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24 avril 2025
Développement
LA CHRONIQUE HEBDO DE PAAP SEEN
LA MESSAGÈRE DU CHRIST
EXCLUSIF SENEPLUS - Il y a un trop-plein de religion en Afrique - Pour la majorité des citoyens-croyants, toutes les incommodités deviennent acceptables - On se complait dans la laideur de la vie - NOTES DE TERRAIN
- Avez-vous cinq minutes à m’accorder. Je veux vous parler de quelque chose.
- Bien-sûr ! Vous voulez me dire quoi ?
- Je veux que nous discutions de Jésus.
- Désolé, peut-être une prochaine fois.
Je venais juste de finir ma pause. J’allais rejoindre mon bureau lorsqu’une jeune femme m’a interpellé dans la rue. Elle était hésitante. Je l’ai vue se diriger vers moi, sans enthousiasme, comme un parieur qui n’a aucune stratégie de mise mais qui joue malgré tout. Elle parlait timidement, en français, d’une voix faible et cassée. Sa main droite était posée sur sa bouche. Elle portait une chemise blanche, rentrée dans une jupe longue à rayures. Un pull, dont je ne me rappelle plus la forme, était accroché à sa main gauche. J’ai cru d’abord qu’elle allait me demander de l’argent. J'étais disposé à faire de mon mieux pour l’aider. J’ai rapidement fait le calcul. J’avais un billet de 2000 F CFA avec moi, et 300 ou 350 F CFA en petites pièces de monnaie. Je pouvais lui filer les 2000 F CFA, car je n’avais besoin que de 150 F CFA pour mon transport en fin de journée.
J’étais un brin agacé, déçu même, lorsqu’elle m’a avoué ses intentions. Mais je m’en suis un peu voulu de ne pas l’avoir laissé parler. Surtout, sa démarche fébrile et sa personnalité indécise m’ont touché. Elle a certainement surmonté beaucoup de peurs pour raconter Jésus, à des inconnus, au Sénégal. Que peut-elle espérer d’autre que de nombreuses réponses négatives, ici, à Dakar ? Qu’est-ce qui justifie sa mission ? J’avais l’impression de l’avoir rabrouée, blessée. Cinq minutes, ce n’est tout de même pas long. Et puis, je pouvais lui dire ce que je pense de son action, et l’idée que je me fais de Jésus. Ç’aurait pu être un beau dialogue. Je me suis posé toutes ces questions après notre rencontre. Rien ne m’empêchait d’accepter la conversation avec cette jeune femme. J’aurai dû l’écouter. Par élégance d’abord, ensuite parce que l’intelligence des humains se forme principalement dans l’échange, dans la relation. On aurait pu apprendre l’un de l’autre.
La civilisation de la fuite. Au fond, ce qui m’a empêché de tenir une conversation avec cette femme, c’est une répulsion du prosélytisme religieux. Il y a un trop-plein de religion en Afrique. Une hypertrophie, que l'on observe partout sur le continent. Il y a comme un non-sens de la vie qui s’exprime inconsciemment dans nos sociétés. La finitude a une grande emprise sur la conscience collective. Le discours religieux s’est accaparé des imaginaires, de manière excessive. Jusqu’à encercler tout le dispositif de la pensée et de l’action. Aujourd’hui, si on devait définir l’esprit africain, on pourrait dire, sans risque de nous tromper, qu’il est fondamentalement religieux. Particulièrement au Sénégal, notre rapport aux faits sociaux en reste tributaire. L’opinion populaire, l’espace intellectuel et universitaire, le milieu artistique, la sphère politique et économique. Tout le champ social est sous le contrôle des valeurs et idées religieuses, sans possibilité de s’en échapper ou de tenir une pensée libre ou opposée. Les ondes radios, les plateaux de télévisions, et même les réseaux sociaux deviennent des lieux de diffusion du discours sur l’enfer et le paradis, où se bousculent les bigots, jamais à court d’idées pour flageller "les damnées de la terre" et leur promettre l'Apocalypse pour bientôt. Ainsi, pour la majorité des citoyens-croyants, toutes les incommodités deviennent acceptables. Rien à dire sur la reproduction sociale, et les déterminismes à la base de situations d'existence catastrophiques. On se complait dans la laideur de la vie. Le poids écrasant de la violence sociale est ainsi oubliée. Il n’est pas possible, dans ces conditions, de mener des expériences imaginatives renouvelées, ou des actions radicales d’auto-défense contre les éléments conservateurs qui maintiennent le statu quo.
Quels processus mentaux peuvent expliquer l’abandon du corps social dans les nombreux mouvements religieux sur le continent ? Ce n’est pas un hasard. Il s’agit, avant tout, d’une réponse des populations face aux difficultés qu'elles doivent endurer pour survivre. Une forme de résistance devant les incertitudes du quotidien. L’omniprésence de la religion dans notre espace social, politique et médiatique n’est pas seulement liée à un besoin de sens, à l’angoisse existentielle, naturels chez l’homme. Elle traduit aussi une fuite désespérée des crises de la vie. La religion est, très souvent, la seule consolation pour les citoyens. Désemparés, ne sachant pas comment, ni où exprimer les souffrances, à la recherche de lien social que les institutions politiques et académiques ne savent plus produire, ils trouvent un réconfort dans les mouvements religieux. Cette réaction du corps social a été captée par différents acteurs religieux, qui en font un instrument de pouvoir politique et économique. Partout en Afrique, pasteurs, marabouts et prêcheurs sont en compétition pour gagner les consciences de populations exsangues, complètement déboussolées. Fuyant, dans leur écrasante majorité, la misère. Nous assistons, actuellement en Afrique, à une civilisation de la fuite, de l’anti-espoir. De la résignation. Puisque c’est compliqué sur terre, il faut dès maintenant travailler à une résurrection heureuse. Il y a véritablement un désir de mort et d’au-delà. Sauf que nous sommes enracinés dans une réalité sociale, construite par des hommes. C’est donc aux hommes de la transformer.
On peut penser que si les choses allaient mieux, s’il y avait plus d’écoles pour donner une bonne éducation à tout le monde, plus d'hôpitaux pour soigner les indigents, plus de prospérité, moins d’accaparement de richesses par les élites, moins de pauvreté, on n’aurait pas assisté à ce foisonnement de mouvements religieux en Afrique. Mais c’est très réducteur de toujours caricaturer la religion comme étant “l’opium du peuple”. La question religieuse est complexe et elle peut emprunter des voies multiples. Elle joue même dans certaines parties du monde un rôle central dans la critique sociale. La théologie de la libération, en Amérique du Sud, en est la parfaite illustration. La religion, à travers cet exemple, prend fait et cause pour les pauvres et les opprimés. Elle dit à ces derniers qu’ils ne peuvent pas exercer une spiritualité épanouie en vivant dans la misère. Et qu’il ne peut y avoir aucun miracle à l’échelle individuel et communautaire, tant qu’il n’y a pas une résistance orientée vers plus de justice et de coopération sociale. On peut s'en inspirer en Afrique, où la religion est encore un espace clos, préservé des conflits sociaux. La religion peut, sous nos cieux, avoir une vision progressiste. Elle peut demander aux croyants de s’approprier les combats sociaux. En Afrique, il reste à trouver une voie de la religion, humaniste et engagée, qui ne se détourne pas des réalités sociales, qui ne soit pas seulement une bouée de sauvetage qui empêche d’agir sur la souffrance ici-bas. Qui laisse les coeurs et les esprits s’épanouir. Rêver et espérer.
Qui mieux que Jésus, qui est dans l’histoire l’incarnation la plus réelle de Dieu sur terre, peut sauver les corps massacrés par la détresse sociale et leur demander en même temps de ne pas subir. De faire face, frontalement, aux injustices. Le message de Jésus n’est pas seulement religieux. Il est aussi politique. Jésus est un pourfendeur de l’ordre social qui marginalise les plus faibles. Le Christ pose le respect de toutes les dignités comme principe fondamental de la vie. Il nous aide à comprendre le fait religieux comme une coopération “avec Dieu afin d’aider l’humanité en marche”, pour reprendre Muhammad Iqbal. Il ne déresponsabilise pas les humains, en les empêchant de bâtir leur propre existence, ou en les détournant de leur devoir nécessaire de transformation sociale. Pour toutes ces raisons, j’aurai dû écouter attentivement cette jeune femme. Lui dire, en retour, que je porte une grande admiration à Jésus-Christ, que je le considère comme l’une des figures les plus importantes de la liberté et de l’égalité. Et la laisser méditer ces propos, trop souvent éludés, de Marx : “La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans coeur, comme elle est l’esprit des conditions sociales d’où l’esprit est exclu.”
Retrouvez sur SenePlus, "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.
On pourrait poser cette question qui parait saugrenue qui influence qui parmi ces deux personnages historiques ? Le temps a fait son œuvre il est temps de revisiter leur pensée et d’en faire un bon usage
Deux figures contrastées de la scène politique et intellectuelle qui ont marqué le paysage du Sénégal et au-delà, Senghor et Seex Anta Joob.
17 années séparent la naissance de ces deux grands hommes Senghor 1906 Seex anta Joob 1923 le premier naquit à Joal petite ville sur la côte atlantique l’autre à Thieytou, Diourbel en plein cœur du Sénégal profond en pleine colonisation.
Par-delà leur démarche intellectuelle et leur opposition politique, ils avaient un dénominateur commun : leur intérêt pour l’éducation, la culture et la civilisation (civilisation ou barbarie, civilisation de l’universel, métissage, condition négre).
D’ailleurs, leurs critiques marxistes ne s’y sont pas trompés les taxèrent de » culturalistes » à cause de l’importance qu’ils accordaient à la culture.
Les observateurs se sont plus focalisés sur leur antagonisme politique et philosophique que sur le souci de défense et d’illustration de la civilisation négre.
C’est bien sous le magistère de Senghor qu’il a été sacré avec Web Dubois comme intellectuel qui a le plus influencé la pensée négre durant le 1er festival mondial des arts négres tenu à Dakar en 1966.
Ils ont tous les deux une grande admiration de la civilisation allemande, Senghor envers les romantiques comme Goethe et l‘historien Léon Frobenius, Seex pour l’histoire de l’unité allemande. L’embléme du dernier parti qu’il avait créé était l’aigle déployant ses ailes l’oiseau qui tutoie le ciel comme celui du drapeau allemand.
Ils ont tous deux publié des articles dans la revue « Présence africaine » et participé aux congrès des hommes de culture (écrivains et artistes) du monde noir. L’un parle de négritude l’autre de renaissance africaine. Le mot nègre (non pas noir) auparavant chargé négativement est utilisé par Seex comme par hasard dans son livre « Nations nègres et culture », tout un programme. L’auteur Lylian Kesteloot dans son livre « Les écrivains de la négritude » a classé Senghor et seex Anta joob comme des écrivains de la négritude bien que ce dernier se soit démarqué de ce courant littéraire bien qu’il ait eu une grande sympathie pour Aimé Césaire qui parraina son livre phare.
On peut à travers leurs héros décrypter leurs personnalités Senghor : les mansa de l’empire du Mali, Chaka le fondateur de l’empire zoulou et les guelowar du Sine quant à Seex anta joob : les candaces reines de Nubie, Samory Touré le résistant à l’expansion coloniale dans l’Afrique de l’Ouest et Jomo Kenyatta le chef de la révolte mau mau au Kenya contre l’occupation anglaise et Seex Amadou Bamba expression de la résistance passive non violente.
Pour Senghor, la colonisation est un mal nécessaire et une ouverture alors que selon Seex, la colonisation est une parenthèse par rapport à l’histoire millénaire de l‘Afrique et l’illustration de sa grandeur se trouve en Egypte Kmet.
Les mots ont un sens et celui-ci est chargé nègre négativement par ceux qui hiérarchisent les races et Senghor utilise le mot nègre puis qu’il appartient au mouvement de la négritude plus que le mot noir anthologie de la nouvelle poésie négre, l’apport de la poésie nègre, esthétique négro-africaine, il y a une négritude, de la négritude, négritude et humanisme.
En 2006, l’écrivain Boubacar Boris Diop a écrit un article intitulé « Le Sénégal entre Senghor et Seex Anta Joob » et essaie de les réconcilier après la mort de ces deux géants de la pensée africaine.
Senghor agrégé de grammaire a pu exercer son métier de professeur de grec et latin dans un lycée français à Tours et à l’école nationale de la France d’outre-mer ENFOM qui formait les administrateurs des colonies.
Seex Anta Diop quant à lui professeur vacataire de lycée à Paris, enseignait la physique en France, docteur ès lettres option histoire avec une mention honorable qui ne pouvait lui permettre d’enseigner dans une université française en l’occurrence celle de Dakar, il se contenta du poste de chercheur à l’Institut fondamental d’Afrique noire IFAN et chef du laboratoire carbone 14. Ce n’est qu’en presque fin de carrière en 1981 qu’il fut nommé professeur associé à la faculté de lettres et de sciences humaines après la sénégalisation de l’université.
Senghor n’avait pas la même approche historique de la notion de « civilisation », il avait une admiration sans borne à la civilisation grécoromaine et méditerranéene quant à Cheikh Anta Diop, la mère des civilisations est l’Egypte kmet institutrice de la Grèce dans la voie du progrès humain, mère des sciences et des arts.
En tant que linguiste, il partagea la même opinion que Homburger sur la parenté des langues dravidiennes le tamoul avec les langues négro-africaines du Sénégal wolof, sérère et pular.
Dans une formulation lapidaire, Senghor affirma que « l’émotion est nègre et la raison est hellène », ce que Seex ne pouvait admettre car la raison apparut en terre africaine l’Egypte Kmet et se répandit sur la Grèce. La raison était égyptienne avant d’être hellène.
En tant qu’historien et physicien, Seex ne croyait pas à une essence nègre mais à une évolution de l’homme dans des conditions particulières, l’Egypte, kmet dans son environnement naturel le Nil. Tout peuple placé dans les mêmes conditions aurait produit une si prestigieuse civilisation, il n’y a ni miracle égyptien ni miracle grec terme abondamment utilisé par les occidentaux.
Selon Seex, l’aspect historique de la culture n’est pas mis en exergue par le mouvement de la négritude. Il ne croit pas aux facultés psychiques spécifiques à une race, que l’émotion soit d’essence nègre.
Sur le plan des idées, à propos de l’utilisation d’une langue étrangère par les poètes africains, il cite dans son livre « Parenté génétique de l’égyptien ancien et les langues négro-africaines » éd. NEA « un poète génial « et » nègre de haute intellectualité » Senghor pas nommément, une exception, car la poésie dans une langue étrangère est vouée à l’échec car incapable de prendre en compte l’environnement naturel. Comment traduire un chêne en wolof par exemple ?
Sur le plan personnel et social, Senghor à l’époque se plaignait auprès de son ministre de l’Education nationale M. Assane Seck du sort de Seex sur le plan salarial et de Léonard Sainville directeur du centre de recherche et de documentation de St Louis CRDS qu’il considérait comme des militants de la négritude. En effet depuis son intégration dans le statut des chercheurs en 1960, Seex n’a pas voulu avancer dans le cadre français de l’université, l’IFAN était sous-direction française.
Dans ses études sur la civilisation africaine, Senghor s’est appuyé sur l’ethnologie coloniale le RP Tempels la philosophie bantu sur les africanistes, savants européens philosophes Teilhard de Chardin le phénomène humain, Henri Bergson les données immédiates et la conscience et autres ethnologues se spécialisant sur l’Afrique Léon Frobenius la culture ouest africaine, et les administrateurs coloniaux Maurice Delafosse le haut Sénégal Niger et des linguistes comme lillas homburger les peuples et les civilisations de l’Afrique etc.
Seex Anta Diop quant à lui, peut être considéré comme un encyclopédiste du 18ème siècle ayant un regard dans les domaines les plus variés l’égyptologie, la philosophie, la linguistique, l’esthétique, les sciences politiques, l’énergie nucléaire et hétérodoxe ne s’appuyant surtout des auteurs classiques grecs non européocentristes dépourvus de préjugés raciaux qu’il cite à profusion Diodore de Sicile, Hérodote, Strabon, Pline Tacite et Aristote, sur la tradition historique africaine, l’égyptologue Champollion le jeune, Marx, le pan négriste Marcus Garvey, les panafricanistes Edward Blyden et WEB Dubois, l’épistémologue avec le nouvel esprit scientifique Gaston Bachelard, Germaine Dieterlen et Marcel Griaule de Dieu d’eau des Dogons.
Pathé Jaan l’auteur qui a bien vu (et le seul à ma connaissance) les relations intellectuelles qu’il appelle « dialogue intertextuel « comme il l’appelle entre Senghor et Seex .
Le problème culturel en AOF 1937, vue sur l’Afrique noire ou assimilé non être assimilé, défense de l’Afrique noire 1945 versus alerte sur les tropiques 1949, nations négres et culture 1953.
1960 fondements culturels d’un futur état d’Afrique noire 1966 versus les fondements de l’africanité négritude et arabité.
Antériorité des civilisations nègres 1967 versus fondements de l’africanité négritude et arabité 1966.
Fondements de l’africanité négritude et arabité 1966 versus civilisation ou barbarie 1981.
Selon Pathé Jaan dans son livre « La négritude servante de la francophonie » éd. Sankoré Seex Anta Joob sur le plan linguistique s’est appuyé sur Senghor dans son étude sur les langues parue en 1944 journal de la société des africanistes « les classes nominales en wolof et les substantifs à vocation nasale » et « l’article conjonctif en wolof « 1947 journal de la société des africanistes qu’il n’a pu traduire en thèse de doctorat pour des raisons liés à sa pratique politique. Le titre de l’article de Cheikh Anta Diop était en question » étude linguistique ouolove, origine de la langue et de la race valaf paru dans la revue présence africaine 1948.
Un des rares intellectuels qui s’est penché sur ces deux personnages historiques, Senghor ou la négritude servante de la francophonie éd. Sankoré 2002 et Cheikh Anta Diop, l’Afrique dans l’histoire du monde éd. Sankoré l’harmattan 1997 avec une rare objectivité vu les relations qu’il avait avec un de ses personnages.
Une table ronde a été organisée en 2016 par le WARC intitulée Senghor versus Cheikh Anta à Dakar .
Senghor dans une conférence donnée au Caire lors d’un voyage officiel en Egypte en 1967 intitulée « fondements de l’africanité ou négritude et arabité » éd. dar al kitab allubnani transformée en livre insiste sur le métissage entre sémites (arabes et berbères) et noirs, parle d’unité culturelle élargit à ces deux races berbère et négro-africaine, Seex quant à lui parle dans ses livres » d’unité culturelle de l’Afrique noire » et « fondements culturels d’un futur Etat d’Afrique noire ».
Dans le cadre de ladite conférence, il partage avec Seex l’apparition du premier hominidé sur la terre en Afrique en se référant à Teilhard de Chardin, Furon et Moret et ne citant pas Seex Anta Joob.
En 1973, à Addis Abéba lors de la remise du prix Haïlé Sélassié Senghor parle de l’antériorité des civilisations négres dans une conférence et dit textuellement en effet les anciens grecs employaient le mot Ethiopien pour désigner tous les hommes noirs, qu’ils fussent d’Afrique ou d’Asie, qu’ils eussent le nez étroit ou camus, les lèvres épaisses ou minces, les cheveux crépus comme les sénégalais du sud frisés comme les éthiopiens raides comme les dravidiens de l’Inde à juste raison, car les anciens grecs, qui s’y connaissaient, ont quelque mille ans, loué les éthiopiens, c’est-à-dire les NÈgres comme les plus anciens des hommes qui avaient inventé l’écriture la religion, l’art. Je vous renvoie à l’ouvrage du sénégalais Cheikh Anta Diop « nations nÈgres et culture » du négro-américain Edgard Snowden « blacks in antiquity », du camerounais rp Engleberg Mveng qui porte le titre « Les origines grecques de l’histoire négro-africaine », enfin du congolais Théophile Obenga qui porte celui de « l’Afrique dans l’antiquité ». Fin de citation.
En 1977, se tint à Dakar une conférence intitulée l’Afrique noire et le monde méditerranéen qui a vu un débat très vif à travers le journal Le Soleil sur le peuplement de l’Egypte ancienne entre Raoul Lonis professeur de lettres classiques et spécialiste de la Grèce et Seex Anta Joob, et sur les rapports entre la Grèce et l’Egypte. Senghor a joué les médiateurs d’ailleurs. Seex n’y était pas invité.
En 1988 (2 ans après le décès de Seex) dans son livre « Ce que je crois » éd. Grasset, Senghor adopte carrément les idées de Seex et de Théophile Obenga qu’il cite beaucoup d’ailleurs. Les auteurs qu’il cite sont les auteurs de l’histoire générale de l’Afrique UNESCO non plus les ethnologues et autres savants africanistes européens.
Deux parties de l’ouvrage ont attiré mon attention
La préhistoire africaine
De la biologie à la culture africaine
Les points de convergence entre Seex Anta joob :
Origine nègre de l’Egypte ancienne
Apparition des premiers hominidés en Afrique
Parenté de l’égyptien ancien des langues négro-africaines
Origine des sénégalais dans la région des grands lacs.
En définitive, on pourrait poser cette question qui parait saugrenue qui influence qui parmi ces deux personnages historiques ?
Le temps a fait son œuvre il est temps de revisiter leur pensée et d’en faire un bon usage.
En lisant le livre de Senghor ce que je crois « j’entends comme un murmure, la voix de Seex ».
par Elhadji Gora Sene
ARCHIVEZ D’ABORD, AINSI VOUS CONTROLEREZ BIEN ET MIEUX !
Les archives, au-delà de leur fonction mémorielle ou patrimoniale, sont de véritables outils de gouvernance car elles contiennent des informations stratégiques pour les décideurs et elles sont indispensables pour garantir la transparence
La presse de cette semaine rapporte que dans le cadre du « Renforcement de la fonction de contrôle et de la performance de l’action administrative », le Président de la République a instruit l’Inspection Générale d’Etat (IGE) de : « Lancer, sans délai, une étude sur l’environnement du contrôle dans les ministères ». Est-ce une prise de conscience (trop tardive) des conséquences désastreuses des défaillances en la matière ou une simple annonce qui ne connaîtra pas de suite. Quoi qu’il en soit, une telle affaire ne saurait échapper à l’intérêt de l’archiviste que je suis, car elle pose en filigrane la question de l’archivage dans nos administrations publiques sénégalaises.
On ne cessera de le rappeler, l’archivage comporte trois principaux enjeux pour une administration publique : la traçabilité, la performance et la conservation de la mémoire organisationnelle (patrimoine documentaire). D’où le rôle essentiel que joue (ou doit jouer) la fonction archives pour le bon fonctionnement des services administratifs.
En matière d’archivage, l’administration publique sénégalaise connaît de nombreux manquements et défaillances (déficit de moyens, qualification du personnel, absence de procédures et de réglementation, manque de reconnaissance du métier, etc.) qui constituent un obstacle majeur au contrôle des services administratifs. D’où la sortie récente du Directeur de l’Agence de Régulation des Marchés Publics (ARMP) qui déplorait les contraintes que (l’absence) d’archivage imposait au travail de ses équipes. En effet, l’archivage constitue un préalable pour le contrôle de l’action administrative. Autrement dit, en l’absence de procédures et d’opérations d’archivage il serait impossible de procéder au contrôle de l’action d’un quelconque service administratif car les archives sont essentielles et indispensables dans toute opération de contrôle.
Ainsi, les décideurs publics doivent davantage prioriser la question de l’archivage au sein de l’administration publique sénégalaise. Sinon il serait illusoire de croire en leur volonté de mettre en place une administration performante et transparente. Au-delà des vœux pieux et des discours, ils doivent poser des actes (recrutement d’archivistes formés et qualifiés notamment par l’EBAD, mise en œuvre de procédures et d’une réglementation exhaustive en matière d’archivage, contrôle régulier de l’archivage au niveau des services administratifs, prise de sanctions en cas de manquements en matière d’archivage, etc.) allant dans le sens de corriger les défaillances en matière d’archivage qui je le rappelle constituent un obstacle majeur au contrôle de l’action des services administratifs.
En somme, notons que les archives au-delà de leur fonction mémorielle ou patrimoniale (qui est bien plus connue) sont de véritables outils de gouvernance car elles contiennent des informations stratégiques pour les décideurs et elles sont indispensables pour garantir la transparence et la traçabilité des actes et actions administratifs.
Elhadji Gora Sene est archiviste
AUX ORIGINES COLONIALES DE LA CRISE ÉCOLOGIQUE
Pour les chercheurs décoloniaux, le dérèglement climatique serait lié à l’histoire esclavagiste de la modernité occidentale. Selon eux, le capitalisme s’est structuré sur des monocultures intensives qui ont détruit la biodiversité
Le Monde |
Séverine Kodjo-Grandvaux |
Publication 25/01/2020
Pour les chercheurs décoloniaux, le dérèglement climatique serait lié à l’histoire esclavagiste et coloniale de la modernité occidentale. Selon eux, le capitalisme s’est structuré sur une économie extractive et des monocultures intensives qui ont détruit la biodiversité.
C’est une petite phrase qui n’a pas manqué de faire réagir les nombreux critiques de Greta Thunberg, la jeune égérie suédoise du combat contre le dérèglement climatique. Le 9 novembre 2019, une tribune intitulée « Why we strike again »(« Pourquoi nous sommes à nouveau en grève »), dont elle est une des trois signataires, affirme que « la crise climatique ne concerne pas seulement l’environnement. C’est une crise des droits humains, de la justice et de la volonté politique. Les systèmes d’oppression coloniaux, racistes et patriarcaux l’ont créée et alimentée. Nous devons les démanteler. » « Nos dirigeants politiques ne peuvent plus fuir leurs responsabilités », poursuit ce texte, reprenant là l’un des arguments avancés par l’écologie décoloniale : la crise climatique serait liée à l’histoire esclavagiste et coloniale de la modernité occidentale.
Dès les années 1970, des chercheurs afro-américains ont fait le lien entre la question écologique et la colonisation. « La véritable solution à la crise environnementale est la décolonisation des Noirs », écrit Nathan Hare en 1970. Cinq ans plus tard, le sociologue Terry Jones parle, lui, d’« écologie d’apartheid ». Cette approche sera développée dans les années 1990 par les penseurs décoloniaux latino-américains présents dans les universités américaines, tels Walter Mignolo à Duke (Caroline du Nord), Ramón Grosfoguel à Berkeley (Californie) ou Arturo Escobar à l’université de Caroline du Nord.
Tout récemment en France, des chercheurs s’efforcent de démontrer que la traite négrière, la servitude et la conquête puis l’exploitation des colonies ont permis au capitalisme de se structurer comme une économie d’extraction. Cette manière destructrice d’habiter la Terre serait responsable d’une nouvelle ère géologique du fait de l’activité humaine industrielle baptisée anthropocène.
« Le véritable début de l’anthropocène serait la conquête européenne de l’Amérique. Cet événement historique majeur, dramatique pour le peuple amérindien et fondateur d’une économie monde capitaliste, a en effet laissé sa marque dans la géologie de notre planète. La réunification des flores et des faunes de l’Ancien et du Nouveau Monde aura bouleversé la carte agricole, botanique et zoologique du globe, mêlant à nouveau des formes de vie séparées deux cents millions d’années plus tôt avec la dislocation de la Pangée et l’ouverture de l’océan Atlantique », notent les chercheurs Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz dans leur ouvrage L’Evénement anthropocène. La Terre, l’histoire et nous (Seuil, 2013) en évoquant les travaux des géographes britanniques Simon Lewis et Mark Maslin.
Le « plantationocène »
Aux yeux des penseurs décoloniaux ce n’est pas l’homme (anthropos), c’est-à-dire l’humain en tant que tel, qui est responsable du dérèglement climatique, mais une certaine activité humaine portée par le capitalisme occidental. La crise écologique actuelle serait une conséquence directe de l’histoire coloniale.
Les populations des pays dits du Sud n’en sont pas responsables mais en constituent les premières victimes. Une étude, publiée en mai 2019 dans la revue américaine PNAS, montrait, selon le climatologue Noah Diffenbaugh, que « la plupart des pays pauvres sur Terre sont considérablement plus pauvres qu’ils ne l’auraient été sans le réchauffement climatique. Dans le même temps, la plupart des pays riches sont plus riches qu’ils ne l’auraient été ».
Pour bien montrer l’origine esclavagiste et coloniale du dérèglement climatique, les chercheurs Donna Haraway, Nils Bubandt et Anna Tsing ont forgé la notion de « plantationocène ». « Il s’agit là de désigner la transformation dévastatrice de divers types de pâturages, de cultures, de forêts en plantations extractives et fermées, qui se fondent sur le travail des esclaves et sur d’autres formes de travail exploité, aliéné et généralement spatialement déplacé », expliquait en 2019 Donna Haraway dans une interview au Monde. Et de rappeler que « ces modèles de plantations à grande échelle ont précédé le capitalisme industriel et ont permis sa mise en place, en accumulant du capital sur le dos d’êtres humains réduits en esclavage. Du XVe au XIXe siècle, les plantations de canne à sucre au Brésil, puis aux Caraïbes, furent ainsi étroitement liées au développement du mercantilisme et du colonialisme. »
Déforestations massives
L’instauration de monocultures intensives destructrices de la biodiversité et responsable de l’appauvrissement des sols s’est faite par des déforestations massives. Les conséquences aux Caraïbes en sont aujourd’hui encore dramatiques. Dans son essai Une écologie décoloniale (Seuil, 2019), Malcom Ferdinand, ingénieur en environnement et chercheur au CNRS, explique que le plantationocène permet de contextualiser et d’historiciser l’anthropocène ou le capitalocène de telle sorte que « les génocides des Amérindiens, les mises en esclavage des Africains et leurs résistances sont alors compris dans l’histoire géologique de la Terre et du temps ».
Selon lui, l’autre face de la plantation est « la politique de la cale » – en référence au navire négrier – où une minorité s’abreuve de l’énergie vitale d’une majorité et produit matériellement, socialement et politiquement du « nègre », lequel est l’homme réduit à sa valeur énergétique, en « bois d’ébène » et à un outil de transformation des sols.
Marquée par une « double fracture, coloniale et environnementale », la modernité a engendré un « habiter colonial » qui crée « une Terre sans monde », dit Malcom Ferdinand. Il y a d’un côté une population dominante, celle de l’Occident. De l’autre, des populations dominées, jugées en trop, exploitables à merci. Cette séparation entre la « zone de l’être » et la « zone du non-être » reste d’actualité à travers la globalisation d’une économie d’extraction, de monocultures intensives, et des écocides… engendrant des injustices spatiales – on exploite et la terre et les hommes pour la consommation et le plaisir d’un là-bas lointain.
Cancer Alley
« Dès les années 1970, explique Malcom Ferdinand au Monde, des chercheurs afro-américains constatent que les décharges de produits toxiques sont placées aux abords des quartiers des communautés noires. Ils ont qualifié cette exposition inégale de minorités racialisées à des dangers environnementaux de racisme environnemental. » A titre d’exemple, le couloir pétrochimique entre Bâton-Rouge et la Nouvelle-Orléans (Louisiane), surnommé Cancer Alley, enferme des populations majoritairement noires, installées depuis l’esclavage et la ségrégation dans une zone où le taux de cancer est parfois soixante fois supérieur à la moyenne nationale. Malcom Ferdinand rappelle qu’en France, les essais nucléaires n’ont pas été réalisés sur le territoire de l’Hexagone mais en Algérie et en Polynésie.
Ce chercheur souligne aussi que la contamination de la Martinique et de la Guadeloupe par le chlordécone utilisé pour la production de bananes à l’exportation s’inscrit dans l’histoire d’une « filière agricole (…) détenue en majorité par un petit nombre d’individus appartenant à la communauté des békés, personnes se reconnaissant une filiation avec les premiers colons esclavagistes des Antilles ».
« Le chemin décolonial permet de dépasser la double fracture, coloniale et environnementale. Le décolonial cherche à fonder un monde plus égalitaire, plus juste et, pour cela, il faut reconsidérer les espaces mis sous silence », explique le chercheur. C’est là l’un des credo de l’écologie décoloniale : revaloriser les manières autres, sinon ancestrales, d’habiter le monde, mises à mal par la colonisation. Avec le risque de les folkloriser ou de les idéaliser.
En Amérique latine, où est né le courant décolonial théorique, des penseurs comme l’économiste équatorien Alberto Acosta Espinosa appellent à nouer un autre rapport à la Terre et aux autres, celui du « buen vivir » (bien vivre), inspiré d’une conception quetchua ou du « sentir-penser avec la Terre », de l’anthropologue américano-colombien Arturo Escobar. C’est parfois toute la vision du monde occidental moderne séparant nature et culture, corps et esprit, émotion et raison, qui est remise en question aboutissant à décliner l’universel en « pluriversel », c’est-à-dire un universel pluriel intégrant les différences.
« Opérations de diplomatie cosmologiques »
Ces nouvelles manières de vivre et d’habiter le monde se façonnent aussi « par des opérations de diplomatie cosmologiques », souligne le chercheur bolivien Diego Landivar, évoquant la Constitution bolivienne voulue par l’ex-président Evo Morales, qui avait abouti à la reconnaissance d’un « hypersujet de droit », la Pachamama (Terre Mère). L’Equateur a fait de la nature un sujet de droit et la rivière Vilcabamba a gagné son procès contre une municipalité de la région de Loja accusée d’avoir détourné son cours par des constructions abusives.
Prendre en considération les cosmologies autochtones amène parfois à renoncer à l’exploitation de certaines ressources naturelles. En Australie, par exemple, où les communautés aborigènes ont abandonné, pour des raisons cosmologiques, l’exploitation touristique du mont Uluru, une terre sacrée qui attirait 300 000 visiteurs par an. « L’écologie décoloniale établit des horizons non extractivistes : c’est une écologie du renoncement, analyse Diego Landivar. Dans les cosmologies occidentales, ne serait-ce que par la pensée, l’on peut tout faire. Aujourd’hui, on envisage même de coloniser Mars. Or, je crois qu’on ne peut pas coloniser la Lune, le ciel, Mars, juste parce qu’ils sont vides. »
Savoirs locaux traditionnels
La pensée décoloniale invite à concilier savoirs et savoir-faire locaux avec les connaissances scientifiques et technologiques. Ce qui était également préconisé dans un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en août 2019, qui incitait à promouvoir l’agroécologie. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) l’a bien compris.
L’agroéconomiste et coordinatrice régionale de cette institution, Coumba Sow, constate que les savoirs locaux traditionnels permettent souvent une meilleure appréhension des phénomènes naturels et sont à même de proposer des solutions efficaces. Dans une interview au « Monde Afrique », en 2019, elle rappelait l’expérience du Burkinabé Yacouba Sawadogo, qui « a eu recours dès 1980 à une technique ancestrale, le zaï, qui consiste à utiliser des cordons de pierres pour empêcher le ruissellement des eaux, mais aussi les rigoles que creusent les termites pour récupérer l’eau. En procédant ainsi, il a gagné des dizaines de milliers d’hectares sur le désert du Sahara ».
A en croire Coumba Sow, « il ressort de nombreuses études que les petits paysans qui observent les pratiques agroécologiques, non seulement résistent mieux, mais encore se préparent mieux au changement climatique en réduisant au maximum les pertes de récoltes entraînées par les sécheresses. (…) Traditionnellement, l’humanité cultive la terre selon les principes écologiques que met en avant l’agroécologie et qui sont profondément ancrés dans de nombreuses pratiques agricoles indigènes ».
Autant de pratiques dévalorisées par les anciens colonisateurs et que l’écologie décoloniale appelle à se réapproprier. Prix Nobel de la Paix 2004, la biologiste kényane Wangari Maathai (décédée en 2011) l’avait bien compris. Dès 1977, elle avait fondé le Mouvement de la ceinture verte, avec pour objectif de reconquérir des sols en voie de désertification en plantant plus de 40 millions d’arbres selon des méthodes kikuyu protectrices de la biodiversité.
PAR ADAMA DIENG
UN APPEL À L'ACTION
75 ans après la libération des camps d'Auschwitz, le monde n'a apparemment pas tiré les leçons de ce passé tragique - Les pays doivent s'attaquer aux causes profondes de la haine, y compris le racisme, défendre l'universalité des droits de l'Homme
Cette semaine, nous commémorons le 75e anniversaire de la libération en 1945 des camps de concentration et d'extermination nazis d'Auschwitz. La gravité de ce qui s'est passé dans ces camps, où plus d'un million de personnes ont été tuées dans d’horribles conditions, ne réside pas seulement dans le nombre de victimes et la reconnaissance de leur sacrifice, mais aussi dans notre capacité collective à tirer les leçons de cette tragédie et à faire en sorte qu'elle ne se reproduise plus. Nous le devons aux victimes.
Malheureusement, les campagnes menées avec succès contre la haine ne peuvent cacher les revers subis. 75 ans après la libération des camps, le monde ne semble pas avoir tiré les leçons de ce passé tragique. Les génocides au Cambodge, au Rwanda et à Srebrenica, les attaques en cours contre la population rohingya, les souffrances des communautés yézidies en Irak, et de nombreuses autres situations où il existe un risque élevé que des populations subissent des crimes d'atrocité, soulèvent de sérieuses interrogations sur notre engagement au-delà de notre rhétorique du «plus jamais cela». Si par le passé, le manque d’informations ou de connaissances suffisantes était invoqué pour ne pas prendre des mesures décisives, aujourd’hui, le monde dispose de nombreuses informations souvent à notre portée par un simple «clic». Pourtant, la volonté d'agir face à des informations crédibles demeure hésitante. Notre promesse de «plus jamais cela» doit commencer par un engagement indéfectible pour la coexistence pacifique, le respect des droits de l'Homme et de l'état de droit. L'Holocauste n'a pas commencé avec des chambres à gaz. Il a commencé par l'intolérance, la discrimination et la déshumanisation des Juifs comme «l'autre».
Gérer les signes d'alerte précoce et les facteurs de risque est la meilleure forme de prévention. Cependant, de plus en plus d’Etats, y compris ceux du monde développé, sont confrontés à des défis pour faire face à ces risques. L'Europe, le continent qui a été témoin de l'Holocauste, connaît aujourd'hui une intolérance et des tensions croissantes entre les communautés locales et ceux qui franchissent les frontières pour y chercher refuge, fuyant la persécution et d'autres violations graves des droits de l'Homme, ou qui cherchent désespérément à échapper à la pauvreté. Les communautés minoritaires, les migrants et les réfugiés sont souvent utilisés comme «cibles» faciles lorsque les débats politiques se polarisent. Alors que les extrémistes injectent un langage incendiaire dans le discours politique dominant répandu sous le couvert du «populisme», les discours et les crimes de haine ne cessent d'augmenter. En jetant le blâme sur les migrants et les réfugiés en les qualifiant de menace pour la sécurité nationale, les dirigeants d'extrême droite et les leaders populistes entretiennent un climat où il est justifié de commettre des actes de violence contre eux comme moyen de «légitime défense». Ces mouvements extrémistes se réapproprient le récit de «l'autre» que Hitler maîtrisait si bien.
De nos jours, la dissémination rapide du discours de la haine à travers les médias sociaux abondamment utilisés par la jeunesse pourrait avoir des conséquences néfastes sur la façon dont les jeunes perçoivent le monde et l'interaction entre les communautés pour les prochaines générations.
Un leadership audacieux est nécessaire pour contrer ces faux discours de haine et de discrimination. Les dirigeants progressistes doivent approfondir leur compréhension du problème et assumer leur responsabilité de protéger toutes les populations menacées. Les pays doivent s'attaquer aux causes profondes de la haine, y compris le racisme et la discrimination, défendre la société civile, l'état de droit et l'universalité des droits de l'Homme. La poursuite de l'érosion des protections que confèrent les droits de l'Homme et celle des normes démocratiques exacerbe le risque potentiel de conflits violents, conduisant à des actes d'atrocités. Aucun pays au monde ou aucune région n'est à l'abri des conflits fondés sur l'identité et, par conséquent, personne ne devrait faire preuve de complaisance quant au respect de sa responsabilité de protéger.
Alors que nous commémorons l'anniversaire de la libération des camps d'Auschwitz, ainsi que le 75e anniversaire de la Charte des Nations Unies, nous devons réfléchir à ce que nous pouvons faire pour prévenir la répétition des atrocités et faire avancer les engagements et les valeurs de la Charte. Les atrocités dont le monde a été témoin depuis l’adoption de la Charte devraient nous rappeler constamment que ce qui s’est produit il y a 75 ans se produit encore aujourd’hui, avec des conséquences catastrophiques pour l’humanité. Un engagement renouvelé en matière de prévention est nécessaire pour honorer véritablement les victimes de l'Holocauste non seulement en paroles mais également en actes. Autrement, nous ne tiendrons jamais la promesse de la Charte de «sauver les générations futures du fléau de la guerre».
Adama Dieng est Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la prévention du génocide.
À 30 ans, le Sénégalais n'a eu besoin que de quelques semaines pour s'imposer comme une évidence au PSG. Tuchel est sous le charme, comme tous ses homologues avant lui. Mais pourquoi Gana ne débarque-t-il au très haut niveau que maintenant ?
So Foot |
ERIC CARPENTIER ET MATHIEU ROLLINGER |
Publication 24/01/2020
À 30 ans, Idrissa Gueye n'a eu besoin que de quelques semaines pour s'imposer comme une évidence dans le milieu du PSG. Thomas Tuchel est sous le charme, comme tous ses homologues avant lui. Mais alors, pourquoi Gana ne débarque-t-il au très haut niveau que maintenant ? La réponse est à chercher dans ses débuts, quelque part entre le Sénégal et le Nord-Pas-de-Calais.
Daniel Percheron peut avoir des regrets. À la présidence du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais pendant 14 ans, ce « grand supporter du Racing Club de Lens » est passé tout près d’offrir un diamant brut à son club de cœur. En 2003, l’association Diambars, dont le siège social français est établi à Arras, voit le jour en partie grâce à un financement régional, validé par l’ex-sénateur socialiste. Cinq ans plus tard, une première pépite sort de l’académie sénégalaise : elle s’appelle Idrissa Gueye et signe au LOSC. « Effectivement, la région Nord-Pas-de-Calais a été la première à croire en notre projet et à nous accompagner financièrement, acquiesce Jimmy Adjovi-Boco, monument Sang et Or et cofondateur du projet. Et personnellement ça ne m’aurait pas déplu qu’Idrissa signe au RC Lens. » De fait, les premiers contacts avec la région penchent vers le pays minier. Ce sont les "tournées Baobab" : chaque année depuis 2004, la délégation sénégalaise passe un mois dans le Nord, pour s’entraîner et participer à des tournois, mais aussi pour visiter les mines et les brasseries du coin. Le tout sous les attentions bienveillantes de familles locales.
Ch'ti Gana
Patrick Wastiaux faisait partie de ce comité d’accueil. « Ce sont des amis médecins, supporters du RC Lens, qui m’ont parlé de ce projet, resitue ce retraité du monde des assurances. Il se trouve que nous, on a eu Idrissa. Tout de suite, ça a bien fonctionné dans la mesure où on a un garçon qui a le même âge que lui et qui était passionné de foot. » Avec la famille Wastiaux, Gueye profite de quelques sorties à vélo, se prend de passion pour les lasagnes maison, passe des heures à jouer au ping-pong sur la pelouse et quelques nuits blanches sur la console. « Mais quand ils étaient là, ils avaient entraînement tous les jours et des matchs les week-ends, recadre Patrick. C’était assez rigoureux, ce n’était pas vraiment des vacances pour eux. » Car le but de ces voyages est surtout de pouvoir caresser un rêve : celui d’une carrière européenne.
Pour Gueye, le rêve prend forme au printemps 2008. Et alors qu’il avait été jusqu’ici choyé par des cœurs Sang et Or, ce sont les Lillois qui mettent le grappin sur le gamin de Dakar. « À chaque printemps, Diambars venait avec un groupe de 22-24 joueurs susceptibles d'être recrutés. Cette fois-ci, ils sont venus au domaine de Luchin pour faire deux test-matchs, raconte Jean-Michel Vandamme, le directeur du centre de formation. Là, il y en a un qui est fracassant, c'est Pape Souaré. Idrissa est beaucoup moins en vue, mais il ne surjoue pas et fait merveilleusement bien tout ce qu'il doit faire. Et ça, c'est un signe d'intelligence. Donc je les invite tous les deux au tournoi de Pentecôte, à Croix, où on les fait jouer avec notre équipe. » Souaré et Gueye sont intégrés avec les U18 du LOSC. Une réussite. Trois ans plus tard, Pape et Idrissa, mais aussi Omar Wade, seront champions de France. L’opération Baobab est un succès, l’institut Diambars tient son modèle.
Diambars et ça repart
Ce n’est pas un hasard si, au moment de se souvenir des débuts du projet, Jimmy Adjovi-Boco choisit avec soin ses deux premières pierres. D’abord celle posée avec les cofondateurs du projet Diambars — Patrick Vieira, Bernard Lama et Saer Secke — à Saly, à 90 bornes de Dakar et « au milieu de 15 hectares de sable » . Ensuite celle extraite la même année lors d’une détection au Terrain de la Piscine, lieu de repère pour tous les gamins à ballon de la capitale : Idrissa Gana Gueye. Membre de la promo inaugurale, composée de 32 garçons nés en 1989 et 1990, Gueye est « un symbole pour Diambars » , assure Adjovi-Boco. « C’est lui qui a réussi la plus belle carrière d’un point de vue footballistique, et celui qui est le plus représentatif en matière de valeurs et de travail dans ce qu’on a essayé de mettre en place il y a 20 ans. » Une fierté, surtout, parce qu’il n’a jamais été question de prédestination pour Idrissa Gueye, mais bien de construction.
La promesse des Diambars — « les guerriers » en wolof — se résume en un slogan : « faire du foot passion, un moteur pour l’éducation » .
Chez Idrissa, la passion se manifeste dans les navétanes, ces tournois de quartier rythmant les week-ends à la Médina de Dakar. D’abord simple observateur, il est propulsé sur le devant de la scène à 11 ans, lorsqu'un entraîneur lui demande de remplacer au pied levé un joueur blessé. Idrissa n’a pas de chaussures, ne pratique le foot que dans la confidentialité, mais il termine le match à quatre buts et deux passes décisives. Trois ans plus tard, cette passion devient un vrai projet quand il s’agit de quitter le foyer familial pour essuyer les plâtres à Saly. « Les premières années, on logeait dans un petit hôtel qu’on avait trouvé en location et on avait aménagé une maison pour faire des salles de classe, décrit Adjovi-Boco. C’était des conditions assez rudimentaires, mais si vous en parlez aux jeunes, ils en ont certainement gardé un bon souvenir. » C’est le cas pour Omar Wade, qui voyait son grand pote Idrissa Gueye s’incruster dans sa chambre au moment de la sieste : « De temps en temps, on partait jouer à la plage, on allait à la piscine... mais surtout, on ne pensait qu’à jouer au foot ! »
De 14 à 19 ans, Idrissa s’épanouit dans ce cadre. « C'est là que j'ai appris à presser, à courir avec le ballon et à être agressif en possession du ballon » , reconnaissait-il au Guardian en 2016. Jimmy Adjovi-Boco retient lui que ce « petit gabarit » — surnommé par Wade et ses camarades « "Bop Pik", parce qu’il avait une grosse tête et un petit corps » — n’était « ni la plus forte personnalité, ni le meilleur joueur » . En revanche, le milieu possède un autre atout : son éducation, qui lui permet d’être rapidement désigné capitaine de sa promo. « On n’a fait qu’affiner ce qui avait été fait par ses parents, continue Adjovi-Boco. Chez lui, on a très vite vu que le travail d’éducation était parfait. Idrissa était et est toujours d’une correction incroyable. » Coupé de son père, tapissier de profession, et de ses frères aînés qu’il ne voit qu’une seule fois par mois, le garçon va se servir de cette absence pour s’affirmer. « Ce n’était pas facile au départ, mais il s’est rapidement forgé un caractère pour devenir un vrai meneur. Ce qu’il est aujourd’hui, c’est le fruit de son travail et de son sérieux. » Ces mêmes ingrédients qui le conduisent en 2008 au LOSC, à qui les Diambars confient le bâton de l’éducation.
Arrêt « gars du Nord »
À Lille, François Vitali prévient d'entrée : « Si vous voulez des choses croustillantes, vous n'êtes peut-être pas sur le meilleur personnage » . En revanche, comme aux Diambars, Idrissa Gueye symbolise une stratégie réfléchie bien plus qu'un coup de chance. Une approche détaillée par celui qui travaillait à l'époque sur le recrutement des jeunes pousses du club : « Des profils comme lui, comme Cabaye, comme Debuchy, comme Stéphane Dumont avant, c’était la marque de fabrique du LOSC. Des joueurs talentueux, pas forcément les plus fantastiques, mais des garçons avec une éducation, une discipline. » « Que des garçons avec des profils psychologiques très au-dessus de la moyenne dans leur catégorie, renchérit Rachid Chihab, qui a entraîné Gueye pendant ses deux dernières années avec la réserve. Ils n'ont pas forcément eu le même parcours, mais ils ont tous fait carrière. »
Le charme discret de son talent est pourtant ce qui a fait douter la direction lilloise au moment de faire confiance au Sénégalais. « Pape Souaré a eu un contrat plus long, mais tout le monde n’était pas convaincu par ce que pouvait donner Idrissa, remet Vitali. Il a fallu trouver une solution. » Il faudra alors que Claude Puel soit sollicité pour confirmer l’analyse de ses collègues de la formation, donner son aval et convaincre le président Seydoux. C’est ensuite la carte Diambars qui l’emporte. « C’est là que les très bonnes relations de Jean-Michel Vandamme avec Jimmy, et le financement des Diambars par la région, ont permis une discussion intelligente entre toutes les parties » , continue Vitali. Pour Claude Puel, Idrissa Gueye sera comme un cadeau d’adieu : deux semaines avant le début du contrat du milieu à Lille, l’entraîneur signe à Lyon.
La suite appartient aux formateurs, au premier rang desquels Rachid Chihab et Pascal Plancque, qui a eu Gueye lors de sa première saison dans le Nord. Mais à les entendre, le job était facile, presque trop. « Nous, on a juste la chance de le détecter et de l’accompagner » , s'efface le premier. « Idrissa, en matière de mentalité de travail, c’était magnifique » , encense le second. Qui ne rejoue pas pour autant la carrière a posteriori : « Je me disais : "J'espère qu'il va y arriver !", parce que des mecs comme ça, on a envie qu’ils réussissent. Mais tu n’es pas sûr. Un Eden Hazard, on peut dire à 14-15 ans que ça va être un top joueur. Pas Idrissa. » Une idée reprise par Brian Obino, partenaire de Gueye lors de sa première saison en formation : « On avait un groupe de petits phénomènes ! On avait Eden, Yannis Salibur, Omar Benzerga, Badis Lebbihi... Et en second plan, il y avait des joueurs comme Idrissa. Il ne faisait pas de bruit, mais il a toujours été constant, rigoureux, et on s’est rendu compte que c’était une valeur sûre. »
L’art de prendre
Si « le travail est le père, et la nature la mère de toute chose » (William Petty), alors une carrière fondée sur le travail et l’éducation doit prendre le temps de grandir. C’est en tout cas ce que pense Jean-Michel Vandamme à propos d’Idrissa Gueye : « Avec le temps, il fera du dépassement de fonction, quand il aura compris qu’il a le niveau. Mais d'abord, il est tellement respectueux, tellement soucieux de répondre au bon de commande qui lui est fait, que sa réponse est une merveille pour un entraîneur, mais que, parfois, il ne se met pas assez en valeur. » Autrement dit, Idrissa Gueye n’est pas du genre à se faire mousser pour passer devant le concurrent. Mais comme le prévient Rachid Chihab, « on sent que dès que la porte va s’ouvrir, il va saisir l’opportunité et ne va pas décevoir » .
« Il disait tout le temps : "Ne t’inquiète pas, notre jour viendra, on sera bientôt là-bas", se souvient Omar Wade, hébergé un temps par son copain d’enfance lorsqu'il l’a rejoint en 2009 chez les Dogues. Mais à l’époque, il y avait Mavuba, Balmont, Cabaye... Ce n’était pas facile de se faire une place ! » Alors Gueye patiente. Et apprend. « Mais il a bien appris parce qu’il a eu des bons mentors, son capitaine par exemple ! » se marre Rio Mavuba. Si le capitaine se rappelle que le LOSC s’était fait sortir de Coupe de France par Colmar pour la première de Gueye en pro, un samedi de janvier 2010, il garde également en mémoire un mec qui « quand il est arrivé, n’était pas là pour rigoler. Il taffait, il taffait, il taffait ! Et sincèrement, il comprenait très vite. » Une semaine avant le titre de champion de France 2011, une première récompense va se présenter, sous la forme d’une titularisation en finale de Coupe de France.
Ce soir-là, on retrouvera Gueye, cravate desserrée au VIP Room après le match. Le trimeur relâche. Mais n’oublie pas les collègues devant la caméra du club : « On dédicace aux jeunes de Diambars, tu vois. C'est possible, on l'a fait. [...] On sort de Diambars, il y a Souaré, il y a Omar, il y a mon gars qui est là, j'ai joué titulaire, c'est merveilleux, on en profite ! » Une exclamation rare dans une carrière menée sous le signe de la modestie. Si pour trouver un appartement en ville, il a pu compter sur Patrick Wastiaux, son logeur arrageois toujours prompt à filer un coup de main à son « troisième fils » , le guerrier s’est construit pendant sept saisons une petite vie calme et sereine dans la capitale des Flandres, entouré de ses anciens compères de Diambars. « On allait souvent dans un resto sénégalais, le Toucouleurs(aujourd’hui fermé, N.D.L.R.), on y avait emmené Eden Hazard, Moussa Sow et Gervinho, se souvient Wade, aujourd'hui joueur du FC Gueugnon. Des cinés, du karting aussi. » François Vitali avait raison : peu de coups d’éclat remontent lorsqu'on aborde le sujet Gueye. Plutôt une impression générale, toujours excellente. Il n’y a guère que Rio Mavuba pour dessiner un moment aussi précis que précieux pour cerner le personnage. La scène se joue dans les couloirs du Stade de France, quelques heures avant le VIP Room : « Je me souviens du calme qu’il avait avant le coup d’envoi. Il était tout jeune, il allait commencer une finale de Coupe de France, mais il restait parfaitement calme. C’est Idrissa Gueye, quoi. Un sage. »
"ON NE PEUT PAS ÊTRE INSOLVABLE DANS SA PROPRE MONNAIE"
Ndongo Samba Sylla met en garde contre toute précipitation dans la mise en place de l’Eco et brûle le franc Cfa qui a installé, selon lui, la plupart des populations concernées dans la misère. Entretien !
Spécialiste ayant fait beaucoup de travaux sur les questions monétaires, coauteur de ‘’L’arme invisible de la Françafrique, une histoire du franc CFA’’, Ndongo Samba Sylla dissèque la monnaie dans toutes ses facettes. Panafricaniste convaincu, il met en garde contre toute précipitation dans la mise en place de l’Eco, brûle le franc Cfa qui a installé, selon lui, la plupart des populations concernées dans la misère et vante les mille et une vertus de la souveraineté monétaire pour un pays. Entretien !
Le projet de monnaie unique de la CEDEAO suscite beaucoup d’enthousiasme. Mais vous, vous semblez moins emballé. Pouvez-vous revenir sur les raisons qui font que vous êtes moins enthousiaste ?
Beaucoup de personnes veulent l’unité de l’Afrique et elles ont raison de penser que c’est à travers cette unité que le continent pourra se développer et assumer sa présence dans le monde. Mais la question qui se pose est de savoir à partir de quel fondement il faut créer cette unité. Selon Cheikh Anta Diop et Kwame Nkrumah, c’est à partir de l’intégration politique qu’on peut mettre en place l’intégration économique. Cela veut dire : avoir une armée continentale, un gouvernement fédéral, un ministre des Affaires étrangères commun, un ministre des Finances commun, etc. A défaut, il faut avoir une politique coordonnée dans ces différents domaines.
Aujourd’hui, beaucoup pensent que la monnaie unique CEDEAO pourrait être un début pour l’unité politique. Cette idée me semble non étayée. Il faut regarder l’histoire de l’humanité. Il n’existe aucun exemple de partage de monnaie unique, entre des pays souverains, qui ne soit basé sur une structure fédérale. Le seul exemple, c’est la Zone euro et elle ne marche pas. La plupart des pays qui la composent se sont appauvris. Prenez l’exemple de la Grèce. Elle va retrouver son niveau économique de 2008 en 2034. Elle perd ainsi une génération. Les Européens, eux-mêmes, se rendent compte que l’euro ne marche pas, puisqu’ils n’ont pas mis les préalables politiques et économiques nécessaires.
Quels sont ces préalables qu’il faut mettre en place pour qu’une zone monétaire unique puisse être performante ?
Il faut avoir un gouvernement politique, un fédéralisme budgétaire - c’est-à-dire un trésor fédéral qui dispose d’un budget conséquent - une harmonisation des politiques fiscales et budgétaires, une harmonisation de la législation bancaire, etc. Les Européens reconnaissent maintenant que si l’euro ne marche pas, c’est parce que tous ces préalables n’ont pas été mis en place. Je ne comprends donc pas pourquoi nous, qui avons la chance d’observer tout ça, nous voulons résolument répéter les mêmes erreurs. Sans gouvernement politique fédéral, il n’y a pas d’intérêt à aller vers une monnaie unique. D’ailleurs, aucun travail économique ne montre que la CEDEAO constitue une zone monétaire optimale, c’est-à-dire que les pays qui la composent ont avantage à partager une même monnaie.
Quels sont les critères d’une zone monétaire optimale ?
Il faut que la zone soit très intégrée sur le plan commercial, c’est-à-dire que les pays qui la composent commercent beaucoup entre eux. Il faut aussi que les cycles économiques soient synchrones, c’est-à-dire que les pays aient des conjonctures économiques similaires. Il faut aussi un minimum de fédéralisme budgétaire. Dans ces conditions, une monnaie unique peut marcher. Sinon, c’est compliqué. Et dans le cas des pays de la Zone franc, en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, il n’y a aucun travail qui montre qu’on est dans une zone monétaire optimale. Cela veut dire que ces huit pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) ne devraient pas partager la même monnaie. Maintenant, on veut l’élargir à un plus grand ensemble où le commerce régional est faible (10 % environ) et au sein duquel le Nigeria pèse plus de 2/3 du PIB, est exportateur net de pétrole là où les autres, pour la plupart, en importent. Cela pose d’énormes difficultés.
Peut-on en déduire que l’Eco CEDEAO risque d’être plus catastrophique que le CFA UEMOA, si l’on sait que les huit pays présentent moins de disparités ?
Je ne parlerai pas de catastrophe. Je ne fais pas de pronostic, parce qu’il y a beaucoup d’autres facteurs qu’il faut prendre en compte. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas, pour l’instant, d’arguments économiques solides permettant de justifier la désirabilité d’une monnaie unique CEDEAO. Si nous voulons une monnaie unique pour doper le commerce interafricain, il y a des alternatives plus pratiques. Au-delà de la Zone de libre-échange continental - un projet problématique également - nous pouvons songer à mettre en place un système de paiements et de règlement continental. Ce qui nous permettra de commercer dans nos propres monnaies, en lieu et place des devises dominantes.
Afreximbank porte déjà ce projet. Si nous voulons une monnaie unique afin d’être plus solidaire entre nous, nous pouvons mettre en place un fonds monétaire africain qui gèrera une proportion donnée de nos réserves de change. Si nous voulons plus de coordination monétaire, nous pouvons décider de fixer nos taux de change les uns vis-à-vis des autres avec des marges de fluctuation et de faire de l’Eco une unité de compte commune (et non pas une monnaie unique). Cette démarche serait beaucoup plus cohérente que de faire le saut directement vers une monnaie unique. La vraie convergence serait obtenue beaucoup plus facilement avec ces approches alternatives et gradualistes.
Justement, cette monnaie était initialement prévue pour 2020. Vous dites que ce n’est pas possible, car la plupart des Etats ne respectent pas les critères de convergence. Pouvez-vous rappeler ces critères ?
Je ne peux pas commenter ces chiffres dont je ne dispose pas. Ce que je sais, c’est qu’en juin 2019, la CEDEAO a publié un rapport pour dire qu’aucun pays ne remplissait les critères de convergence en 2018. Pour 2019, apparemment, seul le Togo remplirait tous les critères. Ce qu’il faut savoir, c’est que ces critères ont été importés de la Zone euro. Ils ont été imposés par l’Allemagne qui était réticente, au départ, quant à son adhésion à la Zone euro. Pour y entrer, les Allemands ont exigé des garanties. Ils ne souhaitaient pas se retrouver dans la position d’avoir à payer les déficits des pays voisins qui auraient des problèmes budgétaires.
Les critères de convergence étaient la réponse aux garanties exigées par l’Allemagne. Et nous, nous les avons reproduits bêtement. Je dis bien bêtement, car il n’y a aucun sens à vouloir limiter le plafond d’endettement à 70 % ou à limiter le déficit public à 3 ou 4 %. Pourquoi ? Prenons l’exemple du déficit public. Il correspond exactement au surplus du secteur non gouvernemental. Quand le gouvernement est en déficit de moins 3 % du PIB, le secteur non gouvernemental a exactement plus 3 %. Du point de vue de la théorie économique, ce qu’on appelle la finance fonctionnelle, le bon niveau de déficit est celui qui permet à tout un chacun de trouver un emploi.
En réalité, dans le cas des pays africains, les prétendus critères de convergence ont été mis en place pour s’assurer que leurs Etats ne vont pas faire des dérapages budgétaires qui compromettraient leur capacité à rembourser la dette. Ils n’ont donc pas été mis en place pour permettre aux Etats d’avoir une certaine marge de manœuvre sur le plan de la politique budgétaire, pour faire une politique de développement. Ce ne sont donc pas des critères économiques, mais des critères financiers.
Le paradoxe est donc que les Africains ont repris, comme condition de leur association monétaire, des critères que l’Allemagne a exigés pour se dispenser d’être solidaire avec ses voisins.
Pourtant, l’esprit de solidarité panafricaniste est aussi brandi comme un des arguments militant en faveur d’une zone monétaire unique…
C’est d’ailleurs ce qui est ironique. Nous disons que nous allons vers l’unité et en même temps, nous reprenons des critères européens qui présupposent une absence de solidarité et de confiance entre nous. Vous voyez à quel point c’est problématique. Pourtant, des alternatives plus porteuses et moins risquées sont là. Il s’agit de mettre en place un fonds monétaire africain, une unité de compte commune, un système de paiements et de règlement continental, fixer si c’est possible nos monnaies les unes les autres pour aller vers la vraie convergence, la véritable unité politique dans la solidarité.
Vous dites que certains plafonds, notamment pour ce qui est de la dette, n’ont pas de sens. Est-ce à dire que vous ne voyez pas d’inconvénient par rapport au niveau de la dette du Sénégal ?
Je dis que le ratio dette/PIB en lui-même ne veut rien dire sur le plan économique. Le Japon a une dette de 250 % par rapport au PIB. Les taux d’intérêt sont à 0 % et son économie est au plein emploi. Ce qu’il faut voir, c’est si l’Etat émet sa monnaie ou s’il est un utilisateur de monnaie, comme c’est le cas du Sénégal et des autres pays de la Zone franc. L’autre question est de savoir si on s’endette dans sa propre monnaie ou dans une monnaie étrangère. Quand on s’endette dans une monnaie étrangère, c’est toujours compliqué. Mais quand on le fait dans sa propre monnaie, il y a moins de danger. Si le Japon est à 250 %, c’est parce qu’il s’endette dans sa propre monnaie.
Au Sénégal, le niveau de dette est préoccupant, parce que la dette est essentiellement libellée en monnaie étrangère. Cela veut dire que, tôt ou tard, nous allons la rembourser en termes de ressource réelle. Si on voit le gouvernement supprimer des subventions, augmenter des taxes, c’est parce qu’il faut payer la dette contractée en monnaie étrangère. Si notre gouvernement pouvait s’endetter dans sa propre monnaie nationale, il n’aurait pas eu besoin d’infliger des politiques d’austérité. L’endettement en monnaie étrangère est donc toujours dangereux. Un gouvernement qui aspire à un minimum d’indépendance financière doit tout faire pour ne pas s’endetter en monnaie étrangère.
Vous parlez souvent de la notion de souveraineté monétaire. Pouvez-vous revenir sur ses implications ?
D’abord, la souveraineté monétaire traduit l’indépendance financière de l’Etat. Cela veut dire que l’Etat peut réaliser toutes ses dépenses sans contrainte financière. Pour que ce soit possible, il faut que l’Etat ait sa propre monnaie ; qu’il ait la capacité de taxer l’économie ; qu’il ait un contrôle sur le secteur bancaire (la banque centrale et les banques commerciales) et qu’il ait la souveraineté sur ses ressources économiques (les terres, la main-d’œuvre, les ressources naturelles, etc.). Si ces conditions sont réunies et que l’endettement est effectué en monnaie nationale, cet Etat peut financer tout ce qu’il a envie de financer et il ne peut jamais être insolvable. On ne peut jamais être insolvable dans sa propre monnaie.
Mais quels sont les risques relatifs au fait de battre sa propre monnaie ?
Il n’y a pas de risques particuliers. Les risques, ce sont ceux qui sont inhérents à la politique économique. Et la monnaie, en elle-même, n’est pas l’instrument le plus important. L’instrument le plus important, c’est le budget.
Pourtant, on parle souvent de risques comme l’inflation…
Ce qu’il faut dire, c’est que dans les pays qui utilisent le CFA, les niveaux d’inflation sont beaucoup trop faibles, par rapport à la norme, pour des pays aussi pauvres. Ce sont les travaux scientifiques qui l’établissent. La deuxième chose, c’est qu’est-ce qu’on entend par inflation ? Il faut comprendre que si l’Etat dépense pour augmenter les capacités productives, il n’y a pas d’inflation. Mais si on crée de l’argent pour certaines dépenses qui n’augmentent pas les capacités productives, cela crée de l’inflation. En fait, le problème fondamental est que beaucoup parlent de la monnaie, mais peu comprennent ce que c’est véritablement. Certains spécialistes vous diront ses fonctions : unité de compte, moyen de paiement et réserve de valeur.
Ce qui ne nous avance pas. Quelle est la nature de la monnaie ? C’est d’être une dette de l’Etat. Quand vous tenez un billet de 1 dollar par exemple, c’est une dette de l’Etat américain à l’égard de celui qui détient ce billet. Quand vous avez votre monnaie, vous pouvez créer autant d’argent que vous voulez pour financer tout ce qui peut s’acheter au sein de votre économie. Vous avez la possibilité de créer directement des emplois pour les jeunes au chômage. C’est ce qu’on appelle les programmes de ‘’garantie d’emplois’’. Si vous n’avez pas de souveraineté monétaire, vous ne pouvez pas mettre fin au chômage des jeunes ; vous ne pouvez pas réduire le sous-emploi, etc. C’est pourquoi je dis que sans un minimum de souveraineté monétaire, pas de développement possible. Par exemple, si on a des professeurs qui sont au chômage et des jeunes dont les parents n’ont pas les moyens de les envoyer à l’école, c’est une faillite de l’Etat. Car un Etat souverain sur le plan monétaire ne peut jamais manquer d’argent pour financer ce qui est utile à la société.
Mais nous ne vivons pas en vase clos. Nous commerçons avec l’extérieur et il y a des étrangers qui sont établis dans nos pays. N’y a-t-il pas de risques à ce niveau ?
En fait, il faut avoir une politique cohérente. Est-ce qu’on a besoin de dépenser chaque année plus d’un milliard d’euros pour acheter des produits alimentaires ? Est-ce qu’on a besoin d’importer du riz de Thaïlande, alors que nous pouvons le produire ici. Ce sont des choix à faire. Si nous voulons la prospérité pour tous, il faut partir des ressources que nous avons. Mais si nous voulons que 20 % s’en sortent et que tout le reste tire le diable par la queue, laissons tout venir entrer dans notre marché. Quelques privilégiés vont vivre comme des Européens, mais la grande majorité croupira dans la misère.
Récemment, le FMI a procédé à une réévaluation des risques par rapport à l’endettement du Sénégal. On est passé de risque de surendettement faible à risque de surendettement modéré. Qu’est-ce à dire ?
Ce n’est pas spécifique au Sénégal. Les pays africains, en général, sont très exposés à la conjoncture mondiale. Quand il y a eu la crise financière en 2008, les capitaux ne pouvaient plus s’employer de manière profitable dans les pays riches. Les investisseurs se sont donc réorientés vers les marchés émergents. Parce qu’à l’époque, et c’est toujours le cas, les banques centrales avaient des politiques de taux d’intérêt nul. Donc, quand vous aviez vos capitaux, vous ne pouviez ni les investir dans l’économie réelle qui était morose ni les placer, puisque les taux d’intérêt étaient faibles. Raison pour laquelle ils étaient allés vers les pays émergents et les pays pauvres. Nos économies en ont donc profité. Mais, depuis 2012, le niveau de la dette est allé croissant. Cela a plus que doublé (il est passé de 2 700 milliards en 2012 à 8 076,6 milliards de francs CFA, NDLR).
A votre avis, le Sénégal s’endette-il bien ?
Pour moi, une bonne politique économique consiste à faire le maximum pour ne pas s’endetter dans une monnaie étrangère. Et le franc CFA est une monnaie étrangère, car nous ne l’émettons pas. Nous nous endettons surtout en euro et en dollar. Et, tôt ou tard, nous devrons payer cette dette en ressources réelles. Nous devrons exporter des ressources réelles - du pétrole, du gaz, de l’arachide, etc., - pour obtenir des devises en vue de payer la dette ou nous endetter à nouveau. Par exemple, les eurobonds qu’on a émis en 2018 ont une maturité de dix ans. D’ici là, on devra payer environ 1 milliard d’euros au titre des intérêts. Et ce sont les citoyens qui paient tout ça à travers les impôts et taxes, mais aussi à travers les ressources réelles. C’est cela le sous-développement. Ce qui est accumulé chez vous va vers l’étranger. Il faut changer de cap, réinvestir ce que nous accumulons sur place pour avoir un effet multiplicateur, un cercle vertueux. Malheureusement, ici, on accumule et on transfère sous forme de profits rapatriés ou sous forme de paiement des intérêts de la dette.
Il y a aussi les politiques de gratuité de l’Etat, les bourses de sécurité familiale, la couverture maladie universelle dont l’efficacité peut être contestée. L’Etat a-t-il les moyens de ces politiques ?
On peut avoir des réserves par rapport à la manière dont ces politiques sont menées. Mais, pour moi, un Etat soucieux du développement de son économie doit veiller à la santé de ses populations. La couverture maladie universelle est importante, mais elle n’est pas, pour le moment, effective. Pour les bourses de sécurité, je comprends la logique, mais je préfère un programme de garantie d’emploi. Par exemple, l’Etat va dans une commune particulière où il y a des besoins essentiels (assainissement, sécurité, éducation, etc.) ; il paie un salaire minimum à tous ceux qui sont prêts à travailler dans ces secteurs. Aussi, ce qu’il faut savoir, c’est qu’un Etat qui a la souveraineté monétaire a toujours les moyens de sa politique. La seule limite, c’est la disponibilité des ressources réelles (terres, main-d’œuvre, ressources naturelles, etc.). Le Sénégal n’a pas les moyens de sa politique, parce qu’il n’est pas souverain d’un point de vue monétaire.
Si vous aviez à noter les performances du franc CFA, quelle serait la note ?
C’est difficile. Pour moi, c’est une monnaie dont il faudrait se débarrasser au plus vite. Et le Sénégal, pour moi, doit battre sa monnaie nationale rapidement.
Concrètement, quels sont les signaux qui montrent que le CFA n’est pas de nature à favoriser les conditions d’un développement de nos pays ?
Il faut regarder les performances économiques sur le long terme. En 2016, le Sénégal avait un revenu réel par habitant du même ordre qu’en 1960. Pour la Côte d’Ivoire, son revenu réel par habitant de 2016 était inférieur d’1/3 à celui de 1978. Pour les pays d’Afrique centrale, prenez le Cameroun, le Congo-Brazzaville, le Gabon qui sont les trois pays les plus importants sur le plan économique. Leur niveau de revenu réel par habitant est inférieur par rapport aux années 1980.
Donc, vous êtes dans une zone, où la grande majorité des populations est dans une pauvreté absolue. A quoi nous a alors servi cette zone ? Je ne veux pas dire que le sous-développement que l’on voit un peu partout est exclusivement dû à la gestion monétaire. Néanmoins, tant que nous maintenons cette monnaie, tant que les banques continuent de fonctionner comme elles fonctionnent, je ne dis pas que le développement est improbable, c’est impossible.
Quelle lecture faites-vous de la déclaration récente des pays de la Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest ?
C’était prévisible et c’est normal. La CEDEAO avait sa feuille de route. En juin 2019, ils ont dit qu’ils ont choisi Eco comme nom de la monnaie unique de cet espace régional ; un taux de change adossé à un panier de monnaies pas seulement à l’euro ; une banque centrale de type fédéral. Ils s’étaient aussi mis d’accord sur le fait que l’Eco ne doit être mis en place que par les pays qui sont prêts. C’est-à-dire les pays qui remplissent les critères de convergence. Ce qui n’est pas le cas pour les pays de l’UEMOA, à l’exception du Togo et ce dernier ne peut pas lancer la zone seule. Macron et Ouattara ne peuvent donc pas venir nous dire qu’ils vont renommer le CFA Eco. Et le communiqué de la Zmao est très clair et sobre, en appelant à un respect de la feuille de route préalablement défini.
Quid de l’échéance 2020 qui a été fixée ? L’Eco peut-elle être effective à cette date ?
Je ne sais pas. Mais si l’on maintient la méthodologie des critères de convergence et si le principe de l’adhésion sur une base individuelle – pays par pays - est maintenu, je peux vous dire qu’on va rester encore 30, 40 ans à parler encore du lancement de l’Eco. Pourquoi ? Prenez un pays comme le Cap-Vert ; son taux d’endettement est de plus de 100 %. Pour respecter le critère prévu, il lui faudra au moins 20 ans. Et il ne peut le faire qu’en s’appauvrissant, ce qui est aberrant. Même chose pour la Gambie. Pour les pays comme le Liberia, la Sierra Leone, le Nigeria et la Guinée, ce sont des pays qui ont un taux d’inflation à 2 chiffres. Pour eux aussi, il faudra des politiques d’austérité, c’est-à-dire s’appauvrir pour arriver à respecter les critères de convergence. Aussi, on nous dit qu’il faut entrer un par un. Et si, dans l’UEMOA, par exemple, tous les pays sont prêts sauf le Sénégal, qu’est-ce qu’il va faire ? Battre sa propre monnaie ? S’y ajoutent les problèmes politiques. Si le Nigeria, qui représente plus de 2/3 du PIB de l’Afrique de l’Ouest, n’est pas conforté dans son rôle de leader, il n’y aura pas d’Eco avec le Nigeria.
Justement, où en est ce pays avec le respect des critères de convergence ?
Non, il ne les respecte pas. Il a même beaucoup de problèmes. Il faudra auditer les comptes de la Banque centrale nigériane. Cela va prendre au moins deux ans et ça n’a pas été fait. Aussi, la principale organisation qui rassemble les patrons dans le secteur industriel a émis des réserves par rapport à l’entrée du Nigeria dans la zone Eco. Il y a donc des problèmes réels de faisabilité. Selon moi, la voie la plus réaliste est d’aller vers des solutions alternatives. Les Etats peuvent commencer par fixer les taux de change ; mettre ensemble leurs réserves de change ; adopter des politiques communes d’autosuffisance alimentaire et énergétique ; un système de paiements et de règlement. Voilà des choses simples qu’on peut faire, si les gens tiennent vraiment à faire avancer la solidarité entre Africains.
Si je parle ainsi, ce n’est pas parce que je suis contre les monnaies uniques de manière inconditionnelle. Je dis : allons-y doucement en mettant les préalables. En plus, on parle de zone monétaire, alors qu’il n’y a même pas encore de traité d’union monétaire, pas de statut de la Banque centrale, pas d’harmonisation du secteur bancaire, etc. J’ai l’impression que les gens ne savent pas à quel point c’est complexe de mettre en place une monnaie unique. Cela demande une certaine homogénéité. Dans tous les espaces unifiés sur le plan monétaire, il a fallu préalablement unifier l’espace politique : mêmes lois, mêmes règlements, même culture, etc. Quand vous avez des pays très hétérogènes, où les leaders ne sont pas très engagés pour la cause panafricaniste, c’est très compliqué. Il faut y aller pas à pas.
Y-a-t-il des risques de s’acheminer vers une querelle autour du nom ?
Je ne le pense pas. Eco, c’est juste le diminutif d’Ecowas - CEDEAO en anglais. Les pays de l’UEMOA ne peuvent pas se quereller dessus.
par Mamoudou Ibra Kane
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LE CHAHUT DE LONDRES ET LA LEÇON "SOULEYMANE JULES DIOP"
Comme Me Wade, il y a 10 ans, Macky Sall a désormais son "Souleymane Jules Diop" en la jeune Mbayang Camara. Attention à la portée de ces chahuts, fussent-ils cas isolés. Quelle portée accorder à ce genre d’actes politiquement symboliques ?
Dans sa chronique de ce vendredi, 24 janvier 2020, Mamoudou Ibra Kane rebondit sur la mésaventure londonienne du président Macky Sall, hué par une dame en signe de protestation à l’emprisonnement de Guy Marius Sagna. Et c’est pour revisiter les souvenirs de faits similaires vécus par d’anciens chefs d’Etat d’ici et d’ailleurs.
Comme Me Wade, il y a 10 ans, Macky Sall a désormais son "Souleymane Jules Diop" en la jeune Mbayang Camara. Attention à la portée de ces chahuts, fussent-ils cas isolés. Quelle portée accorder à ce genre d’actes politiquement symboliques ? Le journaliste se demande ainsi si les destinataires de ces faits démocratiques réussissent à bien les interpréter, s’ils ne font pas l’erreur de les banaliser.
Autre lecture : la générosité de la diaspora sénégalaise, à l’amorce de changements politiques majeurs. Dynamique, cette sève nourricière a une telle influence sur la population qu’un élu attentif ne devrait l’ignorer...
Par Mamadou Oumar NDIAYE
«JUSTICES» EXÉCUTRICES DE CHALLENGERS !
En Afrique, les chefs d’Etat au pouvoir sont décidément passés maîtres, ces dernières années, dans l’art d’activer leurs « justices » pour neutraliser des opposants dangereux qui auraient l’outrecuidance de les défier aux urnes
Guillaume Soro ne sera pas candidat à l’élection présidentielle ivoirienne de la fin de cette année. Motif : la « justice » éburnéenne a lancé contre lui un mandat d’arrêt international pour tentative de déstabilisation du pays. Plus exactement, le qualificatif retenu par le procureur Adou richard, c’est : « tentative d’atteinte à l’autorité de l’Etat et à l’intégrité du territoire national ». pas moins ! Et défense de rire…
Des faits qui remonteraient à 2017 et dont la glorieuse « justice » du pays des Eléphants ne s’est saisie qu’il y a quelques mois, lorsque des négociations de la dernière chance ont échoué et qu’il est devenu certain que l’ancien président de l’Assemblée nationale n’allait pas soutenir le dauphin présumé du président Alassane Dramane ouattara. C’est-à-dire son actuel vice-président Amadou Gon Coulibaly. passe encore que l’ « insolent » Soro ait refusé d’adhérer au rHDp (rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la paix) créé au forceps par le président ouattara et regroupant, outre son parti, le rDr, des transfuges du parti démocratique de Côte d’ivoire (pDCi), parti de son ex-allié au pouvoir, l’ancien président Henry Konan Bédié, plus quelques partis cabines téléphoniques. Mais refuser de soutenir le candidat du président ouattara et même envisager de se présenter contre lui !
C’était là un casus belli, assurément, et il fallait faire payer très cher à l’ex-patron de la rébellion armée des Forces nouvelles cet affront. D’où l’invention de cette « tentative de déstabilisation » pour suspendre l’épée de Damoclès d’un emprisonnement sur la tête de Soro au cas où il s’aviserait de se promener sur les bords de la Lagune Ebrié d’ici décembre prochain. Car après les élections — et la victoire souhaitée de Gon Coulibaly — tout sera toujours possible au nom d’une énième réconciliation nationale… Sénégal : Comme le facteur du film, le Président Macky (empri) sonne toujours deux fois !
En Afrique, les chefs d’Etat au pouvoir sont décidément passés maîtres, ces dernières années, dans l’art d’activer leurs « justices » pour neutraliser des opposants dangereux qui auraient l’outrecuidance de les défier aux urnes. Dans ces cas, à la « justice » de jouer et de neutraliser ces empêcheurs d’être réélus les doigts dans le nez ! Charité bien ordonnée…
Débutons ce petit tour d’horizon des présidents emprisonneurs par notre beau pays. pour mettre toutes les chances de son côté à l’élection présidentielle de février dernier, le candidat Macky Sall n’a pas eu d’états d’âme : il a actionné sa « justice » pour jeter en prison Karim Meïssa Wade et Khalifa Sall, présentés comme devant être ses plus redoutables challengers.
il lui a suffi d’emprisonner le premier pour « enrichissement illicite » avant de l’exiler chez les émirs du Golfe, et le second pour escroquerie sur les deniers de sa mairie et le tour était joué ! D’ailleurs, à voir le féroce procureur de la république de Côte d’ivoire exposer gravement les faits d’atteinte à l’autorité de l’Etat dont se serait rendu coupable le pauvre Guillaume Soro — qui avait pourtant porté Ouattara au pouvoir ! —, on se croirait en face de son alter ego sénégalais, Serigne Bassirou Guèye, en train de charger Karim ou Khalifa Sall ! réélu — à vaincre sans péril… —, Macky Sall a gracié le second et engagé des négociations avec le père du premier. L’essentiel, c’était de rempiler !
Trafic de bébés et escroquerie immobilière
Pour rester dans la sous-région ouest-africaine, dans l’espace uemoa si l’on préfère, faisons escale au niger. où, sans autre forme de procès, le président de la république, Mahamadou issoufou, pour écarter son plus sérieux rival à la dernière présidentielle, Hama Amadou, a actionné lui aussi sa « justice » qui n’a pas cherché loin pour trouver un « crime » à reprocher à l’ancien président de l’Assemblée nationale de ce vaste pays sahélien. Ce « crime », c’est celui de « trafic de bébés » en provenance du nigeria et il a suffi pour jeter au gnouf l’infortuné Hama Amadou ! Malgré tout, étant donné que sa candidature avait été validée par l’instance chargée des élections, il avait pu, du fond de sa cellule, mettre le président en exercice en ballotage ! Autrement dit, il avait réussi à se qualifier pour le second tour. n’ayant pas pu battre campagne et négocier des alliances, Hama avait finalement été battu à l’issue du second tour par le sortant. il purge actuellement le restant de sa peine après être parti se réfugier à paris… Là aussi, on prête au très démocrate Issoufou l’intention de le gracier ! Direction l’Afrique centrale où l’ancien président Joseph Kabila, n’étant pas très sûr de remporter l’élection à multiples prolongations — qui s’est finalement tenue en décembre 2018 et qu’il a perdue — et ayant surtout peur de la popularité de l’ex-gouverneur de la richissime province du Katanga, Moïse Katumbi, également propriétaire du grand club de football tout-puissant Mazembé, Joseph Kabila, donc, a lui aussi fait emprisonner Moïse Katumbi par sa « justice ». Motif : une « escroquerie immobilière » au détriment d’un mystérieux propriétaire grec actionné pour les besoins de la cause. D’ailleurs, avant le verdict de ce procès rocambolesque, la juge en charge du dossier avait reçu une visite « amicale » du patron de la très redoutée Agence nationale de renseignement (Anr) venue la « conseiller » sur la sentence à rendre. Elle avait été obligée de prononcer une peine ferme à l’encontre de l’opposant ! Depuis lors, d’ailleurs, elle a fui le pays. Après Katumbi qui n’avait pas attendu l’issue de ce procès pour se faire la malle. D’autant plus qu’une autre affaire judiciaire, de « recrutement de mercenaires » cette fois-ci, lui pendait sur la tête !
Des juges qui ne perdent pas le Nord…
Mais que ceux qui avaient tendance à croire que ces persécutions politico-judiciaires contre des opposants — en tout cas des challengers de présidents au pouvoir — n’avaient cours que de ce côté-ci du continent se détrompent : en Afrique du nord, aussi, elles existent ! A preuve par la Tunisie où, durant l’élection présidentielle d’il y a quelques mois, le candidat Nabil Karaoui, présenté par les sondages comme devant être le plus sérieux rival de l’alors premier ministre Youssef Chahed (le président en exercice est mort juste avant la fin de son mandat), s’est retrouvé au cachot à deux semaines à peine du démarrage de la campagne électorale. Ce sous l’accusation de « fraude fiscale ». Là également, la glorieuse « justice » tunisienne était entrée en action ! Sans avoir pu aller à la rencontre des tunisiens, Karaoui avait néanmoins réussi à se qualifier pour le second tour à l’issue duquel il avait été battu par l’homme qui préside désormais aux destinées du pays : Kaïs Saïed. Ce petit tour d’horizon — qui n’est pas exhaustif — juste pour montrer combien le fait d’être challenger des présidents en exercice sur notre continent peut être suicidaire. Et à quel point nos « justices » peuvent être sévères pour ces impertinents qui veulent déboulonner les présidents qui les ont mises en place. ou, du moins, ont nommé les juges obséquieux qui trônent à la tête de ces juridictions. retour à la case départ, c’est-à-dire en Côte d’ivoire où, comme c’est curieux, Alassane Ouattara qui vient d’actionner sa « justice » contre son ancien allié Soro Guillaume, avait pourtant été victime des mêmes pratiques qu’il met en œuvre aujourd’hui contre un rival de son dauphin présumé. A l’époque — Bédié était président…—, on lui avait tout simplement dénié la nationalité ivoirienne. Et on avait dit qu’il était un Burkinabé ! pour laver l’affront, Soro avait déclenché la lutte armée à partir du…Burkina pour permettre à Ouattara de prendre le pouvoir. Et voilà qu’il est accusé aujourd’hui de déstabiliser le pays par devinez qui ? Le même Alassane Ouattara qu’il avait porté au pouvoir !
par Ousmane Sonko
LA GANGRÈNE DE LA CORRUPTION
Le seul responsable de la corruption au Sénégal s’appelle Macky Sall - Prodac, COUD, Poste, Petrotim, Port, King Fahd, Lonase…, la liste de dossiers impliquant ses proches qu’il couve dans une impunité indécente est longue
Indice de perception de la corruption 2019, qui est vraiment surpris du mauvais classement du Sénégal !
La corruption est une pratique consacrée et légitimée à tous les échelons étatiques au Sénégal, et il n’est nécessairement pas besoin d’un rapport ou d’une étude pour l’établir.
Mais le vrai débat est celui des responsabilités. Le seul responsable de la corruption au Sénégal s’appelle Macky Sall. Lui qui, par une gestion familiale, clanique et partisane, entretient un système bâti sur la corruption, le détournement et l’escroquerie portant sur nos deniers publics.
- C’est lui qui nomme, à des responsabilités directionnelles, des personnes qui faisaient déjà l’objet de rapport à charge des corps de contrôle ;
- c’est lui ensuite qui les promeut à des responsabilités ministérielles quand bien même leur gestion antérieure a fait l’objet de réserves voir de dénonciation par ces mêmes corps de contrôle ;
- c’est lui enfin qui met le coude, directement ou indirectement (par son procureur), sur lesdits rapports, empêchant toute poursuite judiciaire contre son clan.
Prodac, COUD, Poste, Petrotim, Port autonome, King Fahd, Sécuriport, CSS, 94 milliards, Navire Olinda, Aser, Sénélec (Myna distribution), titre Bertin, Lonase…, la liste est très longue de dossiers impliquant ses proches ou des transhumants qu’il couve dans une impunité indécente.
Monsieur Macky Sall est l’Alpha et l’Oméga du système de corruption au Sénégal. Et à titre personnel, son rôle est encore frais dans l’attribution frauduleuse du gaz du bloc de Saint Louis à Frank Timis (Aliou Sall) par la signature d’un décret corrompu.
Les Sénégalais doivent bien comprendre une chose, au delà des slogans creux et de la propagande médiatique : Macky Sall ne peut pas être le mal et le remède à la fois.