le Code des marchés publics et, donc, recourir à une prétendue filiale pour éviter la procédure d’appels d’offres concurrentes dans laquelle Akilee n’aurait eu aucune chance. L’opération avait aussi de forts effluves de délit d’initié, en ce sens que les consultants ont eu le temps d’étudier en interne les faiblesses et les besoins de Senelec, avant de mettre en place une start-up censée corriger lesdites faiblesses. Des cadres de l’entreprise avaient, faut-il le rappeler, dénoncé ce contrat dans la presse. Ils lui reprochaient, outre l’exclusivité du contrat de fourniture des compteurs intelligents, un domaine dans lequel Senelec avait déjà une certaine expertise, le fait qu’Akilee ne pouvait présenter aucun état de services assez solide et un carnet d’adresses important lui permettant de disposer d’une exclusivité qui lui assurait un contrat de 187 milliards de francs Cfa sur dix ans.
Mais ce n’est pas le plus grotesque. Pour accompagner le plan stratégique de Senelec, le gouvernement avait pu décrocher un financement conjoint de la Banque mondiale et de l’Agence française de développement (Afd). Coup de théâtre ! A la veille de la signature du contrat d’Akilee, la Senelec avait décliné ce financement destiné à l’acquisition, par appels d’offres, de compteurs intelligents. Senelec avait préféré renoncer à ce financement et à l’appel d’offres, pour confier le marché de gré à gré à Akilee, qu’elle va payer sur sa propre trésorerie. On a vu qu’en fin de compte, ce sont les consommateurs (avec le renchérissement des factures) et l’Etat du Sénégal (avec les subventions budgétaires tirées des impôts des citoyens et/ou de l’endettement public), qui passent à la casserole.
Le plus drôle reste à venir. Le contrat entre Akilee et Senelec a pour base la fourniture de compteurs électriques dits intelligents. Akilee n’étant pas fabricant de ces compteurs, son rôle principal dans le contrat est de faire le travail d’intermédiaire, c’est-à-dire d’acheter les compteurs pour la Senelec auprès de son fournisseur traditionnel de compteurs, la société chinoise Hexing. L’intermédiaire Akilee y mettra naturellement ses marges commerciales et lesdits compteurs reviendront plus chers à Senelec. Cela va également avoir un impact sur le coût d’acquisition et le prix du kilowatt/heure livré au client final (consommateur). Akilee vend également, au prix de 9 milliards de francs Cfa, à Senelec une plateforme technique que lui a fournie gracieusement Hexing. C’est toute une histoire, car dans une offre commerciale, Hexing promettait de céder gratuitement la plateforme technique si la société d’électricité lui achetait un minimum de 350 mille compteurs intelligents, dans la perspective de remplacer les anciens compteurs. Le parc de compteurs de Senelec est de l’ordre de 1 million 400 mille unités. Mais Senelec commande du coup à Akilee un lot de 2 millions 700 mille compteurs et lui délivre un bon de commande sur toute la quantité. Akilee passera commande à Hexing et obtient gratuitement la plateforme technique qui va avec l’exploitation des compteurs. Akilee prétend avoir ajouté deux nouveaux modules informatiques à cette plateforme et justifie ainsi le prix. L’actuel directeur général de la Senelec, Papa Demba Bitèye, a proposé de n’acheter que les deux nouveaux modules qu’Akilee prétend avoir introduit sur la plateforme qui lui est donnée, encore une fois, gratuitement. Mais le plus renversant est que des cadres de la Senelec trouvent des similitudes étonnantes entre les éléments de ces modules sur une proposition technique que Huawei, une autre société chinoise spécialisée en télécommunications, avait proposée à Senelec, durant la période où le cabinet Performance effectuait sa mission auprès de Senelec. Dans une offre globale, Huawei proposait une plateforme technique dédiée et des modules similaires, pour ne pas dire identiques, en cas d’une commande de 400 mille compteurs par Senelec. Ces spécifications sont contenues dans l’offre intitulée «Solution de WAN et LAN proposée par Huawei pour Senelec». Les mêmes cadres de Senelec pointent du doigt de grosses lacunes techniques dans le contrat, ce qui dénoterait d’une précipitation dans sa conclusion ou que la direction générale n’avait pas souhaité associer les services techniques dans les négociations. Le contrat Akilee ne prévoit qu’une commande d’un seul modèle ou type de compteurs alors que les clients de Senelec utilisent des compteurs différents, en fonction de leurs activités ou du volume de leurs consommations.
Le contrat liant la Senelec et Akilee dévoile bien de situations incongrues qui laissent à tout le moins perplexe. On se demande, à la lecture, si les parties qui négociaient pour la société nationale d’électricité avaient vraiment mis en avant les intérêts de l’entreprise. De manière générale, le contrat semble plus déséquilibré en faveur de la start-up Akilee. Même en cas de résiliation, le contrat permettra à Akilee de ne pas y laisser sa chemise, tout au contraire. Quel que soit le cas de figure envisagé, «Résiliation sans faute, résiliation pour faute d’Akilee, résiliation pour faute de Senelec, cas de force majeure prolongé», la Senelec devra verser à Akilee les montants des factures émises et non payées, les encours après livraison, des indemnités majorées, ainsi qu’un montant correspondant au manque à gagner sur la durée restant du contrat. On s’interrogera encore sur les conditions de signature de ce contrat à la date du 11 février 2019, en pleine campagne électorale et la diligence particulière pour le faire enregistrer et la signature, le 20 mars 2019, d’un bon de commande pour dix ans, portant sur la valeur totale du contrat. Il est difficile de ne pas croire qu’il fallait tout plier en mode «fast track» avant de passer à autre chose. Le contrat est truffé de fautes d’orthographe et de syntaxe. Cela donne l’impression d’une course contre la montre. L’Agent judiciaire de l’Etat du Sénégal ou les conseils de Senelec devraient pouvoir faire annuler sans grandes difficultés un pareil contrat aussi léonin et comportant des «irrégularités d’une particulière gravité et portant une atteinte excessive à l’intérêt général».
Le Club des investisseurs sénégalais ne saurait cautionner cette forfaiture
De nombreuses personnes ont été étonnées de voir une déclaration, signée du Club des investisseurs sénégalais (Cis), apportant un soutien à Akilee dans son différend avec Senelec. Mais ce sont les membres du Cis qui ont été les premiers à s’étrangler de rage en découvrant, dans les journaux de vendredi dernier, la publication de la motion de soutien à Akilee. Ils s’interrogent sur les motivations d’une telle prise de position, d’autant qu’aucune instance régulière du Cis n’avait été préalablement consultée. En effet, ce n’était que dans la nuit du jeudi 14 au vendredi 15 mai 2020, à 00h 40, qu’un message avait été envoyé aux membres du Cis «pour information», sur une déclaration qui devra être dans les journaux à leur réveil. A cette heure, les publications étaient déjà à l’imprimerie et aucune protestation n’aurait pu permettre de rattraper la déclaration. L’heure était donc bien choisie pour «informer» les membres du Cis, sans doute déjà dans les bras de Morphée et qui, à leur réveil, se trouveraient ainsi mis devant le fait accompli. On saura plus tard que l’insertion payante avait pourtant été calée avec la plupart des journaux, le jeudi, sur les coups de 19 heures. Les réactions indignées ne se sont pas fait attendre. La manœuvre apparaît déloyale à l’endroit des membres du Cis qui se voient ainsi embarqués dans un combat dont ils ignorent les tenants et les aboutissants. Ainsi, de nombreux membres du Cis ont tenu à se démarquer d’une telle prise de position, estimant que l’organisation était en train de faire fausse route, car la défense des intérêts des privés nationaux sénégalais ne saurait participer de la caution apportée à des actions de prévarication ou de dépeçage d’un outil public. Pour sa part, Senelec a regretté, dans un communiqué, que le Cis ait eu à se prononcer sur un différend sans prendre la précaution d’entendre sa version des faits. Il faudrait sans doute retenir que promouvoir le capital sénégalais est une chose, mais le faire au détriment des intérêts du pays et du bien commun semble problématique. Le Cis devrait se montrer une structure dynamique et proactive, incitant à une implication effective des capitaux sénégalais dans la marche du pays. Son rôle est d’interpeller l’Etat sur bien des questions économiques et pousser à une prise en compte des intérêts du capital sénégalais. Il doit se faire force de proposition dans un contexte où l’idée que l’économie nationale ne serait pas entre les mains des fils du pays est brandie à tort ou à raison. Un tel outil a un rôle majeur à jouer.
Par Mary Teuw NIANE
CHANGER
Changer, c’est aussi admettre que nous avons des valeurs qui favorisent la transformation de la société, la reddition des comptes, l’émulation, la sanction positive et négative
Changer n’est pas facile ; abandonner les vieilles habitudes qui deviennent certitudes à force d’être répétées ; remettre en cause notre manière de faire qui s’impose à nous comme une routine instinctive, inscrite dans nos manières de penser ; avoir le courage d’aller à contre-courant de l’image que l’opinion a façonnée pour nous dans la position où nous sommes ; refuser les avantages alors que les moyens illicites d’en profiter sont disponibles ; s’abstenir d’ostentation lorsque griots et laudateurs sont prêts à nous bâtir une généalogie et un hymne trafiqués ; accepter l’humilité de toujours apprendre, se former et se cultiver ; avoir le courage de s’investir au service de son pays et de son peuple sans rien demander en retour que le juste salaire qui nous revient ; vivre sa passion, son engagement et son amour pour son prochain, son peuple, sa patrie plus que sa propre personne, sa propre famille ; enfin inscrire son projet de réussite personnel dans le grand programme d’émancipation de son pays et de l’Afrique.
Changer, c’est avant tout, décider, accepter, trouver un avantage moral, éthique, spirituel, intellectuel, avoir un intérêt à changer. Nous le savons, les mentalités survivent longtemps après la disparition des conditions matérielles qui leur ont donné naissance. Comment alors dans une société qui a une tendance atavique à toujours revenir sur ses pas, à ramener les vieilles habitudes sous des oripeaux plus destructeurs, à couper les têtes qui débordent, à ensevelir l’individu sous le diktat de la communauté plus préoccupée par sa survie que par sa transformation, l’individu peut-il assumer son individualité et son autonomie pour s’en extirper et oser une remise en cause salvatrice ? Et pourtant tel devrait être le destin de l’intellectuel africain !
Entre le pouvoir, les pouvoirs qui imposent soumission et exécution de directives écrites, le plus souvent non écrites et plus contraignantes, les exigences d’une représentation sociale de la réussite, de l’utilité et de la considération, il est difficile de trouver un chemin taillé à sa propre personnalité, sans tambours, ni trompettes, sans heurts, pour bâtir un engagement patriotique sincère à construire son pays. Le changement de mentalité, le changement tout court, la naissance d’une forte communauté ouverte et engagée dans la transformation de la société, passent par l’éducation et la formation qui doivent transcender l’éducation et la formation disciplinaires qui sont certes très importantes. Cependant elles ne suffisent pas à former les citoyens nouveaux qu’impose la marche vers le monde nouveau qui se construit sans notre permission.
De la Chine communiste aux États-Unis capitaliste, la formation de la citoyenne et du citoyen est au cœur du projet de société mis en œuvre. Ce n’est pas une affaire de système économique et social encore moins une question idéologique, c’est la prise de conscience de la nécessité de mobiliser toute la société vers la réalisation d’un objectif dont il faut la convaincre de son bien-fondé et l’engager librement, volontairement à être partie prenante de sa mise en œuvre. Tout est en train de changer sous la pression des idées, des fake news, des nouveaux outils, des méthodes, des moyens de pression, de la manipulation et de la soumission des esprits.
L’Afrique, les pays africains sont soumis à une pression énorme et constante venant de l’extérieur. La peur, la perte de confiance en soi, la perte de confiance par rapport aux autorités et à toutes les autorités, la création de multitudes de nouveaux pôles dont la légitimité est fabriquée par les médias et les financements extérieurs, sont aujourd’hui une des faces de l’influence extérieure en plus des pressions sur les autorités en place. Cette pandémie du COVID19 devrait nous instruire : combien de millions de morts du covid19 a-t-on déjà prédit pour l’Afrique ? Cette prédiction macabre ne s’est pas estompée qu’on nous annonce des millions d’africains victimes de la famine ! Il est à parier que le marché mondial de la misère est très florissant sur le continent africain !
Les modèles endogènes sont niés, les réussites, en dehors des officines secrètes qui nous les imposent, sont déconstruites, les responsabilités individuelles sont bannies car, dit-on, relevant d’application de simples injonctions de forces extérieures. Cette manière de voir infantilise les africains et l’Afrique. Elle est bénéfique pour tous ceux qui travaillent, avec beaucoup de moyens, de cerveaux et d’intelligences africains, patiemment, ouvertement et dans l’ombre, à la balkanisation des africains, des territoires, des pays et de l’Afrique.
Changer, c’est aussi admettre que nous avons des héros, des savants, de bonnes et de mauvaises autorités, des compétences, des traitres, des criminels, des mécènes, des adultes, des ouvriers, des paysans, des femmes, des jeunes, chacun doit être entièrement responsable de ce qu’il fait et non de ce qu’on pense qu’il fait.
Changer, c’est aussi admettre que nous avons des valeurs qui favorisent la transformation de la société, la reddition des comptes, l’émulation, la sanction positive et négative (sa guémigne khassaw na sa doomu ndey moo la koy wakh, waaw goor baakh na ci kuy liggeey, etc.).
Effectivement changer, c’est bâtir une société dans laquelle chacun est responsable, peu importe qui l’inspire, il est le seul responsable devant la société et le peuple souverain. Refusons d’être les véhicules inconscients de l’indignité africaine qui veut que derrière ou dans la tête de presque chaque africain, il y ait une personne étrangère qui soit la maîtresse de ses pensées ou de ses actes. Une société sans repères, sans modèles, sans valeurs, est vouée à l’effondrement et à l’assujettissement. Rassurons-nous, nul modèle, nul héros n’est parfait !
Changer, c’est faire confiance à nos ressources humaines, à nos compétences, à nos entreprises, à nos capitaux, à notre esprit d’innovation, à nos esprits créatifs, etc.
Changer, c’est protéger et préserver notre environnement et nos ressources naturelles.
Changer, c’est aussi prendre l’investissement humain comme une partie du capital, c’est nous imposer dans certains segments prometteurs du marché international, bâtir des espaces de souveraineté économique et financière qui sont les leviers sur lesquels nous nous appuyons pour bâtir notre émancipation économique et sociale.
Changer est une affaire individuelle et collective, mais aucun changement qualitatif, général et collectif n’est possible, s’il n’est porté par l’autorité politique, les autorités politiques, les pouvoirs publics, les communautés, les femmes et les jeunes. Le changement, la culture de changement seront mûrs lorsque les écrivains, les poètes, les artistes s’en empareront, alors par l’écriture, par la magie du verbe, de l’image et la symphonie des corps, le peuple subjugué, conquis et convaincu, adhèrera aux transformations économiques, sociales et culturelles. Unis et engagés, nous vaincrons.
Par CALAME
DÉLITS D’INITIÉS, ENTENTE ILLICITE, RÈGLEMENTS DE COMPTES DANS LE MARIGOT
La guéguerre au sommet de l’Etat ayant pour théâtre d’opérations le secteur de l’Energie dont une partie se livre sur le champ de bataille de Senelec, vient de prendre une tournure inattendue en impactant de plein fouet le CIS
La guéguerre au sommet de l’Etat ayant pour théâtre d’opérations le secteur de l’Energie dont une partie se livre sur le champ de bataille de Senelec, vient de prendre une tournure inattendue en impactant de plein fouet le Club des Investisseurs Sénégalais (CIS), dernière-née des organisations patronales du pays.
La pomme de discorde, cette fois, pourrait être de celle qui fit sortir les ancêtres de l’humanité, Adam et Ève, du paradis, ce qui nous a valu notre errance sur terre, dans cette vallée des larmes où nous nous sommes retrouvés pour expier ce péché originel. Satan a revêtu les habits d’un communiqué faisant état d’une motion de soutien à Akilee «pour un secteur privé national fort», égrenant mille et une raisons de défendre, bec et ongles, cette «start up», innovante, expression remarquable (mais non remarquée par certains!) d’un savoir-faire national de patriotes émérites, des «Sénégalais au profit des Sénégalais» Il n’en fallait pas plus, pour déclencher l’ire de certaines têtes d’affiche du Club, pointant du doigt les initiateurs de ce soutien «malvenu», décrété à l’insu de la grande majorité des membres de l’organisation et en dehors de toute instance de délibération et de décision, balancé en primeur et sous forme de publicité payante à la presse.
Les sociétaires du Club n’en recevront notification que tard dans la soirée, autour de minuit, heure de crime par excellence, c’est-à-dire, les éditions des quotidiens ciblés bouclées, les contenus des sites en ligne actualisés, rendant ainsi la manœuvre irrattrapable par d’éventuelles contestations. Une démarche sournoise et cachotière, marquée au coin par la perfidie, s’insurgent certains membres du Club, l’invective à la bouche. Voilà en substance les griefs articulés par les contempteurs de ce qui est perçu comme un véritable putsch, un coup de Jarnac, déloyal, asséné par traîtrise, par une coterie ayant monté une véritable cabale contre les valeurs, principes et objectifs auxquels ils ont librement souscrits.
Une telle instrumentalisation du Club a effarouché des capitaines d’industrie mais aussi des locomotives du secteur des services, qui ont décidé de réagir à la hauteur de ce qu’ils considèrent comme un affront et une trahison. Une guerre ouverte oppose désormais les deux camps aux positions et positionnements irréductibles que la réunion en catastrophe du conseil d’administration du Club, hier, en début d’après-midi, n’a pu réconcilier. Akilee n’est certainement pas tombé du ciel par une incroyable opération du Saint Esprit. La société ne correspond pas non plus à la définition d’une start up, c’est-à-dire une jeune pousse innovante, une entreprise en démarrage. Ce serait plutôt dès le départ, le fruit d’une entente entre initiés, entre des consultants et leur client, qui ont décidé de s’accoupler pour procréer et externaliser une activité hautement rentable, recommandée par le prestataire. Seulement, l’activité se résume à celle d’un comptoir commercial pour la vente, sans bourse délier, de compteurs, à Senelec, donc aux contribuables condamnés à une double peine.
En effet, ceux-ci vont s’acquitter du règlement de factures exorbitantes, mais devront en plus, supporter à travers leurs impôts et taxes, les subventions faramineuses octroyées à Senelec par l’État du Sénégal qui, rien que pour l’année 2019 (année électorale) a crevé le plafond, atteignant les 200 milliards de francs Cfa. Akilee, société ad hoc est ainsi bénéficiaire unique d’un marché de 218 milliards de francs Cfa, auprès d’un client unique, n’ayant innové, inventé ou fabriqué autre chose que l’ingénierie financière sur fond d’entente illicite. Cela, tout cela, était connu, validé par l’Etat du Sénégal. Alors, qu’est-ce qui s’est passé pour qu’aujourd’hui, cette société soit la cible de toutes sortes d’attaques y compris celles provenant de l’actuelle direction générale de Senelec, de cadres et de syndicalistes, qui ont observé une omerta, une loi du silence complice ou alors coupable ?
Dans certains milieux de la galaxie des affaires, il se susurre qu’une question de commissions ou de retro commissions, (on parle de 10% du montant total du marché, c’est-à-dire quelque 18 milliards de francs Cfa) distraites par certains protagonistes aurait allumé la mèche de cette véritable bombe à fragmentation. L’entente cordiale aurait volé en éclats lors de cette distraction-soustraction. Circonstances aggravantes, les ambitions prêtées au ministre de tutelle de Senelec, ancien directeur général de la boîte, de se constituer une cagnotte et une clientèle politique en vue de «candidater» en 2024, pour succéder à son actuel patron à la présidence de la République, objet de tant de convoitises et d’intrigues de palais. Le nouveau directeur de Senelec, dont la nomination aurait été fortement appuyée par son ancien et toujours patron devenu son ministre de tutelle, a réclamé un audit de la boîte, dès après sa prise de fonction. Il en aurait été dissuadé par les autorités supérieures, préférant sans doute éluder leurs responsabilités, recourir à des méthodes moins flagrantes, plus pernicieuses pour détricoter la toile de son ancien mentor et venir à bout de ses prétentions. Quant au Club des Investisseurs Sénégalais, le ver est dans le fruit depuis toujours, dès sa naissance, porté sur les fonts baptismaux sur la base de calculs de coûts, d’opportunité, de raisonnement à la marge, par des initiateurs dont certains ont pu donner le change en présentant des gages de respectabilité et de réputation, en définitive surfaites.
C’est ainsi que le Club a réussi à fédérer aux côtés d’authentiques champions, qui se comptent malheureusement sur les doigts de la main, une armée mexicaine de courtiers de haut vol, de compradores, fondés de pouvoir, sous-traitants, représentants franchisés de firmes étrangères, commerçants enrichis par la grâce des échanges avec les multinationales et tout le toutim. La solidarité n’est pas le propre, encore moins le fort de nos hommes d’affaires. Ils ne tendent pas la main à plus petits, pour les aider à grandir, en dehors de la famille, font rarement travailler les autres, donnent rarement leurs chances aux méritants, à moins que « fils ou fille de», ne soit leur sésame, à charge de revanche pour la reproduction à l’identique, de ce modèle social inégalitaire. Idem pour les membres de ces organisations patronales qui, comme les responsables de la compagnie aérienne sous-régionale «Transair» n’a même pas pu bénéficier d’un début de soutien, bien que adhérents du Club des Investisseurs Sénégalais. Cet état d’esprit n’est pas propre au CIS. Cependant, dans cette crise qui secoue l’organisation, celleci pourrait connaître une cascade de démissions dont celles de poids lourds symboliques de l’entreprise nationale. Déjà feu Ameth Amar avait pris ses distances, en fédérant les industriels nationaux dans une organisation distincte du CIS. Pourquoi jeter le bébé Akilee avec l’eau du bain ?
Le Chef de l’Etat peut tout à fait mettre l’actionnariat d’Akilee et les apporteurs d’affaires prospectifs autour d’une table, dans une nouvelle configuration qui préserverait ce qui doit l’être, tout en faisant la place aux « nouveaux » arrivants, à leurs partenaires, pour des dividendes à partager, avec à la clef, le maintien de l’emploi, la révision à la hausse de la part de l’Etat, et in fine la réduction des pertes de Senelec et des factures des consommateurs ?
L’arbitrage n’a pas besoin d’être sanglant, gagnant/perdant, ni exposer à des réparations onéreuses, comme on ne devrait plus procéder avec les vieilles méthodes et le principe éculé du « business as usual ». Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, n’est-ce-pas ? Ne dit-on pas qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ? Dans le paysage des affaires, la place était -et toujours - solidement tenu par les indéboulonnables, le Conseil National du Patronat (CNP), la Confédération Nationale des Entreprises du Sénégal (CNES) et dans une moindre mesure, les dissidences de l’Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal (UNACOIS).
Face à ces regroupements patronaux, des centrales syndicales tout aussi tentaculaires et sociophages tiennent la dragée haute à la fois au pouvoir et au patronat, devenant ainsi des interfaces concupiscentes sous la férule de bonzes indétrônables. Tout ce beau monde a fini par constituer une sorte de caste abonnée aux prébendes, aux échanges de «bons» procédés sous le sceau de civilités conniventes. Cet aggiornamento, véritable compromis pour contenir et au besoin circonvenir d’éventuelles «guerres des chefs» rend tout son sens à la caporalisation par cooptation des instances des institutions sociales (IPRES), Caisse de Sécurité Sociale et autres Conseils d’administration, avec une pratique devenant courante, abusive de cumuls de fonctions dont tout le monde semble s’accommoder.
Aux réfractaires et récalcitrants ou nouveaux venus, durablement exclus des agapes, il ne reste que l’arme de la dissidence, qui reproduit le même schéma organisationnel, pour s’inviter à la curée avec des dirigeants au profil et aux pratiques identiques à ceux de leurs chefs contestés, en s’affublant de marqueurs «force du changement, rénovation…», on ne peut plus distractifs. Et l’Etat dans tout cela? Il scrute, décode, décortique avec l’appui de ses services de renseignements et de ses agents «doubles ou retournés», qui grouillent dans toutes les sphères de la vie publique et privée, dans l’espace national et ailleurs. Il joue les uns contre les autres et en fin de compte avec tout le monde, au gré des intérêts des personnes et groupes dominants, des accointances lucratives et, au gré des circonstances, des combinaisons politico-affairistes pouvant lui être utiles.
L’Etat est toujours à la manœuvre, de sa propre initiative ou en trouvant le moyen de tirer parti d’une situation trouble qu’il ne manque pas d’exacerber afin d’imposer un groupe, une orientation et des choix conformes à la préservation des intérêts du clan dominant ou à l’introduction de nouveaux «clients» avec de nouvelles procédures, quitte à donner quelques sucettes à certains parmi les déchus et les déçus, histoire de les amener à lâcher leurs homologues tout en restant dans le navire. Toutes ces différentes institutions, organisations dont certaines tripartites regroupant État, employeurs et employés, sont tributaires de la puissance publique et leurs membres des visas, autorisations, mais surtout, pour nos hommes et femmes d’affaires de la commande publique et des réglages dictés par l’Etat.
Dès lors, ce qui se joue relève de la capacité des uns et des autres à entrer et à se maintenir dans les bonnes grâces du détenteur du pouvoir suprême, allant jusqu’à se faire adouber par la parentèle et de notoires adeptes du trafic d’influence, la fin justifiant les moyens y compris les plus corrosifs pour la dignité et l’amour propre. Dans cet imbroglio politico-affairiste, les bisbilles au sein du Club des Investisseurs Sénégalais ne devraient pas faire illusion, en masquant la réalité des problèmes de gouvernance d’entreprise et du jeu des différents acteurs étatiques comme privés, impliquant politiciens, affairistes, marabouts et leurs « partenaires » étrangers. Si Akilee tombe, d’autres Sénégalais tout aussi initiés et susceptibles d’ententes illicites investiront la place dans une nouvelle (?) configuration incluant les mêmes qui dans le passé, ont vécu sur la bête. Si d’aventure, il est décidé de procéder à l’audit de Senelec, il devrait couvrir toute la période allant de la première alternance sous Wade, après l’annulation de la cession de la société à la canadienne Hydro Québec et au dédommagement consécutif à la renationalisation de la boîte. Les dirigeants qui se sont succédé à la tête de la boite, ont fait exploser les compteurs des avantages en numéraires et en nature de toutes les catégories socio-professionnelles, syndicales, avec des taux d’encadrement et de rémunération, le recours aux sous-traitants défiant toute logique managériale.
Senelec, comme avant avant hier l’Office National de Commercialisation et de Développement (ONCAD), la Régie des Chemins de Fer, les Industries Chimiques du Sénégal ou encore la Société Nationale de Commercialisation des Semences (SONACOS), ont été la proie d’un « tong-tong », un dépeçage systématique et continu, enjambant les différents régimes qui se sont alternés dans notre pays, ces soixante dernières années.
La maîtrise de notre économie nationale a déserté l’agenda politique, depuis la mise en échec du président Mamadou Dia et la mise sous l’éteignoir du projet avorté d’une politique autocentrée et ouverte au monde, sur la base d’une coopération équilibrée des intérêts mutuellement bénéfiques de nos peuples.
Texte Collectif
LETTRE OUVERTE À ANGELA MERKEL
Sud a pris le parti de publier la «lettre ouverte» des intellectuels, écrivains, et artistes africains, à la chancelière allemande et à Franck Walter Steinmeler, pour condamner fermement les accusations d’antisémitisme portées contre Achille Mbembe
Sud a pris le parti de publier la «Lettre Ouverte» adressée ce jour, lundi 18 mai, par des intellectuels, écrivains, et artistes africains, à la Chancelière de la République fédérale d’Allemagne, Angela Merkel et à Son Excellence Franck Walter Steinmeler, président de la République, pour condamner fermement les accusations d’antisémitisme portées contre Achille Mbembe, par des groupes d’extrême droite et de la droite conservatrice et xénophobe en Allemagne. Il est reproché au philosophe, historien, politologue camerounais, d’avoir dans un passage de son ouvrage « Politique de de l’inimitié » (publié en 2016 et traduit en Allemand), établi un parallèle entre la colonisation israélienne de territoires palestiniens et l’apartheid en Afrique du Sud. La polémique a pris une dimension nationale lorsque Felix Klein, patron du Commissariat du gouvernement fédéral pour la lutte contre l’antisémitisme, s’est fait l’écho de la demande d’interdire à Achille Mbembe de prononcer un discours lors d’un évènement culturel de l’été prochain, annulé depuis, pour cause de pandémie de coronavirus. Accompagnée d’une pétition qui a d’ores et déjà recueilli plus de 600 signatures, la « lettre ouverte » rappelle que «toutes les mémoires disposent d’un droit égal à la reconnaissance et à la narration ». Et que, « la lutte contre l’antisémitisme et tous les racismes (…) ne peut pas servir de prétexte pour justifier la suprématie et le colonialisme.
Madame la Chancelière,
Monsieur le Président,
Nous, intellectuels, penseurs, écrivains et artistes d’Afrique condamnons sans réserve les fausses accusations d’antisémitisme portées contre le Professeur Achille Mbembé par des groupuscules d’extrême droite et de la droite conservatrice et xénophobe en Allemagne. Comme l’ont déclaré des centaines de savants et spécialistes de plusieurs disciplines, ces grossières accusations ne sont pas seulement infondées en raison. En plus de constituer une inadmissible instru - mentalisation politique d’une terrible catastrophe humaine, elles portent profondément atteinte au droit fondamental a la critique, a la liberté de pensée et d’- expression, a la liberté académique et artistique et à la liberté de conscience. A l’occasion, elles ternissent durablement l’image de l’Allemagne en Afrique et compliquent les efforts nécessaires en vue d’un dialogue interculturel libre, respectueux et débarrasse des séquelles du racisme entre votre pays et les forces vives du continent africain. Nous exprimons en même temps notre gratitude et notre reconnaissance a ceux des vôtres, citoyens ordinaires, universitaires, journalistes, intellectuels et diplomates allemands qui ont pris ouvertement la défense du Professeur Achille Mbembe, et dont certains pourraient payer leur solidarité par un surcroit de harcèlement par les mêmes forces extrémistes.
Madame la Chancelière,
Monsieur le Président,
Notre Lettre est un appel a ouvrir ensemble, dans l’égalité et le respect mutuel, et a partir des archives intellectuelles et des sagesses du Tout-Monde, une phase nouvelle de la lutte universelle contre l’anti - sémitisme et les racismes. Au-delà des facteurs économiques et d’autres encore qui relèvent de la raison d’Etat, nous connaissons et apprécions à sa juste valeur votre intérêt pour l’Afrique, ses peuples, ses cultures et son histoire. Chaque fois que vous êtes venu.e.s en Afrique, nos peuples et nos gouvernements vous ont, en retour, réserve l’accueil le plus digne et le plus chaleureux. Nous connaissons par ailleurs votre attachement au dialogue entre les nations par le biais des échanges artistiques, culturels et intellectuels, dans le respect de la vérité, sans racisme, et pour le progrès de l’humanité. Vu l’état déplorable dans lequel se trouve notre monde, nous sommes convaincus qu’une réflexion éthique de très grande ampleur est urgente et nécessaire, en vue d’un partage et d’une solidarité plus grande de toutes les mémoires de la souffrance humaine. Car, si tous les êtres humains naissent libres et égaux, et s’ils appartiennent tous a la même espèce, alors il n’existe aucune souffrance humaine qui renferme une moindre signification que d’autres, ou qui soit en dessous d’une autre. Les relations entre différentes mémoires de la souffrance humaine ne sont pas des relations de préséance ou de suprématie, mais de solidarité. Dans chaque désastre de notre histoire commune, c’est la gure de chacun d’entre nous qui s’assombrit et c’est la responsabilité de la Terre tout entière qui est en jeu. Comme vous le savez, les peuples africains sont de ceux qui ont subi dans leur chair, dans leur conscience et dans leur âme la violence de l’histoire. De cette longue histoire, des séquelles visibles et invisibles demeurent. A cause de cette longue expérience, nous avons, par la voix de nos écrivains, poètes, penseurs, artistes et intellectuels, quelque chose d’urgent et de précieux a partager avec toute l’humanité au sujet de la souffrance humaine, de la guérison mentale et de la réparation du monde. . Nous sommes par conséquent consternes au vu des tentatives en cours en Allemagne de stigmatiser notre parole, d’intimider nos penseurs et penseuses et de les faire taire. Comment le dialogue interculturel entre votre pays et le continent africain peut-il avoir lieu si, par le biais de toutes sortes de subterfuges, nous sommes empêchés d’interpréter, a partir de nos yeux propres, notre expérience, ses significations universelles et ses prolongements dans la vie présente et à venir ?
Mais notre histoire n’est pas qu’une accumulation de défaites. Elle est surtout une longue histoire de résistances, de créativité, d’invention et de résilience. Elle a donné lieu a une pensée pluridisciplinaire puis - sante et ouverte au monde, que représentent bien nos auteurs, poètes et créateurs. L’œuvre du Pro - fesseur Achille Mbembe, tout comme celle des générations antérieures, s’inscrit dans cette belle et accueillante tradition. . Nous dénonçons par conséquent toute tentative qui viserait a la prendre en otage et a souiller nos plus riches traditions de pensée. Quand, a l’époque de l’esclavage et sous la colonisation, notre humanité était partout niée, ce sont ces traditions de pensée qui nous ont permis de résister et de faire valoir notre incontestable appartenance a l’humanité. L’Afrique est aussi l’une des régions du monde qui aura beaucoup accueilli les Autres et à laquelle on aura voulu tout imposer. Les langues. Les religions. Les formes de gouvernement. Les systèmes de san - té. Les manières de s’habiller. A peu près tout. En dépit des rapports souvent inégaux et d’exploitation qui nous auront lieu au monde, nous avons toujours accueilli la plupart de ces cultures venues de l’extérieur dans un esprit de curiosité et d’ouverture. Comment le dialogue interculturel entre votre pays et le continent africain peut-il avoir lieu si le regard critique que nous posons sur cet héritage hétéroclite est apriori l’objet d’interprétations erronées et eurocentrismes? . Nous condamnons par conséquent toutes les tentatives visant à nous imposer des manières coloniales d’interpréter notre histoire. Nous réaffirmons en même temps le droit d’interroger, en toute autonomie et à partir de nos propres schémas intellectuels, tous les héritages qui nous ont été imposés par la force ou par la ruse.
Madame la Chancelière,
Monsieur le Président
Pour qu’elle réussisse, la lutte universelle contre l’antisémitisme et les racismes doit reposer sur des fondements éthiques indiscutables. Nous, intellectuels, penseurs, écrivains et artistes d’Afrique sommes profondément convaincus de ce qui suit : . Tous les êtres humains naissent libres et égaux. Ils appartiennent à la même espèce. En vertu de cette égalité radicale, il n’existe aucune mémoire de la souffrance humaine qui soit en-dessous d’une autre. Toutes sont susceptibles d’être partagées car, dans chaque désastre et catastrophe de notre histoire commune, c’est la figure de chacun d’entre nous qui s’est assombrie. . Pour protéger ceux qui subirent les affres de l’extermination et qui sont encore sous la menace d’inqualifiables destructions, il n’y a nul besoin d’étouffer le cri de ceux qui réclament encore justice et égalité. Au cours de nos nombreuses luttes de résistance dans l’histoire, nous avons appris que l’on ne peut combattre une cause juste avec des moyens cyniques et immoraux. Combattre une cause juste avec des moyens immoraux toujours nit par corrompre la cause elle-même. . La ou des crimes historiques ont été commis, la vérité doit venir en premier. Témoignage de la vérité et devoir de réparation doivent valoir pour tous, sans discrimination. Prétendre réparer un crime en en commettant un autre ne mène pas a la réconciliation. Seules la justice et la vérité mènent a la réconciliation. Toutes les mémoires de la Terre, sans aucune discrimination, sont indispensables a la construction d’un monde commun. Tous les peuples n’ont pas seulement droit a la mémoire. Toutes les mémoires dis posent d’un droit égal a la reconnaissance et a la narration. Seule cette solidarité entre toutes les mémoires de la souffrance humaine nous permettra de relancer, sur une échelle planétaire, la lutte universelle contre l’antisémitisme et toutes les formes de racismes, de xénophobie, de sexisme et d’islamophobie. Parce qu’elle est universelle, la lutte contre l’antisémitisme et tous les racismes ne saurait être mise au service de la politique de puissance de quelque Etat que ce soit. Elle ne peut pas servir de prétexte pour justifier la suprématie et le colonialisme. Elle doit être mise au service unique de la vérité, de la justice et de la réconciliation. . La réconciliation de l’humanité avec elle-même et avec l’ensemble du vivant constitue la seule voie pour faire face aux grands périls du siècle. Elle est essentielle pour la survie de l’espèce sur Terre. A son fondement doit se trouver la vérité et la justice, sans distinction de race, de religion ou de nationalité.
Madame la Chancelière,
Monsieur le Président
Sur la base de ces principes, nous, intellectuels, penseurs, écrivains et artistes d’Afrique, en solidarité avec l’Appel des chercheurs, intellectuels et artistes israéliens et Juifs, lançons un appel solennel an que Monsieur Felix Klein soit immédiatement demis de ses fonctions. Par ses déclarations et ses actes, Monsieur Felix Klein n’est plus moralement apte a conduire la lutte contre l’antisémitisme. Il en a fait un instrument de racisme et de division et a profondément terni l’image de votre pays en Afrique. Du fait de la gravite des accusations et, surtout, de leur caractère mensonger, nous exigeons que des excuses publiques soient présentées au Professeur Achille Mbembe dont toute l’oeuvre témoigne des convictions énumérées ci-dessus
Madame la Chancelière,
Monsieur le Président,
Il ne peut y avoir aucune relation authentique possible entre les forces vives du continent et l’Allemagne tant que persiste, entre nous, un rapport inégal fondé sur le racisme, le mensonge et le paternalisme. C’est pourquoi nous continuerons de plaider pour que toute la vérité soit faite sur l’histoire coloniale de l’Allemagne en Afrique, a commencer par le génocide des Hereros et des Namas (1904-1908) et les atrocités commises dans les autres protectorats. Inlassablement, nous plaiderons également pour que place soit accordée à la colonisation et a ses rapports avec les autres formes de domination historique (l’hitlérisme et le nazisme inclus) dans les programmes scolaires
Madame la Chancelière,
Monsieur le Président,
L’Afrique est une terre d’accueil et d’hospitalité ou l’étranger et le réfugié ont souvent été accueillis, nourris et respectes. En la matière comme dans beaucoup d’autres domaines, seule la réciprocité est la norme. Nous continuerons par conséquent d’en appeler au respect et a la protection, contre les harcèlements racistes, de nos poètes, artistes, écrivains, penseurs et philosophes, ainsi que tous les citoyens africains qui vivent chez vous ou qui y sont de passage. Nous continuerons par ailleurs de plaider pour qu’ils soient chaque fois traites avec le même respect, les mêmes égards et la même bienveillance que vos concitoyens en Afrique, et qu’ils soient de tous temps protèges par la même loi applicable a tous, que ce soit dans le domaine de la liberté d’expression, de la liberté académique, de la liberté artistique que de la liberté de conscience. Nous réitérons également l’appel pour la restitution des objets d’art africains qui se trouvent dans les musées et institutions culturelles en Allemagne, et pour la mise en oeuvre d’une nouvelle politique de coopération culturelle germano-africaine fondée sur le respect mutuel et la volonté de contribuer ensemble à l’avènement d’un monde véritablement commun. Nous lançons, enn, un pressant appel a votre peuple et a votre Gouvernement en vue du rapatriement en Afrique de tous les ossements et autres restes humains détenus par vos institutions. La lutte universelle contre l’antisémitisme et tous les racismes est une lutte universelle. Elle ne peut pas être gagnée a coup d’anathèmes et d’accusations mensongères. Elle doit être fondée sur une éthique au-dessus de tout soupçon. Sans ces fondements éthiques, elle risque de n’être qu’un autre instrument aux mains des puissants. Par cette Lettre, nous espérons avoir montre que les ressources intellectuelles et éthiques nécessaires à la construction d’un avenir commun et à l’édification d’une communauté humaine véritablement universelle existent. Les traditions de pensée anticoloniales en font intégralement partie.