L'HORREUR EXHUMÉE
Même si l'homosexualité y est réprimée par la loi et communément rejetée par la société, un tel acte de profanation d'une sépulture a choqué au-delà des milieux de défense des droits humains au Sénégal
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L'exhumation et l'incinération présumée du corps d'un homme enterré la veille et présenté comme homosexuel dans le quartier Léona Niassène de Kaolack, au centre du Sénégal, a provoqué une immense vague d'émoi, de réprobation et de condamnation ces derniers jours.
Selon les informations recueillies par l'AFP, des individus se sont présentés samedi soir au cimetière municipal à la recherche de la tombe fraîchement creusée. Ils l'ont exhurmée de force avant de traîner le corps hors des grilles du cimetière. Des vidéos largement partagées sur les réseaux sociaux montrent ensuite une foule d'une cinquantaine de personnes assemblée autour d'un grand feu, filmant avec leurs téléphones portables la dépouille en train d'être consumée par les flammes.
L'onde de choc a été immense dans le pays. Même si l'homosexualité y est réprimée par la loi et communément rejetée par la société, un tel acte de profanation d'une sépulture a choqué au-delà des milieux de défense des droits humains. Le parquet a immédiatement ouvert une enquête, tandis que quatre personnes soupçonnées d'avoir participé à l'organisation de ces agissements ont été interpellées lundi à Kaolack.
Pluiseurs organisations locales de défense des droits de l'homme comme Amnesty International Sénégal, la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'Homme et la Ligue sénégalaise des droits humains ont fermement condamné cet acte "attentatoire à la dignité du défunt et de sa famille". Ces ONG dénoncent régulièrement la stigmatisation, les violences et l'ostracisation dont sont victimes les homosexuels au Sénégal.
Bien que très rare, ce n'est pas la première fois qu'un cas d'exhumation d'une personne présentée comme homosexuelle est rapporté dans le pays. Des précédents avaient eu lieu à Thiès (ouest) en 2008 et à Kaolack déjà en 2009. L'écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr évoquait lui-même une scène similaire dans son roman "De Purs hommes", récompensé du prix Goncourt 2021.
Sur le plan religieux, de nombreuses figures musulmanes se sont élevées contre ces agissements. Serigne Cheikh Tidiane Khalifa Niasse, dignitaire mouride, a déclaré dans un communiqué sa "profonde indignation" et estimé que "cet acte ne peut en aucun cas être justifié ou toléré". Même son de cloche du côté d'And Samm Jikko Yi, un collectif conservateur qui milite pour un renforcement de la criminalisation de l'homosexualité, estimant que cette "justice populaire" était "regrettable".
Cet incident a une nouvelle fois braqué les projecteurs sur la condition précaire des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et trans au Sénégal, dans un contexte de moins en moins tolérant ces dernières années selon les associations. Au-delà du réquisitoire pénal, c'est toute une partie de la société qui rejette encore l'homosexualité, perçue comme contraire aux valeurs culturelles et une déviance importée de l'Occident.