RÉPRESSION POLICIÈRE À NEMA, LE RÉCIT ACCABLANT
Ils réclamaient le respect de la démocratie. Mais ce jour-là, c'est leur corps et leur humanité que les forces de l'ordre leur ont arrachés. Entassés dans un fourgon, passés à tabac durant des heures... Ces témoins racontent l'inimaginable
Le vendredi 17 juin 2022, des affrontements ont éclaté dans le quartier HLM Néma lors d'une manifestation pour contester l'invalidation de la liste de candidats de l'opposition aux législatives. C'est dans ce contexte de tensions qu'ont eu lieu de graves exactions de la part des forces de l'ordre, selon plusieurs témoins qui se sont confiés à La Maison des Reporters.
Rodrigue Tendeng, 38 ans, agent commercial, a vu la foule se diriger vers lui mais pensait ne rien risquer en observant la scène. Sa tentative de fuite a alors viré au cauchemar : "le pick-up des gendarmes a délibérément foncé dans ma direction", raconte-t-il. Lorsqu'il a trébuché, "toute l'équipe est descendue et c'est par des coups de pieds qu'on m'a fait monter". Durant le trajet, couché sous la banquette, il a servi de "repose-pied" aux gendarmes et a subi de nombreuses insultes, selon ses termes.
Son calvaire ne s'est pas arrêté là. Transféré dans le fourgon de la gendarmerie, "je saignais fort de la tête mais ils me défendaient d'essuyer le sang et tapaient toujours au même endroit", décrit-il. La torture s'est poursuivie avec l'utilisation de "crosses d'armes, de gros bâtons" ou encore d'un "talisman en cuir arraché violemment" à Cheikh Sourat Youssouph Sagna, ancien hôtelier de 38 ans qui dit avoir "subi les pires tortures".
I. Thiam, arrêté dans des conditions similaires après avoir été piégé en filmant les gendarmes, confirme : "Cheikh Sourat est celui qui a subi les pires tortures parmi nous, je l’ai trouvé entièrement couvert de sang". Au fil des arrestations, le fourgon s'est rempli : "La chaleur était étouffante, c'était plein mais on nous mettait les uns au-dessus des autres en nous frappant à n'en plus finir", se souvient Sidy Pascal Dhiédhiou. Même Georges Mendy, lycéen, n'a pas été épargné.
Ces détails, glaçants, font froid dans le dos. Les victimes décrivent l'inhumanité de leur supplice qui s'est prolongé tard dans la nuit à la gendarmerie de Néma. Là, une "haie cynique" de gendarmes les attendait à leur arrivée pour continuer à les brutaliser. Les conditions de détention étaient épouvantables, les cellules surpeuplées. Porté de violences en violences, contraints à signer leur procès-verbal sans droit de révision, leur calvaire n'a pris fin que le mardi suivant avec leur défèrement en prison.
Destin tragique que celui de Cheikh Sourat, le plus gravement touché. Condamné à un mois avec sursis et une amende qu'il juge injuste, il déclare deux ans après les faits : "Ils ont détruit ma vie et m'ont créé des séquelles que je ne mesure toujours pas". Une affaire qui pose de lourdes questions sur les dérives de certains membres des forces de l'ordre, dont les victimes réclament aujourd'hui justice.