AUX RACINES DE L’AÏD AL-FITR
Prières collectives, festins sucrés et traditions familiales : l'Aïd el-Seghir, qui clôture le mois sacré du Ramadan, est bien plus qu'une simple célébration religieuse. Plongée dans l'histoire et les coutumes d'une fête qui a traversé les siècles

(SenePlus) - La fête de l'Aïd al-Fitr, qui marque la fin du mois sacré du Ramadan, est célébrée cette année le 30 ou 31 mars 2025 selon les pays. Mais d'où vient cette tradition et comment s'est-elle implantée et développée en Afrique du Nord ? Un voyage dans l'histoire et les coutumes de cette célébration majeure du calendrier musulman.
Comme le rapporte Jeune Afrique, l'Aïd al-Fitr est également connue sous le nom d'« Aïd el-Seghir », ce qui signifie « la petite fête », par opposition à l'Aïd al-Adha, la fête du sacrifice, aussi appelée « Aïd el-Kebir » ou « grande fête ». Au début du XXe siècle, le diplomate et ethnographe Eugène Aubin évoquait aussi l'appellation « eker Baïram » utilisée dans le Machrek, mot d'origine turque signifiant également « petite fête », reflétant l'influence ottomane dans la région.
La date de l'Aïd al-Fitr est déterminée par le calendrier hégirien, établi à partir de l'hégire du Prophète Muhammad en 622. Comme l'explique l'anthropologue Malek Chebel dans son ouvrage « L'Imaginaire arabo-musulman » (1993), ce calendrier est lunaire : « Le comput du temps dans les pays musulmans était fondé sur l'année lunaire, laquelle comptait trois cent cinquante-quatre jours, répartis sur douze mois [...] La journée de vingt-quatre heures débute au coucher du soleil. »
Cette particularité explique pourquoi la date de l'Aïd recule d'environ dix jours chaque année dans notre calendrier grégorien. Chebel précise également que « si la lune était, selon le mot de Louis Massignon, 'le régulateur des actes canoniques', plusieurs réformateurs ont voulu généraliser le calcul astronomique dans l'espoir d'établir avec plus d'exactitude le début et la fin du mois sacré de ramadan, mois référentiel de l'année musulmane. »
Selon Jeune Afrique, le premier Aïd al-Fitr de l'histoire de l'islam fut célébré en 624, soit deux ans après l'hégire, au lendemain de la bataille de Badr qui marqua le début de l'expansion de la religion musulmane. La célébration s'est ensuite propagée avec l'islamisation des territoires.
L'Égypte fut le premier pays africain à adopter cette fête, vers la fin du VIIe siècle. C'est sous la dynastie des Fatimides (909-1171), installée au Caire à partir de 969, que les festivités prirent une dimension sociale majeure. À cette époque fut créée la Dar al-Fitr, une institution dotée de 1 000 dinars, chargée de confectionner et distribuer gâteaux et vêtements aux quatre coins du califat fatimide.
Les célébrations de l'Aïd sont basées sur deux actes symboliques du Prophète Muhammad. Comme l'expliquait déjà au XIVe siècle l'imam Ibn Qayyim al-Jawziyya, le premier est le prône collectif du matin. Roger Le Tourneau précise dans « La Vie quotidienne à Fès en 1900 » (1965) que « les deux principales fêtes, la petite et la grande, étaient marquées, si le temps le permettait, par une prière solennelle en plein air dite aux deux oratoires situés en dehors de Fès Jdid et de la rive des Andalous. »
Le second geste symbolique concerne l'importance accordée au premier repas de la journée festive, marquant la rupture définitive avec le mois de jeûne. Pour l'occasion, chacun porte ses plus beaux vêtements après s'être purifié au hammam.
L'aumône, un aspect fondamental de cette célébration, prend la forme de la zakat al-fitr, que tout musulman aisé doit verser aux plus démunis, en espèces ou en nature selon ses moyens.
Les préparatifs commencent dès la 26e nuit du Ramadan, appelée Laylat al-Qadr ou « nuit du destin », qui commémore la première révélation du Coran au Prophète. Jeune Afrique rapporte qu'à partir de ce jour, « les minarets des mosquées des principales villes sont illuminés de lampes à huile. »
Au Caire, à l'époque fatimide, la veille de l'Aïd, une procession de notables politiques et religieux se rendait au Jabal al-Mukattam pour observer collectivement la nouvelle lune, Hilal Chawal. Le matin de l'Aïd, la population se rassemblait devant le palais du Calife, qui se dirigeait ensuite avec sa suite vers Bab al-Nasr pour la prière.
Les festivités durent traditionnellement trois jours, pendant lesquels le sucré est mis à l'honneur, « comme pour rebrancher les corps amoindris par un mois de jeûne à la vie 'normale' », analyse Jeune Afrique.
Certaines traditions spécifiques ont traversé les siècles, comme celle d'offrir de l'argent aux enfants, pratique introduite par les Mamelouks et aujourd'hui répandue tant au Machrek qu'au Maghreb.
Au Maroc persiste la tradition du « hak el-melh » (le « droit du sel »), un cadeau symbolique offert par les hommes aux femmes de leur famille en reconnaissance de leur contribution culinaire durant le Ramadan. Comme l'explique JA, « dans une société traditionnelle, la cuisine est le domaine réservé de la mère, l'épouse, la sœur, et c'est donc à l'une de ces femmes de déterminer si la nourriture est ou n'est pas suffisamment salée. »
L'Aïd al-Fitr représente ainsi un moment de renaissance après le mois d'abstinence : « Du vide au plein, l'Aïd al-Fitr est un printemps de l'organisme. Celui de la (re)fleuraison du corps et du cœur ! » conclut poétiquement Jeune Afrique.