LE RÊVE OLYMPIQUE DE CHÉRIF FALL
Faute de soutien financier, le meilleur surfeur national n'a pas pu se rendre à la dernière compétition qualificative. Malgré les embûches, ce talent promet de se battre jusqu'au bout
Cherif Fall a embrassé sa femme sur les lèvres et ils se sont échangé des baisers sur le front, pour la porter chance. Puis il a enfilé sa combi, pris sa planche de surf et s'est dirigé vers l'eau où il ne voulait pas être.
Au lieu de s'entraîner sur les vagues de sa terre natale sénégalaise, Fall aurait préféré être à Porto Rico, où se déroulait la dernière compétition de qualification olympique pour les Jeux de Paris, se terminant ce samedi. Malheureusement, le Sénégal n'avait personne sur place pour tenter de décrocher les 14 derniers billets encore disponibles chez les hommes et les femmes.
"C'est triste, je le veux tellement... Je dois juste croire en moi et croire dans les gens qui me soutiennent", a déclaré Fall au média américain Bloomberg.
Ces Jeux de Paris 2024 seront les deuxièmes Jeux Olympiques à inclure le surf parmi les disciplines. Seulement 48 hommes et femmes auront le droit de concourir en Polynésie française. Les surfeurs peuvent se qualifier soit en étant suffisamment bien classés mondialement, soit en décrochant des places dans certains événements qualificatifs comme celui de Porto Rico, mais aucune de ces voies n'est évidente pour les surfeurs sénégalais.
Situé à l'extrême ouest de l'Afrique sur l'océan Atlantique, le Sénégal bénéficie pourtant de bonnes vagues, notamment dans sa capitale Dakar où le surf fait partie du quotidien pour beaucoup. Cependant, une fois que les athlètes atteignent un certain niveau, il devient difficile d'aller plus loin, comme l'expliquent les acteurs du milieu au micro de l'AP. Les déplacements à l'étranger pour participer à des compétitions sont extrêmement coûteux, les visas parfois compliqués à obtenir, et les investissements gouvernementaux trop faibles.
Fall a commencé le surf à l'âge de 9 ans, en empruntant la planche de bodyboard de son père, moniteur de natation. Sa famille étant en difficulté financière, il n'a pas toujours pu se payer de planche et a dû partager avec des amis. Malgré ces obstacles, il s'est révélé être un talent naturel, remportant des compétitions locales et se jurant qu'un jour il participerait aux Jeux Olympiques.
Il a fallu 14 ans et l'aide de sa femme Nicole Sweet, photographe professionnelle qui a publié des photos de Fall sur Instagram, pour qu'il soit sponsorisé par Billabong, un des plus grands équipementiers mondiaux de surf. En larmes, il se souvient du jour où il a reçu ce mail qui a changé sa vie. "Je ne savais pas qu'un jour je pourrais être là où je suis maintenant. Je me souviens quand mon père n'avait pas d'argent... C'était vraiment dur", confie-t-il.
Mais même avec ce soutien financier majeur, le surfeur de 27 ans ne peut toujours pas se payer un entraîneur ni participer à assez de compétitions pour accumuler des points au classement mondial.
Les surfeurs et entraîneurs sénégalais jugent pourtant que le potentiel des athlètes est immense, mais que le sport manque cruellement d'investissements pour les structures d'entraînement, le matériel et les encadrements. Pour concourir au plus haut niveau mondial, ils estiment qu'il leur faut le minimum, comme un environnement d'entraînement quotidien avec un coach qualifié et du matériel de qualité.
"C'est comme vouloir nager alors que la piscine n'a pas d'eau", compare Molly Killingbeck, médaillée d'argent olympique d'athlétisme devenue conseillère pour la performance des athlètes souhaitant se qualifier pour Paris 2024.
Les instances comme l'International Surfing Association doivent militer pour l'organisation de compétitions de qualité sur tous les continents afin de donner à tous les meilleurs athlètes une chance de concourir dans les grands événements internationaux, estime-t-elle. Contactée par l'AP, l'ISA n'a pas donné suite.
Le gouvernement sénégalais a bien financé le déplacement de surfeurs à des qualificatifs olympiques aux États-Unis, où ils ont atteint les quarts de finale, et au Salvador, où ils ont été éliminés dès le premier tour. Selon la Fédération sénégalaise de surf, envoyer six surfeurs et trois coaches à Porto Rico aurait coûté environ 30 000 dollars. Le ministère des Sports n'a pas répondu aux demandes de commentaire de l'AP.
Alexandre Alcantara, président de la Fédération sénégalaise de surf, explique que le gouvernement investit davantage dans des sports plus populaires comme le football, la lutte ou le basket, et se concentre sur les Jeux Olympiques de la Jeunesse que le pays accueillera en 2026. Il évoque aussi le contexte politique tendu pour justifier le manque d'intérêt cette année.
Dans l'attente d'un changement, les surfeurs sénégalais affirment qu'ils ne rendront pas les armes. "Je ne sais pas combien d'années ça prendra, mais un jour j'y arriverai", promet Cherif Fall.