LE QUARTIER MEDINA EST DEVENU UN HERITAGE EN PERIL
Située au cœur de Dakar, la Médina connaît plusieurs problèmes liés au cadre de vie. Autrefois surnommée le « quartier indigène », la Médina n’est plus que l’ombre d’elle-même.
Située au cœur de Dakar, la Médina connaît plusieurs problèmes liés au cadre de vie. Autrefois surnommée le « quartier indigène », la Médina n’est plus que l’ombre d’elle-même. Son riche patrimoine architectural, composé de maisons en pavillon de style colonial auxquelles s’ajoutent des bâtisses de style moderniste en vogue dans les années 50, est presque tombé en décrépitude. Cent dix ans après sa création, la vétusté du quartier et la promiscuité restent les plus grands défis.
L’avenue Blaise Diagne est l’allée la plus populaire de la Médina. Sur cet axe routier fréquenté, les bâtisses coloniales vieillissantes et les immeubles dessinent une architecture hétérogène. La Médina, ou « Médinatoul Mounawara » (la ville illuminée), est le nom donné par El Hadji Malick Sy en 1914 après le déguerpissement de six villages Lébou du Plateau, suite à une épidémie de peste.
En plein Médina, nous sommes chez Fatou Diouf ! Elle habite le quartier depuis une quarantaine d’années. Malgré la chaleur étouffante de cet après-midi, elle est à l’abri de la fumée suffocante des pots d’échappement des véhicules coincés dans les embouteillages. « La Médina où nous avons grandi n’est pas celle d’aujourd’hui. Le cadre de vie s’est fortement dégradé depuis quelques années. L’anarchie qui règne dans le quartier est invivable », déplore Fatou d’un ton désolé. Selon elle, le quartier fait face à plusieurs défis, notamment les bâtiments délabrés et les eaux usées.
Un système d’assainissement mis à rude épreuve
À l’angle des rues 41 et 22, les eaux usées stagnantes, mélangées aux détritus, rendent l’environnement du quartier jadis propre, insalubre. De petits groupes de personnes essaient tant bien que mal de se frayer un chemin à travers les tas d’immondices qui dégagent une odeur pestilentielle. Les plus maladroits finissent avec les chaussures trempées. Un problème persistant, selon Modou Bakhoum, 48 ans. Ce menuisier, vêtu en Baye Fall, est témoin de la dégradation du cadre de vie. « Le réseau de canalisation date de l’époque coloniale. Il est vétuste. Ça fait plus de 20 ans que nous vivons ce calvaire. Malgré les efforts consentis par les autorités pour bétonner la rue, le phénomène persiste », déclare Modou. Il ajoute que la rue se situe dans un marigot remblayé. « La nappe phréatique est à quelques mètres. Quand elle est saturée, les eaux souterraines se mélangent avec les eaux usées, rendant la rue impraticable aux piétons », renchérit-il.
Moussa Séne estime que la présence des flaques d’eau favorise le développement des gîtes larvaires. « Nous sommes exposés aux piqûres de moustiques. Avec les microbes, les diarrhées sont également fréquentes », souligne-t-il. À ses yeux, la remontée de la nappe est à l’origine de la fragilisation de la structure de plusieurs maisons.
Des bâtiments qui menacent ruine
À Gouye Salane (Baobab et euphorbe), rue 31, les maisons vétustes se comptent par dizaines. Sur cet axe, des édifices vieillissants, menaçant de s’effondrer à tout moment, hantent le quotidien des habitants. Les fissures sur les façades témoignent de la fragilité de certains immeubles. L’ossature en fer rouillé, qui soutient quelques balcons de ces édifices, est visible à l’œil nu. « Ces bâtiments sont vétustes, il faut les démolir complètement avant qu’il ne soit trop tard », se plaint Ngagne Niang, en pointant du doigt un immeuble récemment vidé de ses occupants. Dans la trentaine, ce riverain estime que cette situation est causée par le manque d’entretien. « Les propriétaires ne sont intéressés que par le profit. Ils ne se soucient souvent pas de l’état de leurs logements. », ajoute-t-il. Il rappelle qu’il y a quelques années, deux personnes ont été tuées dans l’effondrement d’une dalle rue 37. Selon lui, des maisons en terrasses sont transformées en immeubles sans tenir compte de la solidité de la structure. « Il y a des logements qui sont surélevés sur plusieurs étages sans qu’aucune étude préalable ne soit réalisée », déplore-t-il tout en regrettant le fait que la plupart des vieilles bâtisses font l’objet de conflits successoraux où aucun héritier ne veut endosser la responsabilité de rénover les lieux.
À Santhiaba, dans ce mythique « Penc» des Lébou de Dakar, les grandes concessions constituées de baraques surmontées de tuiles rouges rappellent la Médina de l’époque coloniale. Ici, un autre avis, en divergence avec celui de Ngagne, est exprimé par Mamadou Fall. Chapelet à la main, il murmure des versets coraniques sous l’ombre d’un baobab situé dans l’esplanade de la mosquée du quartier. Ce notable Lébou en djellaba noire souligne que « le manque de moyens explique la dégradation avancée de plusieurs bâtiments ». Selon lui, la plupart des maisons sont des domiciles familiaux. « Certains propriétaires n’ont pas les moyens de démolir et de reconstruire leurs maisons. Les édifices appartiennent à des familles nombreuses qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour les entretenir ou les rénover », estime le doyen. Il révèle que certaines maisons sont fermées depuis des années, leurs propriétaires n’ayant pas les ressources nécessaires pour les reconstruire. « Certains se contentent de rafistoler leurs bâtiments pour ensuite les louer aux plus offrants. Parfois, c’est très lucratif », admet-il, évoquant l’explosion de la demande de logements dans le quartier.
Des rues encombrées
La Médina est l’un des quartiers les mieux lotis de Dakar. Son plan en damier, composé de larges rues latitudinales et longitudinales qui s’entrecoupent en angle droit, facilite le déplacement dans le périmètre du quartier. Cependant, cette commodité d’antan est mise à mal par l’occupation anarchique de la voirie urbaine, notamment rue 24. Sur cet axe, les nids-de poule gorgés de boue noirâtre rendent difficile la circulation des véhicules. Sur les trottoirs, des enclos de moutons, des épaves de voitures et des scooters garés en vrac se côtoient. C’est le panorama de la désolation. Une situation que déplore Issa Diakhaté, 28 ans. Ce natif de la Médina est très engagé sur les questions environnementales. En sweat blanc et cheveux afro, il souligne que l’anarchie qui règne dans les artères du quartier est devenue insupportable. Selon lui, la Médina n’offre plus un cadre de vie adéquat. « Beaucoup de familles ont vendu leurs maisons. À la place, de grands immeubles surpeuplés sont construits, sans parking ni système d’assainissement adéquat », se désole-t-il.
L’architecte et urbaniste Xavier Ricou souligne que le réseau d’assainissement construit à l’époque coloniale ne peut plus fonctionner à cause de la surpopulation. « Les canalisations sont vétustes et ont été rarement entretenues après les indépendances », affirme-t-il. Cela s’ajoute, d’après l’urbaniste, aux comportements indisciplinés des populations. « Les égouts et avaloirs sont transformés en dépotoirs, ce qui contribue à la dégradation du système d’assainissement », explique-t-il.
« Il faut encore aller plus loin dans le désengorgement de la capitale »
L’urbanisation galopante a, selon lui, contribué à la destruction du charme et de l’identité du quartier centenaire. « On détruit des bâtisses coloniales, parfois de très haute qualité et adaptées à l’environnement, pour en faire des bâtiments plus rentables, de moins bonne qualité et sans identité. La Médina, qui avait une vraie âme, une vraie identité, n’en a plus », souligne Xavier Ricou. À ses yeux, le profit est privilégié au détriment du cadre de vie. « On construit pour gagner toujours plus d’argent. Des immeubles de mauvaise qualité sortent de terre comme des champignons sans respecter les principes architecturaux de base, comme l’aération, l’ensoleillement ou simplement le confort », dit-il.
Selon lui, le basculement de la Médina en « Skyline » n’est pas sans conséquence. « Ces immeubles étouffent le quartier en bloquant la circulation des vents, d’où l’absence de ventilation, l’augmentation de la pollution de l’air et des maladies respiratoires », soutient-il. Pour lui, la Médina ne peut plus contenir autant d’habitants par rapport à sa superficie. « À l’époque de sa création en 1914, la Médina avait été lotie pour loger quelques milliers de personnes déguerpies de Dakar-Plateau et accueillir les tirailleurs de retour de la Grande Guerre. L’encombrement et les embouteillages sont des illustrations parfaites de ces dysfonctionnements. Dans les années 50, un PDU (Plan directeur d’urbanisme) prévoyait de déplacer la Médina vers l’actuelle banlieue de Dakar, pour en faire des jardins. Cette idée très ségrégationniste a été abandonnée, probablement car elle n’était pas trèsréaliste », détaille-t-il. L’urbaniste indique qu’ « il serait très compliqué de régler les problèmes actuels de la Médina dont l’origine est très lointaine ». « On ne pourra pas régler tous les problèmes urbains d’un coup de baguette magique, c’est très complexe », estime Xavier Ricou. Selon lui, la vraie solution à tous les problèmes de la Médina, et de la presqu’île du Cap-Vert en général, consiste à créer de nouveaux pôles urbains hors de Dakar pour alléger la capitale. « La mise en place du pôle urbain de Diamniadio est une très bonne chose mais il faut encore aller plus loin dans le désengorgement de la capitale », explique-t-il.