THIAROYE 44, UNE HISTOIRE SANS FIN
Le massacre des tirailleurs sénégalais au camp de Thiaroye reste l’un des épisodes les plus marquants et sanglants de la colonisation française en Afrique
En sa qualité de président du parti Pastef, Ousmane Sonko a exprimé, dimanche, son indignation suite à la décision de la France d’honorer la mémoire de six tirailleurs sénégalais exécutés avec des dizaines d’autres par l’armée coloniale française en 1944. Il estime que ce n’est « pas à la France de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés ». 80 ans, une histoire sans fin.
Le massacre des tirailleurs sénégalais au camp de Thiaroye reste l’un des épisodes les plus marquants et sanglants de la colonisation française en Afrique. Ils ont bravé le blizzard, la neige et le froid glacial pour libérer l’Hexagone des hordes de nazis. Des milliers parmi eux ont péri dans les geôles allemandes. De la Provence aux Ardennes, ils ont été les chevilles ouvrières des victoires alliées. Après une guerre âprement disputée dans le Vieux continent, des tirailleurs sénégalais rapatriés ont réclamé leurs arriérés de solde de démobilisation. Plusieurs refusèrent de rentrer dans leurs pays et foyers sans être payés. Ce qui était normal vu l’ampleur des sacrifices consentis sur le terrain pour la libération de la Métropole.
Au matin du 1er décembre 1944, face à un mouvement d’humeur qui prenait de plus en plus de l’ampleur, des troupes coloniales et des gendarmes français, sur ordre d’officiers de l’armée française, ont alors tiré sur ces braves tirailleurs qui ne faisaient que réclamer leurs droits. Ce fut un carnage. Le bilan officiel dressé par les autorités françaises de l’époque fait état d’au moins trente-cinq tirailleurs tués sur place ou des suites de leurs blessures. Un chiffre qui reste encore sujet à controverse, des historiens estimant que le bilan était beaucoup plus élevé. Le lieu d’inhumation des soldats tués fait également débat. Des tombes individuelles ou des fosses communes ? Le mystère demeure entier. Le traumatisme et le souvenir de ce massacre sont encore béants sur le continent africain.
« Mention mort pour la France », une attribution qui dérange
Les autorités françaises n’ont jamais reconnu leur responsabilité dans le massacre de Thiaroye. Dans une Afrique de l’Ouest où les thèmes relatifs au patriotisme et au souverainisme sont d’actualité, la rhétorique des mouvements panafricanistes sur les crimes coloniaux a longtemps impacté négativement l’image de la France. Une nouvelle génération « décomplexée », qui revendique une refondation des relations franco-africaines, a vu le jour. Son objectif : Solder le passif colonial afin d’établir des relations gagnant-gagnant avec l’ancien colonisateur. Fort de constat, le président Emmanuel Macron a emboité le pas à l’ancien chef de l’Etat français François Hollande, en rompant avec une pratique du déni tant perpétuée par les différents régimes hexagonaux. Six tirailleurs africains, exécutés avec des dizaines d’autres sur ordre d’officiers de l’armée française dans notre pays en 1944, viennent d’être reconnus « morts pour la France à titre posthume ». Le 18 juin dernier, l’Office national des combattants et des victimes de guerre de la France a décidé d’attribuer la mention « Mort pour la France » à six combattants subsahariens, une décision qui « pourra être complétée dès lors que l’identité exacte d’autres victimes aura pu être établie », selon une déclaration aux médias du secrétariat d’État chargé des Anciens combattants et de la Mémoire. Il s’agit de quatre tirailleurs originaires du Sénégal, d’un de la Côte d’Ivoire et d’un dernier du Burkina Faso « Ce geste s’inscrit dans le cadre des commémorations des 80 ans de la libération de la France comme dans la perspective du 80e anniversaire des événements de Thiaroye, dans la droite ligne mémorielle du président Emmanuel Macron qui souhaite que nous regardions notre histoire en face », a indiqué le chef de l’Etat français ce dimanche 28 juillet.
Même si cette décision est saluée comme « une grande avancée », elle passe mal auprès de M. Ousmane Sonko. « Je tiens à rappeler à la France qu’elle ne pourra plus ni faire ni conter ce bout d’histoire tragique. Ce n’est pas à elle de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver, ni le type etla portée de la reconnaissance qu’ils méritent », a souligné Ousmane Sonko sur un réseau social signant son message comme chef du parti Pastef-Les Patriotes et non du gouvernement sénégalais. Il demande au gouvernement français de « revoir ses méthodes, car les temps ont changé ».
Le massacre de Thiaroye sera « remémoré autrement »
Ousmane Sonko s’est montré sceptique sur le timing de la décision de l’Elysée. « Pourquoi cette subite prise de conscience alors que le Sénégal s’apprête à donner un nouveau sens à ce douloureux souvenir avec la célébration du 80e anniversaire cette année 8 », s’est-il interrogé. Pour Ousmane Sonko, le massacre de Thiaroye 44 « comme tout le reste, sera remémoré autrement désormais ». Le leader de Pastef compte-t-il marcher sur les traces du régime du président Abdoulaye Wade qui avait fait de la question des « Tirailleurs sénégalais », une pièce maitresse des relations entre le Sénégal et la France ? Tout semble l’indiquer. En effet, lors du Conseil des ministres du mercredi 26 juin 2024, les autorités sénégalaises ont ordonné de mettre en place un Comité Ad Hoc chargé des préparatifs de la commémoration du 80e anniversaire du massacre des « Tirailleurs sénégalais », le 1er décembre 1944, au camp de Thiaroye. Le rapport de ce comité sera soumis à la haute attention du président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, au mois de septembre prochain. Cette mesure du chef de l’Etat s’inscrit dans une nouvelle étape de reconnaissance et de recherche de la vérité sur cet évènement qui a marqué la mémoire collective au Sénégal et en Afrique noire.