DE L’AFFECTION EN AUMONE
Bienveillance d’un Oustaz pour ses talibés - Après une matinée passée avec les talibés dans la rue, Bés bi est allé à la rencontre d’un Oustaz soucieux de ses enfants.
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Dans les rues de Dakar, il y a un spectacle auquel il est difficile d’échapper : Des enfants en bas âge parés de vêtements en mauvais état et de chaussures rafistolées ou inexistantes. Tenant un pot de tomate d’une main et tendant l’autre en quête d’aumône. Par habitude, par compassion ou par volonté d’acquérir des faveurs divines, on leur donne de l’argent, de la nourriture ou des aumônes spécifiquement prescrites. Ce qu’on leur donne rarement, c’est aussi ce qu’ils ne perçoivent pas toujours de leurs propres parents : l’affection. Après une matinée passée avec les talibés dans la rue, Bés bi est allé à la rencontre d’un Oustaz soucieux de ses enfants.
Chaque matin, à hauteur de l’école Saldia, deux mondes s’entremêlent sans qu’on puisse les confondre. D’un côté, les élèves munis de sacs à dos arrivent à l’école, certains à pied, d’autres déposés par une voiture personnelle ou un taxi. En attendant que les cloches sonnent 8h, certains élèves discutent entre eux tandis que d’autres vont s’approvisionner en pain, biscuits, boissons et autres confiseries au niveau des kiosques et étals situés juste en face. L’ensemble forme une foule animée au sein de laquelle on peut clairement distinguer des enfants à l’apparence plus négligée tenant en lieu et place du sac à dos, un petit sceau et tendant la main aux passants et aux parents. Au milieu de ce brouhaha entrecoupé de klaxons d’une circulation ralentie, une voiture se gare. Deux élèves en descendent tandis que des talibés accourent pour venir récupérer l’aumône donnée par la dame qui occupe le siège passager. Au menu, du lait caillé et des pièces. Au bout d’un moment, comme par enchantement, la foule se disperse et on ne voit plus que les talibés et quelques élèves arrivés en retard et qui doivent de ce fait attendre l’heure suivante pour aller chercher un billet d’entrée.
Talibés stratèges à l’école de la rue
Ce spectacle matinal est une illustration de l’abandon des talibés. Très tôt sevrés de l’affection familiale, privés d’école et livrés à la rue. Une rue parfois impitoyable, parfois bienveillante, parfois indifférente. Les talibés ont fini par devenir un élément du décor qui s’est imposé comme une normalité. Et de leur côté, ils acceptent cette enfance qu’ils n’ont pas choisi mais avec laquelle ils doivent composer au mieux. Pour ça, il leur est crucial de savoir comment mendier, à qui demander, quelles prières formuler et où aller. La foule de Saldia s’étant dispersée, ils remontent vers la police de Dieuppeul et le Bureau des passeports situés tous les deux sur les Allées Ababacar Sy et en face de la Mosquée de Dieuppeul. Les talibés ont compris que cette zone de forte affluence est stratégique pour croiser des personnes charitables ou en quête d’une faveur divine. Une dame qui venait de finir de faire des photocopies remet un billet de 500f à un trio de talibés. L'un des petits qui s’était détaché du groupe revient au pas de course en voyant ses amis recevoir un billet. Il rattrape la dame qui, voyant ses yeux implorants, lui remet une pièce qui illumine son visage. D’une voix fluette, il formule des prières avant de se rediriger vers le groupe occupé à trouver un compromis sur la façon de partager les 500F. Ils se parlent en pulaar. S’adressant à eux dans cette langue, on apprend qu’ils ont entre 11 et 7 ans et qu’ils viennent tous du même daara situé à Grand Dakar. Ils ont tous une apparence assez soignée. Leurs vêtements ne sont pas sales ou déchirés et ils portent tous des chaussures, même si celles du plus petit sont bien trop grandes. On note aussi une certaine fraternité entre eux. Ce sont des points suffisamment intrigants pour souhaiter en savoir plus sur leur Daara.
Loin de leurs parents, des talibés et l’affection de leur maitre coranique
Le lendemain, c’est munie d’une adresse approximative et du numéro de Oustaz Ba que nous nous rendons au Daara vers 14h. Le taxi s’arrête au niveau du Centre culturel de Grand Dakar où nous attendent deux talibés mandatés pour nous montrer le chemin. On abandonne la route goudronnée pour nous engager dans un vaste terrain sablonneux anarchiquement occupé. On y voit des lingères, des vendeurs de café, quelques kiosques ainsi que des coqs et du bétail en errance. On finit par arriver au daara. Il s’agit d’une modeste construction. A l’intérieur se trouvent trois pièces servant de dortoirs et de lieux de dévotion. Oustaz Ba nous accueille dans la cour au milieu de sa vingtaine de talibés venus essentiellement de Kolda et de la Guinée. Vêtu d’un grand boubou bleu, c’est un homme d’une quarantaine d’années au visage avenant et qui s’exprime d’une voix basse. Aucun des enfants rencontré ne présente de signes apparents de traumatisme ou de maltraitance. Ils semblent avoir pour leur Oustaz une dévotion qui n’est pas feinte. «Ce sont les parents qui me confient ces enfants mais c’est Dieu qui surveille mon attitude par rapport à eux. C’est pourquoi j’essaie toujours de les traiter avec humanité», confie-t-il. Il montre du doigt deux enfants et explique : «Ce sont mes propres fils mais je ne fais aucune distinction. J’attends la même discipline de tout le monde et je dispense la même compassion à tout le monde.» Concernant la discipline, les enfants se réveillent à 6h du matin et vont se coucher à 22h. Une journée faite de prières, de mendicité, d’apprentissage du Coran et de repos. Pour ce qui est de la restauration, il y a trois possibilités : les enfants se partagent ce qu’ils reçoivent dans la rue, le Oustaz leur achète à manger avec l’argent collecté ou alors une bonne volonté apporte de la nourriture comme aumône. C’est par exemple le cas aujourd’hui. Les enfants mangent du thiakri apporté par une dame.
Un Oustaz qui se soucie de ses talibés
L’argent collecté servirait aussi de fond de secours en cas d’urgence. «Cet enfant a été mordu par un chien. Nous l’avons amené à l’hôpital avec cet argent», raconte-t-il. Il dit prendre très au sérieux sa responsabilité de maitre coranique si bien que les enfants finissent le Coran avant d’avoir 12 ans. Après, ils peuvent rentrer en famille ou rester pour étudier la sharia ou loi islamique. «Le fait que les enfants ne grandissent pas dans l’opulence ne veut pas dire qu’ils ne reçoivent pas une bonne éducation», argumente-t-il. Pour lui, le plus important est d’inculquer des valeurs aux enfants et de les préparer aux dures réalités de la vie sans les exposer à la cruauté. «Je ne violente jamais les enfants. C’est pourquoi je peux rendre grâce à Dieu qu’aucun des miens n’ait jamais fugué ou créé des histoires», conclut-il. Les talibés grandissent, privés de la présence des parents, privés d’école, privés de confort et parfois exposé à la faim et à la violence. Pour ces raisons, ce ne sera jamais une situation souhaitable pour un enfant. Néanmoins, en se montrant bienveillant et protecteur, ce maitre coranique apporte à l’éducation de ces enfants une composante essentielle qui fait défaut à certains enfants privilégiés : l’affection.