GABOU, PORTE DU BOUNDOU ET TERRE D'ÉMIGRÉS
C'est l’une des 12 communes du département de Bakel. Enclavée et difficile d’accès, elle sort petit à petit de l’ornière grâce à l’émigration, l’agriculture, le commerce et l’élevage
Gabou est l’une des 12 communes du département de Bakel. Enclavée et difficile d’accès, elle sort petit à petit de l’ornière grâce à l’émigration, l’agriculture, le commerce et l’élevage. À la découverte de la porte du Boundou, de son histoire et de ses spécificités.
Quelque 25 km séparent Bakel de la commune de Gabou. Mais le voyage semble durer une éternité. Si l’axe Kidira-Toumbacounda est bien goudronné, bien luisant, ce n’est pas le cas pour la distance Bakel-Gabou. C’est le parcours du combattant pour le voyageur. Il slalome les crevasses, bondit sur les nids de poule. Pire, il est souvent obligé de quitter la chaussée pour des pistes latéritiques… Plus d’une heure de calvaire, avant de voir le bout du tunnel.
Ce lundi matin, on tombe sur une commune en effervescence. C’est l’un des mérites du marché hebdomadaire qui mobilise des milliers d’acteurs économiques. Les camions ne cessent de convoyer les denrées telles riz, maïs, etc. Sous le chaud soleil, les dockers débordent d’énergie, suent à grosses gouttes.
De l’autre côté, la vente d’habits attire l’attention de plusieurs jeunes qui ont fini d’installer leurs tentes. À côté de l’humain, le bétail broute l’herbe, dans une pittoresque et verdoyante nature. Avenants mais vigilants, les éleveurs veillent sur les centaines de têtes.
À Gabou, les huttes ont presque chuté. La plupart des maisons sont en dur. Comptant plus de 24.000 habitants répartis dans 44 villages dont 39 électrifiés, elle est la porte du Boundou. Sa population est constituée par les Peuls, qui sont les premiers à s’y installer, viennent ensuite les Soninkés et les Bambaras. « Les Peuls sont les premiers à s’installer à Gabou. La famille Sy qui assure la Chefferie a ensuite accueilli les autres groupes. Les Bambaras viennent du Mali et sont descendants d’une femme appelée Aïssa Coulibaly qui a rejoint son mari à Gabou avec beaucoup de ses parents. Les Soninkés proviennent de la famille maraboutique Wagué venue du Fouta et accueillie par mon arrière-grand-père pour diriger les prières », détaille le chef de village de Gabou, Bocar Sy.
Terre d’émigrés
Pendant que le marché hebdomadaire bat son plein. Des jeunes se débrouillent dans un atelier de menuisier. L’un d’eux, Modou, a acquis l’expertise à Dakar pour monnayer son talent auprès des siens car il n’y a pas beaucoup de professionnels dans ce domaine. « Ces métiers sont rares ici, car la plupart des jeunes émigrent avant même l’âge de 20 ans. Il y a une forte colonie de Gabou en France. Ce sont eux qui portent quasiment l’économie. Les maisons en dur que vous voyez sont construites pour la plupart par eux. Idem pour les boutiques et cosmétiques », explique-t-il.
Devant un dépôt, Abdoulaye Faye manipule sa calculatrice. Très courtois et souriant, le bonhomme de grande taille propose une séance de thé. Le temps de parcourir les spécificités de la localité. « À mon avis, la première activité, c’est l’émigration. Après, viennent l’agriculture, l’élevage et le commerce. Ce sont les émigrés qui gèrent les maisons. Sans eux, les gens allaient mourir de faim et boire dans les mares », assure le commerçant au teint noir. « Rares sont les familles qui n’ont pas de parents en France. C’est leur destination préférée. Ainsi on compte, au minimum, un émigré par famille », souligne-t-il.
À côté de lui, Ousmane a fini de ranger quelques billets dans un portefeuille noué à la ceinture. Il n’est pas originaire de Gabou, mais il y séjourne depuis plusieurs années dans le cadre de ses activités économiques.
Âgé de 52 ans, il dépeint une localité fortement marquée par la solidarité familiale. « Ici, tu as l’impression que les gens n’ont aucun souci. Tellement ils sont modestes. Mais il y a plusieurs hommes et femmes qui détiennent la nationalité française et se déplacent quand ils veulent. Cela est, à mon avis, favorisé par une solidarité familiale ancrée dans leurs cultures. Si un émigré s’en sort bien, son premier réflexe est de transformer la maison familiale et ensuite de payer le billet pour son frère. Ça, c’est une réalité », soutient le commerçant.
Agriculture et élevage, les activités dominantes
Malgré la forte canicule imposée par une température qui a atteint les 40 degrés, Gabou vibre au rythme de l’activité économique et commerciale. Des centaines d’éleveurs guettent les clients et s’égosillent pour interpeller les passagers à bord des divers véhicules. En pantalon bouffant, le « tengadé » (chapeau traditionnel) sur la tête, Aboubacar a, devant lui, une trentaine de têtes. Et Gabou est son principal point de chute. « C’est un carrefour. Gabou est â 25 kilomètres de Bakel et à 40 kilomètres de Kidira. C’est un passage obligé pour tout voyageur. Et nous en profitons pour exposer nos troupeaux au bord de la chaussée. Et les voyageurs n’hésitent pas à acheter », sourit-il, déplaçant difficilement un abreuvoir. Aliou Sylla a quasiment le même accoutrement. Du boubou aux chaussures en plastique, il est tout en bleu. À l’aide d’un bâton solide, il oriente et canalise sa dizaine de têtes de moutons et de chèvres. Vivant à Gabou, il capitalise 25 années dans le secteur de l’élevage. Il y est né d’ailleurs. Et c’est son filon, son gagne-pain. « La forêt est immense. Donc l’élevage est une activité propice à Gabou. Et nous nous en sortons, même si nous souffrons des braquages et du vol de bétail. Nous approvisionnons même des marchés hebdomadaires », dit-il, à un taximan, qui assure la traduction.
Non loin de cette aire de repos et de business des éleveurs, les plants poussent. C’est la rayonnante verdure. En tee-shirt vert, Moussa Gaye, travailleur saisonnier, se confond avec la nature. Dans ce champ, ses collaborateurs et lui cultivent de la carotte, du chou et d’autres légumes. Les récoltes sont ensuite acheminées vers les marchés permanents et hebdomadaires. « À côté de l’élevage, il y a l’agriculture, notamment le maraîchage. Ici, les légumes ne sont pas chères, car les productions sont importantes. En un mois, certains gagnent près d’un million de FCfa », indique le trentenaire. Même si l’activité marche bien, il souffre des difficultés d’accès à l’eau. « Parmi les problèmes auxquels nous sommes confrontés, il y a la maîtrise de l’eau. Les systèmes modernes d’arrosage ne sont pas assez développés. L’eau des mares est également polluée par endroit. Son utilisation comporte des risques », décrie Moussa.
Du social et des initiatives de développement
À Gabou, deux choses sont chères aux populations, notamment les émigrés. L’une est la solidarité familiale, l’autre est l’implication pour un meilleur cadre de vie et le développement. Ainsi souligne Ousmane, dans plusieurs villages de la commune, les populations qui se sont mobilisées pour la construction d’infrastructures telles que les écoles, les garderies d’enfants. « Je peux compter plusieurs villages dans lesquels l’Etat n’intervient que pour l’affectation d’enseignants et du personnel de santé. Car les émigrés s’impliquent et n’hésitent pas à se cotiser pour construire ou réhabiliter une école ou un poste de santé », dit-il. Abdoulaye Faye embouche la même trompette. « Certes l’Etat a électrifié près de 40 villages et accompagné les éleveurs et les agriculteurs, mais les populations, fortement appuyées par les émigrés, jouent un rôle essentiel ». « Des millions sont investis chaque année dans des projets sociaux, contribuant ainsi au bien-être des populations », assure Abdoulaye Faye.
Pour le chef de village, Bocar Sy, les émigrés jouent un rôle à la fois social et économique. « Les émigrés accompagnent l’Etat. Ils ont contribué à la construction d’un forage, d’un château d’eau et à l’installation des robinets partout dans le village. Ainsi que d’autres infrastructures telles que la grande mosquée de Gabou. Pendant la fête de Korité, des tas de viande sont distribués aux populations », informe le chef de village de Gabou, Bocar Sy.
Le Peul, le taureau et l’origine du nom Gabou
D’où viennent les noms des villes et villages ? C’est une question qu’on se pose souvent. À Gabou, le secret est dévoilé. Et tout est parti d’une prédiction d’un soufi se basant sur un taureau et un berger peul. « Il y a eu des tiraillements et un marabout leur a dit qu’il allait mettre le pouvoir sur le taureau noir. L’endroit où il se couchera est le lieu où il faudra s’installer », raconte le chef de village, Bocar Sy. « Dieu a fait qu’ils ont suivi le taureau jusque dans un village. Subitement, l’animal se coucha à côté d’un Peul. Comme ce dernier s’appelait Gabou Ndendé, Gabou a été retenu comme nom du village. Cet homme venait du Fouta, précisément de Kobilo », indique-t-il.