BOUBACAR BORIS DIOP, LA PLUME ACERBE CONTRE LA FRANÇAFRIQUE APRÈS LE GÉNOCIDE DES TUTSI
L'auteur sénégalais a marqué l'Histoire avec son roman "Murambi, le livre des ossements". Témoin direct des atrocités commises durant le génocide des Tutsi, il n'a eu de cesse depuis de dénoncer avec force le rôle trouble de la France dans cette tragédie
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(SenePlus) - Quatre ans après le génocide des Tutsi qui a fait plus de 800.000 morts au Rwanda en 1994, l'écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop publie un roman choc, "Murambi, le livre des ossements". Tirée d'une expérience bouleversante sur les lieux du drame, cette œuvre magistrale dénonce avec force la responsabilité de la France dans ce massacre, selon l'auteur.
"J'avais tellement honte de moi, de mon ignorance, mais aussi honte en tant qu'être humain", confie Diop à l'AFP, évoquant sa résidence d'écrivain au Rwanda en 1998. "Chaque jour, on a tué 10.000 personnes, pendant 100 jours. Et moi, intellectuel, je dirigeais un journal privé au Sénégal. J'avais publié des romans. Et je n'avais rien vu."
Dans les pages poignantes de "Murambi", qui donne la parole aux victimes et aux bourreaux, un milicien hutu se gausse: "Les cancrelats ne vont pas tarder à savoir qu'il ne faut jamais prêter de bonnes intentions à son ennemi". Quelques lignes plus loin, des milliers de Tutsi sont exterminés dans une église.
Pour Diop, la France est la "complice" de ce génocide. "C'est (François) Mitterrand qui a fait ce choix d'appuyer les génocidaires ou les armer, les soutenir à l'ONU", accuse-t-il sans détour. Selon lui, "un coup de téléphone de l'Élysée aurait pu sauver des centaines de milliers de vies".
Né en 1946 au Sénégal, cet érudit francophile raconte une jeunesse bercée par la langue de Molière, jusqu'à ce que le Rwanda ne vienne tout bouleverser. "Il y a ma vie avant et ma vie après", résume l'écrivain. S'il était alors "anti-impérialiste" sans se soucier des Français, "le Rwanda m'a enseigné que l'anti-impérialisme devrait être orienté contre la Françafrique".
A Murambi, où l'armée française avait installé des "barbecues" et des terrains de sport au milieu des charniers, Diop voit le symbole de cette "Françafrique" qu'il exècre. Depuis, il prône l'usage du wolof, sa langue maternelle, et s'emploie à faire décliner l'influence française en Afrique.
Salué comme "un écrivain important pour l'Afrique et le Rwanda" par l'ambassadeur rwandais François Nkulikiyimfura, Boubacar Boris Diop a apporté, avec "Murambi", "sa pierre à l'édifice" de la reconnaissance du génocide des Tutsi. La prix Nobel Toni Morrison a même qualifié ce roman de "miracle" littéraire.