FIGURE EMBLÉMATIQUE DE TIVAOUANE
Petit frère de Maodo Sy, Serigne Babacar Sy ou affectueusement appelé Ndiol Fouta, est un homme de conviction et d’une fidélité remarquable.
«Ndiol Fouta !» C’est le nom souvent attribué à Serigne Mbaye Sy Abdou, sûrement en souvenir de ses brillantes études à Thilogne dans la région de Matam, au Nord du pays. Le saint homme au «Laafa Banjul», communément appelé «Cabral», un bonnet en laine bordé de carreaux zigzagants, qu’il arbore avec humilité et fierté, avec élégance aussi, reste une figure emblématique de l’islam. Pourtant, son vénéré père, Mame Abdou Aziz Sy «Dabakh» (Rta), aurait préféré qu’on l’appelât Serigne Babacar dont il portait le nom.
Petit frère de Maodo Sy, Serigne Babacar Sy ou affectueusement appelé Ndiol Fouta, est un homme de conviction et d’une fidélité remarquable. De par sa haute stature physique, morale et civique, son esprit, sa connaissance des hommes et ses prises de conscience des problèmes de la société, Serigne Mbaye Sy Dabakh, un homme effacé, est déjà très remarqué du fait de sa présence dans les daaras de Tivaoune. Sa connaissance ordinaire et gnostique, peu semblable du reste, révèle en réalité que seul celui qui fait fi du savoir aura la connaissance pure. Ainsi, il est à l’image de son père, Dabakh, un guide religieux très énigmatique, doté d’une moralité et d’une probité légendaires. Dans ce sillage, sa préoccupation première est de revivifier les valeurs patriarcales comme il se plait à le dire : «Il n’y a dans ce monde que la vertu, le savoir et la vérité qui soient dignes de m’occuper.»
Serigne Cheikh Oumar Sy Djamil renseigne qu’«il se raconte qu’un jour, après avoir observé pendant quelques minutes que Pape Serigne Mbaye ne répondait pas aux interpellations par ce pseudonyme, Mame Abdou avertit l’assistance : «D’autant plus qu’il ne réagit pas lorsque vous dites Ndiol Fouta, je vous supplie de ne plus l’appeler ainsi. Je lui ai donné le nom de mon frère, ami et marabout, Serigne Babacar Sy, et par ce nom, je voudrais que vous vous adressiez à lui !».»
Et de poursuivre : «Entre Pape Serigne et Mame Abdou s’est créée depuis longtemps, une complicité tendre et affectueuse. Nous sommes au début des années 80 et le jeune étudiant de l’Université Quarawiyine à Fez, au Maroc, était venu en vacances d’été. A ce moment, il sentit avoir amassé suffisamment de connaissances dans les allées de la Médina où repose Cheikh Ahmed Tidiane Chérif (fondateur de la confrérie tidiane). Il alla alors rencontrer son père pour lui annoncer qu’il ne voulait plus retourner au Maroc et qu’il préférerait rester au Daara de Seydil Hadji Malick Sy pour perpétuer son legs.
En réalité, sans que personne n’y prêtât attention, il avait entendu quelques années auparavant, Mame Abdou formuler le vœu de voir un jour «Ken ci xaleyi» (xalé dans le jargon de la khaadara ne veut surtout pas dire enfant, mais plutôt un membre de la famille) lui succéder dans la gestion pédagogique et administrative de ce daara, héritage de Mame Maodo. Pape Serigne, lui, avait enregistré ce souhait quelque part dans son cœur.»
Rester à Tivaouane et s’occuper du Daara de Seydil Hadji Malick Sy (Rta)
A l’annonce de cette nouvelle, Mame Abdou sursauta de son fauteuil pour l’avertir que c’était une lourde décision et qu’il voudrait prendre en témoin Seydil Hadji Malick (Rta). Il le prit par la main pour aller se recueillir ensemble devant le Mausolée de Mame Maodo, où il lui demanda de répéter les paroles qu’il venait de lui adresser. Pape Serigne répéta sans hésitation ni ambiguïté : «Oui je veux rester à Tivaouane pour m’occuper du daara laissé en héritage par Seydil Hadji Malick Sy (Rta).» Depuis ce jour, il ne quitte plus ce lieu de culte et de connaissances. Des milliers de talibés y psalmodient le Coran à longueur de journée ou tentent d’y mémoriser le Livre saint à haute voix. Un concert polyphonique, fait d’une symphonie de voix enfantines, se crée autour de valeureux maîtres coraniques. Aujourd’hui, plusieurs animateurs des plateaux religieux de nos télévisions, privées comme publiques, ou qui brillent dans les Gamou et conférences pour raconter avec éloquence l’histoire du Prophète (Psl), ont été formés par Serigne Mbaye Sy Abdou lui-même.
Une tendre jeunesse à Thilogne au Fouta
Avec son allure élancée rappelant celle de Mame Maodo, cet intellectuel arabophone, privé des années glorieuses de Tivaouane, est envoyé passer onze années de sa tendre jeunesse à Thilogne au Fouta, pour être formé auprès du grand érudit, Seydi Thierno Abdou Khadre Ly, en compagnie de son jeune frère, Serigne Cheikh Tidiane Sy (ambassadeur du Sénégal en Arabie Saoudite). Ceci va lui permettre de parler couramment la langue de Cheikh Oumar Foutiyou Tall. Il arrive ainsi à faire des dictons et à raconter des anecdotes en pulaar, ou à faire des études lexicales comparatives entre le pulaar et le wolof. Bref, il manie cette langue comme personne d’autre au Sénégal(Mca); ce qui lui vaut une très grande affection en milieu halpular.
Humilité, sacerdoce, mansuétude, sagesse, fidélité, «kersa» à la limite de la timidité, sont les traits de caractère les plus connus de Pape Serigne Mbaye. Ce qui est moins connu de lui, c’est principalement son souci de préserver un statut sincère du musulman sénégalais qui se caractérise par la tolérance, la droiture et un sens élevé de l’abnégation. Pape Serigne Mbaye se demande souvent : «Sommes-nous de véritables musulmans ?» Ou alors : «Nous disons souvent que la population sénégalaise est composée de 95% de musulmans, est-ce vrai ?» Ses conférences publiques sont très interactives. Il n’hésite pas à se prêter à un jeu de questions-réponses entre ses interlocuteurs et lui sur la pratique religieuse. Ses vidéos d’enseignement sur des pratiques telles que le Tayammom ou la prière courent les réseaux sociaux (Facebook, Whatsapp, etc.).
Avec une voix mélodieuse, il lui arrive également de chantonner les quassidas des grands érudits de Tivaouane, rivalisant ainsi avec les chanteurs les plus connus de notre époque. Son discours sur les préparatifs du mariage tels qu’enseignés par Seydil Hadji Malick est d’une haute facture intellectuelle. D’ailleurs, une de ses occupations quotidiennes est de reconstituer la bibliothèque de référence de Seydil Hadji Malick Sy (Rta), sur la base des ouvrages avec lesquels ce dernier a fait ses humanités. Il n’est pas rare de tomber sur des livres avec des annotations et commentaires du patriarche de Tivaouane sur les sujets qui y sont abordés et toujours en conclusion, la mention : «Tere bi amelatumako axx.» (En somme, il s’est acquitté de son devoir moral vis-à-vis du livre en le lisant en entier). Cette bibliothèque regorge également de livres rares sur tous les sujets ayant trait à la religion musulmane, y compris les attaques qui sont faites à son encontre.
Comment Mame Abdou m’a appris à contenir ma colère et à maîtriser mes nerfs
Selon Serigne Cheikh Oumar Sy Djamil, discuter avec Pape Serigne sur la sociologie religieuse est un vrai régal, et ses enseignements sont ponctués d’anecdotes. C’est le cas lorsqu’il raconte comment Mame El Hadji Abdou lui a appris à contenir sa colère et à maîtriser ses nerfs. «Un monsieur s’est un jour présenté devant Mame Abdou en proférant des menaces et en débitant des mots assez déplacés.
Sentant mon visage se rétrécir et prêt à en découdre avec lui, Serigne Abdou m’ordonna, quelques heures après, d’aller chercher des denrées alimentaires (riz, huile, sucre, etc.) et m’intima l’ordre d’aller les charger moi-même dans le véhicule. Ce que je fis avec beaucoup de plaisir et d’enthousiasme», raconte Ndiol Fouta.
Et de poursuivre : «Ensuite, il me demanda de l’accompagner. Cependant, je ne m’attendais pas à ce que Mame Abdou s’arrêta devant la maison de la personne qui avait osé le défier chez lui. Il me fit comprendre ensuite que je devais décharger moi-même ces vivres chez la personne impénitente. Depuis ce jour, «Sène Mame» a ôté de moi tout sentiment de haine quelconque envers mon prochain.» Il ajoute qu’«une autre fois, Mame Abdou m’invita à prendre le café avec lui. Au moment où les premières saveurs de la caféine effleurèrent mon palais, j’émis le son «Ahh». «Sène Mame» réagit aussitôt en me rétorquant : «Serigne, à partir d’aujourd’hui, je te prie de ne plus boire du Café.»
Sans en comprendre la raison, je m’exécutai tout en prenant mon mal en patience. Au bout de six mois d’abstinence, El Hadji Abdou m’appela à Diacksao et m’annonça : «Maintenant tu peux recommencer à boire du café. Néanmoins, ne fais plus comme la dernière fois où j’ai senti en toi l’unique volonté de satisfaire un plaisir terrestre (top sa bakan), en disant «Ahh», alors que tu dois juste apprécier ces moments comme une miséricorde qui t’a permis de pouvoir prendre ce verre et de le boire sans aucune contrainte divine. (Yalla rek nga wara guiss boy nan sa café).»» De pareilles leçons de vie ont forgé la générosité de Pape Serigne Mbaye Sy Abdou.