ABDOULAYE SARR PARTAGE SES EMOTIONS
Parcours, péripéties, anecdotes, souvenirs, perspectives…, le coach se livre
Pendant que les performances de Sadio Mané, Lamine Camara et compagnie sont saluées et épiées du côté de Yamoussoukro, loin du tumulte de Dakar, à Deni Birame Ndao, l’on prépare et couve les talents de demain. Avec 5 Can au compteur (2000, 2002, 2004 et 2012 comme entraîneur adjoint et 2006 comme principal), Abdoulaye Sarr est le technicien sénégalais le plus capé, devant Aliou Cissé qui en est à sa 4ème compétition. Acteur majeur, témoin privilégié des sélections nationales, l’actuel Directeur technique de Génération Foot revient sur le long processus de développement du football sénégalais. Parcours, péripéties, anecdotes, souvenirs, perspectives…, le coach se livre (Itw à regarder sur Quotidien Tv).
Coach, vous avez fait cinq Can, dans quel contexte êtes-vous arrivé en Equipe nationale ?
C’est une sollicitation, une demande que je n’ai jamais formulée. Je travaillais dans mon club, le Stade de Mbour. Je faisais partie aussi de l’Association des entraîneurs. Un beau soir, en allant au terrain, le téléphone a sonné. On m’a appelé, je suis retourné, j’ai pris le combiné, et c’est la Fédération qui appelait. Au bout du fil, il y avait un monsieur -qui venait d’arriver au Sénégal et qui avait fait quelques semaines- qu’on appelait Peter Schnittger. J’ai eu à le rencontrer lors de deux stages de formation, à Thiès et Dakar. Ce monsieur que je ne connaissais pas m’interroge après les salutations pour me dire : «Je suis nommé Directeur technique du football sénégalais. Je voudrais que vous fassiez partie de mon attelage et j’ai un poste spécifique pour vous : travailler avec l’Equipe U17 en tant que sélectionneur adjoint. Est-ce que cela vous convient ?» Aussitôt j’ai dit : «Oui monsieur.» Il répond pour me dire : «Bravo ! Vous êtes concis et engagé. J’aime ces réactions. Est-ce que vous pouvez être à Dakar demain à une réunion organisée à la Fédération ?» Je dis : «il n’y a aucun souci», et on s’est quittés. Je suis parti à l’entraînement diriger ma séance au Stade de Mbour. J’ai dit à mes dirigeants que le lendemain je serai absent, sans révéler le pourquoi. «J’ai une obligation qui m’amène à Dakar.»
Le soir, en suivant le journal télévisé, je vois ce monsieur qui s’exprime dans la partie sport du journal. Il déclinait ses projets et parlait de ses collaborateurs. C’est là que j’ai entendu mon nom, et le lendemain, je suis parti tôt à la réunion à Dakar. On a tout officialisé et je suis revenu continuer mon travail au Stade de Mbour où j’ai reçu beaucoup d’encouragements de mon président, de ses collaborateurs, des supporters et des joueurs. Cette structure devait se préparer aussi à mon éventuel départ pour la Direction technique nationale.
Là-bas, on a commencé un travail. C’était en 1996. J’ai pris fonction comme les autres collègues que je connaissais déjà. Il y avait Lamine Dieng, paix à son âme, qui était sélectionneur avec comme adjoint Mayacine Mar. C’était l’Equipe A du Sénégal. Les «Espoirs» avaient comme entraîneur titulaire Karim Séga Diouf, paix à son âme aussi, et Boucounta Cissé. Pour les juniors, les U20 aujourd’hui, il y avait l’actuel Directeur exécutif de la Ligue professionnelle, Amsatou Fall, et Ablaye Ba, un ancien entraîneur qui est aujourd’hui en retrait du football. L’équipe la plus jeune était les U17, qu’on appelait les cadets. J’étais là-bas avec Momar Thioune, qui était mon titulaire. Voilà les attelages. On a commencé avec un président de Fédération qui s’appelait (Alioune) Abatalib Guèye. Le ministère des Sports et la Fédération avaient confirmé.
S’il s’agissait de l’Armée, on aurait pu dire que j’ai été en rampant. J’ai fait tous les attelages : Les U20, l’équipe espoir qu’on appelle olympique aujourd’hui, jusqu’à l’Equipe A. Pour l’Equipe A, avec les différentes réformes, M. Schnittger, qui était venu pour le développement du football, sur un contrat Sénégal-Allemagne, a été projeté à la tête de cette équipe après de longues discussions entre le Sénégal et l’Allemagne. Il cherchait un adjoint et a jeté son dévolu sur ma modeste personne. C’est comme ça que je me suis retrouvé en Equipe A, comme adjoint de Schnittger. On avait une feuille de route déclinée par la Fédération. Dans notre fiche de mission, on devait qualifier l’équipe à la phase finale de la Can après avoir manqué deux éditions (96 en Afrique du Sud et 98 au Burkina Faso). L’Etat demandait donc que le Sénégal participe aussi à la fête du football africain.
Ce n’était pas facile vu le contexte de l’époque ?
C’était une mission pas facile après analyse de l’existant à ce moment, mais réalisable. On s’est mis avec tout un encadrement qui s’est déployé, avec la Fédération et le ministère, jusqu’à atteindre l’objectif. Le Sénégal, après un parcours très difficile avec des déplacements très lointains -jusqu’au Zimbabwe-, a pu sortir de son groupe et se qualifier pour la phase finale de la Coupe d’Afrique Ghana-Nigeria. C’était la première co-organisation de la Caf. Après le tirage, on était basés au Nigeria. C’est après cette phase finale qu’on a vu une Equipe du Sénégal qui donnait quelques promesses dans le jeu. Avec la politique menée, on a un peu changé la donne en faisant venir des expatriés. Avant, c’étaient les «Sénéf», c’est-à-dire les Sénégalais de France, avec un nombre limité. On a eu un joueur comme Khalilou Fadiga en Equipe nationale. Il a participé à cette campagne. Il y avait d’autres comme Salif Keïta (Belgique), Adama Guèye (Belgique), Omar Daf (Sochaux), etc. On a concocté un groupe qui a participé à la campagne du Nigeria, et cela s’est bien passé.
La base, c’étaient les joueurs locaux du Jaraaf et de la Ja au départ ?
Oui. Cette année-là, la Ja avait monté un grand groupe avec feu président Omar Seck. Ce groupe avait fait une finale de la Coupe Caf et était la base de la sélection. Il y avait feu Assane Ndiaye, Malick Diop, Pape Niokhor Fall, Omar Traoré…, qui avaient fait leurs classes au Sénégal. Petit à petit, on a fait des greffons en appelant des Sénégalais qui étaient ciblés comme Fadiga. Ce groupe a trouvé de l’équilibre, et dans le jeu, le Sénégal a présenté un visage rassurant. On n’était pas les grands d’Afrique, mais il y a toujours eu de grands joueurs au Sénégal. C’est une écurie en matière de football et de grands joueurs sont passés par là, et ça perdure. C’est bien pour l’avenir. A ce moment, on ne parlait pas de l’avènement des académies. Il y avait les clubs traditionnels qui géraient le football et produisaient de grands joueurs.
Et vous êtes partis à Lagos où était logée votre Poule…
C’est comme cela qu’on a fait un groupe avec Peter Schnittger que je salue au passage et remercie pour son implication dans le réveil et le développement du football sénégalais. On a tendance à l’oublier, mais il fait partie des bâtisseurs. On est donc retournés en Can après deux éditions manquées. C’étaient les retrouvailles avec le football africain, mais le groupe n’était pas ridicule dans le jeu. On a été éliminés en quart de finale par le pays organisateur, le Nigeria, qui finit par être le finaliste. Ce Nigeria, avec Kanu, Taribo West, Aghawa…, avait de grands joueurs. On a eu des prestations dignes de ce nom. Ce pays finaliste et organisateur, on l’a tenu en haleine en quart à Surulere pendant des minutes. On a mené les débats dès la 7ème minute par un joli but de Fadiga sur un centre de Henri Camara. Ce groupe a servi de base pour la postérité. Depuis Nigeria, le Sénégal a enchaîné les participations.
En 2000, lors de ces quarts de finale, le match s’est déroulé dans une ambiance électrique…
Electrique ! Avec des chevaux qui sont entrés sur le terrain.
Comment vous l’avez vécu ?
On a même failli arrêter, mais nos dirigeants, conscients de l’image de l’Afrique, nous ont demandé de continuer quelles que soient les conditions dans lesquelles on devait jouer. Je crois que le vice-président chargé des compétitions, feu Mbaye Ndoye, est venu vers le banc pour nous demander de reprendre le match. Il y avait aussi un problème de sécurité qui s’est posé. Les joueurs n’étaient pas sereins. Continuer un match aussi important dans ces conditions, c’est prendre des risques, mais quand on a le bon mental et quand on défend une certaine image de notre pays et de notre continent, il ne faut pas donner aux yeux du monde un comportement qui laisse à désirer. Nous avons donc suivi les instructions des dirigeants. Nous avons continué la partie, même si c’était électrique, et finalement le Nigeria a gagné le match par 2 buts à 1. On était éliminés.
Une anecdote : même l’Equipe du Nigeria n’était pas sereine pendant ce match-là. Surulere plein à craquer, ce sont ces joueurs-là qui nous disaient : «Vous Sénégalais, qu’est-ce-que vous voulez ? Vous voulez qu’on nous tue ? Si vous nous éliminez, on est morts.» A la mi-temps, je me rappelle, dans les couloirs, dans le souterrain, quand on regagnait les vestiaires, Taribo West, Kanu et autres parlaient de ça. «Qu’est-ce que vous voulez faire de nous?» On les avait vraiment surpris avec un jeu très alléchant et solide. On a tenu la dragée haute à ce Nigeria.
Nigeria-Ghana 2000 est un point de repère important dans l’histoire du football sénégalais. Depuis, on a enchaîné les participations. La politique de la Fédération a continué avec l’arrivée en force des expatriés qui avaient vu que cette équipe était prometteuse. Ils voyaient qu’ils pouvaient ne pas attendre éternellement une convocation en Equipe de France ou d’autres pays et venir jouer pour leur Nation. On a donc libéré la sélection de certaines contraintes. C’était ouvert.
Après cette campagne, Peter quitte la sélection ?
Schnittger est parti en 2001, Bruno Metsu est arrivé. Avec lui, on a ouvert une nouvelle ère, un nouveau style, une nouvelle philosophie : aller chercher les meilleurs joueurs où qu’ils se trouvent et les libérer dans le jeu. On a vu le Sénégal jouer d’une autre manière, avec un jeu beaucoup plus offensif.
Bruno a amené un football créatif, inventif et poussé. Ce qui a plu aux Sénégalais. En 2002, on se qualifie pour la phase finale au Mali qui organisait sa première Can. Là-bas, nous avons eu un parcours assez exemplaire. On sort premiers de notre poule, qui était difficile avec deux pays maghrébins (Tunisie et Egypte) et la Zambie. On gagne le premier match contre l’Egypte (1-0). Au deuxième, contre la Zambie, on fait la différence encore. C’était la génération de Souleymane Camara. Et le troisième match, on le joue à Kayes, très proche du Sénégal, où on fait match nul (0-0) en mettant un groupe presque de remplaçants parce qu’on était déjà qualifiés après deux matchs. C’est ce parcours qui nous a menés jusqu’en finale face au Cameroun, mais pas n’importe lequel. Le Cameroun était la forteresse dans le continent, qui a gagné en 2000 et vient gagner finalement en 2002. Donc deux Can successives. Vous avez tous vu, les images sont encore là, le Sénégal avait des opportunités pour gagner ce match, mais finalement on le perd aux tirs au but. Je me souviens du dernier penalty qui devait nous ramener à égalité avec le Cameroun. Malheureusement, c’est Aliou (Cissé) qui le rate. Ce sont les aléas du jeu. S’il y a cet exercice, c’est parce qu’on est sûr qu’un joueur ratera sa frappe.
A notre retour, les Sénégalais nous ont encouragés et accueillis comme en 2000. Les autorités nous ont reçus. Par la suite, on se qualifie pour la première fois à la Coupe du monde. 2002, c’était une année faste pour le football sénégalais. Je pense que dans l’histoire du football sénégalais, c’est un point important dans notre évolution. Il n’y a pas eu de trophée, mais ça a boosté l’équipe, et au plan mondial, le Sénégal est mieux connu. Le Président d’alors, Me Abdoulaye Wade, disait lors de la réception au Palais : «Vous-êtes des ambassadeurs. Ce que vous avez apporté au pays, il y a des hommes politiques qui ne pourraient jamais l’apporter, qu’ils soient députés, ambassadeurs ou ministres. Partout où je vais dans le monde, on me reconnaît. Avec cette équipe, vous avez pu installer le Sénégal, par son image, la prestation de mes enfants et petits-enfants, sur la planète.» Je pense que le football peut aussi servir de détonateur, de catalyseur. C’est toute une Nation, avec sa culture, qui est engagée. Porter le maillot national est une lourde charge, même si c’est un honneur.
Cette équipe a tout changé….
Au Mali, c’était un parcours presque du combattant, avec des joueurs déterminés et un bon environnement. Il faut aussi parler des hommes de l’ombre. C’est vrai que les joueurs sont les personnages centraux, mais il y a des gens qui sont derrière, qui travaillent, organisent, mettent en œuvre toutes les stratégies dégagées. Sur ce plan, tout le monde a mis la main à la pâte et d’un coup, tout un pays s’est soulevé, surtout pour la Coupe du monde. On sentait ce que signifiait le sentiment national, la fierté d’appartenir à un groupe, à un pays, à une Nation. «Le Sénégal qui gagne» est sorti. Petit à petit, on a fait notre forte entrée sur la scène internationale en passant par le football. Nous-mêmes qui avions l’habitude de voyager, partout où on passait, les gens nous regardaient. Avec les joueurs, c’étaient des autographes, des photos avec le développement technologique qui avançait. Tout cela nous montrait qu’on avait plus droit à l’erreur et qu’il n’y avait qu’un crédo : le travail. Et le travail paie. Et quand on dit travail, on parle du travail bien fait.
Après le parcours exceptionnel en 2002, Bruno est parti aux Emirats ?
Oui, il a été sollicité parce qu’en Coupe du monde avec l’Equipe du Sénégal, il a fait des exploits. Comme on dit, c’est un collectif qui gagne, et les prestations sur le terrain ont été de haute facture face à certaines nations. Notre match contre la France par exemple a été un match référence ; la France qui remet son titre de championne du monde en jeu. Il y a eu d’autres matchs référence, contre l’Uruguay, la Suède… Le match qui paraissait le plus facile, on l’a perdu (contre la Turquie). C’est ça le football. C’est la magie parfois. On pensait atteindre pour la première fois comme pays africain, ce stade de la compétition, à savoir les demi-finales.
On a enchaîné avec un autre entraîneur français, Guy Stéphan. J’ai eu la chance, sans le demander, qu’il me confirme comme adjoint à ce poste. Avec lui, on s’est qualifiés facilement pour 2004 en Tunisie. Vous-vous souvenez sûrement de ce fameux match de Radès, avec le brouillard. Des gens disaient que ce brouillard n’était pas naturel parce qu’une bonne partie de la ville n’était pas couverte. Aussi, nous n’avons pas usé de notre expérience pour demander à la Caf, la visibilité étant presque nulle, d’arrêter le match un moment. Jouer le pays organisateur, ce qui nous est arrivé en 2000 au Nigeria et en 2004 à Tunis…, le pays était mobilisé, avec Roger Lemaire qui avait gagné en 2000 l’Euro avec la France, et ils avaient mis les moyens et les conditions de leur côté. C’est cela aussi organiser une compétition. Ils avaient aussi une équipe de qualité et gagnent en finale contre le Maroc.
Lors de ce match contre la Tunisie, on prend un but sur une faute sur El Hadji Diouf au départ de l’action…
Oui ! On a contesté. Le match a été arrêté pendant de longues minutes, mais on ne retient que le résultat final. Ils nous éliminent en quart comme au Nigeria. Après, il fallait faire les comptes et essayer de gérer la suite. On a maintenu notre stabilité avec Guy Stephan, mais il y a eu un malheureux incident de parcours sur l’autre compétition, les éliminatoires de la Coupe du monde 2006. Ce fameux «match nul-défaite» (2-2 au Stade Senghor), comme les journalistes l’ont appelé, contre le Togo, a fait encore une révolution de palais dans la Tanière. On a fait partir l’entraîneur. La Fédération a proposé au ministère de garder ses collaborateurs. J’ai été projeté comme l’entraîneur qui doit terminer le parcours. Pour le Mondial, c’était hypothétique, mais pour la Can, on avait encore gardé nos chances parce qu’il y avait un match important qu’il fallait jouer en Zambie. C’était un match déterminant qu’il fallait gagner. On a gagné. La Fédération a manifesté la volonté de nous garder. J’ai conduit l’équipe avec mon compère Amara Traoré, en Egypte, en 2006.
Vous débutez très bien cette Can avec l’intégration de certains jeunes…
Sur le plan du jeu, on a vraiment fait une démonstration de force avec une équipe soudée, révolutionnée. On a opéré en douceur une transition en amenant d’autres jeunes, du sang neuf, donné un peu de fraîcheur. Ce sont les Issa Bâ, Souleymane Camara, qui était Petit Jules dans le grand groupe qu’on a conservé, il a mûri. On a eu Rahmane Barry, qui était prometteur, mais malheureusement une blessure l’a écarté des terrains. Il n’a pas eu le parcours qu’on imaginait. Diomansy était en Italie, c’est un agent qui nous l’a proposé (Sidy Fall). On a fait une bonne Can avec Mamadou Niang qui a été meilleur buteur de France, titre que feu Jules Bocandé avait gagné aussi. On avait un groupe assez compact et on sentait un renouvellement de certains cadres qui devaient laisser la place aux jeunes. Par le biais du règlement, mathématiquement on était à égalité avec un pays comme le Ghana, on est qualifiés. Nous, on est sortis et on a gagné un match, on se projette et on va en quart de finale contre la Guinée avec dans l’équipe, l’actuel entraîneur Kaba Diawara, Pascal Feindouno, Mansaré…, de bons joueurs, leur mastodonte Dianbobo Baldé.
La Guinée a toujours été une équipe joueuse, avec individuellement des joueurs très outillés sur le plan technique. C’est la Guinée-même qui ouvre le score à Alexandrie, mais se fait reprendre par le Sénégal. On est allés jusqu’à 3-1 et vers la fin du temps réglementaire, ils ont hérité d’un coup-franc et c’est Pascal Feindouno qui le met et ça s’est stabilisé à 3-2. Et on est qualifiés en demi-finale.
Et L’Egypte se dresse sur votre chemin au Caire en demi-finale ?
Encore, le pays organisateur arrive, l’Egypte, qui avait d’énormes problèmes, et cette Can devait stabiliser aussi le pays parce que le football va aussi avec la politique. Une victoire finale pouvait redonner confiance à un Peuple qui doutait. L’Etat sous le Président Moubarak a mis les moyens. La preuve, la veille de notre match, d’abord à l’entraînement, au Stade du Caire, on nous a créé des problèmes pour qu’on s’entraîne sur le terrain du match. C’est ce qui était même arrivé au Nigeria à Surelere, alors que le règlement nous autorisait à le faire pendant une heure sur le terrain de compétition. En Afrique, quelques fois, il y a des aléas, il faut savoir composer avec. On a forcé, au Nigeria et au Caire, on s’est entraînés sur le terrain de match. A l’entraînement de l’Equipe égyptienne, le Président, avec sa délégation, était même venu les galvaniser parce qu’il y avait des intérêts en jeu. On va sur ce match, 110 mille spectateurs au Stade international du Caire. Les supporters sénégalais, une poignée, étaient parqués en haut, on ne les voyait même pas. Arrivés au stade le jour du match, tout était «blanc rouge noir». Au portail du stade, on nous a retenus pendant presque une heure pour nous fatiguer, nous faire sortir de notre match, il y avait beaucoup de conciliabules. Aujourd’hui peut-être, ces images-là ne pourront plus se répéter en Afrique, les gens sont plus organisés, il y a plus de rigueur, les stades aussi sont plus fonctionnels. Avant il n’y avait que certains pays qui étaient en avance sur le plan des infrastructures. Vous voyez la Côte d’Ivoire aujourd’hui, vraiment il y a de beaux stades, une belle ambiance, et les matchs peuvent se tenir quelle que soit l’adversité. Au Caire, on était submergés par une marée humaine, mais les joueurs ont tenu quand même sur le match. L’Egypte marque le premier but. Il y a eu même un moment, quand il y a eu cette altercation entre Mido et l’entraîneur, on a dit qu’ils sont en train de perdre pied. On doit reprendre le bon bout et les éliminer chez eux. On revient à la mi-temps, Mamadou Niang égalise. Pour dire que ce sont des matchs à haute pression et il faut un mental de fer pour pouvoir s’exprimer. Ces joueurs-là étaient prêts parce que quelque part quand on pense à la famille, à son pays, au drapeau national, on se sublime et le sens du dépassement arrive. On perd 2-1 finalement avec un penalty sénégalais refusé. L’arbitre a bien sifflé le penalty, mais le temps qu’on sorte Diomansy pour l’amener sur la main courante et lui prodiguer des soins, les joueurs n’ont pas fait preuve d’expérience et nous aussi on ne les a pas aidés. Il fallait tout simplement prendre le ballon et le poser au point de penalty. On ne l’a pas fait, on a laissé le ballon traîner là-bas. C’est ce qu’il fallait faire parce qu’aussi influencer, c’est avoir de l’expérience. Chacun essaie de jouer pour sa paroisse. Il fallait aider l’arbitre.
Il fallait sécuriser le penalty parce que l’arbitre camerounais, Raphaël Evehe Divine, s’est rétracté après ?
Anecdote pour anecdote, un policier m’a interpellé en France. J’arrivais à l’aéroport, je fais mes formalités, quand il a fini, il me dit : «Seul l’arbitre n’a pas vu le penalty.» Quand j’ai levé la tête, il me dit : «Je parle de votre match contre l’Egypte en demi-finale.» Sur ce plan, je crois que c’était une mission qu’on pouvait terminer par une autre finale de Coupe d’Afrique parce qu’on avait les moyens et l’équipe qu’il fallait. La vie continue son train-train.
Dans la foulée de cette Can, vous quittez l’Equipe nationale. Mais, vous revenez, avec Amara Traoré, pour qualifier les Lions à la Can 2012…
Après Egypte 2006, la dernière participation remonte à 2012. Catastrophique. (Rires). Ça fait rigoler, mais ça fait pleurer aussi. On a fait un excellent parcours en poule face à de grandes nations de football, le Cameroun, la Rdc. On les avait surclassés. On était en plein Ramadan quand on est partis en Rdc. Ils n’ont pas voulu jouer à Kinshasa. Ils nous ont amenés à Lubumbashi. Kinshasa est une poudrière pour eux. A Lubum-bashi, on leur a mis 4 buts, et rares sont les équipes qui gagnent là-bas. Ce groupe était composé de Issiar Dia, Mamadou Niang… C’est l’un des meilleurs parcours que nous réalisons. L’actuel groupe du Sénégal a fait ça. On a aussi gagné le Cameroun à Dakar (1-0, but de Demba Bâ) à la dernière minute. Ensuite, on a fait match nul, avec l’arbitre angolais qui a même accordé un penalty raté par Eto’o. Mais sur ce plan, il faut dire qu’en Afrique, il faut des nerfs solides et une tête d’acier pour pouvoir résister et dépasser certaines entraves. On sort avec un match nul et cinq victoires. Les joueurs qui formaient le groupe à l’époque, c’étaient les meilleurs attaquants sénégalais du moment en France, Moussa Sow (meilleur buteur du championnat en France), Papis Demba Cissé, Demba Bâ, Mamadou Niang, Dame Ndoye, c’était une équipe extraordinaire, mais arrivé en Coupe d’Afrique, aucun Sénégalais ne peut t’expliquer pourquoi cette déconvenue-là. Trois matchs, même score, trois défaites (2-1 à chaque fois). On est retournéS sans passer le premier tour, avec un groupe qui respirait la forme et des joueurs de qualité. C’est aussi la vérité du terrain. Et puis, il y a des jours sans. Peut-être qu’il faut le prendre comme ça, mais on n’était pas mal. On n’était pas mauvais. Jusqu’à présent les joueurs qui faisaient partie de ce groupe, les Souleymane Diawara et autres, ils me posent la question : «Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Comment peut-on expliquer notre Coupe d’Afrique en Guinée Equatoriale ?»
Comment l’expliquez-vous aujourd’hui ? Qu’est-ce qui s’est passé en Guinée Equatoriale ?
Je pense peut-être qu’il y a eu un concours de circonstances. Par exemple, au premier match, on joue la Zambie. La Guinée Equatoriale jouait une équipe comme la Libye sur leur terrain. On va aux vestiaires, après les formalités, on doit partir s’échauffer. On nous dit qu’on ne s’échauffe pas sur le terrain de match «parce qu’avec la pluie qu’il y a eu aujourd’hui, ça s’est détérioré avec le premier match, on ne veut pas que le terrain soit plus détérioré. Vous allez partir dans le stade annexe». Et il fallait mettre du temps pour aller sur le stade annexe. C’était dans la même enceinte, mais au moment où l’équipe devait sortir, on a quitté les vestiaires pour aller dans le bus pour qu’il nous ramène, là, les policiers font un barrage pour dire qu’il y a le cortège présidentiel qui doit sortir, il faut qu’on attende. Les Zambiens étaient déjà arrivés, ils ont commencé leur échauffement longtemps avant nous. Au retour encore, ils nous bloquent pour nous dire que le cortège n’est pas encore passé. On a forcé pour rejoindre le terrain parce qu’il y avait les formalités administratives à faire et il était presque l’heure du coup d’envoi. On a forcé pour rejoindre le terrain. Tout cela déstabilise un groupe parce qu’il y a trop de conciliabules, de tiraillements et ça déteint un peu sur l’état d’esprit du groupe. Mais il fallait se ressaisir et aller jouer. Combien d’occasions on a eu ? On n’a jamais été dominés dans les matchs, au contraire. Je me rappelle, contre la Libye, Papis Demba Cissé a dit : «J’ai cadré ma frappe, mais c’est comme si le but s’est déplacé.» (Rires).
Certains ont parlé de faits surnaturels ?
Je ne rentre pas dans ces détails. La vérité des faits est là. Peut-être qu’on n’a pas été efficaces. L’efficacité offensive aussi existe dans le jeu, comme on l’a vu entre la Guinée Eéquatoriale et la Côte d’Ivoire. La fin n’était pas belle, mais c’est la loi du sport. Le Sénégal a continué sa trajectoire même si on a raté quelques Can (2010 et 2013). Le Sénégal y est arrivé petit à petit. Il y a eu de la patience, un projet qu’on a suivi, il y a eu des progrès. C’est pour cela que j’ai parlé de processus.