«IL FAUT PLUS D’OUVERTURE ET DE RESPECT POUR L’AFRIQUE»
Entretien avec Ababacar Thiakh, historien sénégalais vivant en Espagne :
Historien de formation, Ababacar Thiakh a passé plusieurs années en Europe, où il réside. Membre de la Coordination des associations sénégalaises de Catalogne et président de la Fédération Bidayatoul Xitma qui englobe les dahiras mourides de Catalogne, il est membre du Centre de recherche (Crea) de l´université de Barcelone. Président du Gie Senegal development consulting qui a pour but d’aider nos compatriotes à investir sur l´écosystème de l´économie sociale solidaire, il a eu à coordonner depuis quelques années, le projet Diomcoop dans ce secteur, avec la mairie de Barcelone. Le projet a permis de régulariser plus de 15 Sénégalais qui vivaient de la vente ambulante.
Le Sénégal vient de si¬gner une Convention bilatérale de sécurité sociale avec l’Espagne. En quoi cela peut aider les Séné¬galais établis en Espagne?
Je pense que c’est une bonne initiative et nous méritons cette convention, car tout travailleur doit récolter les fruits de son travail. Maintenant, c’est important de dire que ce ne sont pas tous les Sénégalais qui vont bénéficier de cette convention. Par exemple, ceux qui n’ont pas de papiers n´auront pas droit à cette sécurité sociale et ce sont des milliers à cause de la loi espagnole.
Le document prend-il en charge les préoccupations en termes de prise en charge sociale des migrants et leurs familles ?
Au fait, on n’a pas encore reçu le document. Nous demandons à ce qu’il y ait une publication et une vulgarisation du contenu pour situer les responsabilités.
Est-ce qu’on pourrait envisager un ou des avenants dans la mesure où il y aurait des insuffisances?
Bien sûr, une fois la lecture faite. Par exemple, la prise en charge des sans-papiers qui travaillent dans l´économie informelle, la protection sociale des femmes, les malades mentaux, les migrants de retour, etc.
Les migrants irréguliers établis en Espagne ou de retour, ne sont pas pris en compte par cette convention. Quel commentaire faites-vous par rapport à ce constat ?
Je crois que ce sont des manquements à prendre en compte. On a tous cotisé.
Est-ce que la signature d’une telle convention peut aider à l’émigration sûre, ordonnée et régulière ?
Je crois que la signature de cette convention est importante si réellement c’est pour impliquer tous les acteurs, en premier lieu les migrants, et non pour une politique de gestion des flux migratoires que l’Europe impose ses règles au Sénégal. En fait, toute personne devrait avoir la possibilité de voyager de manière sûre, malheureusement ce n’est pas le cas parce que beaucoup de nos frères ont perdu la vie en mer.
Quelles sont les préoccupations d’ordres existentiel et social des ressortissants sénégalais en Espagne ?
La liste est longue : le racisme, le manque d’opportunité, le deuil migratoire, les permis de séjour, la cohésion sociale, le vivre-ensemble, etc.
Le discours migratoire n’est pas en faveur de la migration. Qu’est-ce qu’il faut pour reconstruire le narratif migratoire africain ?
On devrait changer de paradigme pour éviter une gestion des migrations qui cherche à contrôler et sécuriser les frontières dans un monde global. Il faut plus d’ouverture et de respect pour l´Afrique. On a beaucoup donné aux autres.
Est-ce que les politiques publiques intègrent vos préoccupations en tant qu’acteur du développement?
Je crois que les politiques publiques ont leurs feuilles de route, mais il serait intéressant d’établir des processus participatifs et être à l’écoute des migrants qui peuvent apporter une fraîcheur au développement de notre pays, parce qu’ils ont de l’expérience.
Que préconisez-vous pour une meilleure implication de la diaspora ou des Sénégalais de retour dans le développement ?
Je crois qu’il serait important de créer des espaces de débat pour la diaspora sénégalaise, en vue de capitaliser leur expérience ; une bonne réintégration une fois qu´elle retourne au pays ; travailler avec les localités d’origine ; cesser de les regarder comme des vaches à lait et un cadre de concertation et de partage d’expérience.
Qu’est-ce qu’il faut selon vous, pour permettre aux Sénégalais de rester travailler chez eux et lorsqu’ils veulent partir, de le faire légalement ?
Cette question est très importante. En fait, le 9 et 10 décembre 2021, avec notre Casc (Coordination des associations sénégalaises de Catalogne), on a eu à organiser, à Rufisque, une rencontre. Nous sommes convaincus qu’il faut un dialogue permanent sur la migration et le développement. C’est aussi intégrer les nouveaux défis que présentent les phénomènes migratoires présents, en nous basant particulièrement sur les objectifs du Pacte mondial, la responsabilisation des administrations locales dans la gestion des personnes migrantes (po¬ten¬tielles, réelles et retournées).
Le premier défi serait de traduire les relations que les diasporas ont avec les autorités locales concernant les politiques de gouvernance des migrations, en tenant compte que celles-ci, durant ces dernières années, sont construites sur la base de projets et programmes de développement pour le territoire, à travers une politique de décentralisation et de transfert de compétences aux collectivités locales. Faire prendre conscience aux gouvernements et les autorités locales que la gestion de la migration aussi est plus importante à leur niveau, d’autant plus que toutes les politiques sociales, économiques, qui ont un impact sur la décision de migrer, reposent sur leurs compétences. Le deuxième défi, c’est l’abordage de l’emploi et celui des jeunes en particulier, à partir de l’intervention de multi-acteurs, en misant sur la possibilité de rester et être utile chez soi, tout en garantissant un développement endogène basé sur les réalités de chaque territoire. Une nouvelle vision du co-développement, qui doit nécessairement être transformatrice et innovatrice dans la politique active des Etats et l’employabilité des jeunes.