DIAGNOSTIC D’UN MAL PROFOND
Avec une vingtaine de morts en une semaine, l'urgence d'agir contre les accidents routiers n'a jamais été aussi criante. En cause : surcharges, excès de vitesse, véhicules vétustes, mais aussi un manque de volonté politique face aux pressions
La semaine meurtrière sur les routes avec une vingtaine de personnes tuées remet sur la table la lancinante question de la sécurité routière et la réduction des accidents sur la route. En attendant de voir les dernières applications prises par les nouvelles autorités, retour sur les causes de ces drames et des solutions pour circonscrire le mal.
Après l’accident mortel de Sikilo, qui a fait près d’une cinquantaine de décès en 2023, le gouvernement sortant a multiplié les réunions avec les acteurs concernés, à la recherche de solutions. A cet effet, plusieurs propositions ont été adoptées et des notes pour leur application mises en circulation. Seulement, il faut remarquer qu’à chaque fois, c’est l’Etat qui lève le pied face aux chantages et menaces des transporteurs d’aller en grève.
L’on se souvient, aujourd’hui, de l’interdiction du dépassement d’une certaine hauteur des porte-bagages des véhicules de transports en commun. Face à cette directive, les transporteurs avaient demandé au gouvernement de leur permettre une certaine masse afin qu’ils puissent s’en sortir. Motion accordée par le gouvernement, ces derniers ont abusé de cette faveur, reprenant les mauvaises habitudes avec des surcharges monstres.
Que dire tout récemment à la gare des Baux Maraîchers, des conducteurs mettant des chaises en plastique à la place des «Versailles» interdites. N’eut été la vigilance des Forces de veille et de sécurité de cette gare, des clients allaient s’embarquer dans ces conditions déplorables.
En plus de ces comportements, plusieurs conduites sont à blâmer, à l’origine souvent de ces accidents. Dans les agglomérations, des conducteurs aiment s’adonner à des courses poursuites avec leurs pairs, à la recherche de clients, sans se soucier des personnes transportées et encore moins des autres usagers de la route. Une action qui conduit très souvent à l’excès de vitesse, considéré par les services de l’Etat comme l’un des principaux facteurs des accidents notés, avec 28% des cas contre 23% pour l'alcool.
Surcharges et vétusté des voitures
Les surcharges dans les transports en commun ne passent plus inaperçues. A Dakar, ce sont maintenant les bus Tata qui battent le record de l’incivisme sur les routes, survis des cars rapides. Dans l’exiguïté de ces véhicules, les clients bravent la chaleur, le manque d’oxygène, en plus des longs embouteillages. Une situation qui joue dans la dégradation de la santé des populations. Au niveau du ministère chargé des Transports terrestres, le ministre El Hadji Malick Ndiaye a fait savoir, jeudi dernier, dans le département de Koungheul, suite à l’accident qui a coûté la vie à 14 personnes, que ces facteurs humains sont responsables de plus de 80% des accidents survenus sur les routes sénégalaises. Ainsi, il est aussi à noter, d’après le ministère, que pour chaque personne présumée responsable d'accident mortel, les Forces de l'ordre peuvent enregistrer jusqu'à trois facteurs dont les surcharges, l’état des véhicules, l’excès de vitesse.
Dépassement dangereux
Dans la plupart des cas, les accidents sont dus à des dépassements dangereux surtout concernant les longs voyages et dans les grandes artères des villes. Sous l’effet de la précipitation, des gens commettent l’irréparable. Beaucoup de conducteurs ne respectent pas les règles propres à cette opération, alors qu'elles sont inscrites dans le Code de la route. Il s’y ajoute le changement brutal de couloir qui est aussi à l’origine de plusieurs accidents notés notamment chez les véhicules domestiques.
Quand l’État montre la voie
Si l’Etat a réussi à instaurer la discipline dans le transport public, cette même volonté peut s’appliquer dans le privé. L’Etat a démontré sa force de frappe pendant les festivités de la Tabaski, en faisant voyager les Sénégalais en sécurité et à moindre coût à bord des véhicules de la société de transport public Dakar Dem Dikk (DDD). Aucun incident n’a été noté, malgré les multiples rotations. Le même processus sera adopté pour transporter les pèlerins désireux de rendre à Touba pour le Magal, à partir de ce 21 août. Une situation qui doit conduire au renouvellement immédiat du parc automobile dont la majorité des véhicules traine des défaillances techniques ainsi que la formation des transporteurs. Au niveau de la recherche, pour une meilleure planification, le Sénégal n’enregistre pas de données.
Absence de planification
Selon des doctorants de Dakar qui ont mené des enquêtes sur la question en 2021, il y a une absence d’études permettant d’identifier le coût de ces accidents de la route. Cette contrainte documentaire pose, selon eux, plusieurs problèmes notamment la possibilité d’évaluation des différents programmes de prévention. Il reste ainsi beaucoup à faire pour améliorer la sécurité routière au Sénégal. Pour cela, quelques propositions basées sur les résultats de leurs études montrent qu’il faudrait orienter et développer la recherche dans ce domaine en économie de la santé. A cet effet, ils ont proposé la «tolérance zéro» dans les cas d’infractions au Code de la route, en précédant par exemple au retrait immédiat du permis de conduire et à la mise en fourrière du véhicule. L’Etat peut, dans ce cas, mettre en place des Tribunaux de la route, avec des magistrats spécialisés dans la circulation routière. Il y a aussi l’amélioration de la prévention, en développant l’éducation à la sécurité routière notamment en insérant dans les programmes scolaires des cours relatifs au thème.
Pour le cas des assurances, ils préconisent d’utiliser une part de leurs ressources en vue de contribuer à la prévention des accidents de la route. Mettre l’accent sur la lutte contre la corruption au niveau des contrôles techniques, le renouvellement du parc automobile ainsi que l’interdiction de la circulation des grands véhicules de type camions et camionnettes à l'usage transports urbains et marchandises durant les heures de pointe, de 12 heures à 18 heures où on constate un pic dans le débit du trafic urbain est aussi une solution. De telles propositions figurent dans les recommandations des dernières assises du transport. Aujourd’hui, la balle est dans le camp du gouvernement ; il faut la jouer et non la laisser au repos.