POUR LE CODE DE LA FAMILLE, UN COMPROMIS ANTI-FÉMINISTE OU UNE RÉFORME ?
La députée Marème Mbacké interroge l'article 277 qui prive les mères de l'autorité parentale, mais choisit étrangement de se distancer du féminisme, ignorant ainsi une discrimination qui affecte toutes les Sénégalaises
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La question de l’autorité parentale, soulevée par la députée Marème Mbacké dans une question écrite adressée au ministre de la Justice, remet en lumière un débat central pour les organisations féminines et féministes : les inégalités structurelles du Code de la famille.
Depuis des décennies, ces organisations dénoncent un cadre juridique qui institutionnalise la domination masculine et limite drastiquement les droits des femmes, notamment en matière de parentalité.
Dans le Code de la famille sénégalais, c’est l’article 277 qui traite précisément la problématique soulevée par Mme Mbacké. Cet article reconnaît l’autorité parentale aux deux parents, mais en confie l’exercice exclusif au père, tant que le mariage subsiste. En posant un regard restrictif sur cette question, uniquement comme une préoccupation des femmes de la diaspora, la députée semble ignorer que ce problème touche toutes les Sénégalaises.
Curieusement, l’honorable précise que sa requête «ne s’inscrit pas dans une perspective féministe». Pourquoi cette mise à distance d’un combat qui, par essence, concerne les droits fondamentaux des femmes ? Pourquoi cette prudence sémantique qui évite soigneusement de nommer l’inégalité flagrante inscrite dans la loi ? Une réforme qui se contente d’amender un article sans toucher aux fondements mêmes du Code de la famille risque de ne produire qu’un effet cosmétique.
Ce choix politique interroge : s’agit-il d’une stratégie pour éviter d’affronter une résistance conservatrice ou d’une véritable conviction que la réforme doit se limiter à des ajustements mineurs ? Or, cette posture fragilise toute tentative de transformation réelle du cadre juridique. Il est essentiel de comprendre que l’autorité parentale ne peut être dissociée des autres injustices systémiques présentes dans le Code de la famille. L’inégalité dans la gestion des biens, l’obligation de résidence imposée aux femmes et la marginalisation juridique des mères divorcées ne sont pas des anomalies isolées : elles reflètent une vision dépassée de la famille, où la subordination des femmes est normalisée. Réformer uniquement l’autorité parentale, sans s’attaquer à ces injustices structurelles, reviendrait à ignorer la réalité des discriminations vécues au quotidien.
La réforme risque d’être un simple pansement sur une blessure profonde plutôt qu’une refonte structurelle qui garantirait une égalité réelle entre les parents. Pourtant, il faut reconnaître à Mme Mbacké le mérite d’avoir soulevé cette problématique et de l’avoir portée sur la scène politique. Remettre en question l’article 277 est une étape essentielle, mais elle ne saurait suffire si elle ne s’accompagne pas d’une remise en cause plus large des mécanismes discriminatoires qui sous-tendent le Code de la famille.
Loin d’être une menace, une approche féministe renforcerait cette réforme en lui donnant une cohérence et une portée véritablement transformative. A moins de vouloir préserver des inégalités systémiques, pourquoi craindre un cadre féministe qui ne fait que revendiquer l’égalité des droits pour tous ? Il est essentiel de rappeler que cette demande, quelle que soit la perspective dans laquelle elle s’inscrit, ne peut pas faire l’impasse sur les principes fondamentaux de justice et d’inclusion. Elle vise à rétablir une justice, non à favoriser un camp contre un autre. La refonte du Code de la famille doit être pensée de manière globale et structurelle, au-delà des considérations politiques et des résistances idéologiques. Il ne suffit pas d’interpeller sur un article en particulier sans questionner les fondements mêmes de l’organisation familiale telle que définie par la loi. C’est tout le cadre normatif qui doit être repensé pour sortir d’un modèle où l’autorité et la responsabilité parentales sont encore largement dictées par des présupposés sexistes et dépassés.
L’article 277 s’inscrit dans une architecture juridique plus vaste qui repose sur la puissance maritale consacrée par l’article 152 : «Le mari est le chef de la famille.» Une affirmation qui n’a rien d’anodin, puisqu’elle justifie à elle seule l’ensemble des dispositions légales discriminatoires à l’égard des femmes.
• Article 153, alinéa 2 : Le mari choisit le domicile conjugal sans que la femme puisse s’y opposer.
• Article 196 : Interdiction de la recherche de paternité pour les enfants nés hors mariage, les privant ainsi de droits fondamentaux.
• Article 381 : Les biens du foyer sont présumés appartenir au mari, renforçant une inégalité économique et successorale.
Toutes ces dispositions sont imbriquées : elles ne relèvent pas d’une anomalie isolée, mais bien d’un système de domination ancré dans la législation. Revoir l’article 277 sans questionner les autres textes qui en découlent, revient à rafistoler une structure dont le fondement même est inégalitaire.
Cette situation n’a pourtant rien de nouveau, et n’a pas toujours été portée uniquement par la volonté de la Société civile. En 2016, par arrêté du Garde des sceaux, un comité technique de révision des dispositions discriminatoires à l’égard des femmes a été mis en place. Ce comité, appuyé par le Pasneeg, était composé de représentants des ministères de la Santé, de la Femme et de la Justice. Cependant, au sein de ce comité, seule l’Ajs a été incluse pour représenter la Société civile. Malgré ce travail minutieux et des propositions claires et applicables, le document soumis est resté enfoui dans les tiroirs du bureau du président de la République, Macky Sall à l’époque, et depuis sans suite, démontrant ainsi une volonté manifeste d’éviter toute réforme profonde qui remettrait en question les privilèges masculins ancrés dans la législation.
Le Code de la famille, conçu dans les années 1960 comme un compromis entre droits coutumier, religieux et napoléonien, est aujourd’hui dépassé. Il ne reflète ni les réalités actuelles ni les engagements du Sénégal en matière de droits humains et d’égalité des sexes. Cette inaction illustre-t-elle un refus d’émanciper véritablement les femmes de l’emprise légale des hommes ?
Ces propositions ne se limitent pas à une simple modification de l’article 277, mais visent une refonte en profondeur du Code de la famille :
• Aligner l’âge légal du mariage à 18 ans pour tous, sans exception.
• Abolir la puissance maritale et garantir une co-responsabilité parentale effective.
• Permettre l’établissement de la filiation paternelle par différents moyens de preuve, y compris l’Adn.
• Garantir une protection juridique et financière équitable aux femmes dans le mariage et en cas de divorce.
La précision de Mme Mbacké sur l’absence d’une approche féministe dans sa démarche en dit long. Si cette interpellation parlementaire avait véritablement pour but d’améliorer la situation des mères et des enfants, elle aurait nécessairement impliqué une critique globale et structurelle du Code de la famille.
Ce que nous demandons, ce n’est pas une mesure isolée, mais une transformation structurelle qui garantisse enfin aux femmes une place égale dans la famille et dans la société. Il est temps de poser des actions concrètes qui mettent fin à l’injustice, pour le bénéfice des femmes, des enfants et de l’ensemble de la société. Que la réforme soit perçue ou non comme féministe, elle demeure essentielle pour instaurer une véritable égalité juridique.