CRASH DE SENEGALAIR, UN DRAME SANS COUPABLE
Cinq ans après le crash de l’aéronef qui avait coûté la vie à sept personnes dont trois Sénégalais, une Française, deux Algériens et un Congolais, l’enquête est toujours au point mort. Pire, les mesures conservatoires escomptées n’ont pas été prises
Un crash. Sept morts. Une enquête. Un rapport. Zéro coupable. Et puis, silence… plus rien. Sinon des familles, dignes dans l’épreuve, mais qui ne verront ni épave, ni responsables, encore moins les corps de leurs proches engloutis au fond de l’océan, depuis ce soir du 5 septembre 2015.
Cinq ans plus tard, le dossier, sous le coude des autorités judiciaires et administratives, ne semble pas du tout avancer. Pire, les mesures conservatoires escomptées n’ont pas été prises. Même le directeur général de l’Anacim, accusé de graves légèretés, a pu conserver son poste.
Ancien chef de maintenance de la compagnie Senegalair, Al Hassane Hane s’étrangle de rage : ‘’C’est extraordinaire ! Vous ne pouvez pas être directeur général d’une structure, avoir été inculpé d’homicide et continuer d’exercer comme si de rien n’était. C’est très regrettable. Il faut savoir que tant que les causes profondes de cet accident perdureront, nous ne sommes pas à l’abri d’autres drames. C’est pourquoi j’interpelle d’abord l’Etat du Sénégal à rectifier le tir. J’interpelle aussi l’UEMOA, la CEDEAO et l’Asecna à prendre des mesures. Il y va de la sécurité des usagers de l’aéroport. Parce que les circonstances qui ont abouti à cet accident tragique sont toujours présentes.’’
En fait, en mars 2018, suite à une commission rogatoire dépêchée au Sénégal par la justice française, plusieurs personnalités de l’aviation civile nationale ont été inculpées par le doyen des juges d’instruction Samba Sall. Il en est ainsi du directeur général de l’Anacim, Maguèye Marame Ndao, du contrôleur Jacob Lèye, du directeur général de Senegalair Gérald Gabriel Diop, entre autres. Quelque temps après, le dossier a encore été rangé aux oubliettes. Pourtant, les conclusions de l’enquête semblaient accablantes pour certains de ces responsables. D’énormes légèretés ont été relevées, aussi bien du côté de l’Anacim que du côté de Senegalair, et auraient pu coûter très cher au Sénégal.
Retour sur les révélations de l’enquête
Dans son rapport, le Bureau d’enquête et d’analyse énumérait plusieurs manquements graves, dont le plus flagrant portait sur l’altimètre (appareil indiquant l’altitude où se positionne l’avion). ‘’L’avion de la compagnie Senegalair avait de sérieux problèmes altimétriques. L’altimètre de l’avion était défectueux, avec comme conséquence, de sortir l’avion de son niveau normal", a souligné le BEA. Une anomalie signalée par l’Asecna à l’Anacim, suite à un accident évité de justesse, moins de deux mois seulement avant le crash. ‘’L’Anacim a reçu le premier rapport (de l’Asecna) le 27/08/2015 ; soit neuf (9) jours avant l’accident. Dans ce rapport, l’Asecna recommandait à l’Anacim de faire une inspection technique du 6V-AIM. L’avion a continué à voler sans inspection technique, ni intervention sur ses systèmes altimétriques’’, lit-on dans le rapport du BEA, qui ajoute : ‘’Le BEA Sénégal n’a pas eu à sa disposition toutes les informations requises auprès de l’Anacim, de l’autorité de l’Aviation civile d’Algérie et de la compagnie Senegalair.’’
Ces remarques de l’Asecna faisaient suite à une série de violations notées suite à la reprise de la compagnie après un arrêt long de plusieurs mois. Le BEA de souligner un incident grave survenu dans la nuit du 22 au 23 juillet 2015. ‘’Cette nuit-là, il (l’aéronef) rentra en conflit avec le Boeing 737 de la compagnie Arik (vol Ara 387) qui était en sens opposé. L’équipage du 6V-AIM était persuadé d’être au niveau 320 (c’était ce qu’il lisait à l’altimètre) alors qu’Ara 387 le voyait au même niveau que lui (FL 310) sur son TCAS. Ara 387 demanda à changer de niveau de vol pour éviter un désastre (FL 290 accordé). Lorsque le 6V-AIM passa sous la couverture radar de Dakar, il était détecté au niveau 310, au lieu du 320 indiqué par l’altimètre’’, informent les enquêteurs.
Selon le BEA, cet incident significatif mit en lumière des différences entre les données d’altitude fournies par l’altimètre pilote et celles délivrées par le transpondeur. Aussi grave soit-il, cet incident n’a pas fait l’objet d’un rapport et n’a pas été non plus consigné dans le carnet de compte-rendu technique. ‘’En réalité, l'aéronef en question signalait aux contrôleurs et aux autres appareils une position où il n'était pas. En clair, il pouvait bien voler à une altitude qui n’est pas la même que celle indiquée par les appareils de mesure. Si bien que les erreurs de calcul inhérentes à cette défaillance de l'altimètre l'exposent à des risques plus qu'imminents de collision avec d'autres appareils, comme cela semble avoir été le cas le samedi 5 septembre dernier’’, relatent les experts.
La rançon d’un pilotage à vue
Dès lors, la question qui s’est posée, c’est comment un tel avion et une telle compagnie ont pu exercer au Sénégal ? Selon beaucoup de spécialistes, la responsabilité de l’Anacim et de son directeur général, en poste depuis avril 2013, ne saurait être éludée. Bien avant l’alerte de l’Asecna, l’ancien chef maintenance de Senegalair, M. Hane, avait déposé un rapport circonstancié à l’Anacim, pour dénoncer un certain nombre de manquements dans le fonctionnement de cette entreprise. Auparavant, il a eu à saisir ses supérieurs à maintes reprises. Au lieu d’apporter les correctifs nécessaires, ces derniers l’ont pris pour cible et ont fini par le mettre à l’écart.
Le 17 avril 2013, il écrit un rapport de 9 pages adressé au directeur général de l’Anacim, avec ampliation au président de la République, au Premier ministre, au ministre de la Justice, au ministre des Transports, au président du Conseil de surveillance de l’Anacim, au secrétaire général de la Haute autorité de l’aviation civile, entre autres, pour porter à leur connaissance les griefs notés dans sa propre compagnie.
Pourquoi un tel acte ? Le technicien assure avoir agi uniquement par devoir. ‘’J’avais vu que la vie des gens qui prenaient notre compagnie était menacée. Je n’avais pas le droit de me taire. J’ai fait ce que j’ai pu, d’abord à l’interne, pour prévenir le pire. Mais cela n’a abouti à rien du tout, sinon à un lever de boucliers contre un empêcheur de tourner en rond. J’ai donc avisé ceux qui ont en charge l’aviation à travers un rapport circonstancié que j’avais adressé au directeur général de l’Anacim, le 17 avril 2013’’.
Face à la réticence des autorités de l’aviation, il a insisté, a initié des démarches pour que toutes les autorités soient au courant de l’affaire (présidence, primature…). A force de plaidoiries et d’abnégation, il a finalement été convoqué et entendu par le Bureau d’enquête et d’analyse qui venait d’être réactualisé. Finalement, le fonctionnement de la compagnie a été suspendu pendant une bonne période.
Mais c’était juste quelques coups d’épée dans l’eau. Le monstre n’a pas été définitivement anéanti, mais juste endormi. Et le réveil a été dramatique. Deux ans plus tard, Senegalair reprend les vols et crée presque à chaque expédition des failles pouvant emporter des vies. Dès son premier vol, l’avion a failli percuter un autre, sauvé de justesse par son système d’alerte, comme rapporté par les enquêteurs du BEA. ‘’Selon toute vraisemblance, soutient Alhassane Hane (licencié tout de suite après le dépôt de son rapport à l’Anacim), les gens n’ont pas fait tout ce qu’ils devaient pour apporter des solutions pérennes aux maux dont souffrait la compagnie’’.
Le DG de l’Anacim inculpé et maintenu à son poste
Ces péripéties donnent d’ailleurs à ce crash un caractère on ne peut plus particulier. Voilà un accident dont certaines des causes ont été portées à la connaissance des autorités deux ans même avant son arrivée. Monsieur Hane regrette : ‘’L’aviation est une science exacte. Il y a des normes établies à ne bafouer sous aucun prétexte. Un système d’alerte de veille et de surveillance est mis en place et il doit être opérationnel 24 h/24. Tout ce qui se passe au niveau d’une compagnie doit être connu de la Direction générale de l’aviation civile, à travers ses différents organes. Les inspections programmées ou inopinées doivent se faire de manière rigoureuse. Malheureusement, le copinage aidant, cette compagnie, qui ne respectait aucune norme, a pu continuer de fonctionner.’’
Comme dans le cadre du naufrage du ‘’Joola’’, cinq après ce drame qui avait provoqué une onde de choc au Sénégal et dans le monde, l’enquête judiciaire semble toujours au point mort. Certains craignent déjà ‘’une nouvelle jurisprudence bateau ‘Le Joola’, à savoir ‘’qu’il n’y a aucun responsable et que seul l’équipage de Senegalair, au fond de l’océan, est coupable du crash’’.
Les zones d’ombre sur Ceiba
Dans cette affaire, l’avion de Senegalair est entré en collision avec un appareil de la compagnie Ceiba, qui fait partie de ‘’la liste noire actualisée 2017, des compagnies aériennes les plus dangereuses au monde’’. Ainsi que l’a révélé l’ancien responsable du contentieux à l’Asecna, Djibril Birasse Ba, dans une tribune publiée dans ‘’EnQuête’’ en 2018.
Il mettait à nu quelques failles notées dans l’enquête du BEA. ‘’Concernant la compagnie aérienne équato-guinéenne Ceiba Intercontinental, constatait-il pour le regretter, il n’y a rien à signaler. Tout est parfait. Le BEA Sénégal a certainement oublié de signaler que la compagnie aérienne Ceiba est interdite de vol dans toute l’Europe et aux Etats-Unis, depuis le 11 avril 2008’’.
Ce n’est pas tout. D’après le retraité de l’Asecna, le BEA Sénégal a surtout omis de signaler, dans son rapport final, tout ce que la compagnie aérienne Ceiba et ses pilotes ont fait et qu’ils ne devaient pas faire. ‘’Qu’il s’agisse du délit de fuite ou des manœuvres ayant abouti à l’effacement des enregistrements de bord… Tout semble avoir été fait pour empêcher la manifestation de la vérité’’.
Le jeudi 17 septembre 2015, soit une dizaine de jours après l’accident, rappelait-il, deux enquêteurs français, déployés par Paris, se sont rendus à Malabo pour inspecter le Boeing 737 de la Ceiba, avant d’entendre l’équipage de l’avion, notamment. La réaction des autorités équato-guinéennes n’avait pas tardé deux jours plus tard.
A la place de ‘’fuite’’, elles ont préféré parler d’un "sang-froid" du CDB, avant de préciser : "Le pilote n’a pas fui. Il a fait le meilleur choix en retournant à Malabo pour nous éviter des dépenses supplémentaires. S’il avait continué vers Cotonou, l’avion y serait immobilisé et nous serions obligés de payer des droits de stationnement. D’ailleurs, le pilote sera décoré prochainement par les autorités équato-guinéennes."
Ainsi, pour éviter de payer de l’argent, ce commandant n’a pas hésité à mettre en danger la vie de ses passagers, en se dirigeant vers Malabo et non vers l’aéroport le plus proche.
Un passager de Ceiba revient sur l’abordage
Passager du Boeing 737-800 de la compagnie équato-guinéenne Ceiba international, le journaliste-formateur au Cesti, Mamadou Koumé, revient sur un choc qui ne livrera peut-être jamais tous ses secrets.
Journaliste-formateur au Centre d’études des sciences et techniques de l’information, Mamadou Koumé faisait partie des passagers de la Compagnie équato-guinéenne Ceiba qui avait eu un abordage avec l’aéronef de Senegalair. Aujourd’hui encore, il se souvient très bien de cette journée fatidique. ‘’C’était une journée très triste. Ce jour-là, nous avions pris l’avion de la compagnie équato-guinéenne Ceiba International pour nous rendre à Cotonou, dans le cadre d’une mission de l’université.
Au bout d’une vingtaine de minutes, après le décollage vers les coups de 17H30 à Dakar, nous avons entendu un bruit. Nous nous sommes alors posés pas mal de questions sur l’origine de ce bruit, mais il n’y avait personne pour apporter des réponses. L’équipage n’a rien dit’’. Par la suite, rapporte Monsieur Koumé, un ami qui était en classe business est venu éclairer un peu sa lanterne. Il lui dit : ‘’Grand on l’a échappé belle. C’est lui qui m’a dit que l’avion a eu un contact avec un autre. Mais pas plus de détails’’.
Comme si de rien n’était, le Boeing continué son chemin. Mais au lieu de se diriger vers Cotonou qui était sa destination initiale, il fait cap sur sa base à Malabo. Jusque-là aucune information pour les plus de 150 passagers à bord. Plus de trois heures après, alors que ces derniers pensaient qu’ils étaient sur le point d’atterrir à Cotonou. Ils apprennent la grosse surprise. ‘’Le commandant de bord a dit que pour des raisons techniques et de sécurité, il a été obligé de faire cap sur Malabo. C’est là-bas que nous avons su avec certitude qu’il y avait un accident. Mais jusque-là, on ne savait pas qu’un autre avion est tombé des suites de ce choc. Par la suite, la compagnie a affrété un autre Boeing et nous avons embarqué pour Cotonou, en nous cachant toujours la vérité’’.
Pour Monsieur Koumé qui n’en était pas à son premier voyage à bord de cette compagnie, l’amateurisme est le maitre mot à Ceiba International. ‘’Ce n’était pas la première fois que je prends cette compagnie. J’avoue qu’il y a beaucoup d’amateurisme’’, témoigne l’ancien président de l’Association nationale de la presse sportive.