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24 avril 2025
Développement
par Yaye Fatou Sarr
QUELQUES MOTS AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Il faudra commencer par rétablir une justice équitable car un violeur, de même qu’un pédophile, devra peu importe sa renommée être puni comme tel mais, les accusés ne devront pas aller surpeupler Rebeuss en attente de jugement
Excellence, suite au post fait récemment sur votre page Facebook, je souhaiterais vous faire parvenir ces mots.
Monsieur le président, je porte un grand intérêt au débat portant sur le viol et la pédophilie et donc à la loi modifiant celle n° 65-60 du 21 juillet 1965 qui faisait considérer le viol au Sénégal comme un simple délit, passible de cinq à dix ans de prison. Laquelle loi n’a pas empêché de compter plusieurs cas de viol. Parmi les plus récents, ceux notés entre 2017 et 2018. En effet 706 femmes et filles ont été victimes de viol conduisant à la mort selon les statistiques de la cellule de traitement des affaires criminelles du ministère de la Justice et les chiffres en 2019 nous montrent que 14 femmes ont été tuées suite à un viol, dont 3 mineures en état de grossesse.
Monsieur le président, cette loi laissait encore une brèche qu’avait dénoncé l’AJS en ces termes : «Dans le projet de loi, le viol en lui-même, n’est pas criminalisé dans les domaines de la pédophilie puisque les peines qui s’appliquent aux crimes ne l’ont pas été. On en reste juste au même stade que la loi de 1999, à savoir que le viol est puni d’une peine de 5 à 10 ans d’emprisonnement. Il s’est juste ajouté à la peine, une amende de 500.000 à 5.000.000 de F CFA. Pour la pédophilie, c’est la même chose: 10 ans d’emprisonnement alors que les peines, en matière criminelle, c’est la réclusion criminelle à perpétuité, la réclusion criminelle à temps, la détention criminelle à temps dans le cadre politique». J’ose espérer que leur amendement a été pris en compte.
De quoi vous demander, monsieur, que cela ne soit pas politisée et que les ministères concernés fassent leur travail. Cependant, je tenais à attirer votre attention sur la nécessité de mettre en place des mesures d’accompagnement, d’encadrer cette loi. Il faudra commencer par rétablir une justice équitable car un violeur, de même qu’un pédophile, devra peu importe sa renommée être puni comme tel mais, les accusés ne devront pas aller surpeupler Rebeuss en attente de jugement. Le mot devra être mis dans son contexte afin qu’une tierce personne ne puisse l’utiliser pour détruire une réputation et enfin monsieur, avec des mesures préventives telles que le renforcement de la sécurité dans certaines localités, l’éducation des enfants et des jeunes filles, la restauration de l’éducation à la vie familiale dans les écoles qui devraient être prises au sérieux.
Par ailleurs monsieur le président, dans votre publication vous avez oublié de donner une place à la pédophilie, certainement à l’image de notre société qui en parle si peu mais sachez monsieur qu’elle n’est pas négligeable et que sa criminalisation est aussi importante que celle du viol.
Force à toutes ces personnes et organisations qui ont porté ce combat !
"LES AFRICAINS N'ONT PAS BESOIN D'UNE MONNAIE UNIQUE"
Au-delà du symbole qui consiste à renommer « éco » la monnaie unique ouest-africaine, c’est tout un système qui doit être remis à plat, selon Ndongo Samba Sylla. Il plaide pour la mise en place des monnaies nationales souveraines - ENTRETIEN
Le Monde Afrique |
Séverine Kodjo-Grandvaux |
Publication 19/01/2020
Après l’annonce d’une réforme du franc CFA, l’économiste sénégalais prône une refonte totale du système monétaire ouest-africain.
Pour l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, la réforme du franc CFA en Afrique de l’Ouest, annoncée le 21 décembre 2019 par le président français Emmanuel Macron et son homologue ivoirien Alassane Ouattara, est loin d’être la panacée. Au-delà du symbole qui consiste à renommer « éco » la monnaie unique ouest-africaine, c’est tout un système qui doit être remis à plat, estime-t-il. Selon le coauteur, avec Fanny Pigeaud, de L’Arme invisible de la Françafrique. Une histoire du franc CFA (éd. La Découverte, 2018), les Etats africains devraient plutôt mettre en place des monnaies nationales souveraines.
Jeudi 16 janvier, le Nigeria et plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, notamment anglophones, ont dénoncé la décision de remplacer le franc CFA par l’éco, et rappelé la nécessité de suivre la feuille de route pour l’établissement d’une monnaie unique dans la région. De quoi s’agit-il exactement ?
Le projet de monnaie unique pour les quinze pays de la Cédéao [Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest] date des années 1980 et a été reporté à plusieurs reprises. Mais en juin 2019, cette monnaie a été baptisée « éco » – qui est le diminutif d’Ecowas (Cédéao, en français). Selon la feuille de route, elle devait être gérée par une banque centrale fédérale et fixée, non pas à l’euro, mais à un panier de devises (euro, dollar, etc.).
L’annonce d’Emmanuel Macron et d’Alassane Dramane Ouattara de renommer le franc CFA « éco » est une usurpation, un kidnapping. Mais à mon sens, l’éco de la Cédéao n’est clairement pas l’alternative qu’il faut pour les pays africains, car ils devront remplir des critères de convergence. Aujourd’hui, seul le Togo en est capable.
Que vont devoir faire les Etats pour remplir les critères de convergence ?
Le projet de la Cédéao s’inspire à 100 % de la zone euro qui avait établi un certain nombre de critères, les fameux critères de Maastricht [qui imposent la maîtrise de l’inflation, du déficit public, de la dette publique]. Or ils ne sont absolument pas adaptés à nos pays volatils. Le Cap-Vert, par exemple, a un taux d’endettement de plus de 100 %. Pour parvenir à moins de 70 %, il devra mettre en place un programme d’austérité. Tout comme la Gambie. Le Liberia, la Guinée, la Sierra Leone et le Nigeria ont des taux d’inflation à deux chiffres. Pour qu’ils descendent sous les 5 %, ils vont devoir mettre en place, eux aussi, des politiques d’austérité qui vont certes diminuer l’inflation, mais qui vont augmenter leur dette publique.
Que faudrait-il faire alors ?
Selon moi – c’est un point de vue très minoritaire –, on doit se demander si les Africains ont besoin d’une monnaie unique à quinze. Je ne le pense pas. De tous les travaux économiques qui ont été menés, aucun ne montre que les pays qui utilisent le franc CFA en Afrique centrale ou en Afrique de l’Ouest devraient partager la même monnaie. Car les critères d’une zone monétaire optimale ne sont pas remplis. D’un point de vue économique, chacun de ces pays devrait avoir sa propre monnaie nationale. Les avantages à maintenir le CFA sont inférieurs aux inconvénients.
Pour avoir une monnaie unique, il faut un taux d’échange important dans la zone comme c’était le cas pour la zone euro qui avait un taux de 60 %. Or le taux de commerce entre les pays africains est très faible, tout juste 5 %, en Afrique centrale. Le seul argument en faveur d’une monnaie unique serait peut-être qu’elle soit précédée d’un gouvernement unique avec un ministère des finances fédéral, capable de mener une politique de solidarité entre les pays.
Chaque Etat devrait donc avoir sa monnaie nationale ?
Oui, c’est important. Si vous n’avez pas votre propre monnaie nationale, vous ne pouvez pas assurer votre indépendance financière. A part les pays de la zone CFA, ceux de la zone euro et ceux de l’Union monétaire des Caraïbes orientales, tous les autres pays au monde ont leur propre monnaie nationale. Dans la logique de la finance globale, les Etats doivent être dessaisis du pouvoir de création monétaire qui revient in fine aux banques centrales dites indépendantes. Le pouvoir monétaire est beaucoup plus fort que le pouvoir budgétaire.
Quand il y a des crises, les Etats sont contraints à limiter leurs dépenses. La seule manière de réagir, c’est alors d’entreprendre des réformes structurelles, c’est-à-dire de diminuer le coût du travail et les charges pour les entreprises et de taxer les classes moyennes et populaires. C’est ce que nos dirigeants et nos économistes doivent comprendre. Il n’y a pas de démocratie si le peuple ne contrôle pas l’instrument monétaire.
N’y a-t-il pas un risque d’inflation voire de dévaluation si l’on met en place rapidement une monnaie flexible ?
En fait, le projet de l’éco n’est pas d’avoir une monnaie flexible, mais un ancrage fixe à un panier de devises et non plus uniquement à l’euro. Le Ghana et le Nigeria ont une tradition d’un taux de change flexible. Mais jusqu’à preuve du contraire, le Nigeria n’est pas intéressé par l’éco. Il abrite 200 millions d’habitants, 400 millions dans vingt-cinq ou trente ans. Il représente plus des deux tiers du produit intérieur brut de la Cédéao. Il n’acceptera jamais de faire partie d’une zone éco s’il n’a pas le leadership.
Quelles seraient les conséquences d’un éco faible pour les économies des pays concernés ?
Je n’aime pas ces notions de monnaie forte ou faible. Car, quand les monnaies sont trop fortes, on doit prévoir une dévaluation. Et avoir une monnaie qui se déprécie dans des pays qui importent, comme c’est le cas en Afrique où les produits exportés sont des produits primaires dont le prix est fixé à l’étranger, crée de l’inflation. Ce qu’il faut, c’est une monnaie souveraine, c’est-à-dire qui garantisse l’indépendance financière de l’Etat, qui peut financer les services publics, participer au développement économique, sans s’endetter en monnaie étrangère. Cela demande des réformes importantes du secteur bancaire. On peut se débarrasser de l’influence française, mais la souveraineté appartient aux banques, pas aux Etats. C’est beaucoup plus important que tout le reste.
texte collectif
POURQUOI A-T-ON SI PEUR DES ÉTUDES POSTCOLONIALES EN FRANCE ?
C'est la peur panique qui gagne le camp des gardiens de l'Empire français ravitaillé depuis le berceau par la nostalgie de la grandeur coloniale
L'Express |
Alain Mabanckou et Dominic Thomas |
Publication 19/01/2020
Les Etudes postcoloniales - en anglais Postcolonial Studies -, apparues dans les années 1980 en Amérique du Nord et en Inde, et bien plus tard en Europe, nous exhortent à repenser notre vision du monde en prenant en compte l'influence de la colonisation. Ce n'est sans doute que ce mot colonisation que beaucoup retiennent pour décrier à tort ces études et, en passant, certains historiens français de la nouvelle génération oeuvrant depuis des décennies pour ce champ de recherche.
Si dans le milieu universitaire français ces études alimentent encore des réticences c'est que beaucoup de chercheurs sont angoissés à l'idée que leur fonds de commerce - l'histoire racontée ou enseignée unilatéralement sous le prisme de la gloriole occidentale avec ses canons traditionnels - ne tombe définitivement en faillite et qu'une autre page s'ouvre, contredisant ou nuançant le récit national et égocentrique français, pour une conception plus éclatée et la remise en cause des vérités toutes faites.
L'attitude de repliement de ces chercheurs français s'est encore manifestée le 24 décembre 2019 dans une enquête de L'Express intitulée "Les obsédés de la race noyautent le CNRS ". En vérité, cet article préparait une tribune, publiée deux jours plus tard sur le site de L'Express, signée par six chercheurs et universitaires, avec en figure de proue Laurent Bouvet (un des fondateurs du Printemps républicain) et Pierre-André Taguieff, "l'instigateur de cette tribune", précise l'hebdomadaire.
Quand la colonisation est inconsciemment considérée comme une "entreprise positive"
Les auteurs de ladite tribune s'indignent ainsi contre "l'institutionnalisation" en France des études postcoloniales qui seraient caractérisées par "une obsession sur le colonialisme" et auraient pour "objet principal de préoccupation, l'héritage du colonialisme, et leur posture hypercritique à l'égard de l'Occident, supposé intrinsèquement colonialiste, raciste et impérialiste."
Ce mélange idéologique et politique s'écarte de l'esprit d'ouverture scientifique puisque les auteurs empruntent les sentiers embourbés du militantisme grégaire et nous livrent un message à peine voilé : ils préservent avec toute l'énergie du désespoir le discours traditionnel de l'Occident, minimalisent ou normalisent la colonisation qui, dans leur inconscience, et peut-être même dans leur conscience, sera toujours considérée comme une "entreprise positive" que devraient applaudir les descendants des anciens territoires colonisés par la France. La vérité vient donc toujours du Nord, et ce qui provient hors de ce "centre" ne pourrait être pris au sérieux. La pensée serait en conséquence verticale, et ceux qui sont en bas devraient congratuler ceux qui, apparemment, sont au-dessus, bien installés à la droite de Dieu.
C'est quasiment le même état d'esprit que nous retrouvons sur le plan politique à travers la fameuse "affaire Marie NDiaye". En 2009, celle-ci reçut le prix Goncourt pour son roman Trois Femmes puissantes. Métisse née en France d'un père sénégalais et d'une mère française, dans l'esprit de certains elle demeure une "écrivaine noire", donc "venue d'ailleurs". À l'époque, horripilé par les commentaires de l'auteure, qui avait décidé d'aller vivre en Allemagne afin de s'éloigner du pays qu'elle qualifiait de "France monstrueuse de Nicolas Sarkozy", un député de la droite, Eric Raoult, s'en prit ouvertement à la lauréate : "Nous lui avons donné le prix Goncourt [...] C'est la France qui lui a donné ce prix". Il estimait de ce fait que Marie NDiaye avait "un devoir de réserve" qui l'obligeait à "respecter la cohésion nationale" et à "[défendre] les couleurs littéraires de la France". Quelles sont ces couleurs littéraires ? Nous ne sommes donc pas loin du paternalisme colonial puisque la récompense d'un écrivain pour son travail personnel est perçue comme un cadeau de la République, voire une médaille pour ses bons et loyaux services ...
L'ampleur du retard du milieu scientifique français vu des Etats-Unis
Ces querelles franco-françaises, vues des États-Unis ou nous enseignons depuis des décennies illustrent hélas l'ampleur du retard amoncelé par le milieu scientifique français en la matière. Il existe en effet depuis les années 1960, dans les universités américaines un élan vers des départements d'études qui incluent le discours de l'Autre que l'Histoire n'a pas forcément enregistré ou a continuellement ignoré ou muselé : African American Studies, Latino/Hispanic/Chicano Studies, Asian American Studies, Native American Studies etc. Pendant ce temps les adversaires de ces champs de recherche en sont encore à s'insurger contre les "importations anglophones" et à amalgamer études postcoloniales et militance décoloniale, deux choses distinctes.
Notre collègue Didier Gondola, originaire de la République Démocratique du Congo et professeur à Indiana University ne mâche pas ses mots lorsqu'il souligne que "l'Amérique accueille des dizaines de chercheurs français, brimés dans une France viciée par les lourdeurs de son propre système universitaire". C'est désormais presque un cliché de rappeler que les universités américaines ont depuis longtemps porté aux nues et recruté des penseurs français tels Jacques Derrida, Jean Baudrillard, Michel Foucault, Félix Guattari, Roland Barthes, Gilles Deleuze, Emmanuel Levinas, tandis que les études postcoloniales ont connu une ascension extraordinaire grâce à l'influence des théoriciens francophones tels Frantz Fanon, Édouard Glissant, Aimé Césaire, V. Y. Mudimbe, Léopold Sédar Senghor, Achille Mbembe et Souleymane Bachir Diagne entre autres. À New York, en Louisiane, Édouard Glissant, Maryse Condé, Assia Djebar, ou encore Emmanuel Dongala, ont laissé une empreinte comme écrivains professeurs, et aujourd'hui leurs successeurs, les écrivains Abdourahman Waberi (Djibouti), Alain Mabanckou (Congo) entre autres, enseignent aux côtés de leurs homologues africains anglophones, tels que Ngùgì wa Thiong'o (Kenya), Chris Abani (Nigeria), Helon Habila (Nigeria), Wole Soyinka (Nigeria, prix Nobel), et Teju Cole (Nigeria).
Une peur panique gagne le camp des gardiens de l'Empire français
Ce n'est plus un secret de souligner que les pourfendeurs des études poscoloniales ne viennent plus seulement de la droite, mais aussi d'une gauche - ils s'en proclament encore, mais en sont déjà très loin - qui freine le diagnostic des maux de la République française et qui taxe de valets de l'impérialisme américain ou anglo-saxon tous ceux qui se consacrent à une telle recherche. C'est donc la peur panique qui gagne le camp des gardiens de l'Empire français ravitaillé depuis le berceau par la nostalgie de la grandeur coloniale. L'université française passe ainsi à côté de cet élan de progrès, et Achille Mbembe, un des illustres théoriciens des études postcoloniales nous rappelle qu'"à cause de son insularité culturelle et du narcissisme de ses élites", elle "s'est coupée de ces nouveaux voyages de la pensée mondiale".
Qu'est-ce qui justifie alors les réticences quant aux études poscoloniales en France ? L'épineuse question de la race ? Celle des "minorités" ou bien l'éternelle appréhension des "communautarismes" devant une société française qui affiche au grand jour un décalage entre son quotidien de métissage et ses idéaux de nation judéo-chrétienne ? Est-ce cette attitude qui touche progressivement l'université française au moment où quelques-unes d'entre elles essayent, même de façon marginale, d'aborder ces sujets pendant que leurs publications scientifiques sont traînées dans la boue par les auteurs de la tribune de L'Express ?
Le train est en marche. Il est plus que jamais temps de prendre en compte la nécessité d'inclure l'imaginaire de "dispersion" et de "circulation", de libérer l'expression de ceux que Césaire qualifie de "sans voix". Dans ce sens, le Sénégalais Felwine Sarr, qui rejoint cette année Duke University, devient presque un visionnaire lorsqu'il dit dans son ouvrage Afrotopia (2016) : "L'avenir est ce lieu qui n'existe pas encore, mais que l'on configure dans un espace mental." Et cet espace mental, proclamons-le, est notre chantier le plus imminent, contre vents et marées, ou plutôt contre cette France qui n'est pas la France et qui remonte le pont-levis sur le monde avant de cadenasser toutes les issues du manoir et de se recroqueviller dans sa belle et glorieuse histoire occidentale...
Alain Mabanckou, Ecrivain, Professeur de littératures française et francophone, Université de Californie-Los Angeles (UCLA)
Dernier ouvrage paru : Huit leçons sur l'Afrique, Grasset, 2020.
Dominic Thomas, Professeur, Directeur du Départment des Études françaises et francophone, Université de Californie-Los Angeles (UCLA)
Dernier ouvrage paru : Noirs d'encre. Colonialisme, immigration et identité au coeur de la littérature afro-française, La Découverte, 2013.
"LE TRAFIC DES FAUX MÉDICAMENTS EST UN CARNAGE SILENCIEUX"
Aminata Touré, participe du 17 au 18 janvier à l’Initiative de Lomé, au cours de laquelle des chefs d’État africains ont signé un engagement politique visant à lutter contre le trafic de faux médicaments. Elle appelle à la criminalisation du phénomène
Jeune Afrique |
Aïssatou Diallo |
Publication 19/01/2020
La présidente du Conseil économique, social et environnemental du Sénégal, Aminata Touré, participe du 17 au 18 janvier à l’Initiative de Lomé, au cours de laquelle des chefs d’État africains ont signé un engagement politique visant à lutter contre le trafic de faux médicaments. Elle appelle à la criminalisation du phénomène et à une meilleure coopération entre les États.
Dans certaines régions d’Afrique, 60 % des médicaments vendus seraient falsifiés, selon l’Organisation mondiale de la santé. Cela concerne aussi bien les antibiotiques et les antipaludéens que des médicaments contre le cancer, le viagra et les produits cosmétiques, qui proviennent le plus souvent d’Asie (Chine, Inde) ou du Nigeria. Pour les trafiquants, le business du faux médicament est plus lucratif que celui de la cocaïne. Pour 1 000 dollars investis, ils en retirent 500 000 dollars de bénéfices, contre 20 000 pour celui de la drogue. Pour lutter contre ce phénomène qui représente un problème de santé publique, chefs d’État, anciens présidents et Premiers ministres, ministres de la santé, présidents d’institutions africaines et internationales et spécialistes du secteur de la pharmacie se sont donné rendez-vous les 17 et 18 janvier à Lomé. Lancée par la Fondation Brazzaville, cette initiative se veut originale. C’est la première fois que des leaders politiques africains s’organisent pour combattre les faux médicaments. Sur les sept présidents initialement attendus dans la capitale togolaise, seuls trois étaient finalement présents : Macky Sall, Yoweri Museveni et Faure Gnassingbé. Alors que la Gambie n’était pas représentée, Nana Akufo-Ado, Denis Sassou Nguesso et Mahamadou Issoufou étaient, eux, représentés par leurs ministres de la Santé. Un avant-projet du protocole d’accord pour une meilleure collaboration et la criminalisation du trafic de faux médicament a été signé à cette occasion ce samedi. Celui-ci devrait être entériné dans les mois à venir, au terme de travaux entre les différents acteurs impliqués dans la lutte dans chaque pays. Aminata Touré, présidente du Conseil économique et social du Sénégal, ancienne Première ministre et ancienne ministre de la Justice, a prêté sa voix à l’organisation de ce sommet, en assurant la modération de la cérémonie. La Sénégalaise estime que la lutte contre les faux médicaments passe par la criminalisation de ce trafic, une meilleure coopération entre les États et l’amélioration des systèmes de santé.
Jeune Afrique : Derrière l’appellation courante « faux médicaments » se cachent de nombreuses réalités. Qu’est-ce qu’un faux médicament, selon vous ?
Aminata Touré : Un faux médicament, c’est d’abord un médicament qui ne remplit pas l’objectif de soigner tel qu’il le déclare. Il y a les médicaments de qualité inférieure, qui sont autorisés, mais qui ne répondent pas aux critères de qualité, à cause de la contrefaçon par exemple. Les médicaments falsifiés, eux, sont des produits dont l’identité, l’origine ou la composition sont trompeurs. Il y a également des faux médicaments bien plus dangereux : non seulement ils ne soignent pas, mais en plus, ils tuent. Selon des chiffres de l’American institute of tropical medicine, 120 000 enfants de moins de 5 ans meurent chaque année à cause d’antipaludéens falsifiés. L’OMS considère que les faux médicaments causent environ un million de morts dans le monde chaque année. On estime que 10 à 15 % des produits pharmaceutiques vendus dans le monde sont falsifiés. Dans ce trafic mondial, l’Afrique est la plus touchée, en raison de la difficulté d’accès aux médicaments. C’est un carnage silencieux, qui touche surtout les plus pauvres, qui achètent des plaquettes d’antibiotiques sur des étals. Mais les classes moyennes et les couches privilégiées sont également de plus en plus concernées, car ces faux médicaments sont aussi vendus en pharmacie.
Dans certaines régions d’Afrique, plus de la moitié des médicaments vendus sont des faux. Comment expliquer l’absence de criminalisation sur la question dans la plupart des pays du continent ?
C’est pour cela qu’un engagement a été pris par des chefs d’État pour criminaliser cette activité. On considère que le trafic de faux médicaments rapporte près de 200 milliards de dollars chaque année dans le monde. Ce sont des profits énormes. C’est l’activité criminelle la plus rentable. D’autant plus que les victimes de ce trafic sont souvent mal informées. Prenons l’exemple d’une mère de famille qui vit dans un village, et qui va acheter des médicaments au marché pour soigner la fièvre de son enfant. En administrant ce médicament à son enfant, elle espère le voir guérir. Mais en réalité, ce médicament peut le tuer. Il faut plus de campagnes de prévention pour informer de la gravité de la situation. Il faut que l’on sache qu’acheter un médicament au marché ou dans la rue, ça tue. Nous devons renforcer notre législation et la coopération entre les États pour lutter contre le trafic transfrontalier.
Plusieurs initiatives ont déjà été lancées pour contrer la vente des faux médicaments. Comment la signature de cet accord va-t-elle contribuer à enrayer le phénomène ?
C’est une initiative africaine et il faut le relever. En prenant le leadership sur cette question dramatique, ces hommes politiques s’impliquent personnellement. C’est un premier pas. L’initiative de Lomé, soutenue par la fondation de Brazzaville, doit remonter jusqu’à l’Union africaine. C’est une initiative endogène qui appelle à la modification des cadres législatifs des pays eux-mêmes et de renforcement de leur coopération.
L’ampleur du trafic ne met-il pas en lumière la défaillance des différents échelons de nos systèmes de santé, de la régulation, au contrôle douanier et aux chaînes de distribution ?
Je préfère voir ça comme des défis qui nous restent à relever, car nous avons enregistré de nombreuses avancées. N’oubliez pas qu’en vingt ans, l’espérance de vie en Afrique a augmenté, plus que partout ailleurs dans le monde. L’accès aux services de santé s’est amélioré, même s’il reste beaucoup à faire. Mais ce qui est justement scandaleux, c’est que des entreprises criminelles s’appuient sur ce besoin de santé pour engranger des milliards de dollars. Nous devons travailler à rendre les médicaments accessibles dans les structures de santé à travers la production de génériques. C’est pour cela que dans le cadre de la coopération intergouvernementale, les pays doivent travailler à la création d’industries africaines de médicaments de qualité et à moindre coût. Il existe déjà des structures de ce type dans certains pays, mais je pense qu’il faut une plus grande coopération, par exemple au niveau régional, afin que nous ayons nos propres compagnies pharmaceutiques. Mais cela ne règle pas nécessairement le problème. Ces mêmes produits peuvent être falsifiés. L’entreprise criminelle doit donc être d’abord arrêtée. Il faut également des missions de contrôle de la qualité des médicaments mis sur le marché au niveau des États.
Les systèmes de couverture santé sont déficients dans de nombreux pays ouest-africains. Quel bilan tirez-vous de la CMU au Sénégal ?
Les systèmes de santé efficaces sont un autre grand défi. C’est un choix politique qui fait parfois débat, comme aux États-Unis, avec le projet entamé par Barack Obama, aujourd’hui remis en question. Pour moi, l’accès à la santé est un droit universel et l’une des stratégies pour le réaliser progressivement est l’assurance maladie universelle. Ce n’est pas simple, car cela coûte cher. Il faut mettre en place un système transparent de recouvrement des coûts, décentraliser l’offre d’assurance à travers les caisses de quartier, de villages ou les caisses professionnelles, et mettre en place un mécanisme de contrôle rigoureux. Pour ce qui est du Sénégal, la CMU était l’un des chantiers de Macky Sall dès son arrivée au pouvoir. Il y a eu un grand bond en avant car nous sommes passés d’un taux de couverture de 10 % à une couverture de 50% en sept ans. L’objectif est d’atteindre au moins un taux de 80%. Lorsque les populations peuvent avoir accès aux centres de santé qui respectent les standards définis par le ministère de la Santé, avec des contrôles de la qualité des médicaments, nous avançons dans la lutte. Mais il ne faut pas attendre d’avoir une CMU pour combattre les réseaux criminels qui prospèrent sur ce besoin.
Des experts affirment que le trafic de faux médicaments est l’une des sources de financement des groupes terroristes dans le Sahel. Pourquoi et comment se sont-ils saisis de ce « marché » ?
Les réseaux criminels utilisent les mêmes routes et sont souvent impliqués dans d’autres trafics, tels que celui de la drogue et des être humains. De plus, c’est un trafic très lucratif. Comment la Cedeao y fait-elle face ? C’est tout le sens de ce sommet. La première étape consiste à introduire rapidement des législations qui criminalisent le trafic avec des sanctions plus sévères. Tous les pays membres de l’UA doivent également signer les conventions de lutte contre la corruption et de lutte contre les crimes transnationaux. Il faut former les services de douanes, les magistrats, les personnels de santé à déceler les faux médicaments. Il faut enfin créer des technologies qui permettent d’attester de la validité des médicaments. C’est une lutte qui se mène sur le long terme et c’est encourageant de voir des chefs d’États se saisir d’une question aussi vitale.
En plus du développement d’une industrie pharmaceutique en Afrique, la normalisation de la médecine traditionnelle peut-elle être une solutions selon vous ?
En ce qui concerne la médecine traditionnelle, c’est un autre débat. Il y a encore un travail à faire sur les normes à définir et sur la reconnaissance scientifique. Nous devons d’abord arrêter ces marchands de la mort.
LA VIE DU COUPLE DE COM' DE MACKY SALL
Depuis le départ d’El hadji Kassé, Seydou Guèye est aux commandes de la communication de la présidence tandisque Latif Coulibaly en porte la parole. Un duo qui, selon les analystes, fait des résultats sur la forme. Mais le fond laisse encore à désirer
Depuis le départ d’El hadji Hamidou Kassé, le ministre Seydou Guèye est aux commandes de la communication de la présidence de la République. D’un autre côté, le journaliste Abdou Latif Coulibaly porte la parole de la présidence. Un duo qui, estiment des journalistes et analystes politiques, fait des résultats sur la forme. Le fond laisse encore à désirer. Pour les convaincre, le couple devra corriger beaucoup d’aspects dans la communication de Macky Sall.
«Sans enjeu personnel ni aucune forme de compétition»
L’instant est une occasion en or, une immense opportunité pour jeter un faisceau de lumière sur le couple de com’ du Présidence de la République, sur le duo Abdou Latif Coulibaly-Seydou Guèye, le nouveau binôme de communicants censés redonner du tonus à la voix du Palais. Malmenée par une sortie de route de El Hadji Kassé au lendemain de retentissante affaire Aliou Sall-Bbc-Bp, qui avait tenu en haleine le pays, voire le monde, et lancée dans une drôle d’opération de rattrapage, la communication de la Présidence de la République est restée pendant un bon moment dans un sale état. Critiquée de tous, jugée incohérente dans ses sorties, incompétente dans son contenu. Une situation qui aurait obligé Macky Sall à réorganiser ce service de la Présidence, avec des hommes rompus à la tâche. Journaliste de profession, communicant au bagout de rhéteur, Abdou Latif Coulibaly, qui est militant de l’Alliance pour la République (Apr), est nommé le 25 juin 2019 par le même décret n°2019/1066 que Seydou Guèye, ancien ministre porte-parole du gouvernement et du parti présidentiel. Depuis, la com’ du Palais semble travailler sur de nouvelles bases, avec des innovations. Dont la plus éloquente est la conférence de presse du 31 décembre dernier, organisée avec des journalistes triés sur le volet, juste après l’adresse à la Nation du chef de l’Etat. Mais comment Abdou Latif Coulibaly et Seydou Guèye travaillent-ils ensemble ? Quelle est l’organisation actuelle de la communication de la Présidence de la République, siège de l’Exécutif Sénégalais ? N’y a-t-il pas chevauchement dans les prérogatives de l’un et de l’autre, tellement les missions semblent identiques ?
«Chacun de nous sait ce qu’il doit faire»
Ce 31 décembre 2019, les ministres Abdou Latif-Coulibaly et Seydou Guèye veillent au grain. Ils sont assis derrière le chef de l’Etat, qui déroule face à la presse. Mais le caméraman de la Rts qui filme l’instant télé, suivi par des millions de Sénégalais, ne manque pas de faire des gros plans sur le tendem. Après le Président Sall, très à l’aise dans son grand boubou marron, ils sont les vedettes du jour. Le couple est concentré sur son sujet. Mais quand la pression retombe quelques jours plus tard et que la mission se révèle à ses yeux une grande réussite, le binôme est revenu sur cette soirée exceptionnelle au Palais. Et surtout sur son organisation. «L’initiative de la rencontre entre le président de la République et la presse, le 31 décembre dernier, a été portée, selon le ministre Abdou Latif Coulibaly, par le ministre Seydou Guèye.» Dont le management de la communication relève de sa prérogative. Mais dans l’exercice de cette mission, il n’a pas agi seul. Le responsable de la Communication du Palais a associé son voisin de bureau, son collègue ministre porte-parole du président de la République, Abdou Latif Coulibaly. «Il lui arrive souvent de solliciter son expérience. Les deux hommes dont les liens professionnels sont facilités par l’étroitesse de leurs relations privées, se sont penchés en parfaite intelligence sur les préparatifs de ce grand rendez-vous», trahi un collaborateur du duo en charge de la communication de la Présidence de la République. «A chaque fois qu’il pense que je peux lui apporter quelque chose, on en parle», confirme l’ancien journaliste Abdou Latif Coulibaly.
Même si les champs d’action sont clairement définis, avec des lettres de missions différentes, les deux hommes travailleraient en complémentarité au service du président de la République. «Sans enjeu personnel. Ni aucune forme de compétition», souffle le même collaborateur. Le ministre Abdou Latif Coulibaly intervient dans l’ombre sur les actions de Seydou Guèye, qui le sollicite, le contraire n’est cependant pas évident.» Dans sa mission, l’ancien journaliste n’est chargé que d’une partie du travail de communication. Abdou Latif Coulibaly en fait la précision. Il dit ne pas s’occuper de la communication du président de la République. «Chacun de nous sait ce qu’il doit faire. Je porte la parole de la présidence de la République. Aussi bien celle du président de la République que des services qui sont à la Présidence, explique-t-il. On me demande d’aller dire les choses, je les dis». Et s’il a des initiatives qu’il souhaite prendre, il en parle à qui de droit, le Président Sall. «Soit j’interviens oralement ou par écrit. Je rends compte directement au chef de l’Etat, tout comme lui il rend compte au chef de l’Etat», explique Latif Coulibaly. Histoire de circonscrire son champ d’action, mais aussi de définir son niveau de positionnement sur l’échelle hiérarchique.
La recette pour rendre plus efficace la com’ du Palais
En plus de «travailler en harmonie» avec Abou Latif Coulibaly, Seydou Guèye indique que les nouveaux services rattachés à la cellule de la Présidence de la République sont venus rendre plus efficace la Com’ du Palais. Il évoque le Bureau d’information gouvernementale (Big), lancé en septembre 2018. Ce bureau, dirigé par l’ancien journaliste du Soleil, Doudou Sarr Niang, est composé d’un département administratif et financier, d’un service des opérations et de la production multimédia et d’un département service baromètre, observation de l’opinion publique et sondages. «Le Big, explique le ministre-conseiller Seydou Guèye, a des outils, des instruments qui produisent de l’information sur les réalisations du Président Sall et sur les questions d’intérêt national. Aussi bien au service du président de la République que du gouvernement, ce support travaille à côté du pole communication de la Présidence.»
Le duo de communicants du Palais est aussi épaulé par la cellule de l’unité digitale, qui travaille sur les réseaux sociaux. «A la date d’hier, 16 janvier 2020, le compte Twitter du président de la République, créé depuis 2010, comptait 1 061 000 suiveurs. La page officielle du président de la République sur Facebook enregistrait 464 000 abonnés. Ce qui fait de Macky Sall le Président le plus suivi en Afrique francophone, affirme Ousmane Thiongane, coordonnateur de l’Unité digitale de la Présidence. Et sur le continent, il fait partie des six présidents les mieux suivis. D’ailleurs, la présidence fait moins de communiqués, parce que la page Twitter du président se porte bien.» L’autre changement apporté par le duo Latif-Seydou Guèye et qui impacterait la com’ présidentielle, c’est que maintenant tous les services qui interviennent dans la communication sont regroupés dans le même espace de travail au Palais. Ce qui faciliterait les réunions de coordination pour le suivi et la veille communicationnelle. «Nous essayons d’avoir des démarches stratégiques. Ce qui a changé, c’est que nous avons encore fini d’organiser la communication, nous sommes en train de l’orienter et de l’animer à travers les structures mises en place», explique Seydou Gèye, le ministre en charge de la Communication présidentielle. Il souligne, une dernière fois : «Avec le ministre Abdou Latif Coulibaly, tout se passe super bien.» Les atomes son crochus.
"LA NOTION DU BIEN EST LIÉ À L'ARGENT, AU SÉNÉGAL"
Sokhna Benga, autrice sénégalaise de talent revient sur son dernier livre ‘’L’or de Ninkinanka’’, sur son histoire avec l’écriture, sur la colonisation et le panafricanisme. Entretien
Écrivaine et romancière de référence, Sokhna Benga est l’auteure d’une vingtaine d’ouvrages littéraires, dont les romans ‘’Le dard du secret’’ (Grand Prix de la commune de Dakar pour les Lettres) et ‘’La balade du sabador’’ (Grand Prix du chef de l’Etat pour les Lettres). Actuellement directrice des Transports maritimes et fluviaux et des Ports du Sénégal, l’autrice sénégalaise la plus prolifique dit être bien organisée, de telle sorte qu’elle va pouvoir nourrir sa passion, tant qu’il lui restera un souffle. Sokhna Benga garde un œil attentif sur le monde, en particulier sur la société sénégalaise. Ainsi, elle se définit comme éveilleur de conscience, porte-voix. Dans cet entretien, elle revient sur son livre ‘’L’or de Ninkinanka’’ qu’elle vient de publier, sur son histoire avec l’écriture, sur la colonisation et le panafricanisme. Entretien.
Vous êtes autrice de nombreux ouvrages littéraires. Mais vous semblez plus pencher vers le roman. Pourquoi le choix de ce genre ?
J’ai mes parties poétesse, scénariste et, par moments aussi, nouvelliste (mes nouvelles ne sont pas encore parues), mais je préfère le roman. J’ai écrit aussi une collection de livres pour enfants qui s’appelle ‘’Fadja’’, parce que j’aime bien les collections. Pour mon penchant pour le roman, il s’agit, pour moi, quelque part, par le roman, de parler de ma société, de pouvoir aussi mettre le doigt là où il fait mal. Je pense que nous sommes des éveilleurs de conscience et avons l’obligation d’ouvrir les yeux à notre peuple et de trouver des solutions ensemble.
D’où vous est venue votre passion pour l’écriture ?
Entre l’écriture et moi, c’est quelque chose de bizarre. Mon père était écrivain, et moi je disais que c’était un boulot qui ne m’arrangeait pas. Je suis quelqu’un de très libre dans l’esprit, et je trouvais que l’inspiration, quelque part, emprisonnait la personne dans un rythme de vie assez particulier dans lequel je refusais d’être embarquée. Je suis tombée dans la littérature par hasard, comme je le dis : j’écris parce que j’ai des choses à dire. Et quand j’ai été confrontée au premier sujet qui m’a amenée à écrire, ‘’Le dard du secret’’, j’avais à l’époque 9 ans et je revenais de l’école primaire. Je venais d’apprendre qu’un enfant avait été abandonné dans un pot de tomate de 2 kilos.
Et cette histoire m’a tellement choquée parce que (c’est vrai que nous venions d’une famille assez aisée) je ne pouvais pas concevoir, dans mon esprit d’enfant, qu’une mère soit amenée à abandonner son enfant. C’était pour moi inconcevable et je me suis dit que je ne pouvais pas rester indifférente. Je me suis levée et j’ai commencé à écrire pour dénoncer, parler des enfants abandonnés et surtout du risque qui pouvait exister, si l’enfant survivait. Parce que l’enfant partait en oubliant ses origines. Et dans ‘’Le dard du secret’’, c’est une fille qui était abandonnée et qui, vingt ans après, rencontre son frère et ne sait pas que c’est son frère de même père et de même mère. Ces frères vont se marier, avoir des enfants et c’est seulement là que Hayta va découvrir la vérité sur sa naissance. Pour moi, c’était une façon de dire aux gens : faites attention ! Un enfant n’est pas un jouet, c’est un cadeau de Dieu.
Je pense que le virus m’est entré de par cet évènement et je n’ai plus jamais arrêté. Au Sénégal, on a tellement de choses à dire. Il y a tellement de choses à dénoncer et, par moments, je me dis que ce rôle que j’ai emprunté de porte-voix des sans voix me collera à vie. Car, tant que j’aurai un souffle de vie en moi, j’écrirai. Comme j’ai l’habitude de le dire, je suis issue d’un peuple qui est fait dans la plénitude. Au Sénégal, les gens acceptent le sort, le subissent. J’ai fait le tour du monde, d’autres pays auraient explosé pour moins que ça. Donc, un pays qui est aussi stoïque face aux évènements de la vie, mérite le meilleur. Et tant que je serai là, je dirai le mal qu’ils subissent en silence.
Comment est-ce vous vous organisez pour écrire, vu vos nombreuses responsabilités ?
Au début, c’était difficile, parce que l’inspiration était comme un cheval débridé et à tout moment j’écrivais. Par la suite, je suis arrivée à la domestiquer. Maintenant, je prends mon temps. J’ai une méthode qui me permet de pouvoir écrire beaucoup d’ouvrages. Je fais les ossatures et après, comme un styliste, je les habille. Cet habillage peut prendre des années. ‘’La balade du sabador’’, je l’ai écrit en 3 mois, je pense. Mais le roman a pris 15 ans, parce qu’à part ‘’Le dard du secret’’ que j’ai écrit comme ça parce que j’avais quelque chose à dénoncer, tout le reste a fait l’objet d’enquête approfondie. Ce fut le cas pour ‘’La balade du sabador’’, ‘’L’or de Ninkinanka’’, ‘’Bruit d’ombre’’ ‘’Waliguilan’’. Ils constituent une trilogie qui parle de l’histoire du Sénégal pendant la période coloniale. Une période dont on parle très peu pourtant, qui est tellement lourde de sens que je me suis dit : je ne pouvais pas ne pas parler de toute cette génération de Sénégalais qui s’est enrichie grâce au commerce, à la traite de l’arachide, et qui ont été mis au frigo parce que tout simplement ils avaient pris la décision de créer une intelligentsia sénégalaise qui pouvait un jour permettre aux Sénégalais d’être indépendants. Je trouvais qu’on devait parler de la colonisation parce qu’elle a fait pire que l’esclavage. Elle a amené ce qu’on appelle l’assimilation. Et par assimilation, on entend oublier ce qu’on est, oublier d’où l’on vient et se créer une nouvelle identité. Je pense que dans ‘’Baayo’’ j’en parle.
Êtes-vous panafricaniste ?
Je suis noire et magnifique (avec un sourire généreux). Je suis africaine ; je suis sénégalaise et je trouve que l’Afrique a sa partition à jouer dans l’histoire du monde. Pas cette partition qui nous est imposée, qui nous a fait croire qu’on a été inutile sur cette terre, alors que l’Afrique est le berceau de l’humanité. On n’est pas le berceau de l’humanité pour rien. On porte en nous les germes de la renaissance. Il est très important que les Africains soient fiers de leur continent autant que le sont les autres. Je pense que ce n’est pas une histoire d’Europe contre l’Afrique ou quoi que ce soit, mais nous avons notre partition à jouer dans l’histoire du monde. Nous avons notre rythme, notre chanson, notre rêve. Nous avons le droit de nous exprimer, par les moyens que nous avons.
C’est vrai que c’est difficile, par moments. On a toujours l’impression que l’Afrique a été en dehors des mouvements d’inventions, de créations, alors que l’histoire de l’humanité montre que les civilisations ont toujours cheminé ensemble parce qu’il y a eu des moments de partage d’une intensité rare. Si tout le monde restait dans son coin, peut-être qu’on serait tous morts aujourd’hui (…) Aujourd’hui, nous sommes dans un pays où on connait mieux l’histoire de l’autre que notre propre histoire, alors que nous avons une partition très importante à jouer dans ce que Senghor appelait la ‘’civilisation de l’universel’’, c’est-à-dire montrer à l’autre qui on est, tirer de l’autre le meilleur et le mélanger à ce que nous avons pour faire naitre quelque chose de plus beau : le métissage culturel.
Que pensez-vous de la décision de la France de rendre aux Africains leurs biens culturels ?
Cette lutte pour que les trésors qui ont été amenés pendant des années, pendant cette période, puisse revenir. Je pense que ‘’L’or de Ninkinanka’’ parle de ce combat-là, de ce bijou qui est partie pendant la période coloniale et qui revient au Sénégal parce que ceux qui l’ont pris ont cru que les pouvoirs qui y sont attachés pourraient être éveillés. Parce que, quelque part aussi, en Afrique, nous avons cet attachement profond pour le mysticisme. Quand je parlais d’hybridité religieuse dans ''La balade du sabador’’, ce n’est pas un mot vain. Ça veut dire qu’aujourd’hui, que ce soit le sabre d’Omar Foutiyou Tall ou d’autres objets, il faut se demander si ces objets doivent rester de manière permanente ailleurs ou revenir. Mais encore, il faudrait que ce soit les objets authentiques.
Est-ce qu’au Sénégal, il est facile d’écrire sur certains éléments relatifs à l’histoire, eu égard à la polémique consécutive à la sortie des 5 premiers tomes de l’‘’Histoire générale du Sénégal’’ ?
Aucun Sénégalais n’assumera que son grand-père à jouer un rôle noir dans l’histoire. Quand on part dans d’autres pays, les gens l’assument. Moi, j’ai vu des gens qui ont revendiqué être des descendants de grands bandits. Mais au Sénégal, tout monde est médecin, entraineur et tout le monde a un grand-père qui est roi.
Parlez-nous de ‘’L’or de Ninkinanka’’
C’est une histoire d’amitié. L’argent et le pouvoir sont des éléments très dangereux. C’est en leur présence que les caractères se dévoilent. Des amies d’enfance qui décident de s’approprier d’un trésor de djinn pour avoir le pouvoir et l’argent. C’est aussi l’histoire d’amitié entre Aida et Marie qui ont grandi ensemble, qui sont devenues des ‘’sœurs’’, des ‘’domu ndey’’, comme elles s’appellent. Et ce groupe d’amies se retrouve dans le piège de vouloir gagner de l’argent dans la facilité. Ninkinanka est le dragon légendaire qui donne l’argent. Mais ce Ninkinanka là est différent de celui de notre légende. Ce Ninkinanka tombe amoureux, et malheureusement, de la personne qu’il ne faut pas : Aida. Alors que le schéma classique voudrait qu’il tombe amoureux de Marie. Donc, c’est un peu cette histoire qui nous enseigne quelque part qu’il y a un principe de vie sur lequel revenir dessus nous amène peut-être à remettre en cause les fondamentaux, les principes qui font qu’une société soit harmonieuse. Ces gens ont osé vouloir remettre en cause le destin et comme vous le savez, nous sommes tous des croyants. Le destin est un chemin tout tracé. Même si vous y amené une éraflure, cette éraflure va s’effacer et le destin va continuer son chemin. Parce que personne ne peut l’empêcher d’arriver à son but. ‘’L’or de Ninkinanka’’ nous rappelle quelque part que nous sommes dans un pays où il y a une profusion de proverbes. Mais on ne s’est jamais demandé ce qui a amené cela. Toutes les sociétés bien constituées sont basées sur la discipline, l’ordre, le travail. Nous, nous voulons tout avoir sans travailler. Moi, je m’amuse avec les proverbes sénégalais.
Pensez-vous que nous sommes dans une société où les gens sont méchants ?
Je ne pense pas que les gens soient foncièrement mauvais. Je pense qu’en l’humain, il y a quelque chose de bon. Tout dépend de l’environnement. Il faut que la société prône elle-même ce qui est bien, que les gens se disent pour une fois la vérité. Allez à Sorano, prenez des millions, jetez-les là-bas, vous êtes le meilleur d’entre tous. Prenez votre force ou autre chose que l’argent pour aider quelqu’un, personne ne verra ce que vous avez fait. La notion du bien est liée à l’argent, au Sénégal. Mais ça, c’est un cheminement social que les gens doivent refuser. Et pour qu’on puisse le refuser, il faut que, quelque part, la machine redémarre. Et cela ne peut se faire qu’avec des femmes fortes et des hommes forts qui ont la notion du refus. On ne se dit pas la vérité. C’est quoi ‘’boula tathio bo fethiul doto fethie’’ ? On nomme quelqu’un et les gens viennent lui dire cela. Or, dans certains pays, quand quelqu’un est nommé à certains postes, il est sous pression. C’est une charge et non un privilège.
Voulez-vous remettre en cause les proverbes sénégalais ?
Pour moi, ces proverbes-là, on devrait les changer. Qu’est-ce que la notion de ‘’Leuk le lièvre et Bouki l’hyène’’ ? Nous devons apprendre à nos enfants des paradigmes qui leur permettent de s’en sortir dans la vie. On prône la ruse et non l’intelligence. L’intelligence, c’est savoir tirer parti, tirer le meilleur de ce qu’on a entre les mains. La ruse, c’est mélanger les choses de sorte d’en tirer ce qu’on veut.
Vous parlez beaucoup de Senghor. Parmi les quatre présidents que le Sénégal a eu à avoir, le quel préférez-vous ?
Oh ! Il ne faut pas m’en vouloir. Moi, j’aime Senghor. J’ai une admiration pour lui. Un président comme Senghor, j’en rêve. Celui qui va amener le respect des institutions, de la République, de la famille, de l’éducation. Vous savez, moi, j’avais beaucoup de respect pour mes enseignants. Pour moi, ils sont des références.
OUMAR SARR, PATRON DE L'AUTRE OPPOSITION
Profitant de l’absence des ténors à la table des négociations, de la dislocation du Front de résistance nationale sur cette question, il est devenu un des interlocuteurs privilégiés des représentants de la majorité au dialogue national
Dissident du Parti démocratique sénégalais, Oumar Sarr a réussi, malgré la volonté de son ex-mentor Abdoulaye Wade de le neutraliser, à s’imposer comme un des principaux leaders de l’opposition participant au dialogue national. Profitant de l’absence des ténors à la table des négociations, de la dislocation du Front de résistance nationale sur cette question, il est devenu un des interlocuteurs privilégiés des représentants de la majorité.
Dans l’ombre de Wade pendant des décennies, Oumar Sarr a pris, depuis mai 2019, sa propre voie. Devenant ainsi l’une des principales cibles de son désormais ex-mentor Abdoulaye Wade et de ses ouailles. Ces derniers le considérant comme démissionnaire du Parti démocratique sénégalais (PDS). Depuis lors, à tort ou à raison, ses rapports avec le pouvoir en place soulèvent des suspicions.
Dans le cadre du dialogue national, en tout cas, l’homme est en train de s’imposer comme un interlocuteur privilégié du camp de la majorité présidentielle. Ce qui s’explique, d’une part, par l’absence des plus grands partis de l’opposition, d’autre part, par son statut au sein du Front de résistance nationale (FRN). Le professeur Moussa Diaw explique : ‘’Oumar Sarr est un leader incontesté dans le Front de résistance nationale. Quel que soit le reproche qu’on puisse lui faire, il a su prendre son courage et ses responsabilités à temps, pour prendre son destin en main. Puisque, pour Wade, seul Karim semble compter.’’
Aujourd’hui, Oumar Sarr mène son propre combat en tant que leader politique, à la tête du mouvement And Suxali Sopi lancé en août 2019. Ainsi participe-t-il aux différentes activités de la vie publique et politique. Et c’est tout à fait légitime, si l’on en croit Pr. Diaw. Qui estime que le dissident du PDS est en train de jouer un rôle majeur, aussi bien dans le FRN que dans le dialogue national et politique. Il est évident, souligne l’analyste politique, que l’ancien SGA du PDS, vu son parcours, ‘’ne peut se contenter d’un statut de figurant dans cet espace. Et cela n’est pas pour plaire à Maitre Abdoulaye Wade et au PDS’’.
Bien que son poids politique ait encore du mal à dépasser les frontières de son Dagana natal, Sarr n’en demeure pas moins une force au sein du plus grand cadre regroupant les partis de l’opposition.
Sa proximité avec les gens du pouvoir, dans le cadre du dialogue national, fait de lui le chef de file de cette opposition. Reléguant, même parfois, à l’arrière-plan, Moctar Sourang, pourtant coordonnateur du FRN. Du côté du Parti démocratique sénégalais, cela ne surprend point. ‘’En fait, confie un responsable libéral, il faut savoir que ce front a été fabriqué de toutes pièces par le PDS. Si Moctar Sourang est aujourd’hui à la tête du front, c’est parce que le PDS l’a voulu. En tant que secrétaire général adjoint du parti à l’époque, Oumar Sarr a su développer un tissu de relations avec les membres du FRN. C’est pourquoi il continue de jouer ce rôle avec Mamadou Diop Decroix, malgré son départ du PDS’’.
Disciple d’Abdoulaye Wade, Oumar Sarr connait l’art de faire des crocs-en-jambe en politique, de se positionner dans la jungle politique nationale. Exclu de l’instance dirigeante du Parti démocratique sénégalais depuis août 2019, il se bat de toutes ses forces pour ne pas se laisser écraser par son ex-mentor. Le moins que l’on puisse dire c’est que, jusque-là, l’ancien bras droit de Wade parvient à surnager. Ce, malgré les nombreuses tentatives du PDS de l’isoler.
En effet, aussi bien le retour des Libéraux dans le dialogue politique que la rencontre entre leur boss et le chef de l’Etat n’ont, pour le moment, eu raison de sa ténacité. Le dernier bras de fer remporté par l’homme fort de Dagana, c’est sa cooptation dans le Comité de pilotage du dialogue national. Même s’ils ne le disent pas, les Libéraux auraient souhaité le contraire.
2016, début du rapprochement avec le régime
Mais entre Oumar Sarr et le régime, le rapprochement remonte, au moins, à 2016. Malgré un passé difficile, le maire de Dagana est, au fil des années, passé d’ennemi juré à interlocuteur assez singulier du chef de l’Etat. Au dialogue national de mai 2016, il était au cœur de la participation du Parti démocratique sénégalais, malgré le refus initial de Wade. Babacar Gaye révélait, lors du lancement du mouvement And Suxali Sopi : ‘’J’étais le seul à soutenir Abdoulaye Wade dans sa position (refus de participer au dialogue) comme je l’ai toujours fait. J’étais alors à Kaffrine. Lui-même (Wade) m’avait appelé pour me demander de revenir à Dakar puisque, disait-il, ignorant certainement ce qui était en jeu, la direction (Oumar Sarr et les autres) voulait participer au dialogue alors que lui n’était pas d’accord. Je lui ai dit que je ne peux pas venir, mais j’ai appelé d’autres responsables dont Fabouly Gaye, Toussaint Manga, Ablaye Faye, Farba Senghor pour leur demander d’aller défendre cette position qui était celle du président…’’
Finalement, Oumar Sarr, qui avait déjà convaincu Karim Wade de l’intérêt de participer au dialogue, finit par obtenir gain de cause. Wade lâche prise et autorise le parti à aller à la table des négociations.
Déjà, Oumar avait des entrées au palais, au moment même où son parti prenait ses distances avec la présidence, que son candidat était dans les geôles. Et c’est lui-même qui faisait la révélation, toujours à l’occasion du lancement de leur mouvement. Sans entrer dans les détails, il avait révélé son audience avec le chef de l’Etat en 2016 pour négocier la libération de ‘’son frère’’. Suite à l’accord de Macky Sall, il s’en est ouvert à Wade fils qui était d’accord. La condition, c’était la participation au dialogue politique. Une information que les comploteurs n’ont donné à Wade qu’au dernier moment.
Il aura fallu plus de trois ans, pour assister à un remake de la situation. Encore le chef de l’Etat qui appelle au dialogue ; encore Oumar Sarr qui décide de répondre ; encore Wade qui refuse de participer. Le fait nouveau, c’est que, cette fois, en plus du désaccord du père, Oumar Sarr se heurte au veto du fils. Il s’entête quand même et fonce à la salle des banquets du palais de la République, le 28 mai 2019. Sur place, il disait : ‘’J’ai pris la responsabilité de participer au dialogue pour répondre à l’appel du Sénégal qui est au-dessus de tous les partis politiques. Donc, quand le Sénégal appelle, je dois répondre, même si un communiqué du PDS dit le contraire. Je ne sais pas d’où vient ce communiqué et comment on l’a écrit. Ma responsabilité est de venir parler aux Sénégalais.’’
‘’On note une nette différence entre les approches de Wade et d’Oumar’’
Dans sa guerre contre son ancienne formation, Oumar Sarr peut compter sur le président Macky Sall qui le convie à toutes les rencontres. Il peut aussi compter, pour le moment, sur le soutien de ses camarades du Front de résistance nationale, entité dont il a été un des principaux bâtisseurs. Dernièrement, le parti de Wade a réagi vigoureusement, en claquant la porte dudit cadre qui regroupait les partis de l’opposition. Aussi, le PDS accuse certains responsables dont son dissident d’être de connivence avec le chef de l’Etat.
A en croire Moussa Diaw, c’est juste un mauvais procès. ‘’En tout cas, jusque-là, il n’y a aucun signe qui le démontre. Peut-être, quand il y aura des enjeux, on y verra plus clair. Ce qu’on peut dire, c’est qu’Oumar assume ses divergences avec le parti de Wade qui essaie de le discréditer. C’est de bonne guerre’’, analyse le politologue. De l’avis de Prof Diaw, un rapprochement entre ces parties est difficilement envisageable, à l’heure actuelle. ‘’On note une nette différence entre les approches de Wade et d’Oumar. Wade est dans la radicalisation, alors qu’Oumar est dans les dispositions de dialoguer. Chacun va essayer de tirer son épingle du jeu, mais séparément’’.
Toutefois, malgré le courage, malgré la caution du chef de l’Etat et de ses alliés de l’opposition, Oumar Sarr et son mouvement semblent souffrir d’un mal congénital. Le Pr. Diaw justifie : ‘’Le mouvement manque de dynamisme au niveau national. En dehors d’Oumar Sarr, les autres (Amadou Sall et Babacar Gaye) n’ont pas de base. Et c’est ce qui fait la faiblesse de ce mouvement. Si Oumar était entouré d’hommes et de femmes ayant une base, cela pourrait doper la structure. Mais c’est loin d’être le cas. Quelque part, on a l’impression que ça ne bouge pas. Certes, ils ont résisté à Wade, mais ils n’ont pu proposer une alternative solide leur permettant de débaucher d’autres responsables du PDS.’
LA CHRONIQUE HEBDO DE PAAP SEEN
LES FORÇATS DE LA RUE
EXCLUSIF SENEPLUS - Le métier de marchand ambulant précise la condition du sous-prolétariat urbain - Quelle promesse de bonheur peut-on trouver en menant cette activité aléatoire et difficile ? NOTES DE TERRAIN
Samedi 18 janvier 2020. 13h30. La brise fraîche du matin s’est dissipée depuis plusieurs heures maintenant. Le soleil a bien repris ses droits. Il a atteint son point de culmination. Ses rayons percent l’épais brouillard de nuage qui enveloppe le ciel. La chaleur arrive par vague et bouscule l’air. Mes yeux sont agressés. Je visse ma casquette pour protéger mon regard des halos lumineux. La poussière est partout. Elle flotte dans l’atmosphère et lui donne un aspect grisâtre. Quelques piétons défilent sur le trottoir. Les voitures sont immobilisées par les bouchons. Une dizaine de marchands ambulants s’aventurent dans ce plein midi arrosé par le feu solaire.
L’un d’eux avance. Il porte un survêtement adidas vert, visiblement contrefait. Son pantalon jean usé est mis façon “check down”. Il vend des noix de cajou grillés, contenus dans des sachets. Sa tête est couverte d’un bonnet bleu “cabral”. Il est très jeune. Sa démarche est calme, régulière. Il s’arrête devant une Ford Escape rouge et une Peugeot 3008 beige, freinées par les embouteillages. Il jette un coup d’oeil furtif à sa gauche, puis à sa droite. Les passagers des deux voitures ne bronchent pas. Il progresse et continue son commerce.
Un autre marchand ambulant arrive, l’allure lente. Il tient un meuble à lunettes sur son épaule gauche et se faufile entre les véhicules. Il lève la main pour saluer un mendiant, debout sur le terre-plein central de la route. Un troisième vendeur, la conduite chancelante, se coltine le portrait géant d’un marabout. Son corps est incliné. Il parle tout seul. Une femme lui emboîte le pas. Elle vend des produits chimiques contre les insectes. Elle est voilée, une casquette noire est posée sur sa tête, par-dessus le tissu bleu qui lui couvre le visage. Ce peloton, en mouvement sur la Vdn, juste après l’immeuble “Mariama”, fait fi de la chaleur et de l’air irrespirable.
J’ai toujours été impressionné par la capacité d’endurance des vendeurs parcourant les rues de Dakar. Ces braves gens sont à la tâche, tous les jours de la semaine, quel que soit le temps. Ils mènent une vie de labeur. Je n’arrête pas de penser que c’est un métier cruel. Un boulot indécent. En les voyant, je médite sur des questions gênantes. Quelle promesse de bonheur peut-on trouver en menant cette activité aléatoire et difficile ? Peut-on avoir une existence positive et intègre en exerçant un travail éreintant, qui contraint à respirer tous les polluants de la ville ? Je ne le pense pas. J’entends qu'il est presque impossible d’aspirer à un destin ascendant, dans tous les aspects de la vie sociale, politique et économique, lorsque l’on travaille dans ces conditions. On me rétorquera qu’il y a pire et qu’ils n’ont, de toute manière, pas le choix. Qu’il vaut mieux faire ce travail que d’être agresseur, voleur, ou de rester au chômage. Mais ce raisonnement est mauvais et ne pousse pas à rompre avec le conformisme.
Cette approche, qui pose la hiérarchie sociale comme inchangeable, n’est pas constructive. Elle est cynique même, puisqu’elle ne prend pas en compte l’idée supérieure du bien-être humain. Evidemment, l’oisiveté n’est pas préférable. ll y a toujours beaucoup d’honneur à travailler pour rester digne. Mais nous ne pouvons pas accepter de voir ces personnes soumises à l’insoutenable sclérose sociale. Tout notre malheur est de croire que ces situations d’extrême précarité sont recevables. Nous avons inscrit dans notre conscience l'idée que la violence subie par une grande partie de la jeunesse sénégalaise est normale. La réalité, c’est que l’activité du marchand ambulant est inflexiblement oppressante.
La condition générale des marchands ambulants est objectivement exécrable. Parmi les gens qui effectuent ce travail, en existent-ils qui le font par bonheur, ou par vocation ? Qui se lèvent tous les jours, avec un sourire radieux, et écrivent un message sur Facebook, Twitter ou Linkedin : “Je vais encore faire aujourd’hui le métier que j’ai choisi. Je vais y mettre beaucoup de coeur. Que du bonheur ” ? Ou qui se disent : “Alhamdoulilah ! Dieu m’a gratifié du plus beau travail du monde” ? Se trouve-t-il un seul marchand ambulant qui prend un selfie et le met sur WhatsApp ou sur sa page Instagram, avec de joyeuses émoticônes, en s’exclamant : “What a great day ” ? Certains peuvent être épinglés comme des modèles de réussite. Mais le raisonnement qui consiste à donner en exemple une petite minorité est un renversement des perspectives.
La société sénégalaise maintient une fermeture sociale intolérable. La plupart des individus dotés d'avantages économiques oublient de voir les grands écarts qui se sont formés dans notre pays. Ainsi se mettent-ils à projeter une vision darwinienne de la vie et poussent la société tout entière à croire que la misère est une fatalité. Ce conservatisme étroit nous empêche de libérer les consciences. D’ouvrir l’horizon à un devenir collectif meilleur, de construire un pays où l’égalité des chances est offerte à tous les citoyens, l’abondance partagée. Nous finissons alors par désidéaliser la vie et justifions les servilités. Or, on peut toujours agir sur le réel. L’homme a des capacités d’innovations formidables. Notre société est aussi en mesure, à l’heure où le savoir est plus que jamais abordable, de bâtir une intelligence collective dirigée vers le progrès humain. Ce n’est que par réflexe social que nous épuisons notre enthousiasme et acceptons la banalité de la misère.
Les sacrifices endurés par le marchand ambulant ne sont pas proportionnels à ses gains économiques. À l'échelle de son village ou de son quartier, le marchand ambulant ayant un revenu peut impacter résiduellement et subvenir à ses besoins. Seulement, son travail ne lui donne pas un prestige social, ne lui permet pas de cultiver sa valeur, afin d’agir considérablement sur le plan communautaire. Tomber dans le panneau du “la vie est injuste, on n’y peut rien”, c’est abdiquer face aux forces d’inertie et mutiler notre imagination. Le métier de marchand ambulant précise la condition du sous-prolétariat urbain. Ces femmes et ces hommes, moteur central de notre nation, sont ségrégués par un ordre social arriéré. Nous devons radicalement interroger cette misère en mouvement dans les rues de Dakar. Pour réfléchir et nous engager vers une nouvelle forme sociale plus respectueuse de l’Homme.
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Moustapha Diakhaté, militant de l'APR, ancien président du grouparlementaire BBY à l'Assemblée nationale, est au micro de Baye Omar Gueye de (Sud Fm) dans l'émission Objection.